(Paris) – Un sondage sur les contrôles d’identité en France, rendu public aujourd’hui par Graines de France, Human Rights Watch et Open Society Justice Initiative, montre que la pratique des contrôles d’identité en France reste trop souvent discriminatoire, que les Français estiment que le contrôle au faciès est une réalité, et que les mesures prises à ce jour par le gouvernement ne sont pas suffisantes. Ce sondage confirme l’impact négatif des contrôles, perçus comme discriminatoires, sur la confiance dans les forces de l’ordre. Il démontre aussi une attente forte des Français de mesures susceptibles de faire reculer ces contrôles. Pour les trois organisations, les résultats du sondage viennent en appui à la demande faite au gouvernement depuis 2012 pour qu’il engage une profonde réforme des contrôles d’identité en France.
Selon ce sondage, 67% des Français estiment nécessaire de prendre des mesures, alors que 60% estiment que le gouvernement n’a pas pris de mesures concrètes malgré l’engagement n° 30 de François Hollande pendant sa campagne électorale de « lutter contre le délit de faciès ». Parmi les 40% qui estiment que des mesures concrètes ont été prises, 57% pensent qu’elles sont insuffisantes. Ces résultats indiquent qu’une majorité des personnes sondées (84% chez les sympathisants de gauche, 83% chez les personnes ayant des ascendants d’Afrique du Nord ou encore 75% chez les jeunes de 18-24 ans) souhaite d’autres mesures que celles prises par M. Valls lorsqu’il était ministre de l’Intérieur (port d’un matricule sur les uniformes, bannissement du tutoiement, pratique des palpations plus limitée).
Les personnes d’ascendance d’Afrique du Nord sont parmi les sondés les plus touchés.Au total, ce sondage montre que 37,3 % des contrôles touchent les personnes qui disent avoir des ascendants d’Afrique du Nord, même s’ils ne représentent que 7% de la population.
Pour les personnes ayant subi au moins un contrôle, le nombre moyen de contrôle par personne au cours des douze derniers mois s’élève à 2,65. Cependant cette moyenne augmente de manière significative pour plusieurs catégories : 4,76 contrôles pour les personnes qui ont des ascendants étrangers, et même 8,18 contrôles pour les personnes qui ont des ascendants originaires d’Afrique du Nord. La moyenne atteint un maximum de 10,64 contrôles pour les personnes qui estiment avoir été contrôlés pour des motifs discriminatoires. Ces fréquences de contrôles sont bien supérieures aux fréquences révélées par une étude de 2010 fait par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne dans dix Etats de l’Union européenne.
12% de ceux qui ont subi au moins un contrôle d’identité estiment que ce contrôle était lié à une discrimination (liée à l’âge, à la couleur de peau, aux origines, à la façon de s’habiller).Ce pourcentage passe à 41% chez les interviewés ayant des ascendants originaires d’Afrique du Nord et 30% chez les moins de2 5ans.
Les conditions des contrôles révèlent des différences de traitement significatives, particulièrement marquées dans le traitement spécifique touchant les répondants sans ascendants étrangers et ceux dont les ascendants sont originaires d’Afrique du Nord :
- Les palpations concernent 7 % des répondants sans ascendants étrangers, 22% s’ils déclarent avoir des ascendants étrangers et plus encore 36% si ses ascendants sont originaires d’Afrique du Nord, soit un rapport de 1 à 5 dans la fréquence de cette pratique;
- Pour les fouilles, le pourcentage des contrôles ayant donné lieu à cette procédure sont respectivement de 7%, 20% et 33%, là aussi cette pratique est cinq fois plus fréquente concernant les individus ayant des ascendants d’Afrique du Nord ;
- 3% des personnes contrôlées affirment que les forces de sécurité ont eu recours à la force physique; ce pourcentage s’élève à 12% pour les personnes ayant des ascendants d’Afrique du Nord et 17% pour les personnes qui ont ressenti ce contrôle comme motivé par une discrimination.
17% des répondants avec ascendance d’Afrique du Nord ont été tutoyés, comparé avec 12% de ceux avec des ascendants étrangers en général, et 2% des répondants sans ascendants étrangers.
Ainsi, les pratiques discriminatoires, mesurées dans ce sondage à l’encontre des personnes ayant des ascendants d’Afrique du Nord, restent flagrantes, ont dit les trois organisations. Rien ne peut justifier une différence de 1 à 5sur le nombre de contrôles au cours des douze derniers mois entre des personnes sans ascendance étrangère et celles ayant des ascendants d’Afrique du Nord. Rien ne peut non plus justifier la même différence de 1 à 5 dans la pratique des palpations et des fouilles entre ces deux catégories de population.
Conformément à d’autres études, 78% des répondants ont confiance dans la police et la gendarmerie. Néanmoins, le taux de confiance chute à 43% parmi les personnes qui ont le sentiment d’avoir été contrôlés pour des raisons discriminatoires. Le taux de confiance est également plus bas (61%) parmi les étrangers ayant des ascendants d’Afrique du Nord, plus souvent sujets aux contrôles d’identité.
En dépit de ce sentiment majoritaire de confiance, 63% des répondants estiment que les policiers et les gendarmes se livrent à des contrôles au faciès ; un pourcentage qui atteint 83% pour les interviewés ayant des ascendants originaires d’Afrique du Nord.
Les organisations réaffirment leur conviction que seule une réforme globale en matière de contrôle d’identité permettra de modifier la perception de la population, et de favoriser la confiance dans les forces de sécurité de la part de ceux qui se sentent discriminés.
Les six mesures préconisées depuis 2012 par nos organisations sont les suivantes :
- La réforme de l’article 78-2 du code de procédure pénale pour que tout contrôle doit se reposer sur des motifs objectifs et individualisés
- L’encadrement juridique des palpations de sécurité
- La remise d’un récépissé aux personnes contrôlées
- L’organisation de dialogues entre police et population sur la pratique des contrôles d’identité
- Le renforcement de la formation des policiers et des gendarmes
- La modification des critères d'évaluation et de promotion des policiers afin de prendre en compte le respect de la déontologie et la capacité à créer du lien social.
Les organisations qui ont commandé ce sondage déplorent qu’il n’existe pas de statistiques officielles sur les contrôles d’identité en France. Elles considèrent que des données officielles permettraient d’avoir un débat public serein sur le sujet des contrôles d’identité et serait une base de dialogue objective entre l’Etat, les forces de sécurité et la population.