« Sur le dos des enfants »

Mendicité forcée et autres mauvais traitements à l’encontre des talibés au Sénégal

 

« Sur le dos des enfants »

Mendicité forcée et autres mauvais traitements à l’encontre des talibés au Sénégal

Carte du Sénégal et de Guinée-Bissau
Résumé
Recommandations
Au gouvernement sénégalais
Au gouvernement bissau-guinéen
Aux gouvernements sénégalais et bissau-guinéen
Aux responsables religieux, notamment aux califes des confréries, aux imams et aux grands marabouts
Aux organisations humanitaires nationales et internationales
Au Rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage
À la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest
À l’Organisation de la Conférence islamique
Méthodologie
Contexte
Développement de l’islam au Sénégal
L’éducation coranique avant la colonisation française
L’éducation coranique à l’époque coloniale
L’éducation coranique après l’indépendance : essor de la mendicité forcée
L’accent mis sur la charité
Exploitation et sévices endurés par les talibés au Sénégal
Un problème de grande ampleur et en plein développement
Profil : jeunes et éloignés de chez eux
La nature de la mendicité forcée : hors de la classe, dans la rue
Sévices physiques graves
Violation des droits à l’alimentation, au développement physique et à la santé
Abus sexuels
Déni du contact avec la famille
Déni du droit au jeu
En fuite, dans la rue
Les auteurs de sévices et leurs complices
Les marabouts et les responsables religieux
Le gouvernement sénégalais
Le gouvernement bissau-guinéen
Les parents responsables de négligence et de maltraitance
Les organisations humanitaires : incitation à la migration urbaine, inertie dans la lutte contre l’impunité101
Règles de droit national et international applicables à la protection des talibés
La servitude ou l’esclavage des enfants
Les pires formes de travail des enfants
La traite des enfants
La Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam
Les traités internationaux relatifs aux droits de l’enfant
La législation nationale applicable aux talibés
Remerciements

 

Carte du Sénégal et de Guinée-Bissau

© 2010 John Emerson / Human Rights Watch

Les principaux itinéraires de la migration des talibés sont bien connus au Sénégal et en Guinée-Bissau. Les itinéraires signalés ici ont été identifiés sur base d’entretiens réalisés par Human Rights Watch avec des talibés, des marabouts, des parents, ainsi que des responsables humanitaires et gouvernementaux du Sénégal et de Guinée-Bissau ; d’une étude quantitative sur les enfants mendiants de Dakar réalisée en 2007 par le Fonds international de secours à l’enfance des Nations Unies (UNICEF), l’Organisation internationale du Travail et la Banque mondiale ; et de données détaillées recueillies par SOS Enfants Talibés (SOS Crianças Talibés) auprès d’enfants revenus en Guinée-Bissau après s’être enfuis de daaras au Sénégal.

Résumé

Je dois rapporter de l’argent, du riz et du sucre tous les jours. Quand je ne peux pas tout apporter, le marabout me bat. Il me bat en d’autres occasions aussi, même quand j’apporte bien la somme... Je veux arrêter ça mais je ne peux pas. Je ne peux pas partir, je n’ai nulle part où aller.–Modou S., talibé de 12 ans à Saint-Louis
Les enseignements de l’islam s’opposent entièrement au fait d’envoyer des enfants dans la rue et de les forcer à mendier... Certains marabouts n’en tiennent aucun compte ; ils aiment le confort, l’argent qu’ils reçoivent en vivant sur le dos des enfants.–Aliou Seydi, marabout à Kolda

Au moins 50 000 enfants fréquentant des centaines d’internats coraniques (daaras) au Sénégal sont soumis à des conditions qui s’apparentent à de l’esclavage. Leurs professeurs (marabouts), qui font office de tuteurs de facto, les soumettent à des formes souvent extrêmes de maltraitance, de négligence et d’exploitation. Il serait faux d’affirmer que toutes les écoles coraniques appliquent ce type de régime, mais de nombreux marabouts obligent les enfants, appelés talibés, à mendier dans les rues pendant de longues heures—pratique constitutive de la pire forme de travail des enfants selon la définition employée par l’Organisation internationale du Travail (OIT)—et les soumettent à des violences physiques et psychologiques souvent brutales. Les marabouts font aussi preuve de grave négligence en ne subvenant pas aux besoins élémentaires des enfants, tels que la nourriture, le logement et les soins de santé, ceci en dépit des ressources suffisantes dont disposent la plupart des daaras urbains et qui sont principalement fournies par les enfants eux-mêmes.

Dans des centaines de daaras urbains du Sénégal, ce sont les enfants qui pourvoient aux besoins des marabouts. Alors que les talibés vivent dans le dénuement le plus total, les marabouts de nombreux daaras réclament des sommes journalières considérables aux dizaines d’enfants dont ils ont la charge, grâce auxquelles certains d’entre eux vivent dans une relative opulence. Des milliers d’enfants sont également victimes de la traite des êtres humains lorsque des marabouts les transfèrent d’un endroit à un autre ou les accueillent dans un but d’exploitation.

Les gouvernements sénégalais et bissau-guinéen, les autorités islamiques sous l’égide desquelles les écoles prétendent opérer, ainsi que les parents concernés ont tous failli lamentablement au devoir qui leur incombe de protéger ces dizaines de milliers d’enfants contre la maltraitance, et ils ne se sont guère attachés à réclamer des comptes aux auteurs de ces actes. Pour l’essentiel, les conditions régnant dans les daaras, entre autres le traitement des enfants qui y résident, ne sont toujours pas réglementées par les autorités. Les agences humanitaires bien intentionnées qui cherchent à combler le vide en matière de protection ont trop souvent encouragé l’exploitation des enfants en prodiguant directement une aide aux marabouts qui maltraitent les talibés, tout en négligeant de contrôler suffisamment l’impact ou l’utilisation de cette aide et en omettant de dénoncer les abus.

Transférés de leurs villages du Sénégal et de Guinée-Bissau vers des villes sénégalaises, les talibés sont forcés de mendier parfois jusqu’à 10 heures par jour. Du matin au soir, le paysage des villes du Sénégal se parsème de garçons—dont la vaste majorité ont moins de 12 ans et beaucoup n’ont pas plus de quatre ans—qui traînent en petits groupes dans les rues, se faufilent à travers la circulation et attendent devant les centres commerciaux, les marchés, les banques et les restaurants. Vêtus de chemises trop grandes, sales et déchirées, souvent pieds nus, ils tendent une sébile en plastique ou une canette vide dans l’espoir de recevoir une aumône. Dans la rue, ils sont exposés à la maladie, au risque d’être blessés ou tués par une voiture, et aux violences physiques, parfois sexuelles, infligées par des adultes.

Dans un daara urbain typique, le professeur exige que ses talibés lui rapportent chaque jour une certaine somme d’argent, du riz et du sucre, mais les enfants n’en profitent guère. Beaucoup sont terrifiés à l’idée de ce qui leur arriverait s’ils ne respectaient pas le quota car le châtiment—des sévices corporels infligés par le marabout ou son assistant—est généralement immédiat et sévère, consistant en coups assénés au moyen d’un fil électrique, d’un gourdin ou d’un bâton. Certains sont attachés ou enchaînés pendant qu’ils sont battus, ou forcés de rester dans des positions pénibles. Ceux qui sont capturés après une tentative manquée de fugue subissent les violences les plus graves. Des semaines ou des mois après s’être échappés du daara, une vingtaine de garçons ont montré à Human Rights Watch les cicatrices et marques de coups qu’ils présentaient sur le dos après la correction infligée par un professeur.

Le quotidien de ces enfants se résume à un dénuement extrême. Malgré l’argent et le riz qu’ils rapportent au daara, les enfants sont forcés de mendier dans la rue pour se nourrir. Certains volent ou fouillent les déchets pour trouver quelque chose à manger. La majorité souffre constamment de la faim et de malnutrition, grave ou légère. Lorsqu’un enfant tombe malade, ce qui arrive fréquemment comte tenu des longues heures passées dans la rue et des piètres conditions d’hygiène au daara, le professeur lui fournit rarement une assistance médicale. Les enfants sont obligés de passer encore plus d’heures à mendier afin de pouvoir acheter des médicaments pour traiter les parasites de l’estomac, le paludisme et les maladies de la peau qui sévissent dans les daaras. La plupart des daaras urbains sont situés dans des constructions inachevées, laissées à l’abandon, ou des logements de fortune en chaume. Il est courant que les enfants dorment à 30 dans une petite pièce, entassés les uns sur les autres à tel point qu’ils choisissent de braver les éléments à l’extérieur, surtout pendant la saison chaude. Pendant les quatre mois d’hiver que connaît le Sénégal, les talibés souffrent du froid, n’ayant que peu ou pas de couvertures, voire, dans certains cas, pas de matelas sur lequel dormir.

De nombreux marabouts quittent leur daara pendant des semaines d’affilée pour retourner dans leurs villages ou pour recruter d’autres enfants, confiant des talibés d’à peine quatre ans à la garde d’assistants adolescents qui brutalisent souvent les plus jeunes et leur font parfois subir des sévices sexuels.

Dans des centaines de daaras urbains, les marabouts semblent donner la priorité à la mendicité forcée plutôt qu’à l’enseignement du Coran. Consacrant généralement leurs journées aux activités exigées d’eux, lesquelles commencent par la prière avant l’aube pour se terminer tard dans la soirée, les talibés ont rarement le temps d’accéder à des formes d’éducation qui leur permettraient d’acquérir les compétences de base, ou pour s’adonner aux activités et jeux normaux des enfants, notamment au football par ailleurs omniprésent. Dans certains cas, lorsqu’ils prennent le temps de jouer, ils sont battus par les marabouts qui considèrent que cela les détourne de leur occupation, la mendicité.

Les marabouts qui exploitent les enfants ne font pas beaucoup d’efforts, voire aucun, pour faciliter ne fût-ce qu’un contact périodique entre les talibés et leurs parents. La prolifération des téléphones portables et la couverture des réseaux mobiles jusque dans les villages les plus isolés du Sénégal et de Guinée-Bissau devraient favoriser les contacts, mais la vaste majorité des talibés ne parlent jamais avec leurs familles. Dans bon nombre de cas, empêcher tout contact semble être une stratégie employée par le marabout.

Non nourris par le marabout, non soignés lorsqu’ils tombent malades, forcés de travailler de longues heures rien que pour remettre de l’argent et du riz à quelqu’un qui ne leur en fera pour ainsi dire pas profiter—et battus s’ils n’arrivent pas à atteindre le quota requis—des centaines, voire probablement des milliers de talibés s’enfuient des daaras chaque année. Beaucoup planifient leur fuite en connaissant le lieu exact des refuges pour fugueurs. D’autres choisissent de vivre dans la rue plutôt que de supporter les conditions imposées au daara. Par voie de conséquence, le daara urbain d’aujourd’hui contribue de façon critique au problème croissant des enfants de la rue, plongés dans une vie souvent marquée par la drogue, la maltraitance et la violence.

L’exploitation et la maltraitance des talibés ont pour toile de fond l’éducation religieuse traditionnelle, la migration et la pauvreté. Depuis des siècles, le daara est une institution d’enseignement qui joue un rôle essentiel au Sénégal. Cela fait longtemps que des parents confient leurs enfants à un marabout—souvent un proche ou quelqu’un du même village—chez qui ils résident jusqu’à ce qu’ils terminent leurs études coraniques. Traditionnellement, les enfants se concentraient sur leurs études tout en aidant à cultiver les champs du marabout. La mendicité, quand elle existait, consistait plutôt à collecter des repas auprès des familles de la communauté. Aujourd’hui au Sénégal, des centaines de milliers de talibés fréquentent des écoles coraniques, beaucoup combinant cet enseignement avec celui des écoles publiques, et la pratique reste souvent axée sur l’éducation religieuse et morale. Cependant, dans le cas d’au moins 50 000 enfants, dont beaucoup amenés de pays voisins, les marabouts ont profité de l’absence de réglementation gouvernementale pour dénaturer l’éducation religieuse, la transformant en exploitation économique.

La mendicité forcée, les sévices corporels et les conditions de vie quotidienne dangereuses que subissent ces talibés violent le droit national et international. Le Sénégal a déjà des lois couchées sur le papier qui pourraient être appliquées mais elles le sont rarement. Le pays est un État partie à la Convention relative aux droits de l’enfant, à la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, et à tous les principaux traités régionaux et internationaux relatifs au travail et à la traite des enfants, qui interdisent clairement les pires formes de travail des enfants, la violence physique à leur égard et la traite des enfants. Le droit international accorde également aux enfants le droit à la santé, au développement physique, à l’éducation et aux loisirs, obligeant l’État, les parents et ceux à la charge de qui un enfant se trouve de respecter ces droits.

L’État est le principal garant de la protection des droits des enfants au sein de ses frontières, mission que le gouvernement sénégalais a omis de remplir. À l’exception de quelques daaras modernes—qui sont financés par le gouvernement et associent le programme des écoles coraniques à celui des écoles publiques—aucune des institutions coraniques du Sénégal ne fait l’objet d’une quelconque forme de réglementation gouvernementale. Au cours des dix dernières années, le gouvernement a notamment défini la mendicité forcée comme étant l’une des pires formes de travail des enfants et a érigé en crime le fait de forcer autrui à mendier en vue d’en tirer profit, mais cette loi applicable n’a débouché, à ce jour, que sur peu de mesures concrètes. Plutôt que de réclamer des comptes aux marabouts pour la mendicité forcée, pour leur grave négligence, ou sauf dans des cas extrêmement rares, pour les graves sévices corporels qu’ils infligent, les autorités sénégalaises ont choisi d’éviter de défier les puissants dirigeants religieux du pays, y compris les marabouts individuels.

De même, les pays qui comptent un grand nombre de talibés envoyés au Sénégal, en particulier la Guinée-Bissau, se sont mis en défaut de protéger leurs enfants contre la maltraitance et l’exploitation qui les attendent dans de nombreuses écoles coraniques urbaines du Sénégal. Le gouvernement bissau-guinéen doit encore criminaliser officiellement la traite des enfants et, même en vertu des normes juridiques existantes, il refuse de traduire en justice les marabouts qui se livrent à la circulation transfrontalière illégale d’enfants. Par ailleurs, la Guinée-Bissau ne respecte pas le droit à l’éducation dans son propre pays—environ 60 pour cent de ses enfants ne sont pas scolarisés—poussant beaucoup de parents à voir dans les écoles coraniques du Sénégal la seule option viable pour assurer l’éducation de leurs enfants.

De leur côté, les parents et les familles envoient souvent les enfants dans les daaras sans fournir aucune assistance financière. Après avoir cédé informellement leurs droits parentaux au marabout, certains ferment ensuite les yeux sur la maltraitance dont est victime leur enfant. Beaucoup de talibés qui fuguent et rentrent chez eux sont renvoyés chez le marabout par leurs parents, pourtant pleinement conscients que leur enfant continuera à être soumis à la mendicité forcée et à des châtiments corporels souvent extrêmes. Pour ces enfants, leur maison n’est plus un refuge, et confrontés à des exactions plus graves encore au daara, ils sont poussés à planifier leur prochaine fugue qui les mènera dans un centre d’accueil ou dans la rue.

Des dizaines d’organisations humanitaires sénégalaises et internationales se sont employées de façon admirable à combler le vide laissé par les autorités en matière de protection. Ces organisations offrent des dizaines de centres aux talibés fugueurs ; elles œuvrent pour sensibiliser les parents aux conditions difficiles dans les daaras ; et elles offrent de la nourriture, des soins de santé et d’autres services essentiels aux talibés. Néanmoins, dans certains cas, elles ont en fait aggravé le problème. En axant leur aide en grande partie sur les daaras urbains, certaines organisations humanitaires ont encouragé les marabouts à quitter les villages pour s’établir dans les villes, où ils forcent les talibés à mendier. En ne contrôlant pas suffisamment l’usage que les marabouts font de l’aide reçue, certaines associations ont rendu cette pratique encore plus rentable—pendant que d’une main les marabouts reçoivent l’argent de l’agence d’aide, de l’autre ils forcent leurs talibés à continuer de mendier. Par ailleurs, en privilégiant une approche prudente pour tenter de préserver leurs relations avec les marabouts, bon nombre d’organisations humanitaires ont renoncé à réclamer des comptes et n’ont pas dénoncé des cas évidents d’abus.

Le gouvernement sénégalais a lancé une initiative visant à créer 100 daaras modernes entre 2010 et 2012 et à les soumettre à une réglementation. Certes, l’imposition d’une réglementation dans ces nouvelles écoles est une mesure qui se fait attendre depuis longtemps, mais le nombre limité de daaras qui se verront affectées signifie que le plan aura peu d’impact sur les dizaines de milliers de talibés qui vivent déjà dans des daaras qui les exploitent. Le gouvernement doit par conséquent associer son projet de création de daaras modernes à des efforts, jusqu’à présent totalement inexistants, visant à obliger les marabouts à rendre des comptes pour l’exploitation et les mauvais traitements dont ils sont responsables.

Aux termes de la Convention relative aux droits de l’enfant, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ainsi que de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, l’État est tenu de veiller à ce que les enfants aient accès à un enseignement primaire obligatoire, holistique, qui leur permette d’acquérir les compétences élémentaires dont ils ont besoin pour participer pleinement et activement à la société. Outre son soutien à la création de daaras modernes, le gouvernement sénégalais devrait dès lors faire en sorte que les enfants aient le choix d’accéder à un enseignement primaire gratuit au sein d’écoles publiques ou par d’autres moyens.

Sans l’application d’une réglementation relative aux daaras et sans une lutte fructueuse contre l’impunité, le phénomène de mendicité forcée des enfants continuera à s’étendre comme il le fait depuis des dizaines d’années. Si le gouvernement sénégalais veut conserver sa place en tant que modèle de démocratie respectueuse des droits humains en Afrique de l’ouest, il doit prendre des mesures immédiates pour protéger ces enfants qui ont été délaissés par leurs parents et qui sont exploités et maltraités soi-disant au nom de la religion.

Recommandations

Au gouvernement sénégalais

  • Faire appliquer l’actuelle loi nationale qui criminalise le fait d’organiser la mendicité d’autrui en vue d’en tirer profit—particulièrement l’article 3 de la Loi n° 2005-06—notamment en ouvrant des enquêtes et en traduisant en justice, conformément aux normes en matière de procès équitable, les marabouts et autres personnes qui forcent les enfants à mendier.
    • Envisager de modifier la loi de façon à définir une gamme plus large de peines, en réduisant la longueur de la peine qui est actuellement de deux à cinq ans de prison obligatoire et en prévoyant des peines non privatives de liberté et des peines de prison inférieures à deux ans, de façon à ce que les sanctions puissent être mieux proportionnées à la gravité de l’exploitation.
    • Créer un registre des marabouts connus des autorités pour avoir forcé des enfants à mendier de l’argent, ou reconnus coupables de sévices corporels ou de négligence grave envers un enfant.
  • Faire appliquer l’article 298 du Code pénal qui criminalise les violences physiques infligées à un enfant, à l’exclusion des « violences légères », notamment en ouvrant des enquêtes et en traduisant en justice, conformément aux normes en matière de procès équitable, les marabouts et autres personnes qui font subir des violences physiques à des talibés.
    • Modifier la loi de façon à y inclure une mention spécifique relative à toutes les formes de châtiment corporel dans les écoles, conformément au droit international, dont la Convention relative aux droits de l’enfant ainsi que la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.
    • Modifier la loi de façon à garantir qu’elle tiendra pour responsable un marabout qui contrôle, ordonne ou omet de prévenir ou de punir un assistant qui inflige des violences physiques à un talibé.
  • Faire appliquer les dispositions de la Loi n° 2005-06 relative à la lutte contre la traite des personnes, qui criminalise la traite des enfants conformément au Protocole des Nations Unies contre la traite des personnes.
    • Fournir des moyens supplémentaires aux unités de police civile et de police des frontières, en particulier dans les régions de Ziguinchor et de Kolda, afin qu’elles soient plus à même d’empêcher la traite des enfants.
    • Améliorer la formation et exiger une formation périodique pour les unités aux frontières afin de garantir qu’elles connaissent les lois régissant la circulation transfrontalière des enfants.
  • Exprimer le soutien des plus hautes instances du gouvernement pour l’engagement de poursuites judiciaires à l’encontre des marabouts qui violent les lois contre la mendicité forcée, les mauvais traitements et la traite des enfants.
  • Veiller à ce que les autorités pertinentes au sein des ministères de l’Intérieur et de la Justice supervisent, ouvrent des enquêtes et, s’il y a lieu, sanctionnent les policiers, les juges d’instruction et les procureurs qui se mettent systématiquement en défaut d’agir suite à des accusations de mauvais traitements et d’exploitation infligés par des marabouts.
  • Formuler des directives claires à l’intention de la Brigade des mineurs, lui enjoignant de prendre l’initiative d’enquêter sur les cas de maltraitance et d’exploitation, y compris lors des patrouilles de rue.
  • Accroître les capacités de la police, en particulier au sein de la Brigade des mineurs, notamment en augmentant ses effectifs et son équipement, afin de mieux faire appliquer les lois en vigueur relatives à la mendicité forcée et aux violences physiques.
    • Dispenser une formation suffisante à la Brigade des mineurs sur les méthodes à utiliser d’une part pour interroger les enfants, et d’autre part pour apporter protection et assistance aux victimes de graves traumatismes physiques et psychologiques, notamment d’abus sexuels.
  • Veiller à ce que les enfants, les travailleurs humanitaires et autres puissent accéder en toute sécurité à des moyens de dénoncer les mauvais traitements ou l’exploitation, entre autres en faisant davantage de publicité autour de la ligne d’assistance téléphonique gratuite pour la protection des enfants qui est gérée par le Centre Ginddi à Dakar, et en mettant à disposition plus de numéros d’urgence et une assistance plus étendue ailleurs au Sénégal.
  • Introduire une loi exigeant que les travailleurs humanitaires informent la police des cas de maltraitance, d’exploitation et de violations des lois en vigueur régissant le traitement des enfants, entre autres la loi relative à la mendicité forcée.
  • Exiger que tous les daaras soient agréés et fassent l’objet d’inspections périodiques effectuées par des agents de l’État.
    • Adopter une loi fixant des normes minimums en vertu desquelles les daaras doivent opérer, en prêtant une attention particulière aux daaras qui opèrent comme internats.
    • Encourager les autorités responsables de la protection des enfants à collaborer avec les autorités islamiques pour définir ces normes qui devraient inclure : un nombre minimum d’heures consacrées aux études ; la promotion et le développement des talents et aptitudes de chaque enfant soit dans les daaras, soit dans d’autres établissements scolaires, afin de leur permettre de réaliser leur plein potentiel ; des conditions de vie minimums ; un nombre maximum d’enfants par maître coranique ; des qualifications pour pouvoir ouvrir un daara internat ; et l’agrément du daara et son inspection par l’État.
    • Étendre les pouvoirs et le mandat des inspecteurs de l’État envoyés dans les daaras afin d’améliorer la surveillance qu’ils exercent sur elles à travers tout le territoire sénégalais ; habiliter les inspecteurs à sanctionner ou à fermer les daaras ne répondant pas aux normes qui protègent les meilleurs intérêts de l’enfant.
  • Ordonner à la Brigade des mineurs d’enquêter sur l’ampleur des abus sexuels survenant dans les daaras sur tout le territoire sénégalais. Engager les talibés, les marabouts, la police, les parents, les autorités locales et les organisations humanitaires et islamiques à mettre en place et à faire connaître l’existence de mécanismes de protection adéquats pour les enfants victimes d’abus sexuels.
  • Charger un ministre de coordonner la réponse de l’État à partir des éléments émanant des différents ministères.
  • Améliorer la tenue des statistiques sur le nombre de talibés et de maîtres coraniques qui entrent en contact avec les autorités de l’État, entre autres : les talibés qui sont en conflit avec la loi ; les talibés qui fuguent et sont repris par les autorités de l’État ; et les maîtres coraniques qui sont arrêtés et poursuivis pour avoir forcé autrui à mendier, ou pour avoir infligé des violences physiques ou autres mauvais traitements à des enfants.
  • Garantir l’élimination des frais de scolarité non officiels et autres obstacles à l’accès des enfants à l’éducation primaire dans les écoles publiques.

Au gouvernement bissau-guinéen

  • Promulguer et faire appliquer une loi qui criminalise la traite des enfants, incluant des sanctions à l’encontre de ceux qui embauchent, emploient ou encouragent d’autres personnes à pratiquer la traite des enfants en leur nom, ainsi que des sanctions à l’encontre de ceux qui aident et soutiennent la traite des enfants, que ce soit dans le pays d’origine ou dans le pays de destination.
  • Promulguer et faire appliquer une loi qui criminalise la mendicité forcée des enfants en vue d’en tirer profit.
  • Déclarer publiquement que la mendicité forcée des enfants est constitutive de la pire forme de travail des enfants ; faire suivre par une loi appropriée.
  • Accroître les capacités des unités de police civile et de police des frontières, en particulier dans les régions de Bafatá et de Gabú, pour combattre la traite des enfants et la circulation transfrontalière illégale des enfants.
    • Améliorer la formation et exiger une formation périodique pour les unités aux frontières afin de garantir qu’elles connaissent les lois régissant la circulation transfrontalière des enfants.
  • Continuer à progresser sur la voie d’une réglementation des écoles religieuses. Travailler en étroite collaboration avec les responsables religieux pour concevoir des programmes scolaires appropriés, élaborer des normes visant les professeurs et définir des obligations sur le plan de l’agrément et des inscriptions.
  • Garantir l’élimination des frais de scolarité non officiels et autres obstacles à l’accès des enfants à l’éducation primaire, faisant progressivement du droit à l’éducation une réalité pour les 60 pour cent d’enfants bissau-guinéens actuellement exclus du système scolaire public.

Aux gouvernements sénégalais et bissau-guinéen

  • Améliorer la collaboration dans la lutte contre les migrations et la traite transfrontalières illégales d’enfants de la Guinée-Bissau vers le Sénégal, entre autres au moyen de sessions de formation complémentaires conjointes.
  • Conclure un accord bilatéral en vue de :
    • harmoniser officiellement les définitions et stratégies relatives à la circulation transfrontalière illégale des enfants ;
    • coordonner les stratégies visant à dissuader la circulation transfrontalière illégale des enfants ; et
    • faciliter le retour des enfants victimes de la traite dans le respect des normes minimales en matière de soins et de surveillance.
  • Collaborer avec les responsables religieux, les chefs traditionnels et les organisations non gouvernementales pour sensibiliser les communautés aux droits de l’enfant consacrés par le droit international et le droit national, ainsi que dans le cadre de l’islam.

Aux responsables religieux, notamment aux califes des confréries, aux imams et aux grands marabouts

  • Dénoncer les marabouts qui se livrent à l’exploitation et à la maltraitance d’enfants dans les daaras.
  • Lancer, entre autres lors de la prière du vendredi (jumu’ah), le débat sur les droits des enfants dans l’islam.

Aux organisations humanitaires nationales et internationales

  • Subordonner explicitement les fonds destinés aux marabouts et aux daaras à l’élimination de la mendicité forcée et des violences physiques, ainsi qu’à l’instauration de conditions de vie et d’hygiène minimums au daara.
    • Améliorer le contrôle pour déterminer si les marabouts qui reçoivent des fonds les utilisent pour atteindre les objectifs prescrits.
    • Cesser de financer les marabouts qui ne s’orientent pas vers l’élimination de la mendicité des enfants, en particulier ceux qui continuent à réclamer un quota à leurs talibés, à leur infliger des violences physiques ou à faire preuve de négligence à leur égard.
  • Mettre en œuvre des politiques et codes de conduite visant les organisations et exigeant que les travailleurs humanitaires informent les autorités de l’État lorsqu’ils sont directement confrontés à des cas de mauvais traitements et de violations des lois en vigueur régissant le traitement des enfants, entre autres la loi de 2005 relative à la traite des personnes et à la mendicité forcée.
  • Cesser de renvoyer chez le marabout les talibés fugueurs qui ont été victimes de violences physiques ou d’exploitation économique. Amener l’enfant devant les autorités de l’État afin que le ministre sénégalais de la Justice puisse effectuer un examen approfondi de la situation de l’enfant et déterminer quel environnement répondra le mieux aux meilleurs intérêts de l’enfant.
  • Intensifier les efforts visant à soutenir les initiatives dans les daaras et les écoles publiques de village afin de permettre aux enfants des zones rurales d’avoir accès à un enseignement qui leur transmet les compétences de base dont ils auront besoin pour participer pleinement et activement à la société, et afin que les enfants n’aient pas à s’établir dans des villes et cités pour avoir accès à une éducation de qualité.
  • Accroître la pression sur le gouvernement sénégalais pour qu’il fasse appliquer ses lois relatives à la maltraitance des enfants, à la traite des enfants et à la mendicité forcée.

Au Rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage

  • Envisager une enquête sur la situation des dizaines de milliers d’enfants qui, au Sénégal, sont astreints à la mendicité par leurs maîtres coraniques, ce qui semble pouvoir être considéré comme une pratique tenant de l’esclavage des enfants.

À la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest

  • Œuvrer avec les gouvernements de la région afin d’améliorer la réponse collective au problème de la traite des enfants.

À l’Organisation de la Conférence islamique

  • Dénoncer la pratique de la mendicité forcée et des violences physiques dans les écoles coraniques, pratique qui est contraire à la Déclaration du Caire et à d’autres obligations internationales en matière de droits humains.

 

Méthodologie

Ce rapport est le résultat de 11 semaines de travail de terrain au Sénégal et en Guinée-Bissau, de novembre 2009 à février 2010. Dans le cadre de ce travail de recherche, des entretiens ont été réalisés avec 175 enfants, 33 représentants des autorités religieuses, marabouts et imams en Sénégal et en Guinée-Bissau ; des représentants gouvernementaux du Sénégal et de Guinée Bissau, au niveau national et local ; des diplomates ; des universitaires et des historiens des religions ; des représentants d’organisations nationales et internationales, notamment le Fonds international de secours à l’enfance des Nations Unies (UNICEF)et l’Organisation Internationale des Migrations (OIM) ; des représentants d’organisations non gouvernementales locales et internationales, des groupes nationaux de défense des droits humains et des associations de quartier qui agissent de différentes manières pour aider les talibés ; ainsi qu’environ 20 familles vivant dans des villages du Sénégal ou de Guinée-Bissau et qui ont envoyé leurs enfants dans des villes éloignées pour qu’il y apprennent le Coran.

Au Sénégal, nous avons enquêté dans la capitale, Dakar ; dans les banlieues dakaroises de Guédiawaye et de Rufisque ; dans les villes de Saint-Louis, Thiès, Mbour et Kolda ; ainsi que dans des villages de la région de Saint-Louis au nord (zone de Fouta Toro, ou Fouta) et de Kolda au sud. En Guinée-Bissau, le travail de recherche a été réalisé dans la capitale, Bissau; dans les villes de Bafatá et de Gabú ; ainsi que dans des villages dans les régions de Bafatá et Gabú, à l’est du pays. En plus du travail de terrain, nous avons procédé à un examen approfondi de la littérature (à la fois les études disponibles publiquement et d’autres n’ayant jamais été publiées) consacrée aux talibés, au Sénégal et en Guinée-Bissau, produite par des organisations locales et internationales.

Ce rapport s’appuie sur des entretiens avec 175 enfants. Avec 73 d’entre eux, la rencontre a pris la forme d’une conversation approfondie, généralement d’une durée d’une heure, dans un des deux types de centre qui aident les talibés, à savoir soit des centres qui offrent une assistance médicale et alimentaire aux talibés « actifs », soit des refuges temporaires spécialisés dans les soins et le rapatriement des talibés en fuite. Ces centres ont fourni un environnement sécurisant pour les rencontres avec les enfants, dont la plupart étant encore victimes de sévices graves, à l’époque des entrevues et immédiatement après cette époque. Sur les 73 enfants rencontrés dans un de ces centres, 14 ont demandé à ce que l’entrevue se fasse en petit groupe, composé généralement d’entre deux et quatre enfants du même daara. Les 59 autres entrevues réalisées dans les centres ont été individuelles et privées, avec la seule présence d’un interprète et de la personne réalisant l’entrevue.

En outre, 102 autres entrevues ont été réalisées avec des talibés vivant dans des daaras dans quatre villes du Sénégal : Dakar, Thiès, Mbour et Saint-Louis. Ces entrevues ont normalement duré entre 10 et 15 minutes et ont eu lieu en dehors du daara, généralement dans la rue. Dans environ la moitié des cas, elles ont impliqué des petits groupes de deux à cinq talibés. Les autres entrevues ont été individuelles, tout dépendant de la manière de mendier des enfants, seul ou en groupe. Les entrevues réalisées dans la rue ont eu lieu à l’écart des passants. Human Rights Watch n’a rencontré aucun enfant dans son daara ou les environs de celui-ci, de manière à les protéger contre d’éventuelles représailles du marabout comme des passages à tabac.

Toutes les entrevues avec des talibés, des marabouts et des familles ont eu lieu en présence d’un interprète, traduisant entre le français et une des principales langues pratiquées par les différents groupes ethniques de Sénégal et de Guinée-Bissau. La grande majorité des conversations ont eu lieu dans la langue maternelle de la personne concernée, généralement le pulaar, le wolof ou le créole.

Les noms de tous les talibés ou ex-talibés rencontrés dans le cadre des recherches pour ce rapport ont été gardés secrets, de manière à protéger leur identité et ainsi assurer leur sécurité. Les noms des parents ont également été gardés secrets, même lorsque les personnes concernées avaient autorisé leur divulgation, de manière à protéger l’identité de leurs enfants encore sous l’autorité d’un marabout. Les noms de certains responsables gouvernementaux et représentants d’organisations non gouvernementales, à leur demande, ont également été gardés secrets.

Human Rights Watch a identifié et parlé avec des talibés, des marabouts et des familles avec l’assistance d’organisations humanitaires qui travaillent avec des talibés et d’anciens talibés. Dans chacune des villes et même des quartiers où nous avons enquêté, le recours à des partenaires locaux différents et à des interprètes différents a été privilégié.

Durant la période comprise entre octobre 2009 et mars 2010, le taux de change entre le dollar US et le franc CFA (devise utilisée par sept États francophones d’Afrique de l’Ouest ainsi que la Guinée-Bissau) a fluctué entre un extrême inférieur avoisinant 430 et un extrême supérieur avoisinant 490. Tous les chiffres en dollars US figurant dans ce rapport sont basés sur un taux de change moyen de 460 CFA par dollar.

Contexte

Le Sénégal, pays situé le plus à l’ouest de l’Afrique continentale, compte une population estimée à environ 12 millions, dont environ 95 pour cent est musulmane. Les principaux groupes ethniques sont les Wolofs (environ 43 pour cent de la population), les Peuls[1] (24 pour cent) et les Sérères (15 pour cent). La langue officielle du pays, qui a aquis son indépendance vis-à-vis de la France en 1960, est selon la constitution sénégalaise le français,[2] même si c’est généralement le wolof qui sert de langue véhiculaire. L’arabe est avec le français l’une des deux langues utilisées par les personnes éduquées, et dépasse même le français—la langue enseignée dans les écoles publiques—dans certaines régions du pays.[3]

Développement de l’islam au Sénégal

L’article premier de la Constitution définit le Sénégal comme un État laïc.[4] Cependant, les autorités islamiques, notamment par le biais des confréries musulmanes qui dominent presque tous les aspects de la vie au Sénégal, exercent une influence considérable sur les structures politiques et économiques du pays.

L’islam au Sénégal est fortement inspiré du soufisme—une tradition assez large qui inclut plusieurs formes mystiques de l’islam. Ce mouvement est apparu au huitième siècle comme une réaction à ce qui était perçu comme l’approche excessivement matérialiste et terre à terre de nombreux dirigeants et fidèles. Les musulmans soufis sont presque toujours membres de tariqas, ou confréries. Au delà de l’apprentissage des textes religieux, ils accordent une grande importance au fait de suivre l’enseignement et l’exemple d’un guide spirituel personnel.[5]

Il existe quatre confréries soufies au Sénégal : la Qadiriyya, la Tijaniyya,[6] la Muridiyya[7] et la Layenne. La plus ancienne est la Qadiriyya mais celles qui dominent aujourd’hui sont la Tijaniyya, à laquelle adhère environ la moitié de la population musulmane du Sénégal, et la Muridiyya, la plus riche et celle qui enregistre la croissance la plus rapide, suivie par près de 30 pour cent des Sénégalais.[8]

Chaque confrérie maintient une hiérarchie stricte. Elle est dirigée par un calife, descendant du fondateur de la confrérie au Sénégal, et par des marabouts, qui enseignent et servent de guides spirituels aux disciples de la confrérie, les talibés. Les marabouts exercent une énorme influence sur leurs disciples : le talibé doit faire preuve de dévotion et obéir strictement au marabout, qui de son côté est censé guider son disciple et offrir des prières d’intercession en sa faveur tout au long de sa vie.[9] Les disciples demandent au marabout de les conseiller sur toute une série de décisions et d’événements dans leur vie, majeures et mineures, qui vont de problèmes de santé de membres de la famille à la recherche d’un emploi en passant par les récoltes. Les marabouts sont eux-mêmes organisés de manière hiérarchique, généralement sur base du lignage, de l’expérience et de l’éducation. De plus, au Sénégal, certains marabouts sont des imams et dirigent donc une mosquée.

Au début de la période coloniale, entre 1850 et 1910, les autorités françaises ont réprimé les leaders religieux charismatiques, craignant qu’ils ne puissent un jour utiliser leurs nombreux disciples pour fomenter des rébellions.[10] Cette approche n’a cependant servi qu’à renforcer la popularité de ces leaders.[11] Aux alentours de 1910, les autorités françaises et les dirigeants des confréries ont commencé à voir les avantages politiques et économiques qu’ils pouvaient tirer d’une meilleure coopération. En échange de leur contribution dans la pacification des populations et d’une acceptation de l’autorité coloniale, les autorités françaises ont cédé aux leaders religieux les énormes bénéfices tirés de la production et du commerce des arachides— qui est encore aujourd’hui l’un des principaux produits d’exportation du Sénégal.[12]

Après l’indépendance, le pouvoir politique et économique des leaders religieux à continuer à croître. Pendant la présidence de Léopold Sédar Senghor, de l’indépendance jusqu’à 1980, les califes des principales confréries ont émis des ndiguels (édits religieux, en wolof) invitant leurs disciples à voter pour Senghor et le Parti socialiste au pouvoir. En échange, Senghor a réaffirmé la prééminence des confréries en tant qu’autorité religieuse et leur a accordé des avantages économiques considérables.[13] En 1988, en reconnaissance des efforts du successeur de Senghor, le Président Abdou Diouf, qui avait fait construire des routes et installé l’éclairage public à Touba, la capitale spirituelle des mourides, leur calife a émis un édit religieux affirmant que voter pour l’opposition équivalait à une trahison du fondateur du mouridisme.[14] L’aspect éhonté de ce ndiguel a cependant été contre-productif, l’intrusion des califes dans la vie politique générant de vives critiques. Les califes suivants ont donc opté, par rapport aux candidats politiques, pour une approche apparemment plus apolitique.[15]

Dans le Sénégal moderne, les califes sont nominalement apolitiques mais les hommes politiques et les candidats continuent à essayer de s’assurer les votes de leurs disciples, notamment au niveau national mais surtout lors des élections locales.[16] Human Rights Watch a rencontré à Dakar, Saint-Louis, Kolda et Mbour des marabouts qui ont affirmé que, lors du dernier cycle d’élections, en 2007, des hommes politiques ou des personnes les représentant leur ont explicitement promis de l’aide en échange de votes.[17]

Ces diverses tentatives par les personnalités politiques d’obtenir le soutien des autorités religieuses, ainsi que l’implication de celles-ci dans la politique ont, avec le temps, donné naissance à un système politique dans lequel plus aucune frontière claire ne sépare les sphères religieuses et civiles.[18] Si l’expression d’un mécontentement envers le gouvernement est courante, la population et les dirigeants gouvernementaux semblent peu enclins à critiquer les autorités religieuses, une réalité d’ailleurs reconnue par de nombreux représentants gouvernementaux et travailleurs humanitaires.[19] Cette dynamique n’a fait qu’encourager les personnes responsables de la prolifération de la mendicité forcée des enfants et d’autres abus commis par des marabouts à l’encontre des talibés.

L’éducation coranique avant la colonisation française

L’introduction de l’islam au Sénégal a amené avec elle la fondation d’écoles coraniques, les daaras. Avant l’arrivée des Français—et même après, sauf dans les villes les plus peuplées—les écoles coraniques étaient le principal lieu d’éducation.

Les daaras établis avant la colonisation du pays par les Français étaient dirigés par des marabouts, ce qui est encore le cas aujourd’hui. Les élèves étaient et sont encore aujourd’hui connus sous le nom de talibés. Beaucoup de talibés vivaient chez leurs parents et étudiaient dans un daara situé dans leur village, mais un grand nombre d’entre eux étaient confiés à des marabouts, dans des villages éloignés. Les talibés vivaient avec le marabout dans le daara et n’avaient souvent aucun contact avec leurs parents pendant plusieurs années.[20] Tant les filles que les garçons apprenaient le Coran par cœur dans leur village, mais seuls les garçons étaient confiés à des marabouts par leurs parents, ce qui reste le cas aujourd’hui.

Dans ces daaras traditionnels, qui ont prédominé au Sénégal jusqu'au début de la période ayant suivi l’obtention de l’indépendance, la plupart des marabouts étaient également cultivateurs, même si leur priorité était en général l’éducation.[21] Pendant la longue saison sèche, l’accent était en général mis sur l’étude du Coran. Ensuite, à l’époque des récoltes, le marabout et les talibés plus âgés travaillaient ensemble dans les champs et récoltaient de quoi nourrir le daara pendant une grande partie de l’année, la récolte étant complétée par les contributions des familles de talibés ne résidant pas sur place et les aumônes des membres de la communauté locale. Pendant que les talibés plus âgés travaillaient dans les champs, les plus jeunes restaient dans le daara et y poursuivaient leurs études, en compagnie du marabout ou d’un assistant.[22]

A l’époque, la mendicité était pratiquée lorsque les enfants vivaient dans un daara fonctionnant en internat et quand la récolte était insuffisante pour couvrir les besoins alimentaires. Mamadou Ndiaye, un professeur de l’Institut Islamique de Dakar qui a étudié le système des daaras pendant trois décennies, a décrit comment l’hébergement gratuit pratiqué par les écoles coraniques au Sénégal a mené au phénomène de la mendicité.[23]

Cependant, dans la pratique traditionnelle, les talibés en général ne mendiaient pas pour obtenir de l’argent mais uniquement de la nourriture, sans que cette activité ne les empêche d’étudier et sans qu’elle ne les oblige à être dans la rue. Les familles donnaient habituellement un bol de nourriture à un talibé, qui retournait ensuite au daara et le partageait avec la communauté.[24] L’accent était mis sur la maîtrise du Coran et l’obtention d’un niveau d’arabe aussi élevé que possible. Cette forme traditionnelle de mendicité ne ressemble que très peu à celle pratiquée aujourd’hui dans les villes du Sénégal. Le Professeur Ndiaye préfère d’ailleurs utiliser deux termes différents, parlant de « la quête », pour décrire la pratique traditionnelle et de « la mendicité », pour décrire la pratique moderne qui est l’objet de ce rapport.[25]

L’éducation coranique à l’époque coloniale

Malgré l’imposition de règles et de sanctions strictes, ainsi que l’attribution de subsides aux daaras où le français était enseigné, les autorités françaises ont été incapables de limiter de manière significative la prolifération des écoles coraniques et l’influence des autorités islamiques sur la population.

Entre 1857 et 1900, l’administration coloniale française a tenté de limiter le nombre de marabouts autorisés à enseigner le Coran à des enfants, tout d’abord dans la capitale de l’époque, Saint-Louis,[26] ensuite dans toute la région.[27] Les courriers échangés par les dirigeants coloniaux, ainsi que les moyens mis en œuvre pour arriver à leurs fins, révèlent ce qui les motivait : tout d’abord, un désir de voir le français remplacer l’arabe à la fois dans les milieux érudits et dans la rue ; ensuite, la crainte que le type d’islam pratiqué en Afrique de l’Ouest ne soit pas favorable au régime colonial.[28] Un administrateur colonial a ainsi écrit, « Au premier abord nous sommes amenés à nous demander quelle peut être l’utilité de l’étude du Coran ... telle qu’elle se fait en général au Sénégal. Ses résultats au point de vue intellectuel sont négatifs. »[29]

Un arrêté de 1857 exigeait des marabouts de Saint-Louis qu’ils obtiennent une autorisation du gouverneur français pour pouvoir diriger un daara. Les conditions d’obtention—qui incluaient une attestation de résidence, des certificats scolaires et des certificats de bonne vie et mœurs—avaient pour double objectif de limiter le nombre de daaras et de mettre hors jeu certains marabouts que les autorités françaises jugeaient hostiles envers les autorités.[30] Un arrêté exigeait également que tous les marabouts envoient leurs élèves âgés de 12 ans ou plus suivre des cours en soirée dans une école laïque ou chrétienne, pour y apprendre le français.[31]

En 1896, l’administration française élargissait la portée de cette règlementation à l’ensemble du territoire sénégalais, tout en maintenant les critères d’obtention stricts, en interdisant aux marabouts de recevoir dans les écoles coraniques des enfants âgés de six à 15 ans pendant les heures de scolarité publique, et en exigeant des marabouts l’obtention par tous leurs élèves d’un certificat attestant qu’ils fréquentaient effectivement une école française.[32] Si un marabout dirigeait un daara sans y avoir été autorisé ou ne respectait pas la loi, il était passible d’une amende et, chose nouvelle, d’une possible peine de prison.[33]

Ces décisions ont provoqué la colère de la population, qui y a vu une ingérence dans leur vie religieuse.[34] La plupart des enfants ont continué à étudier dans les écoles coraniques et la diffusion de la langue française a été lente. Beaucoup de marabouts ont continué à enseigner sans autorisation et même ceux qui l’avaient obtenue ne respectaient généralement pas les exigences officielles.[35]

Au début du 20ème siècle, les autorités coloniales ont continué à essayer de limiter l’influence de l’islam et de la langue arabe, et de promouvoir l’autorité et la langue françaises, mais ont adapté leur approche en abandonnant le « bâton » de la sur-réglementation et des sanctions, remplacé par la coopération et des paiements en liquide aux marabouts qui acceptaient de consacrer deux heures par jour à l’enseignement du français.[36]

Toujours animés par cette volonté d’agir de manière proactive, ils ont créé en 1908 la Médersa de Saint-Louis. Dirigée par les autorités coloniales, cette école avait pour but, selon le gouverneur général d’Afrique occidentale française, de « lutter avantageusement contre le prosélytisme des marabouts et [de] relever l’enseignement de l’arabe, aujourd’hui très avili. Il convenait de former un corps de marabouts officiels. »[37] Des bourses étaient accordées, la priorité étant d’attirer les fils des familles les plus importantes et influentes. L’objectif était de former des dirigeants politiques et religieux qui seraient davantage enclins à soutenir les français.[38] Au programme de la Médersa, on trouvait donc le français, les matières traditionnelles, l’arabe et le Coran—dans cet ordre de priorité.[39]

Le subventionnement des écoles coraniques qui enseignaient le français, ainsi que la formation de dirigeants religieux et politiques, ont permis d’élargir l’assise de la langue française et des autorités coloniales. Cependant, dans la plupart des régions, les parents ont continué à préférer les écoles coraniques traditionnelles.[40] Tout au long de la période coloniale, le daara traditionnel—où les enfants participaient aux récoltes et à la collecte de nourriture, mais ne mendiaient pas d’argent et passaient la majorité de leur temps à apprendre le Coran—est resté le modèle dominant. Peu satisfaite des résultats de son approche « carotte », l’administration coloniale a finalement jeté l’éponge. En 1945, un arrêtéstipulait que les écoles coraniques ne devaient plus être considérées comme des institutions éducatives et qu’elles ne devaient donc sous aucune circonstance recevoir le moindre subside.[41]

Les mesures prises par les autorités françaises ayant pour but explicite de limiter l’influence de l’islam et des leaders religieux, elles ont eu un impact durable sur les tentatives ultérieures de régulation des daaras : presque toutes les règles mises en œuvre ou envisagées ont immédiatement été interprétées par les dirigeants religieux comme des mesures hostiles à l’éducation coranique ou à l’islam. Lorsque, après l’indépendance, un certain nombre de marabouts ont utilisé le prétexte de l’éducation coranique pour camoufler l’exploitation des talibés, le gouvernement sénégalais n’est pas intervenu auprès des autorités religieuses—ni à l’époque ni depuis—ce qui a contribué au développement de ce système d’exploitation et d’abus.

L’éducation coranique après l’indépendance : essor de la mendicité forcée

Après l’indépendance du Sénégal, en 1960, les daaras villageois ont petit à petit disparu pour être remplacés par des daaras urbains, dans lesquels la pratique de la mendicité forcée est devenue de plus en plus courante. Juste après l’indépendance, le daara villageois prédominait et continuait à être le seul lieu d’éducation religieuse, que ne proposaient pas les écoles laïques d’État, couramment surnommées « les écoles françaises ». A la fin des années 1970, de graves sécheresses ont touché le pays et provoqué l’arrivée massive de migrants issus des villages, y compris des marabouts, dans les villes.[42] Ne pouvant compter sur les formes traditionnelles de soutien disponibles dans les villages, de nombreux marabouts ont commencé à obliger leurs talibés à mendier. Dans les années 1980, la mendicité forcée des enfants était déjà devenue une pratique omniprésente dans les villes, la rentabilité de la pratique attirant de nombreux marabouts peu scrupuleux.[43] A l’heure actuelle, le phénomène des enfants mendiants est presque totalement associé aux écoles coraniques fonctionnant en internats : une étude réalisée en 2007 par l’UNICEF, l’Organisation internationale du Travail (OIT) et la Banque mondiale a révélé que 90 pour cent des enfants mendiant à Dakar et dans les banlieues de la capitale étaient des talibés.[44]

Le gouvernement s’est révélé incapable de régler le problème de l’exploitation et des abus commis à l’encontre des enfants des écoles coraniques fonctionnant en internats mais a tenté, sans grand succès ni conviction, de réformer le système éducatif. Pour essayer d’attirer certaines familles vers l’école publique, le gouvernement sénégalais a introduit, à l’indépendance, l’apprentissage optionnel de l’arabe dans les programmes des écoles publiques,[45] mais l’instruction religieuse a été explicitement interdite dans ces écoles jusqu’en 2004. Des milliers de familles sénégalaises privilégiant l’éducation religieuse ont donc continué à envoyer leurs enfants dans des daaras et contribué ainsi à la prolifération des associations islamiques et des écoles arabes.[46]

Lorsque les migrations urbaines ont commencé, dans les années 1970, de nombreux marabouts dirigeaient des daaras saisonniers : les marabouts et talibés vivaient en ville pendant la saison sèche et retournaient ensuite au village pour préparer la récolte.[47] Peu à peu, face aux bénéfices pouvant être tirés de la mendicité et au confort de la vie en ville, de nombreux marabouts ont décidé d’y vivre toute l’année. Le Professeur Ndiaye explique cette évolution et l’impact négatif que la mendicité forcée a eu sur l’éducation coranique des enfants :

Avec le temps, les marabouts ont commencé à rester dans les villes toute l’année—ils ont pesé le pour et le contre et pensé qu’il était plus favorable de rester à Dakar. Certains marabouts sont devenus plus à l’aise à Dakar—il y avait du café, du riz, du poisson, de l’eau potable. Pourquoi rentrer au village, où ils devaient travailler la terre pendant de longues heures, alors [qu’en ville] un enfant ramène chaque jour de l’argent, du sucre et du riz ? En conséquence, certains marabouts ont réduit les heures passées à étudier le Coran, puisque plus l’enfant reste au daara, à apprendre, moins il a d’opportunités de ramener de l’argent. Plus il passe de temps hors du daara, plus le marabout maximise l’argent que les talibés lui apportent.[48]

L’accent mis sur la charité

Les universitaires et responsables humanitaires sénégalais qui travaillent avec les talibés ont remarqué que la pratique de la charité—à la fois un principe de l’islam et une coutume très répandue au Sénégal—a contribué à l’enracinement du phénomène talibé et, ce faisant, à l’exploitation et aux abus associés à la mendicité des enfants. Le Professeur Ndiaye a décrit ce phénomène : 

Au Sénégal, les gens aiment faire la charité.... Il leur faut une population à qui donner. Les disciples vont voir leur marabout à des moments cruciaux—par exemple, lorsqu’ils veulent obtenir un emploi important—et le marabout leur dira que s’ils veulent obtenir cela, ils doivent donner 50 CFA (0,11 $) à 10 talibés.[49]

Ceci ne signifie pas pour autant que la plupart des Sénégalais approuvent les pratiques d’exploitation et de maltraitance des talibés que décrit ce rapport. Plus précisément, c’est leur besoin inhérent de faire l’aumône, associé à la présence largement répandue de talibés mendiants, qui est exploité par de nombreux marabouts et contribue à la normalisation de cette pratique dans tout le Sénégal.

Types d’écoles coraniques présentes aujourd’hui au Sénégal

Daara villageois

Ce type de daara existe dans presque tous les villages sénégalais et perpétue généralement la manière traditionnelle d’apprendre le Coran par cœur. Dans de nombreux daaras villageois, les enfants vivent à la maison avec leurs familles et fréquentent l’école publique le matin, le daara dans l’après-midi, ou inversement. Les enfants qui résident dans le daara aident le marabout pendant les récoltes et s’occupent également d’autres tâches comme d’aller chercher le bois et l’eau.

Daara saisonnier

A quasiment disparu aujourd’hui, en particulier à Dakar. Les marabouts et les talibés vivent en ville pendant la saison sèche, les talibés étant généralement obligés de mendier de l’argent. Pendant la saison des pluies, les marabouts rentrent au village pour préparer les récoltes, souvent accompagnés par les talibés qui les aident dans les champs.  

Daara urbain dans lequel ne résident que peu ou pas de talibés

Fréquemment dirigés par des imams et liés à des mosquées, ces daaras accueillent en toute grande majorité des enfants qui vivent avec leur famille dans le quartier. La plupart de ces enfants fréquentent également l’école publique. Ils ne pratiquent généralement pas la mendicité. 

Daara urbain, dans lequel résident des talibés

La plupart des daaras que l’on trouve dans les villes sont de ce type. Ils accueillent des enfants souvent originaires de régions rurales du Sénégal et de Guinée-Bissau, qui vivent avec un marabout et suivent son enseignement. Arguant du prétexte que la mendicité est essentielle au fonctionnement du daara et inculque l’humilité, de nombreux marabouts forcent leurs talibés à mendier pendant de longues heures dans les rues. Les heures consacrées à l’éducation coranique varient considérablement. 

Daara « moderne »

Bien qu’encore peu nombreux, ces daaras enseignent des matières autres que le Coran et l’arabe, notamment le français et certaines matières enseignées dans les écoles publiques. Les élèves ne mendient généralement pas d’argent, les daaras modernes étant souvent financés par le biais de frais d’inscription ou par les autorités religieuses, l’État, l’aide étrangère ou les agences d’aide humanitaire.

Exploitation et sévices endurés par les talibés au Sénégal

Chacun d’entre nous a sa propre technique pour survivre.– Abu J., talibé de 12 ans à Saint-Louis[50]

Dans chaque grande ville du Sénégal, des milliers de jeunes garçons vêtusde guenilles errent inlassablement aux principaux carrefours, autour des banques, des supermarchés, des stations service et des gares routières, et mendient de l’argent, du riz et du sucre. Souvent pieds nus, ils sont connus sous le nom de talibés et tendent une boîte de conserve de tomates ou un bol en plastique aux passants, espérant ramener en fin de journée le quota exigé par leurs professeurs, dénommés marabouts, qui supervisent leur éducation et, souvent, l’endroit où ils vivent. Les enfants sont obligés de mendier pendant de longues heures chaque jour et sont battus, souvent brutalement, si ce qu’ils ramènent est ne fût-ce qu’un tout petit peu inférieur à ce qui leur est exigé. Dans la rue, ils peuvent à tout moment être victimes d’un accident de la circulation ou tomber malades, et doivent supporter des chaleurs souvent caniculaires.

Dans les daaras, les garçons vivent dans des conditions déplorables et sont parfois victimes de sévices physiques et d’abus sexuels commis par des talibés plus âgés. Dans la plupart des cas, ils vivent entassés dans une pièce, dans une structure abandonnée qui n’offre que peu de protection contre la pluie ou le froid qui règne à certaines saisons. Beaucoup choisissent de dormir dehors, exposés aux éléments. Très peu de talibés sont nourris par leur marabout ; ils doivent mendier de la nourriture, sont souvent sous-alimentés et souffrent constamment de la faim. Lorsqu’ils tombent malade, ce qui est fréquent, il est rare que le marabout les aide à trouver les médicaments nécessaires. Exploités sans vergogne, battus et négligés, des centaines d’entre eux finissent par oser la fuite, préférant la rudesse d’une vie dans la rue aux sévices endurés dans le daara.

Pratiquer la mendicité forcée met ces enfants dans une situation de danger dans la rue, et constitue donc une pire forme de travail des enfants, selon la définition de l’OIT. De plus, puisque la mendicité forcée et les actes de négligence grave sont commis en vue d’exploiter les victimes, l’enfant étant confié par ses parents au marabout, qui profite ensuite de son travail, cette pratique s’apparente à l’esclavage.

Un problème de grande ampleur et en plein développement

Dans un environnement marqué par des confréries religieuses toutes puissantes, une réaction limitée du gouvernement et la migration des marabouts vers les centres urbains où la mendicité forcée a proliféré, des dizaines de milliers de talibés au Sénégal, dont la grande majorité a moins de douze ans, sont exploités et victimes de sévices graves. Chaque année, de plus en plus d’enfants sont victimes de ce système de maltraitance.

Il est difficile d’estimer précisément le nombre de talibés qui pratiquent la mendicité forcée, puisque des enfants s’enfuient tous les jours et que les marabouts, enhardis par l’absence de réglementation, ouvrent fréquemment de nouveaux daaras. Cependant, sur base d’enquêtes de terrain et de recensements réalisés par des universitaires et des travailleurs humanitaires interrogés lors de la préparation de ce rapport, Human Rights Watch estime qu’au Sénégal au moins 50 000 talibés, sur un total de plusieurs centaines de milliers de garçons fréquentant des écoles coraniques, sont forcés à mendier par leurs professeurs dans une optique d’exploitation.

Le promulgation en 2005 par le gouvernement sénégalais d’une loi qui criminalise le fait d’obliger quiconque à mendier pour en tirer un profit financier, ainsi que les efforts réalisés par des agences humanitaires locales et internationales pour améliorer les conditions de vie dans les daaras, n’ont permis ni de limiter l’augmentation du nombre de talibés ni de lutter contre les violations graves des droits humains associées à la mendicité forcée et à la vie dans les daaras. De nombreux éléments prouvent que le problème prend de l’ampleur :

  • Un représentant du gouvernement sénégalais travaillant pour le Ministère de la Famille, de la Sécurité alimentaire, de l’Entreprenariat féminin, de la Microfinance et de la Petite enfance (Ministère de la Famille) à Mbour (80 kilomètres au sud de Dakar) a enregistré un quasi doublement du nombre de daaras dans la ville entre 2002 et 2009, dont beaucoup sont dirigés par des marabouts qui obligent les enfants à mendier.[51]
  • Un représentant du gouvernement précédemment employé à Ziguinchor (480 kilomètres au sud de Dakar) a déclaré à Human Rights Watch : « Ziguinchor est un exemple de la croissance rapide du phénomène des mendiants talibés. Jusqu’en 1995, il n’y en avait quasiment pas en ville. Aujourd’hui, ils sont des milliers. »[52]
  • Selon un travailleur humanitaire local expérimenté, à Saint-Louis (270 kilomètres au nord Dakar), le nombre estimé de talibés, à la fois ceux forcés de mendier et les autres, a doublé depuis 2005, passant de 7 000 à 14 000.[53]
  • Selon la directrice de Samusocial Sénégal, une organisation d’aide humanitaire internationale qui apporte une aide médicale aux enfants de la rue à Dakar, notamment aux talibés et ex-talibés, « Il y a eu une augmentation en 2009 du nombre d’enfants vivant dans la rue à Dakar, et une diminution de l’âge de ceux-ci. »[54]

Profil : jeunes et éloignés de chez eux

Sur les 175 talibés que Human Rights Watch a interrogés, environ la moitié avait 10 ans ou moins.[55] En moyenne, ils avaient commencé à vivre dans le daara à sept ans, même si Human Rights Watch a rencontré des talibés qui étaient arrivés dans leur daara à seulement trois ans.[56] Beaucoup de talibés au Sénégal viennent de pays voisins, en particulier de Guinée-Bissau, et se retrouvent dans un quartier ou une ville où peu de personnes parlent leur langue. Très jeunes, éloignés de chez eux, ils sont totalement dépendants du marabout et des autres talibés et, très souvent, ne peuvent compter que sur eux-mêmes.[57]

Le profil des talibés que Human Rights Watch a interrogés suggère que la pratique de la mendicité forcée ne se limite pas aux enfants d’un groupe ethnique, d’une région ou d’un pays voisin. Même si les enfants peuls étaient représentés en nombre disproportionné parmi les talibés interrogés dans la plupart des villes—environ 58 pour cent des talibés que Human Rights Watch a interrogés étaient peuls, alors que cette ethnie ne représente qu’un quart de la population du Sénégal—il y avait également un grand nombre de Wolofs. De la même manière, alors qu’une proportion importante des talibés de Dakar vient de Guinée-Bissau, ils ne représentaient qu’une petite minorité dans la plupart des autres villes du Sénégal. Quelle que soit leur région d’origine, presque tous les talibés qui vivent dans un daara sont loin de chez eux et ils ne sont que rarement, voire jamais, en contact avec leur famille.

Sur les 175 talibés interrogés par Human Rights Watch, la majorité (environ 60 pour cent) étaient sénégalais. Beaucoup d’autres venaient de Guinée-Bissau (environ un quart de ceux qui ont été interrogés) et d’autres encore, en nombre moins élevé mais malgré tout significatif, étaient originaires de Gambie et de Guinée. De tous ceux qui ont été interrogés, la plupart étaient peuls (presque 60 pour cent), suivis par les talibés d’ethnie wolof (40 pour cent).

Origines ethniques des talibés interrogés par Human Rights Watch

Pays d’origine des talibés interrogés par Human Rights Watch

Les échantillons étaient insuffisants pour estimer avec précision la proportion de talibés par ethnie ou pays d’origine dans chaque ville, mais les recherches de Human Rights Watch ont malgré tout révélé certaines tendances nettes quant à la migration dans certaines villes :

  • A Dakar, seulement environ la moitié des talibés interrogés étaient originaires du Sénégal, les autres venant de Guinée-Bissau.[58] Dans certains quartiers, plus de 90 pour cent des enfants interrogés étaient originaires de Guinée-Bissau, alors que dans d’autres quartiers, les Sénégalais prédominaient.[59] La majorité des talibés étaient des Peuls, suivis par des Wolofs et quelques Sérères.[60]
  • A Saint-Louis, environ 80 pour cent des talibés interrogés étaient originaires du Sénégal. Venaient ensuite la Guinée-Bissau, la Guinée et la Mauritanie.[61] Les talibés peuls représentaient la toute grande majorité.
  • A Thiès, environ 60 pour cent des talibés interrogés étaient originaires du Sénégal. Parmi ceux originaires d’un pays voisin, les plus nombreux venaient de Gambie et quelques-uns de Guinée-Bissau, du Mali et de la Mauritanie.[62] Plus de la moitié étaient des Wolofs, suivis de près par les Peuls.
  • Un nombre limité d’entretiens a été réalisé à Mbour, où la grande majorité des talibés interrogés étaient originaires du Sénégal, suivi par la Gambie. Tous les talibés sauf un étaient wolofs.[63]

L’histoire d’Ousmane B., ex-talibé de 13 ans[64]

Je viens de la région de Tambacounda. Mon père a décidé de m’envoyer apprendre le Coran quand j’avais six ans. Ma mère ne voulait pas que je parte, mais c’est mon père qui contrôlait la décision.

Le daara n’était pas un bon endroit et on était plus de 70 là-bas. Si c’était la saison des pluies, la pluie tombait dans la pièce où on dormait. A la saison froide, c’était aussi difficile. On n’avait rien pour se couvrir et il n’y avait pas de natte, donc on dormait sur le sol. Beaucoup de talibés dormaient dehors, parce que c’était plus confortable.

Je n’avais pas de chaussures, et juste une chemise et un pantalon. Le marabout avait trois fils et quand je trouvais des vêtements propres, le marabout me les prenait pour les donner à ses propres enfants. Le marabout payait pour que ses enfants aillent dans un daara moderne—ils ne mendiaient pas.

Quand nous étions malades, le marabout n’achetait jamais de médicaments. On allait dans des centres où on nous soignait, ou on utilisait notre propre argent pour acheter des médicaments. Si je disais au marabout que j’étais malade et que je ne pouvais pas mendier, le marabout m’emmenait dans une pièce pour me battre—juste comme quand je n’étais pas capable de ramener la somme. Donc je devais aller en rue, même quand j’étais malade.

Les heures normales d’étude allaient de 6 à 7h30, de 9 à 11h, et de 15 à 17h. Je mendiais de l’argent et mon petit déjeuner de 7h30 à 9h, de l’argent et mon déjeuner de 11h à 2h, et de l’argent et mon dîner de 17 à 20h. Quand je suis arrivé, je devais ramener 100 CFA (0,22 $) par jour—c’était la somme pour les plus jeunes. Après, quand j’ai grandi, le marabout a augmenté le quota à 300 CFA (0,65 $), un demi-kilo de riz et du sucre pour 50 CFA (0,11 $). J’ai vu le marabout vendre le riz dans le quartier ; il ne l’a jamais utilisé pour nous nourrir. J’ai su par des talibés qui sont là-bas maintenant que le quota est monté à 500 CFA (1,09 $). Même avant, c’était très difficile pour moi de trouver la somme. C’était facile le vendredi, le jour de la prière, mais les autres jours, j’avais souvent des problèmes.

Quand je ne ramenais pas le quota, ce qui arrivait au moins chaque semaine, le marabout m’emmenait dans la pièce où dormaient les grands talibés. Ensuite, il enroulait une corde autour de mes poignets et me battait avec du fil électrique, encore et encore. J’ai encore des marques sur le dos (ces marques ont été montrées à Human Rights Watch). C’était déjà dur avec le marabout mais quand il partait c’était encore pire. Les grands talibés étaient vraiment méchants. Ils prenaient notre argent et nous battaient vraiment brutalement si on n’atteignait pas le quota—je restais dehors et je continuais à mendier, en dormant dans la rue si nécessaire.

Mendier, c’est difficile. On finissait par faire n’importe quoi pour avoir la somme chaque jour, même voler. Etre un talibé, ce n’est pas facile.

La nature de la mendicité forcée : hors de la classe, dans la rue

Mendier, c’est une chose difficile, parce que je passais toute la journée à mendier et parfois je finissais sans rien.– Mamadou S., ex-talibé de huit ans à Thiès[65]

Dans des centaines de daaras urbains fonctionnant en internats, les marabouts semblent insister davantage sur la mendicité forcée que sur l’apprentissage du Coran. Comme l’a déclaré à Human Rights Watch un travailleur humanitaire qui s’occupe de talibés, « Dans les daaras urbains, l’éducation est un prétexte, le vrai but c’est l’exploitation. »[66]

En principe, le marabout a pour responsabilité d’enseigner la maîtrise du Coran et de donner au talibé une éducation morale. En réalité, les talibés travaillent pour le marabout et sont forcés de passer de longues heures dans les rues, chaque jour, à chercher de l’argent, du riz et du sucre pour le marabout—qui ne consacre quasiment rien de ce qu’ils ramènent à leur bien-être. L’éducation étant souvent secondaire par rapport au quota à remplir, les enfants mettent deux à trois fois plus de temps à maîtriser le Coran que s’ils recevaient une éducation correcte, selon des spécialistes de l’islam au Sénégal.

De longues heures passées à chercher de l’argent

Alors que le daara traditionnel mettait l’accent sur la connaissance du Coran, le daara internat urbain contemporain a souvent pour priorité l’enrichissement maximal du marabout. Amadou S., 10 ans, a expliqué à Human Rights Watch que chaque jour son marabout réunit les enfants à 6 heures du matin et, avant de les envoyer mendier dans les rues, les encourage en disant, « Le riz est là, bonne chance ! »[67] Les talibés interrogés par Human Rights Watch passent en moyenne 7 heures 42 minutes, réparties tout au long de la journée, à mendier de l’argent ou de la nourriture.[68] Mendier est par conséquent un emploi à temps complet pour les talibés, qu’ils exercent généralement sept jours sur sept.[69]

La grande majorité des marabouts des daaras urbains exigent des talibés qu’ils ramènent une somme spécifique chaque jour.[70] Ce quota varie d’un daara à l’autre et même entre talibés d’un même daara : les plus jeunes et les plus récemment arrivés doivent ramener un peu moins ; ceux qui ont entre huit et 15 ans doivent ramener le plus ; et ceux qui ont plus de 15 ans sont souvent exemptés de mendicité.

Pour les 175 talibés interrogés par Human Rights Watch, le quota moyen exigé par le marabout était de 373 CFA (0,87 $) par jour, sauf le vendredi, où il passait à 445 CFA (0,97 $), certains marabouts fixant un quota plus élevé ce jour là pour profiter de la générosité des gens le jour de la prière.[71] Dans un pays où environ 30 pour cent de la population vit avec un moins d’un dollar par jour[72] et où le produit intérieur brut par habitant est d’environ 900 $,[73] il s’agit d’une somme considérable et souvent difficile à réunir. Le quota varie beaucoup d’une ville à l’autre, comme le montre l’encadré ci-dessous, mais le nombre d’heures passées à mendier est remarquablement similaire. La principale différence vient du fait que Dakar est une ville beaucoup plus riche, où le quota est donc plus élevé.

Quota moyen en CFA et temps passé à mendier, par ville

Jours normaux

Vendredi

Nombre d’heures

Dakar

463

642

7 h 42

Saint-Louis

228

228

7 h 36

Thiès

254

268

7 h 54

Mbour

246

246

7 h 18

En plus de l’argent, beaucoup de marabouts exigent des talibés qu’ils ramènent du sucre et du riz non-cuit. Un peu plus de 50 pour cent des talibés interrogés par Human Rights Watch avaient un quota soit de riz ou de sucre, environ 14 pour cent un quota pour les deux et seulement 35 pour cent devaient ramener ce qu’ils pouvaient. Les quotas journaliers allaient d’un demi kilo à trois kilos de riz et du sucre pour une valeur allant de 50 à 100 CFA (0,11 à 0,22 $).

Dans les daaras où du riz ou du sucre sont exigés, tous les talibés ont déclaré à Human Rights Watch que rien de ce qu’ils ramenaient n’était jamais destiné à leur propre consommation. Le récit fait par Samba G., huit ans, est symptomatique de la situation dans les daaras où des quotas élevés de riz sont fixés ou qui accueillent un grand nombre de talibés : « Lorsqu’on ramenait le riz, le marabout remplissait des grands sacs [50 kilos]. Lorsqu’ils étaient pleins, il les envoyait dans son village ou il les vendait dans le quartier. »[74] Un sac de riz de 50 kilos se négocie à environ 20 000 CFA (43,50 $) à Dakar.

Puisque la mendicité forcée est organisée « en vue » d’une exploitation, l’enfant étant confié par ses parents au marabout, qui profite ensuite de son travail, la pratique se rapproche de l’esclavage.[75]

Forcés d’aller en ville : Les talibés des banlieues passent le jour de la prière dans les rues de Dakar

Beaucoup de marabouts des banlieues de Dakar pratiquent une forme d’exploitation particulièrement sordide, qui consiste à forcer leurs talibés à aller à Dakar du jeudi au samedi, de manière à maximiser encore davantage leur bénéfice. Ils le font de manière explicite ou plus indirecte, en fixant un quota élevé, qui peut aller de 750 à 1 500 CFA (1,63 à 3,26 $). Les talibés mendient autour des principales mosquées de Dakar, notamment le vendredi, lorsque les Sénégalais font l’aumône avec une plus grande générosité. Human Rights Watch a interrogé plus d’une douzaine de talibés de différentes banlieues, notamment Guédiawaye, Mbao, Pikine et Keur Massar (entre 10 et 30 kilomètres de Dakar). La grande majorité d’entre eux a affirmé être soumis à ce genre d’obligation.

Un talibé de 11 ans de Keur Massar a expliqué devoir se lever à5 heures du matin le jeudi pour aller à Dakar en transport public, en sautant du véhicule pour marcher lorsqu’il était pris à voyager sans payer. Comme d’autres, il passe ensuite toute la journée du jeudi à mendier, avant de dormir dans la rue. Il passe ensuite toute la journée de vendredi à mendier, le retour en banlieue se faisant le vendredi soir ou, le plus souvent, le samedi matin, après une autre nuit dans la rue.

Au lieu d’aller prier à la mosquée avec leurs talibés le vendredi, il est courant que des marabouts forcent des enfants à mendier pendant 16 heures d’affilée et à dormir ensuite dans la rue.

Blessures et décès consécutifs à des accidents de la circulation

Les talibés passent de nombreuses heures à mendier dans la rue et sont très exposés à certains risques, notamment celui d’être blessés ou de mourir dans des accidents de la circulation. Il est fréquent de voir des talibés, dont certains ont à peine quatre ans, se faufiler dangereusement entre les voitures sur les grands axes routiers, s’approcher des voitures lorsqu’elles entrent ou sortent d’allées privées, se faufiler entre les véhicules dans les gares routières, ou encore tendre la main ou leur bol par la fenêtre des véhicules dans l’espoir de recevoir une aumône.

Human Rights Watch a recueilli des informations attestant de quatre décès consécutifs à des accidents de la route et interrogé neuf talibés victimes d’accidents de la circulation, qui avaient souffert de blessures allant de douleurs et de contusions jusqu’à des fractures multiples. De plus, un marabout interrogé par Human Rights Watch a déclaré qu’un talibé de huit ans, dont il était de facto le tuteur, avait été victime d’un accident de la route à la fin 2009 et souffert de fractures aux deux jambes.[76] Le père d’un ex-talibé a déclaré à Human Rights Watch que son fils avait été blessé gravement au bras en 2006, dans un accident de la route survenu à Dakar, et que trois ans plus tard il ne s’en était toujours pas totalement remis.[77]

Bien que l’échantillon soit limité, les quatre décès au sujet desquels Human Rights Watch a pu recueilli des preuves ont eu lieu à Dakar, ce qui n’est pas surprenant compte tenu de l’intensité plus élevée de la circulation dans la capitale. Tous les décès et les blessures au sujet desquels des éléments de preuve sont disponibles ont eu lieu pendant que les talibés mendiaient. Selon une étude de 2007 consacrée aux enfants mendiants de Dakar, les conditions auxquels ils sont confrontés dans la rue les exposent de fait à divers dangers, notamment la maladie et les accidents de la circulation.[78] Des représentants du gouvernement et des directeurs d’organisations humanitaires internationales et d’associations locales de défense des droits de l’homme partagent ce point de vue et ont confié à Human Rights Watch que la rue présente de nombreux risques, notamment celui d’être victime d’un accident de la circulation, et que les talibés passent donc de nombreuses heures, chaque jour, en position d’extrême vulnérabilité.[79]

Pape M., 13 ans, a vu mourir un de ses amis, talibé comme lui, dans un accident de la circulation, à Dakar, en 2007. Très ému, il a décrit la scène à Human Rights Watch :

Mon ami—on mendiait ensemble—a été tué par une voiture. C’est arrivé quand le soleil était presque couché, pendant la saison froide. On était en train de mendier et une voiture l’a percuté. C’était une grosse voiture. Je ne sais pas comment c’est arrivé. Le voiture l’a percuté et il est mort, juste à côté de moi. La voiture s’est arrêtée et des gens sont arrivés. Les gens criaient sur le chauffeur. Je crois que mon ami a été conduit à l’hôpital—quelqu’un l’a emmené en voiture—mais il est mort. Je n’ai jamais entendu le marabout parler de tout ça.[80]

Deux autres talibés ont raconté à Human Rights Watch qu’un talibé de leur daara avait été tué dans un accident de voiture, mais aucun des deux n’avait été témoin de l’accident.[81] Un chef traditionnel de Guinée-Bissau a perdu un neveu talibé dans un accident de la circulation à Dakar et estimé que « la pratique de la mendicité forcée dans la rue est vraiment terrible pour ces enfants ».[82]

Neuf talibés interrogés par Human Rights Watch ont expliqué avoir été blessés dans des accidents de la circulation. Bouba D., neuf ans, a été blessé alors qu’il mendiait près de la gare routière à Thiès :

L’accident a eu lieu à l’endroit où les voitures sortent. J’étais sur le bord de la route, je mendiais à côté d’un sept-places quand une autre voiture est arrivée et m’a frappé. Ce n’était pas grave—je n’ai pas eu de fracture. Mais plusieurs autres talibés de mon daara ont été frappés par des voitures ici aussi, et ils ont eu des fractures. Un a eu la jambe cassée, l’autre le bras. Les accidents, il y en a souvent.[83]

Ibrahima T., 13 ans, fait un récit similaire :

J’ai été frappé par une moto un jour, et blessé au genou. J’étais au bord de la route—la route de Dakar à Rufisque—mais la moto est sortie de la route et m’a frappé. Mon genou me fait encore mal parfois, et c’était il y a plusieurs années. Le marabout ne m’a jamais amené à l’hôpital.[84]

De nombreux faits, dont la fréquence élevée des accidents, démontrent que la mendicité forcée est constitutive d’une des pires formes de travail des enfants selon la définition de l’OIT, viole le droit de l’enfant à la sécurité physique et à la protection contre les blessures et, lorsqu’il y a décès, viole le droit à la vie.[85] La Convention relative aux droits de l’enfant exige de l’État qu’il prenne toutes les mesures appropriées pour protéger le droit de l’enfant à la sécurité physique et mentale. Les marabouts, en tant que tuteurs de facto, n’agissent pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant, une des autres obligations imposées par la Convention.[86]

Déni du droit à l’éducation

Le temps limité que les talibés consacrent à l’étude du Coran dans de nombreux daaras urbains, comparé au temps passé à mendier, fait non seulement douter de ce qui motive vraiment les marabouts mais également de la valeur relative de l’éducation reçue dans les daaras.

Le nombre d’heures passés en classe par les talibés interrogés par Human Rights varie fortement—entre moins d’une heure et huit heures par jour. Cependant, ils ont quasi unanimement affirmé passer plus de temps à mendier de l’argent et de la nourriture qu’à apprendre le Coran en classe. En moyenne, ils passent près de huit heures par jour à mendier et cinq heures à étudier.

Les talibés de plusieurs daaras ont expliqué que les heures d’étude étaient strictement respectées ; cependant, dans la majorité des daaras d’où venaient les talibés interrogés, il semble évident que le temps théoriquement consacré aux études est de loin supérieur au temps qui y est réellement consacré. Human Rights Watch a interrogé des dizaines de talibés qui se trouvaient dans la rue à des heures qui, selon eux, étaient normalement réservées à l’étude. Lorsqu’il leur a été demandé pourquoi ils n’étaient pas en classe, tous ont répondu qu’ils ne rentreraient pas avant d’avoir atteint leur quota. De plus, beaucoup de talibés ont affirmé que les longues journées passées dans la rue, ainsi que la faim et l’épuisement qui en résultaient, les empêchait de bien se concentrer une fois de retour au daara.

Le résultat de tout cela est que, dans de nombreux daaras urbains fonctionnant en internats, les progrès que pourraient faire les talibés au niveau de leur maîtrise du Coran, de la langue arabe parlée et écrite, et de l’acquisition d’autres compétences de base sont fortement limités par la priorité qu’accordent apparemment les marabouts à la mendicité plutôt qu’à l’éducation. Un marabout de Mbour a déclaré à Human Rights Watch : « Je n’ai jamais envoyé mes talibés mendier parce que je veux qu’ils apprennent. Le plus important, dans leur apprentissage, c’est le Coran, et les heures passées à mendier sont des heures qu’ils ne consacrent pas à l’étude du Coran. »[87] Le président de l’ONG Gounass, une organisation humanitaire de Kolda qui travaille en étroite collaboration avec les daaras de la région et gère un daara moderne, a partagé cette opinion:

L’étudiant est présumé être là pour apprendre le Coran mais beaucoup d’enfants passent 10 à 15 ans dans des daaras et n’ont ni une bonne connaissance du Coran ni une vraie compréhension de l’islam. Ils quittent le daara sans aucune compétence et sans même maîtriser le Coran.[88]

En vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant, le droit à l’éducation fait référence à une éducation qui permette « de développer l’autonomie de l’enfant en stimulant ses compétences, ses capacités d’apprentissage et ses autres aptitudes, son sens de la dignité humaine, l’estime de soi et la confiance en soi. »[89] Quand un enfant connaît à peine le Coran et n’acquiert aucune autre compétence, ce droit n’est manifestement pas respecté. L’article 7(b) de la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam accorde aux parents le droit de choisir le type d’éducation qu’ils veulent donner à leurs enfants, à condition de tenir compte des intérêts de ceux-ci.[90] L’article 9(b) affirme que « tout homme a droit à une éducation cohérente et équilibrée, au plan religieux et de la connaissance de la matière ».[91] L’éducation coranique peut, par conséquent, faire partie intégrante de l’épanouissement personnel de l’enfant ; pourtant, des dizaines de milliers de talibés au Sénégal ne bénéficient ni d’une éducation religieuse ni de la possibilité d’acquérir d’autres compétences de base.

 

Sévices physiques graves

Chaque fois que j’étais battu, je pensais à ma famille qui n’avait jamais levé la main sur moi.– Abdou K., ex-talibé de 11 ans[92]

L’énorme majorité des talibés interrogés par Human Rights Watch a raconté avoir été victime de sévices physiques répétés, souvent brutaux, dans les daaras. Il semble que ces sévices soient le plus souvent associés au fait de ne pas remplir le quota journalier, même si des dizaines de talibés affirment avoir été battus aussi pour n’avoir pas bien appris les versets du Coran. Les auteurs des sévices sont le marabout lui-même ou, dans une moindre mesure, un talibé plus âgé, ou « grand » talibé, faisant office de maître assistant.[93]

Les talibés ont décrit une scène souvent similaire : ils sont emmenés dans une pièce, on leur enlève leur chemise et on les frappe avec du fil électrique ou un bâton—généralement à de multiples reprises, dans le dos et le cou. Certains sont placés dans des positions pénibles, enchaînés à un meuble, ou encore attachés ou entravés. Plus de 20 talibés ont montré à Human Rights Watch les marques et cicatrices qui ont résulté de telles séances. Les enfants ont exprimé une peur intense à l’idée de la punition qui leur serait administrée s’ils ne respectaient pas le quota fixé par le marabout.

Malick L., un ex-talibé de 13 ans, a montré à Human Rights Watch les cicatrices de coups administrés par son marabout plus d’une année auparavant. Il a raconté son expérience, similaire à celle de nombreux autres talibés interrogés :

Lorsque je ne ramenais pas le quota, le marabout me battait—même s’il ne me manquait que 5 CFA (0,01 $), il me battait. C’était toujours le marabout lui-même. Il sortait du fil électrique et on allait dans la pièce. J’étais debout et ... il me frappait encore et encore, généralement sur le dos mais parfois il ratait et touchait ma tête. J’ai encore les marques des coups sur le dos.[94]

Chose peu étonnante, tous les talibés qui ont fui leur daara et que Human Rights Watch a interrogés, à une exception près, ont déclaré avoir été battus à plusieurs reprises pour ne pas avoir ramené assez d’argent. Le seul dont la situation était différente a expliqué avoir été brutalement frappé parce qu’il avait mal mémorisé le Coran. Sur les 139 talibés interrogés, 77 pour cent ont affirmé être battus s’ils ne ramènent pas le quota. Human Rights Watch estime que le pourcentage réel est peut-être supérieur à ce chiffre, de nombreux talibés interrogés en groupe, notamment dans la rue, semblant craindre que d’autres talibés ne rapportent au marabout les propos échangés avec le chercheur.[95]

De ceux ayant déclaré être battus s’ils ne ramènent pas le quota exigé, une majorité écrasante a affirmé qu’ils étaient punis chaque fois que cela arrivait. D’autres ont expliqué avoir été battus après avoir reçu une seconde chance de remplir le quota, comme l’a confié Boubacar D., 12 ans, à Human Rights Watch :

Si on ne peut pas ramener le quota un jour, notre nom est écrit sur le tableau avec la somme due. On a une dette. Si on ne peut pas ramener tout l’argent le jour suivant, on est battu durement avec du fil électrique.[96]

Tous les talibés sauf un ont affirmé que la punition était infligée par le marabout lui-même ou qu’il en avait pleinement connaissance et approuvait les faits puisqu’il était, au minimum, présent physiquement lors de certaines séances.[97]

Déterminer avec précision la fréquence des sévices physiques est difficile, parce que beaucoup de talibés sont très jeunes et que la conception qu’ont les enfants du temps n’est pas toujours correcte. Tous les ex-talibés interrogés par Human Rights Watch sauf un ont affirmé avoir été battus au moins une fois par semaine, beaucoup parlant de deux à trois fois par semaine. Parmi les garçons qui étaient toujours des talibés au moment de l’enquête, les réponses variaient de très rarement à chaque jour.[98] Un grand nombre de talibés ont affirmé que les punitions étaient courantes les samedis et dimanches, jours où il y a moins de passants dans la rue susceptibles de donner de l’argent.

Lors d’entretiens approfondis, des talibés ont cité un certain nombre d’objets utilisés par les marabouts et autres professeurs pour les battre. Parmi les objets les plus souvent mentionnés, on trouve le fil électrique (39 cas, y compris un cas où une longue et fine bande de fer avait été ajoutée pour provoquer des dommages encore plus importants), suivi par le gourdin (13 cas), le bâton (six), le fouet (quatre), la main (trois), un démonte-pneu (trois), une corde (deux) et « n’importe quel objet à portée de main » (deux).

Human Rights Watch a également recueilli des informations attestant que, dans de nombreux cas, les marabouts placent les enfants dans des positions pénibles avant de les battre.[99] Chérif B., 11 ans, a ainsi déclaré à Human Rights Watch :

Si je ne ramène pas le quota, alors le marabout me bat avec du fil électrique ou un gourdin. Il nous emmène dans une pièce et fait venir d’autres talibés pour qu’ils regardent. Chaque fois, il nous oblige à tenir nos oreilles et à nous accroupir puis à nous relever pendant qu’il nous frappe—il continue à frapper pendant qu’on fait ça, puis on s’écroule. Si on s’écroule tout de suite, il recommence.[100]

Huit talibés ont raconté avoir été enchaînés ou attachés avec de la corde avant d’être battus par le marabout ou un assistant.[101] Ibrahima T., 13 ans, a raconté avoir été attaché et battu à de multiples reprises dans un daara d’une banlieue de Dakar, avant de s’enfuir en 2009 :

Chaque fois que je ne ramenais pas le quota avant 10 heures du matin, un des grands talibés m’emmenait dans une pièce et enchaînait mes chevilles. Après, il me battait avec du fil électrique ou un démonte-pneu—les coups étaient trop nombreux pour être comptés. Quand il avait fini, le grand talibé me laissait là, enchaîné, jusqu’à sept heures du soir, parfois en me battant encore.... La punition était la même si on arrivait en retard. Si je revenais après 10 heures du matin, même avec le quota, j’étais enchaîné jusqu’au coucher de soleil et battu—le marabout était très strict à ce sujet.[102]

Un marabout utilisait une forme de punition particulièrement sadique, obligeant les plus jeunes talibés à se brutaliser mutuellement ou à recevoir une punition supplémentaire (voir l’histoire de Laye B., ci-dessous).

Les talibés ont presque unanimement estimé que les coups—et la crainte d’être frappé si le quota n’était pas atteint—était le pire des sévices endurés dans le daara. Babacar R., 14 ans, a raconté :

Mendier, c’est trop difficile parce que si je ne ramène pas le quota journalier, le grand talibé me bat. Il me frappe partout—à la tête, dans le dos, partout, encore et encore. C’est difficile, ça fait très mal.... Je veux rentrer chez moi et travailler dans mon village. Je ne veux pas être ici.[103]

De plus, les graves négligences, les privations et les violations des droits humains que les marabouts font endurer à des dizaines de milliers de talibés augmentent encore en intensité quand, et c’est courant, le marabout est absent ou quitte le daara pour plusieurs jours ou semaines. Human Rights Watch a recueilli des informations attestant de 18 cas où le marabout habitait dans une maison séparée du daara et, pour certains d’entre eux, ne se rendaient au daara que certains jours.[104] Des dizaines de talibés ont raconté que leurs marabouts quittaient la ville à de nombreuses reprises chaque année pour rentrer dans ses villages d’origine—parfois pour des jours fériés, parfois pour ramener de nouveaux talibés.[105] Dans chacun de ces daaras, des talibés âgés de parfois juste quatre ans sont laissés sous la garde de talibés plus âgés, qui ont généralement environ 18 ans. Dans de telles circonstances, il est fréquent que les talibés plus âgés battent les plus jeunes, leur volent leur argent et se rendent coupables d’abus sexuels.[106]

Les talibés qui ont affirmé ne pas être battus ont généralement reconnu être victimes d’une autre forme de punition dangereuse, à savoir se voir refuser l’entrée du daara. Dans les daaras où se pratique ce genre de punition, le marabout ne frappe pas les talibés mais leur interdit de revenir tant qu’ils n’ont pas réuni le quota. Les talibés sont donc forcés de mendier jusque tard dans la nuit ou de dormir dans la rue.[107] Dans seulement environ 7 pour cent des entretiens réalisés par Human Rights Watch les talibés ont affirmé n’être soumis à aucune forme de punition s’ils ne ramenaient pas le quota.

La peur des punitions corporelles ou de devoir passer la nuit dehors a incité certains talibés à recourir au vol pour atteindre le quota. Seydou R., 13 ans, est un des talibés qui a décrit ce phénomène à Human Rights Watch :

Parce qu’on avait peur d’être battus si on n’avait pas la somme, on volait tous quelque chose et on donnait l’argent au marabout si on risquait de ne pas atteindre le quota. On était prêts à faire n’importe quoi pour avoir les 300 CFA (0,65 $).[108]

Un représentant du gouvernement d’Action Educative en Milieu Ouvert (AEMO), un service du Ministère de la Justice qui travaille avec les enfants, a déclaré à Human Rights Watch que le problème des talibés qui commettent des vols, apparemment pour arriver au quota journalier, prend chaque année davantage d’ampleur.[109] Le résultat, comme le signale un représentant du gouvernement du Ministère de la Famille, est « qu’avec le temps, à cause de la vie difficile qu’ils ont mené et parce qu’ils sont forcés de voler, il devient difficile de les intégrer dans la vie productive ».[110]

Les graves sévices physiques que de nombreux marabouts infligent aux talibés qui leur sont confiés, ainsi que la menace de violence qui pèse constamment sur eux, violent le droit des enfants à la protection contre toute violence et brutalité physique et mentale. En vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant, l’État doit protéger les enfants contre toutes les formes de violence, qu’elles soient commises par un parent, un représentant légal ou toute autre personne à qui l’enfant est confié. Ceci s’applique évidemment dans le cas du marabout, qui agit en tant que tuteur de facto de l’enfant.[111] Le Comité des droits de l’enfant, chargé d’interpréter cette Convention, a affirmé que l’interdiction de la violence physique et mentale s’applique également aux punitions corporelles dans les écoles.[112] Les brutalités physiques qu’ils infligent placent également les marabouts dans l’illégalité au regard du droit pénal sénégalais, qui accorde une protection particulière aux enfants.[113]

De plus, notamment dans les cas où les enfants sont enchaînés, attachés, placés dans des positions pénibles ou soumis à d’autres formes brutales de punition, les sévices physiques peuvent atteindre le niveau de la torture, telle que définie par la Convention contre la torture. Le Comité contre la torture s’est en effet exprimé comme suit :

Si les autorités de l’État ou toute autre personne agissant à titre officiel ou au nom de la loi savent ou ont des motifs raisonnables de penser que des actes de torture ou des mauvais traitements sont infligés par des acteurs non étatiques ou du secteur privé et n’exercent pas la diligence voulue pour prévenir de tels actes, mener une enquête ou engager une action contre leurs auteurs afin de les punir conformément à la Convention, l’État partie est tenu pour responsable et ses agents devraient être considérés comme les auteurs, les complices ou les responsables d’une quelconque autre manière, en vertu de la Convention, pour avoir consenti, expressément ou tacitement, à la commission d’actes interdits.[114]

Violation des droits à l’alimentation, au développement physique et à la santé

Human Rights Watch a constaté que de nombreux marabouts font preuve de graves négligences dans la manière dont ils répondent aux besoins sanitaires et alimentaires des talibés dont ils sont responsables. Les enfants vivent dans des lieux surpeuplés, sans installations sanitaires dignes de ce nom et où ils sont insuffisamment protégés contre les éléments. Aux mauvaises conditions d’hébergement s’ajoute le manque de vêtements et de chaussures, pourtant nécessaires étant donné les longues journées passées dans la rue, et dont l’absence augmente encore la vulnérabilité des talibés aux maladies. Obligés de mendier leur nourriture, beaucoup de talibés souffrent également d’extrême malnutrition. Souvent malades, ne recevant que rarement des médicaments du marabout, ils sont obligés de mendier encore plus longtemps pour financer eux-mêmes leur traitement. Le plus souvent, lorsqu’ils sont malades—même gravement—ils souffrent en silence et continuent à mendier pour atteindre le quota. Human Rights Watch a recueilli des informations qui attestent du décès de deux talibés suite à une maladie. Dans les deux cas, il semble qu’il se soit agi d’un paludisme traité de manière inadéquate par le marabout.[115]

Conditions de vie dans le daara

Human Rights Watch a visité plus de 40 daaras urbains fonctionnant en internats, à travers tout le Sénégal. Dans la grande majorité des cas, les conditions de vie dans le daara mettaient gravement en cause le droit de tout enfant à la santé et à des conditions de vie permettant son développement physique et mental. Le surpeuplement important, l’absence d’installation sanitaire et d’eau courante, le manque de protection contre le climat parfois extrême et l’instabilité structurelle des bâtiments eux-mêmes présentaient tous des risques importants pour la santé des talibés.

La plupart des daaras visités étaient installés dans des constructions inachevées, laissées à l’abandon, ou des logements de fortune en chaume, avec des sols de béton ou de sable, le tout n’offrant qu’une maigre protection contre la chaleur, la pluie ou le froid. A cela s’ajoutait le manque de couverture et même, dans certains cas, d’une simple carpette sur laquelle le talibé aurait pu dormir. Les daaras étaient également extrêmement surpeuplés et ne disposaient pas de véritables sanitaires. Les talibés étaient par conséquent sales et vulnérables aux piqûres de moustiques et d’autres insectes.

Un daara que Human Rights Watch a visité à Saint-Louis était situé au milieu de la décharge du quartier, entouré d’eau croupie et de déchets. Bien que lugubre, l’endroit a été décrit comme une amélioration par rapport à celui où les talibés vivaient précédemment, à savoir l’arrière d’un camion abandonné.[116] A Mbour, un talibé a été tué et quatre autres gravement blessés en décembre 2009 lorsque le bâtiment en construction leur servant de daara s’est écroulé en pleine nuit.[117] Ces deux cas sont deux des plus extrêmes dont Human Rights Watch ait eu connaissance, mais le daara moyen n’est pas beaucoup mieux que de tels endroits.

Beaucoup des garçons interrogés par Human Rights Watch se sont plaints d’avoir souffert du froid pendant l’hiver sénégalais—de décembre à mars—pendant lequel les températures descendent la nuit à 17 degrés Celsius.[118] Très peu d’entre eux avaient de quoi se couvrir, comme l’a décrit Moussa A., neuf ans :

Nous sommes 57 et tout le monde dort dans deux pièces. Il fait très froid maintenant et on dort sur des nattes, sans couverture. Quand il commence à faire froid, on se rapproche les uns des autres pour dormir et essayer d’avoir chaud, mais c’est très dur. Certaines nuits, on ne dort presque pas.[119]

En effet, 56 pour cent des talibés interrogés ont déclaré ne rien avoir pour se couvrir dans le daara. Presque tous ceux disposant de quoi se couvrir ont expliqué l’avoir obtenu auprès d’un travailleur humanitaire ou d’une marraine de quartier,[120]ou l’avoir fabriqué eux-mêmes.[121]

De plus, un peu plus de 30 pour cent des talibés interrogés par Human Rights Watch ont affirmé dormir à même le sol. Les autres dorment sur de fines nattes ou des sacs de riz qu’ils rembourrent avec tout ce qu’ils peuvent trouver. Un seul des daaras visités par Human Rights Watch disposait de lits pour les talibés, d’ailleurs offerts par une organisation humanitaire de Mbour.

Beaucoup de talibés se sont plaints du surpeuplement extrême de leur daara. Les daaras accueillent entre six et plus de 200 talibés, la plupart d’entre eux en hébergeant une quarantaine. Dans la grande majorité des daaras qui accueillaient moins de 40 talibés, tous—les âges allant de quatre à 18 ans—dormaient dans la même pièce. Lorsque le daara s’agrandit, des pièces supplémentaires sont ajoutées, dont chacune abrite au minimum 30 talibés. Le résultat, comme l’a expliqué Alassane L., 12 ans, est que beaucoup de talibés décident d’aller dormir dehors :

A Mbao [banlieue de Dakar], il y avait environ 30 étudiants dans le daara et une seule pièce. C’était une petite pièce et ... il n’y avait pas beaucoup de place. On était tellement serrés que quand il faisait chaud dehors, il faisait étouffant dans la pièce, c’était dur de vivre là ; moi j’allais dormir dehors.[122]

Human Rights Watch a vu plusieurs talibés en train de dormir dans la rue à Dakar, Saint-Louis et Thiès. Comme l’a expliqué Idrissa C., 11 ans, et d’autres talibés, dormir dehors est cependant impossible à certaines périodes de l’année : « Pendant la saison des pluies, on rejoint les autres à l’intérieur parce qu’il fait un peu plus sec que dehors [sous l’auvent], mais alors il n’y a plus de place et il fait très chaud. Il est presque impossible de dormir. »[123] Pourtant, pendant la saison des pluies (de juillet à septembre), les conditions ne sont pas vraiment meilleures à l’intérieur du daara. En effet, des talibés de dizaines de daaras différents ont expliqué que leur bâtiment fuyait régulièrement et qu’ils dormaient donc dans l’eau, même à l’intérieur.[124]

En plus du froid, de la pluie et des sols en dur, les talibés ont expliqué souffrir beaucoup de leur exposition aux moustiques. Human Rights Watch n’a vu de moustiquaire que dans un des daaras visités. Selon une étude de 2007 consacrée aux enfants mendiants de Dakar, seuls 6 pour cent d’entre eux dormaient sous une moustiquaire.[125] Déjà limités à six heures de sommeil par nuit, compte tenu de leurs obligations en matière de mendicité et d’étude, les talibés doivent en plus concéder une partie de ce précieux repos aux mauvaises conditions d’hébergement qui les exposent aux éléments.

Les marabouts interrogés par Human Rights Watch étaient particulièrement conscients du problème, la toute grande majorité d’entre eux citant le manque de pièces à leur disposition comme le premier ou le deuxième problème le plus grave auxquels ils sont confrontés.[126] Le second problème le plus souvent mentionné, et qui affecte tout aussi gravement la santé des talibés, est l’absence d’une pompe à eau—qui oblige le daara à acheter de l’eau et a souvent pour conséquence des pénuries.[127]

Pour couronner le tout, la grande majorité des talibés possèdent très peu de vêtements et une seule, voire aucune, paire de chaussures. Human Rights Watch a réalisé des entretiens pendant les quatre mois que dure l’hiver sénégalais, et presque tous les talibés interrogés ont expliqué ne posséder qu’un tee-shirt et un pantalon, insuffisants pour résister au froid nocturne.[128] Plusieurs talibés ont affirmé que les trois mois de la saison des pluies étaient encore plus durs à supporter : la chaleur brutale et l’humidité ambiante, combinées aux nombreuses averses, les oblige à porter des vêtements imbibés de sueur et d’eau, sans qu’ils ne disposent de vêtements de rechange.[129] Les quelques talibés qui ont déclaré disposer d’assez de vêtements ont tous affirmé n’en avoir reçu aucun du marabout.[130] Le peu d’eau disponible dans le daara suffisant à peine à couvrir les besoins en boisson, les talibés ne parviennent que rarement à laver leurs vêtements, sauf s’ils reçoivent l’aide d’une marraine ou d’un centre communautaire.[131]

Human Rights Watch a recueilli des informations attestant que dans huit daaras—représentant plus de 15 pour cent des daaras dont les talibés ont participé à des entretiens approfondis—les marabouts ont volé des vêtements neufs reçus ou achetés par des talibés. L’argument généralement avancé pour justifier le fait que les talibés portent des guenilles et n’aient pas de vêtements neufs est l’importance pour eux d’apprendre l’humilité, mais cet argument perd tout sens quand on sait que tous les talibés à qui des vêtements ont été volés ont raconté que le marabout les avait ensuite donnés à ses propres enfants.[132] Plusieurs talibés, dont Moustafa F., 13 ans, ont raconté avoir vu les enfants du marabout porter leurs vêtements :

Une fois, après avoir économisé, j’ai eu assez d’argent pour acheter de nouveaux vêtements, parce que mes deux chemises étaient vieilles et sales. J’ai acheté les vêtements au marché et les ai ramenés au daara, mais le marabout les a pris et les a donnés à son propre fils. Il portait souvent une de mes nouvelles chemises et moi je devais continuer à mettre mes vieilles affaires.[133]

Plus de 40 pour cent des talibés interrogés ont affirmé ne posséder ni chaussures ni sandales, un problème qui affecte d’une manière disproportionnée les plus jeunes talibés et qui est d’autant plus choquant vu le prix des sandales en plastique, généralement inférieur à 1 000 CFA (2,17 $). Adama H., huit ans, a raconté à Human Rights Watch : « J’ai mendié sans chaussures quand il faisait très chaud, c’était très difficile. [Le sol] était si chaud parfois. J’ai eu très mal. »[134] Un professionnel de la santé qui soigne des talibés à expliqué à Human Rights Watch que faute de chaussures, les enfants souffrent de coupures et de diverses autres blessures aux pieds, qui s’infectent souvent.[135]

Les conditions de vie dans le daara, en particulier le surpeuplement, et le manque d’installations sanitaires, de protection contre les éléments et de vêtements violent le droit des enfants à un niveau de vie suffisant pour permettre leur développement physique et mental, ainsi que leur droit à un logement adéquat, tels que les définissent la Convention relative aux droits de l’enfant et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.[136] Lorsqu’un marabout ne satisfait délibérément pas aux besoins fondamentaux d’un enfant, commet également un délit au regard du droit pénal sénégalais.[137]

Violation des droits à l’alimentation et au développement physique

Obligés de mendier pour manger, malgré les quantités parfois considérables de riz qu’ils ramènent au daara, la plupart des talibés interrogés par Human Rights a affirmé souffrir d’une faim extrême au quotidien, ne mangeant souvent et dans le meilleur des cas qu’un ou deux repas peu consistants par jour, généralement composés de pain et de riz. Un rapport publié en 2007 par l’UNICEF, l’OIT et la Banque mondiale signale que la majorité des enfants mendiants de Dakar, notamment les talibés, sont visiblement sous-alimentés, parfois gravement.[138]

Sur plus de 100 daaras dont étaient issus les talibés interrogés par Human Rights Watch, un seul était dirigé par un marabout qui nourrissait ses élèves. Human Rights Watch a d’ailleurs interrogé des talibés d’une quinzaine de daaras de Saint-Louis fonctionnant en internats, juste après la Tabaski, une des fêtes religieuses et culturelles parmi les plus importantes de l’année au Sénégal, marquée par un festin de mouton rôti. Tous ont affirmé n’avoir reçu aucune nourriture du marabout ce jour-là, même dans les daaras où le marabout avait préparé un ou plusieurs moutons pour lui, sa famille et parfois d’autres membres de la communauté.[139]

Privés de nourriture par leurs tuteurs de facto, de nombreux talibés sont forcés de mendier dans les marchés ou en faisant du porte-à-porte dans les quartiers pour couvrir leurs besoins nutritionnels quotidiens. Beaucoup trouvent des familles spécifiques qui sont prêtes à les assister de manière régulière mais cela n’est que rarement suffisant. Moussa A., neuf ans, a ainsi expliqué à Human Rights Watch :

Le marabout ne nous donne rien du riz qu’on lui donne tous les jours.... Il y a une famille peule dans le quartier qui me donne du riz à midi presque tous les jours, parfois avec du poisson. Ils ne me donnent rien le soir, par contre, donc je dois mendier. Parfois, j’ai du mal à trouver de quoi dîner, et j’ai très faim quand ça arrive.[140]

Pour que personne ne soit totalement privé de nourriture, les talibés de nombreux daaras ont développé une stratégie de survie qui consiste à mettre en commun les aliments. Issa S., un talibé de sept ans, a expliqué à Human Rights Watch : « On partage avec les autres la nourriture qu’on a mendiée, comme ça si quelqu’un n’a rien pu trouver, il peut quand même manger un peu. »[141] Malgré de telles stratégies de survie, de nombreux talibés souffrent presque quotidiennement de la faim. Mamadou S., huit ans, a raconté : « Ce n’était pas facile de trouver à manger ; il y a eu des jours où je n’ai rien mangé du tout. »[142] Lamine C., 12 ans, s’est souvenu que, certains jours, il avait tellement faim qu’il cherchait de quoi manger dans les poubelles.[143]

La minorité de talibés qui reçoit trois repas complets par jour a généralement expliqué à Human Rights Watch qu’ils les recevaient d’une marraine.[144] Même quand les talibés avaient une marraine, cependant, les exigences du marabout les empêchaient parfois de recevoir leurs repas. Plusieurs marraines interrogées par Human Rights Watch ont expliqué que les talibés qu’elles nourrissaient sautaient parfois un repas et continuaient à mendier pour être certain d’atteindre leur quota.[145] Une marraine de Mbour a expliqué qu’un talibé qu’elle assistait ne venait pas les jours qui suivaient une punition particulièrement brutale, le marabout l’empêchant de sortir de peur qu’elle ou d’autres ne voient ses blessures.[146]

Obligés de mendier pour manger, souffrant souvent de malnutrition extrême, la grande majorité des talibés dans les centres urbains sont victimes d’une violation de leurs droits à l’alimentation et au développement physique, tels que les définissent la Convention relative aux droits de l’enfant et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant—des droits qu’il incombe à l’État, aux parents et aux marabouts, en tant que tuteurs de facto, de garantir.[147] De plus, le code pénal sénégalais qualifie de délit le fait de volontairement priver un enfant d’aliments ou de soins au point de compromettre sa santé, ce qui place de nombreux marabouts dans l’illégalité.[148]

Violation du droit à la santé

Forcés de passer de longues heures dans la rue, souffrant de malnutrition à cause de leur alimentation inadaptée et obligés de vivre dans des conditions déplorables, presque tous les talibés interrogés par Human Rights Watch ont expliqué tomber fréquemment malades. Bien que les talibés leur soient confiés par leurs parents et qu’ils disposent, vraisemblablement, de fonds tirés de la mendicité forcée, seulement près de 30 pour cent des marabouts en charge de daaras dont des enfants ont été interrogés aident les talibés à se soigner. Un professionnel de la santé qui traite un grand nombre de talibés, décrivant leur situation à Human Rights Watch, l’a qualifiée de « très précaire au niveau sanitaire ».[149]

Plus de 90 pour cent des talibés interrogés ont expliqué avoir souffert d’une ou plusieurs maladies au cours de l’année précédente,[150] les affections les plus courantes étant les plaies infectées, les maladies de peau, la diarrhée, le paludisme, les infections oculaires, la migraine, la fièvre et l’épuisement.[151] Un marabout a déclaré que plusieurs de ses talibés avaient souffert du choléra pendant la saison chaude et humide.[152] Des travailleurs humanitaires ont expliqué que certaines maladies, notamment la conjonctivite et certaines maladies de la peau comme la gale, qui couvre souvent l’ensemble du corps des talibés, prennent rapidement possession de tout un daara, à cause de la promiscuité et de l’absence d’installations sanitaires, et infectent un très grand nombre d’enfants en même temps. Human Rights Watch a visité des dizaines de daaras où il apparaissait que plus de la moitié des enfants avait besoin d’un traitement, présentant visiblement les symptômes d’une conjonctivite ou d’une maladie de la peau.

Environ 70 pour cent des talibés interrogés ont déclaré à Human Rights Watch que lorsqu’ils tombaient malades, le marabout ne leur donnait pas d’argent pour aller dans une clinique ou acheter des médicaments, quelle que soit la gravité de la maladie.[153] Pape M., 13 ans, a décrit une situation typique :

Quand j’étais malade, je n’étais jamais soigné par le marabout. Si on disait qu’on était malade, le marabout nous disait de trouver nous-mêmes des médicaments. Donc, généralement, je souffrais, j’attendais que ça passe, avec le sommeil. J’ai eu des maladies de peau et le palu plusieurs fois, mais le problème le plus fréquent, c’était la diarrhée.[154]

Une situation particulièrement extrême a été rapportée à Human Rights Watch par un groupe d’une dizaine de talibés issus d’un grand daara de Dakar. Le marabout du daara recevait régulièrement et gracieusement des médicaments d’une organisation non-gouvernementale, mais plutôt que de les utiliser pour soigner les talibés, il préférait les revendre et empocher l’argent. Les talibés ont expliqué que lorsqu’un d’eux avait eu la jambe cassée dans un accident de la circulation, le marabout avait ordonné aux enfants du groupe de mendier et de payer eux-mêmes, collectivement, la visite à l’hôpital et le traitement.[155]

Human Rights Watch a interrogé trois talibés qui ont expliqué avoir été battus par leur marabout pour être tombés malades, celui-ci voulant les « tester » pour voir s’ils ne faisaient pas semblant d’être malades. Birame N., 13 ans, a raconté :

Quand je tombais malade, au début, je devais continuer à mendier. Le marabout me regardait et disait, « Non, tu n’es pas malade. » Si je refusais encore de sortir, il me battait durement. Il disait qu’il vérifiait si j’étais vraiment malade ou si je faisais semblant.[156]

Non seulement les marabouts refusent aux talibés qui tombent malades l’accès à des soins médicaux, ils leur infligent parfois des sévices physiques et dans la plupart des cas continuent même à exiger des talibés malades qu’ils mendient et atteignent leur quota. Saliou M., 13 ans, a raconté à Human Rights Watch :

La règle était que si tu peux marcher, tu peux mendier. Donc, même quand on était malade, tant qu’on pouvait marcher, il fallait mendier.[157]

Lorsqu’ils se sentent mieux, le marabout oblige beaucoup d’enfants à compenser le manque à gagner, en rapportant ce qu’ils auraient gagné s’ils n’avaient pas été malades. Moussa A., neuf ans, a raconté à Human Rights Watch :

Si je ne peux pas mendier parce que je suis malade, je dois ramener le double un autre jour. Puisque ce n’est pas facile à faire, en général je mendie même quand je suis malade.[158]

Les rares marabouts qui aident les talibés à se soigner—notamment au niveau de la visite à l’hôpital en cas de maladie grave—ne le font la plupart du temps qu’après que la maladie ne soit devenue grave.[159] De plus, plusieurs talibés ont expliqué qu’ils devaient rembourser au marabout le coût de leur traitement. Amadou S.,10 ans, a ainsi expliqué :

Quand je suis malade, le marabout me donne de l’argent pour les médicaments mais il écrit combien il me donne. Quand on est en bonne santé, il faut mendier davantage pour ramener ce montant là en plus du quota.[160]

Obligés de souffrir de maladies parfois graves et qui, dans de nombreux cas, pourraient être évitées ou soignées relativement facilement, les talibés sont victimes d’une violation de leur droit à jouir du meilleur état de santé possible et de leur droit au développement physique, dont ils devraient pouvoir bénéficier selon le droit international.[161] Le marabout, en tant que tuteur de facto, manque à ses engagements en ne fournissant pas aux enfants les conditions de vie nécessaires ; l’État manque à ses propres engagements en ne protégeant pas la santé de l’enfant lorsque ses parents et le marabout n’ont pas pu ou pas voulu assurer le respect de ses droits. Dans les cas où la privation de soins de santé est délibérée, le marabout est en outre coupable de négligence criminelle en vertu du droit pénal sénégalais.[162] Le Sénégal est partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui affirme au sujet des enfants que « les employer à des travaux de nature à compromettre leur moralité ou leur santé, à mettre leur vie en danger ou à nuire à leur développement normal doit être sanctionné par la loi ».[163]

Abus sexuels

Le Sénégal est une société conservative où les abus sexuels sont un sujet encore largement tabou. Ils sont par conséquent rarement dénoncés, surtout quand la victime et l’agresseur sont tous deux masculins.[164] Ce conservatisme a compliqué le travail destiné à déterminer dans quelle mesure les garçons hébergés dans les daaras sont confrontés à des sévices sexuels. Cependant, le travail d’enquête réalisé par Human Rights Watch et d’autres groupes suggère que le problème est probablement beaucoup plus répandu que ne le laissent penser les quelques cas que Human Rights Watch a pu confirmer grâce à ses entretiens avec des talibés.[165]

Human Rights Watch a recueilli des informations attestant de trois cas de sévices sexuels dans des daaras, dont deux ont été décrits par les victimes elles-mêmes et un par un témoin de l’agression.[166] A chaque fois, l’agresseur était un talibé plus âgé, deux des trois agresseurs étant également assistants du marabout. Des deux talibés victimes, l’un a déclaré avoir fait l’objet d’attouchements inappropriés à de multiples occasions, l’autre d’un viol.[167] Ndiaga Y., 13 ans, visiblement encore affecté par l’agression, a expliqué à Human Rights Watch :

Quand je suis arrivé au daara, en 2006, un grand talibé me prenait à part et me touchait [sexuellement]. Il me forçait à le toucher aussi de la même façon. Ca s’est arrêté quand il a quitté le daara, plusieurs mois après.[168]

Ousmane B., 13 ans, a décrit à Human Rights Watch ce dont il a été témoin :

Plusieurs fois, quand le marabout était parti, j’ai vu un des maîtres coraniques [assistants] faire quelque chose à un autre enfant du daara. Pendant qu’on dormait, il est entré dans la chambre des plus jeunes garçons et a obligé l’un des talibés à sortir. J’étais dans la pièce, pas très loin. Il a essayé d’enlever les vêtements du talibé—le jeune talibé a résisté, et certains de nous ont fait du bruit, et il a pu s’enfuir. Le maître est revenu le lendemain et a emmené le jeune talibé plus loin, et cette fois il n’a pas pu s’enfuir. Il était trop petit. Il m’a dit ce que le vieux lui avait fait [il l’a violé]. Ça n’a pas été la seule fois.[169]

Dans les trois cas, le marabout vivait soit dans une maison séparée du daara ou n’était pas sur place au moment des faits.[170] Aucun des enfants n’a raconté au marabout ce qui lui était arrivé, de peur que l’auteur des sévices ne l’apprenne et ne se venge. Cette peur prouve la nécessité, pour les autorités de l’État, de créer un environnement plus protecteur, qui donne aux victimes suffisamment confiance pour qu’elles dénoncent de tels abus.

En plus des abus sexuels commis dans les daaras, les agences humanitaires estiment qu’un risque d’abus sexuel existe pour les enfants qui ont fui un marabout qui les maltraitait. A Mbour, Human Rights Watch a pu examiner des dossiers médicaux attestant de plusieurs cas de viol commis par des hommes sur trois ex-talibés âgés de sept, huit et 11 ans, qui s’étaient enfuis séparément de leurs daaras en 2008 et dormaient sur la plage. Selon un travailleur social familier de l’affaire, les enfants ont été accostés à plusieurs reprises, séparément, et violés par des hommes armés de couteaux, au milieu de la nuit.[171]

Des travailleurs sociaux de centres pour enfants vulnérables à Dakar, Rufisque et Saint-Louis ont également recueilli des éléments attestant de dizaines de cas d’abus sexuels perpétrés contre des talibés en 2009, dans des daaras mais aussi dans la rue après que les enfants se soient enfuis du daara.[172] Selon plusieurs de ces travailleurs sociaux, s’il y a agression sexuelle dans un daara, l’auteur est dans la plupart des cas un talibé plus âgé.[173] Selon un de ces travailleurs sociaux, la plupart des abus sexuels commis dans la rue le sont par de jeunes Sénégalais qui, d’après les enfants concernés, paraissaient être sous l’influence de l’alcool ou de la drogue.[174]

La Convention relative aux droits de l’enfant oblige les États parties à prendre toutes les mesures appropriées pour protéger l’enfant contre la violence sexuelle.[175] Le gouvernement doit non seulement améliorer la protection des talibés dans les daaras, mais également agir sur le climat actuel au Sénégal, dans lequel aborder de tels actes est tabou, de manière à ce que les talibés victimes d’abus sexuels se sentent suffisamment en confiance pour parler des abus et soient informés de l’existence d’institutions étatiques ou non-étatiques susceptibles de les protéger et de leur apporter une assistance psychologique. Bien que la plupart des organisations sénégalaises basées à Dakar et Saint-Louis aient commencé à recueillir des éléments précis attestant de tels abus et à discuter du problème, dans d’autres régions, ces sujets sont encore totalement tabous. Lors des entretiens avec Human Rights Watch, lorsque le sujet des abus sexuels a été abordé, de très nombreux hauts responsables d’organisations humanitaires locales, connus pour leur travail remarquable, ont réagi avec étonnement, reconnaissant n’avoir jamais posé à des garçons la moindre question à ce sujet.[176]

Déni du contact avec la famille

De manière générale, les marabouts font peu d’efforts pour faciliter les contacts périodiques entre les talibés dont ils sont responsables et leurs parents. Même si des distances importantes séparent le daara des villages des talibés, la prolifération des téléphones portables et l’accès au réseau dont bénéficient même les villages les plus isolés du Sénégal et de Guinée-Bissau devraient faciliter à l’extrême les contacts avec les proches.[177] Pourtant, Human Rights Watch a constaté que la grande majorité des talibés n’avait aucun contact avec ses proches. Dans de nombreux cas, cette absence de contact est le résultat d’une politique délibérée du marabout en ce sens.

Moins de 10 pour cent des talibés interrogés par Human Rights Watch avaient revu leurs parents depuis leur départ du domicile familial, plusieurs mois, voire plus de 10 ans plus tôt pour certains. Même pour cette minorité, le contact avait généralement consisté en une visite d’un proche en plusieurs années, ou en un retour au village à l’occasion de la célébration de la Tabaski.[178]

Environ 20 pour cent des talibés interrogés avait eu leur famille au téléphone depuis leur départ, généralement à quelques rares occasions.[179] La plupart des talibés interrogés par Human Rights Watch pensait que le marabout connaissait le numéro de téléphone de leurs parents—d’autant plus que beaucoup de marabouts sont des proches ou des connaissances et viennent du village d’origine des talibés—mais choisissait de ne pas faciliter les contacts.

De plus, dans environ 15 pour cent des daaras, l’absence de communication fait partie d’une politique délibérée du marabout, selon des talibés interrogés par Human Rights Watch, mise en œuvre même si l’enfant connaît le numéro de téléphone portable de ses parents et propose de payer lui-même la communication, en mendiant l’argent nécessaire pour ce faire. Oumar M., 11 ans, a raconté à Human Rights Watch :

Mon plus grand problème est que le marabout refuse de nous laisser appeler nos parents. Je veux leur parler et je connais le numéro de ma mère, mais je n’ai pas de téléphone. Seul le marabout en a un. Je veux vraiment parler à ma famille, mais il dit que quand on parle à nos parents, on a envie de rentrer à la maison, donc il nous l’interdit.[180]

Bien que les marabouts interrogés par Human Rights Watch affirment invariablement qu’isoler un enfant de sa famille permet de l’aider à mieux maîtriser le Coran, les entretiens réalisés avec de nombreux parents permettent d’entrevoir une motivation bien plus malveillante, à savoir la volonté du marabout de contrôler l’information pour que la famille ne soit pas informée des souffrances et sévices dont sont victimes les talibés dans le daara. Ansou B., originaire d’un village du nord du Sénégal, père de deux enfants qui étudient dans un daara de Saint-Louis, a raconté ne recevoir des nouvelles de ses enfants que lorsque le marabout revient au village : « Le marabout vient souvent au village et nous donne des nouvelles. Il me dit que mes enfants apprennent, qu’ils mangent bien et qu’ils sont en bonne santé. Comme ça, je sais qu’ils vont bien. »[181] Il croit en la véracité de ces informations mais plusieurs familles interrogées par Human Rights Watch ont remarqué que, dans le passé, certains parents ont vu leur confiance trahie lorsque leurs enfants étaient ramenés au village par des travailleurs humanitaire et que la vérité quant aux conditions de vie déplorables régnant au daara leur était révélée.[182] Un père a raconté que malgré plusieurs conversations téléphoniques sur le bien-être de son fils, le marabout ne l’avait pas informé de l’accident grave de la circulation dont celui-ci avait été victime alors qu’il mendiait. Lorsque le père a appris que son fils était blessé, l’information lui étant parvenue par le biais d’un membre de sa famille étendue vivant à Dakar, le marabout lui a menti en disant que c’était arrivé pendant que son fils « s’amusait ».[183]

Refuser à un talibé qu’il parle avec sa famille, ainsi que communiquer délibérément à celle-ci de fausses informations quant à son état de santé, constitue une violation évidente du devoir qui incombe à l’individu, en vertu de l’article 29 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, « de préserver le développement harmonieux de la famille et d’œuvrer en faveur de la cohésion ... de cette famille ».[184] Comme le remarque le Professeur Ndiaye de l’Institut Islamique de Dakar, quelle qu’ait pu être l’utilité de la pratique traditionnelle de la séparation et de l’isolation lorsque l’accent était mis avant tout sur la maîtrise du Coran, « l’environnement actuel ne justifie plus cette pratique ».[185]

Déni du droit au jeu

En moyenne, les talibés interrogés par Human Rights Watch consacraient un total de 13 heurs par jour à mendier pour atteindre le quota, trouver de quoi se nourrir et étudier le Coran. Leurs journées commencent avec la prière de l’aube et se terminent tard dans la soirée. Il est donc rare qu’ils puissent consacrer du temps à des activités éducatives qui leur permettraient d’acquérir des compétences de base, à des activités normales de l’enfance, ou encore à des loisirs, y compris le football, pourtant omniprésent au Sénégal. Dans certains cas, le marabout les punit s’ils jouent, estimant que cela les empêche de mendier.

Sur 73 talibés avec lesquels des entretiens approfondis ont été réalisés, seuls trois ont signalé que leur marabout leur laissait du temps pour les loisirs ou se distraire.[186] De plus, trois marabouts ont affirmé à Human Rights Watch qu’ils prévoyaient dans l’emploi du temps des talibés des moments de détente, jugés utiles pour les études des enfants, leur intégration des enfants dans la communauté et leur qualité de vie.[187]

Pour la plupart des talibés, le temps consacré au jeu doit être pris sur le temps normalement passé à mendier. Par conséquent, les talibés ne jouent généralement qu’après avoir atteint le quota journalier. Fallou P., 11 ans, a raconté :

Les enfants dans mon daara ont utilisé l’argent qu’on avait en plus et acheté un ballon de football, pour pouvoir jouer après avoir fini de mendier. Le marabout nous a autorisés à jouer—tant qu’on arrivait au quota et qu’on étudiait bien.[188]

Certains marabouts sont allés encore plus loin en interdisant purement et simplement toute forme de jeu ou de loisir. Abdoulaye S., 11 ans, a raconté à Human Rights Watch : « Le marabout ne nous laissait même pas jouer au football ou à autre chose. Il disait ‘Si vous avez du temps pour jouer, vous avez du temps pour mendier. Allez mendier !’ »[189] Pape M., 13 ans, a fait un récit similaire : « Si on commençait à jouer, le marabout sortait le fil électrique et disait, ‘Si vous continuez, je vais vous battre.’ »[190]

Même si la violation du droit au jeu peut sembler insignifiante par rapport aux autres sévices graves dont sont victimes les talibés, plusieurs d’entre eux ont affirmé que, pour eux, c’était l’une des pires transgressions qu’ils devaient supporter dans le daara. Lamine C., 12 ans, a déclaré à Human Rights Watch :

Si le marabout nous voyait jouer, il nous battait. Au début de la soirée, presque tous les jours, tous les autres enfants du quartier jouaient au football dehors, mais nous on ne pouvait jamais jouer, sauf si on était loin du daara et que le marabout ne pouvait pas nous voir.[191]

Se voir interdire le jeu, élément essentiel dans le développement sain de tout enfant et droit garanti par la Convention relative aux droits de l’enfant,[192] est le symbole ultime du la condition du talibé, qui n’a ni la possibilité ni le droit d’être un enfant.

 

En fuite, dans la rue

Non nourris par le marabout, non soignés lorsqu’ils tombent malades, forcés de travailler de longues heures rien que pour remettre de l’argent et du riz à quelqu’un qui ne leur en fera pour ainsi dire pas profiter—et battus s’ils n’arrivent pas à atteindre le quota requis—des centaines, voire probablement des milliers de talibés s’enfuient des daaras chaque année. Pour ceux qui tentent de fuir et sont surpris par le marabout, la punition est immédiate et sévère. Ceux qui parviennent à recouvrer leur liberté finissent souvent par vivre dans la rue—alors qu’ils n’ont généralement pas 13 ans—où les attend un environnement marqué par l’accès aux drogues, la violence et la criminalité.

Human Rights Watch a interrogé 29 talibés qui ont fui de leur daara, ce qui ne représente qu’une petite fraction du nombre d’enfants qui tentent de s’enfuir chaque année. Tous les ex-talibés interrogés par Human Rights Watch ont mentionné qu’avant de fuir eux-mêmes, d’autres avaient fait la même chose.[193] Des talibés qui vivaient dans un daara de Dakar avec plus de 70 autres garçons ont raconté à Human Rights Watch que tous ceux qui avaient plus de 12 ou 13 ans s’étaient déjà enfuis.[194] Adama H., huit ans, a fait un récit similaire :

Parfois, des talibés s’enfuyaient en groupe, parfois seuls. On est passés de 50 à moins de cinq. Je suis resté parce que mes parents m’avaient ramené la première fois que je m’étais enfui. Mais après je me suis enfui à nouveau—cette fois à l’arrière d’un camion poubelle, pour aller à Dakar. Je ne pouvais pas retourner chez moi.[195]

Il est difficile, voire impossible, de disposer de chiffres précis quant au nombre de talibés qui fuient leur daara chaque année. Cependant, sur base des statistiques de fréquentation enregistrées par les centres d’accueil et des chiffres fournis par les organisations humanitaires actives dans la rue, Human Rights Watch estime que ce nombre est supérieur à 1 000.

On trouve au Sénégal des dizaines de centres d’accueil qui hébergent des enfants vulnérables pendant de courtes périodes et dont le personnel essaie, souvent avec l’aide du Ministère de la Justice et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), de rapatrier l’enfant dans sa famille. A l’exception du Centre Ginddi, un centre d’accueil de Dakar géré par le Ministère de la Famille, ces foyers sont tous dirigés par des organisations non-gouvernementales mais enregistrés auprès des services de l’État, qui les soumet à des inspections. Le Centre Ginddi peut accueillir environ 60 enfants en même temps, alors que la plupart des centres non-étatiques peuvent loger entre 20 et 30 enfants. Un chercheur de Human Rights Watch a visité des centres d’accueil accueillant des enfants vulnérables à Dakar, Rufisque, Saint-Louis et Thiès. Tous étaient remplis à pleine capacité ou presque. Souvent, près de 50 pour cent des enfants présents étaient des talibés en fuite. En moyenne, les enfants passent entre quelques semaines et quelques mois dans ces centres, ce qui permet d’évaluer le flux cumulé de talibés fugueurs à plusieurs centaines par an.

En plus des centres d’accueil situés au Sénégal, auxquels correspondent les chiffres précités, certaines associations au Sénégal et en Guinée-Bissau aident de nombreux talibés à rentrer chez eux en Guinée-Bissau. Deux organisations humanitaires bissau-guinéennes qui dirigent des foyers d’accueil pour ex-talibés—SOS Enfants Talibés (SOS Crianças Talibés) et l’Association des amis des enfants (Associação dos Amigos da Criança, AMIC)—ont aidé plus de 430 ex-talibés du Sénégal à rentrer dans leur famille en Guinée-Bissau en 2007-2008.[196] Même s’il peut y avoir un certain chevauchement au niveau des statistiques, l’OIM signale avoir aidé 307 victimes d’un trafic lié à la « mendicité forcée » entre 2007 et 2009.[197] Ces chiffres ne concernent, cependant, que les talibés qui ont à la fois réussi à s’enfuir et à trouver un centre d’accueil capable de les hébergera. Beaucoup de talibés rentrent chez eux par leurs propres moyens[198] et des centaines d’autres vont vivre dans la rue, notamment à Dakar.

Il semble que de plus en plus de talibés prennent l’option de la fuite. Moussa Sow, dirigeant d’une organisation qui travaille avec des enfants vulnérables à Rufisque, a déclaré à Human Rights Watch que la proportion d’enfants talibés que son organisation accueille est passée de 30 pour cent à près de 50 pour cent aujourd’hui.[199] Isabelle de Guillebon, directrice de Samusocial Sénégal, une organisation qui apporte une aide médicale aux enfants de la rue, affirme elle aussi que, depuis quelques années, son organisation a noté une forte augmentation du nombre de talibés fugueurs vivant dans la rue. Un travailleur social de cette même organisation a estimé leur nombre à plusieurs centaines dans la seule ville de Dakar.[200]

Les travailleurs sociaux distinguent trois grandes catégories de talibés fugueurs : ceux que le marabout ou un grand talibé retrouvent et renvoient au daara ; ceux qui trouvent une place dans un centre d’accueil ; et ceux qui finissent par vivre dans la rue. La peur des punitions corporelles incite beaucoup de talibés à fuir mais il est probable qu’elle en empêche également certains de le faire. La brutalité de la punition infligée à un talibé qui n’atteint pas le quota journalier n’est rien en comparaison de ce qui attend celui qui aura tenté de fuir. Assane B., 15 ans, a raconté à Human Rights Watch :

Lorsque le marabout trouvait des fugueurs, il les mettait dans une pièce, enlevait leurs vêtements et faisait tenir les pieds et les mains du fugueur par quatre talibés pendant qu’il le battait. C’était des coups très durs ; chaque fois il continuait jusqu’à ce qu’on voit des blessures sur le corps. Il ne s’arrêtait que quand il avait déchiré la peau—parfois à plusieurs endroits.[201]

Des informations ont par ailleurs été recueillies attestant de sévices graves infligés à des talibés ramenés au daara par leurs parents, après qu’ils aient réussi à rentrer chez eux. Un ex-talibé a raconté :

Lorsque des talibés étaient ramenés par leurs parents, le marabout avait une conversation avec la famille, il parlait des bonnes conditions, des études. Après, quand la famille était partie, les autres maîtres coraniques emmenaient le garçon dans une pièce et le battaient très durement. Ensuite, pendant quelques semaines, un grand talibé accompagnait le garçon partout pour être sûr qu’il n’essaierait pas de fuir à nouveau.[202]

Beaucoup de talibés planifient donc leur évasion et savent avec précision où se trouvent les centres d’accueil, ce qui leur permet de limiter le risque d’être repris et renvoyé au daara. Aliou E., 11 ans, a ainsi indiqué qu’il s’est rendu directement dans un centre d’accueil à Dakar, lors de sa fuite pendant la saison des pluies en 2008.[203] Djiby H., 12 ans, a fui son daara en compagnie de deux autres talibés en décembre 2007. Lors de son entretien avec Human Rights Watch, il a expliqué : « Un de mes compagnons connaissait le Centre Ginddi, on est allés directement là-bas. »[204]

D’autres talibés choisissent de vivre dans la rue plutôt que dans le daara—soit en attendant de trouver un moyen de rentrer chez eux, soit de manière semi-permanente. Un ex-talibé, fatigué de recevoir des coups dans le daara et déjà renvoyé une fois par ses parents après avoir fui, a marché de Kaolack à Fatick (environ 50 kilomètres) avant de trouver un véhicule qui se rendait à Dakar, où il s’est mis à vivre dans la rue.[205]

Human Rights Watch a interrogé des talibés qui avaient vécu dans la rue pendant des périodes allant de deux jours à plus de cinq ans. Un ex-talibé a expliqué à Human Rights Watch la logique de sa décision :

Vraiment, moi, je préfère la rue. Les grands talibés et le marabout nous poussent à quitter le daara. Je dormais dehors la plupart des nuits quand j’étais au daara, de toute manière, ce qui n’est pas très différent de la rue. Dans la rue, personne ne m’oblige à ramener une somme fixe ; je décide combien je vais mendier et je peux garder l’argent. Personne ne me bat parce que je n’ai pas assez d’argent. La vie dans la rue n’est pas facile, mais c’est mieux que dans le daara.[206]

Trois ex-talibés ayant vécu dans la rue pendant des mois et, pour l’un d’entre eux, des années, ont expliqué qu’ils vivaient avec des bandes, composées de neuf à 40 jeunes, voire plus—ajoutant qu’on trouve des dizaines de bandes de ce genre dans toute la région de Dakar.[207] Généralement, les enfants mendient pour survivre, faisant semblant d’être des talibés pour augmenter leurs chances. Plusieurs ont admis, cependant, que leurs conditions de vie misérables les poussaient à voler dans le marché et dans des maisons. Le leader d’une de ces bandes d’enfants et de jeunes, âgé de 27 ans, a décrit ainsi les difficultés de la vie dans la rue :

Il y a beaucoup de difficultés pour nous dans la rue—trouver de la nourriture, avoir un endroit où dormir, le harcèlement de la police—mais le plus gros problème c’est la drogue, surtout l’alcool et le guinze. Quand un nouveau nous rejoint, il est souvent initié à l’alcool, la cigarette et le guinze. Après ça, c’est vraiment dur d’arrêter, la rue devient ta résidence fixe.[208]

Le guinze, en wolof, est un diluant industriel dont beaucoup d’enfants de la rue imbibent leur chemise ou qu’ils inhalent.[209] Human Rights Watch a visité un site, dans le centre de Dakar, où vit un groupe d’un peu plus de 15 jeunes de la rue. Tous les jeunes sauf un étaient visiblement sous l’emprise du guinze. Ceux qui prennent cette drogue deviennent souvent violents et se battent avec d’autres en utilisant des bouteilles cassées, ce qui donne parfois lieu à de graves blessures.[210]

L’une des conséquences les plus évidentes du daara urbain contemporain est le phénomène en plein développement des enfants des rues.[211] Les talibés qui fuient et se retrouvent dans la rue sont confrontés à une vie marquée par la drogue, le vol, les comportements prédateurs et la violence. Sans un effort concerté impliquant l’État, les dirigeants religieux, les familles et les organisations non-gouvernementales, le nombre d’enfants de la rue continuera à augmenter.

L’histoire de Laye B., ex-talibé de 18 ans[212]

Je suis né dans le village de Dara Diolof [au nord-ouest du Sénégal]. Quand j’avais cinq ans, ma famille m’a envoyé dans le daara d’un puissant marabout, à Saint-Louis. On dormait presque tous à la belle étoile parce qu’il n’y avait pas de place pour nous dans le daara. Il y a avait au moins 60 talibés.

Chaque jour, le marabout nous divisait en groupes de deux. Il fallait ramener 350 CFA (0,76 $), du riz et du mil—les trois étaient obligatoires. Ensuite, si un des deux trouvait la somme, mais pas l’autre, le marabout forçait celui qui avait le plus d’argent à battre l’autre—avec du fil électrique auquel était attaché une fine bande de fer. Si le talibé refusait, alors le marabout battait lui-même les deux talibés.

J’étais fatigué de tout ça, alors mon grand frère est venu me chercher. Quand il est arrivé, le marabout lui a dit que j’avais presque fini d’apprendre le Coran, donc mon frère est reparti. Je n’étais même pas à la moitié du Coran. C’est alors que j’ai décidé de m’enfuir. Les trois premières fois, un grand talibé m’a attrapé et ramené au daara. Avec le marabout présent, le grand talibé m’enfermait dans une pièce toute la journée et me battait ; il partait et revenait après pour me battre à nouveau. Finalement, il y a eu un camion qui allait au village de ma tante et je me suis échappé.

Mes parents ont dit qu’ils allaient me renvoyer au daara, donc je me suis enfui à nouveau, cette fois à Kaolack. De là, je me suis enfui à Mbour où j’ai mendié pour pouvoir payer le voyage jusqu’à Dakar.

À Dakar, j’ai vécu par intermittence dans la rue pendant six ans. Je mendiais pour survivre. Pendant la saison des pluies, je dormais sous l’auvent d’une banque ; le reste du temps je dormais dehors, là où il y avait d’autres ex-talibés. J’ai souvent eu des problèmes avec des gens de la rue—on m’a volé pendant que je dormais, et on m’a battu. La police nous trouvait parfois dehors et nous emmenait au poste pour quelques jours.

C’est parce qu’on doit mendier—c’est pour ça qu’il y a autant d’enfants dans la rue. Les marabouts doivent comprendre que c’est vraiment difficile pour nous de ramener la somme chaque jour.

Les auteurs de sévices et leurs complices

Au Sénégal, des centaines de marabouts soumettent les talibés vivant de facto sous leur tutelle à des conditions analogues à l’esclavage. Ils forcent les enfants à pratiquer l’une des pires formes de travail des enfants—mendier dans les rues pendant de longues heures—et leur font subir des violences physiques et psychologiques souvent brutales, tout ceci dans un climat de peur. Ils se rendent également responsables de grave négligence en ne subvenant pas aux besoins élémentaires des enfants—notamment la nourriture, le logement et les soins de santé—alors qu’ils semblent disposer des ressources suffisantes, fournies principalement par les enfants eux-mêmes. Pour leur part, les hauts responsables religieux n’ont à ce jour imposé aucun type de réglementation aux marabouts exploiteurs et n’ont appliqué aucune mesure disciplinaire.

Les gouvernements sénégalais et bissau-guinéen, qui, au regard du droit national et international, assument au premier chef la responsabilité pour les violations des droits humains perpétrées dans leur pays et à leurs frontières, se sont mis en défaut de prendre des mesures effectives visant à protéger ces enfants, entre autres de punir les auteurs de ces faits et de prévenir de futurs abus. Au Sénégal, le gouvernement n’a pratiquement pas cherché à introduire, et encore beaucoup moins à faire appliquer, une réglementation visant les daaras, laissant apparemment prévaloir leur crainte des réactions politiques brutales des confréries au détriment du bien-être de dizaines de milliers d’enfants. Le gouvernement ne s’est pas davantage attaché à faire appliquer certaines lois essentielles ni à traduire en justice les marabouts qui forcent les enfants à mendier ou leur infligent des violences physiques. En Guinée-Bissau, les autorités ont pris certaines mesures importantes pour prévenir le trafic d’enfants organisé sur une grande échelle vers le Sénégal, mais elles restent réticentes à la traduction en justice des marabouts impliqués dans cette pratique. Par ailleurs, le gouvernement bissau-guinéen n’a pratiquement prêté aucune attention au problème croissant de la mendicité des talibés dans ses propres villes.

De nombreux parents qui, en toute connaissance de cause, envoient leurs enfants dans un endroit où ils seront maltraités, sont également responsables de ne pas avoir protégé suffisamment leurs enfants contre le mal qui leur est infligé. Enfin, certaines organisations humanitaires, en cherchant à combler le vide laissé par l’État en matière de protection, ont parfois encouragé la prolifération des marabouts sans scrupules et des daaras urbains où la mendicité forcée est endémique.

Les marabouts et les responsables religieux

Les marabouts interrogés par Human Rights Watch ont souvent justifié la pratique de la mendicité forcée des enfants par des explications qui échappent presque totalement à la raison. En fait, certains marabouts qui se retranchent derrière ces explications tirent probablement un profit considérable du travail des talibés. Pendant ce temps, les marabouts et responsables religieux qui prennent au sérieux leur rôle de professeurs de religion n’ont pas exprimé publiquement leur inquiétude, et encore moins pris des mesures pour mettre fin aux abus.

Justifications de la mendicité forcée : nourriture, logement, humilité

Chacun des quelque 30 marabouts interrogés par Human Rights Watch sur les raisons pour lesquelles ils forcent les enfants dont ils ont la charge à mendier ont invoqué une ou plusieurs des trois raisons suivantes : fournir de la nourriture aux talibés ; payer le loyer et les frais connexes ; et enseigner l’humilité. Pourtant, la mendicité forcée des enfants telle qu’elle est pratiquée dans tout le Sénégal n’a absolument aucun rapport avec les raisons citées.

Chaque marabout interrogé par Human Rights Watch a déclaré qu’il avait trop de talibés pour être en mesure de les nourrir suffisamment ; la mendicité était dès lors nécessaire pour répondre aux besoins en alimentation des daaras. Bien que cet argument puisse effectivement être invoqué dans le cas de collecte de repas, il s’avère être en totale contradiction avec la collecte d’argent. Comme expliqué plus haut, Human Rights Watch a interrogé des enfants vivant dans plus de 100 daaras et, à une seule exception près, l’argent ou le riz récolté par les talibés n’avait jamais servi à subvenir aux besoins alimentaires de ces enfants.

Une majorité de marabouts ont également fait valoir que la mendicité était nécessaire pour aider à couvrir d’autres frais encourus par le daara, entre autres le loyer. Aliou Seck, un marabout de Saint-Louis, a expliqué : « La mendicité, en termes d’heures, sert principalement à permettre au daara de survivre—pour payer l’électricité, acheter des livres coraniques, des médicaments et des chaussures, ainsi que du savon pour nettoyer. »[213] D’abord, en occupant des immeubles abandonnés ou inachevés, beaucoup de marabouts évitent de payer un loyer. Ensuite, comme il est démontré tout au long du présent rapport, une nette majorité de marabouts qui forcent les talibés à mendier ne fournissent pas de soins médicaux, de vêtements, de logement décent ou autres choses indispensables.

Même dans les daaras où les marabouts paient un loyer et encourent d’autres dépenses, ce n’est pas aux enfants qu’il incombe de payer pour le daara, surtout en les soumettant à l’une des pires formes de travail des enfants. D’autant plus que la plupart des marabouts ont délibérément choisi de quitter un village où ils possédaient une maison, de séparer les enfants de leurs familles qui auraient été les premières à devoir subvenir à leurs besoins élémentaires, et de les emmener dans un endroit où ces coûts existent.

Enfin, une majorité de marabouts ont prétendu que la mendicité était importante pour l’éducation morale des talibés, en particulier pour leur enseigner l’humilité. Masso Baldé, un marabout de Saint-Louis, a expliqué : « La mendicité sert surtout pour l’humilité—nous devons donner une éducation très dure. Pour apprendre vraiment le Coran, on doit souffrir. Mendier fait partie de ce processus. »[214]

Alors que bon nombre de marabouts proclament l’importance d’enseigner l’humilité, les talibés interrogés par Human Rights Watch disant que les enfants de leur marabout ne mendiaient pas étaient trois fois plus nombreux que ceux disant qu’ils mendiaient.[215] De même, comme expliqué plus haut, certains marabouts prennent les vêtements des talibés et les donnent à leurs propres enfants. Dans ces cas, tout argument invoquant que la mendicité forcée est nécessaire pour inculquer l’humilité sonne incroyablement faux. Enfin, la collecte de nourriture auprès des familles de la communauté, combinée à des conditions de vie relativement ascétiques et une aide apportée aux travaux des champs, était autrefois suffisante pour enseigner l’humilité dans un daara traditionnel, et elle demeure suffisante dans les daaras de village et certains daaras urbains partout au Sénégal.

Même si l’on admet que l’ascétisme et l’humilité constituent des composantes importantes de l’éducation coranique, contrairement à ce que disent de nombreux marabouts, l’enseignement de ces qualités ne justifie aucunement la mendicité forcée, les quotas journaliers et le châtiment corporel infligé aux talibés qui ne rapportent pas le quota imposé. Comme l’a affirmé un expert sénégalais qui a étudié le système des daaras : « Comme nous le constatons actuellement dans les zones urbaines, la mendicité ne représente pas un élément d’éducation religieuse. »[216]

Ne pouvant être justifiée par aucune des explications invoquées par les marabouts, la pratique de la mendicité forcée pour de l’argent, particulièrement avec un quota souvent imposé avec brutalité, ne peut être qualifiée que comme étant de l’exploitation. Aliou Seydi, un marabout de Kolda qui a suivi l’exemple de son père en ne forçant pas ses talibés à mendier, a expliqué :

Les enseignements de l’islam s’opposent entièrement au fait d’envoyer des enfants dans la rue et de les forcer à mendier. Ils peuvent cultiver les champs—ce qui leur fait acquérir une technique, leur apprend à travailler dur. Mais certains marabouts n’en tiennent aucun compte ; ils aiment le confort, l’argent qu’ils reçoivent en vivant sur le dos des enfants. C’est la seule chose qui explique comment la pratique est devenue ce qu’elle est.[217]

Mohamad Aliou Ba, marabout de village dans la région de Kolda[218]

Maître coranique depuis 1990, Mohamad Ba a quitté Dakar en 1996 pour retourner dans son village, situé dans la région de Kolda, avec l’aide de l’UNICEF. Le daara, une structure bien conçue construite par Ba, compte actuellement 60 talibés—dont six vivent avec leurs familles dans les villages avoisinants et 54 résident au daara. Trois femmes du village cuisinent pour les talibés internes, et les frais sont couverts par la culture du mil, du riz et de fruits.

Pendant la semaine, les enfants vont à l’école de 8h à 16h, avec une pause pour le repas de midi et la récréation. Le week-end, les talibés combinent les études coraniques avec le travail des champs et les leçons de prière. Les enfants aident au travail des champs les jours de semaine uniquement pendant la saison des récoltes.

De sa propre initiative, Ba a « modernisé » le daara. Les talibés apprennent le français en plus des études coraniques et de l’arabe formel. L’accent étant mis principalement sur les études, les talibés maîtrisent le Coran en trois ans, ou en cinq ans lorsqu’ils le combinent avec l’apprentissage du français et de l’arabe. Lorsqu’un talibé maîtrise le Coran, Ba se rend avec l’enfant dans son village, pour l’examen traditionnel et une célébration.

Ba recommande non seulement d’aider davantage les daaras de village, mais également de créer un « diplôme de fin d’études coraniques, pour montrer qui maîtrise réellement le Coran ».

Mohamadou Sali Ba, un marabout de Saint-Louis, a également le sentiment que l’exploitation par la mendicité forcée, ainsi que les violences physiques infligées dans les daaras, sont en nette contradiction avec les principes de l’islam :

Nous sommes tous sous l’autorité de Dieu, et il faut respecter le Coran et tous les êtres humains. Je ne frappe pas mes étudiants car cela affecte leur intelligence—ils ne pensent qu’au fait d’être battus et ils ne peuvent pas étudier. Ces faux marabouts, qui exploitent les enfants en les obligeant à mendier pendant des heures et qui les battent brutalement, ils me rendent furieux. Dans le Coran, le Prophète enseigne la politesse et le respect mutuel. Les marabouts qui n’agissent pas conformément à cela ne peuvent pas réellement servir les principes du Coran.[219]

De l’ascétisme à l’aisance

Bien que Human Rights Watch ne soit pas en mesure d’établir l’origine de la richesse apparente d’un marabout déterminé, il est clair qu’une partie de la richesse de bon nombre de marabouts découle de l’exploitation des talibés. À tout le moins, l’argent obtenu grâce à la mendicité forcée est suffisant pour fournir des soins d’une qualité bien supérieure au daara.

Human Rights Watch a visité plus de 40 daaras au Sénégal, notant que beaucoup de marabouts—y compris certains qui forçaient les talibés à mendier—vivaient comme des ascètes et dans une relative pauvreté. D’autres—généralement ceux qui exigeaient des quotas plus élevés d’argent, de riz et de sucre—semblaient utiliser le produit de la mendicité forcée pour leur profit personnel. De nombreux talibés, d’autres marabouts et des membres de la communauté ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils connaissaient des marabouts qui possédaient plusieurs maisons et jouissaient de tous les produits de luxe modernes disponibles.

Dans un pays où 30 pour cent de la population vit avec moins d’un dollar par jour,[220] où la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté,[221] et où le gouvernement verse un salaire mensuel moyen d’environ 125 000 CFA (272 $) à un instituteur de l’enseignement primaire,[222] beaucoup de marabouts ont trouvé un moyen de vivre confortablement en exploitant les enfants.

Bien que chaque daara soit unique pour ce qui est du nombre de talibés et du quota imposé, nous présentons ci-après des chiffres concernant quatre daaras représentatifs dont proviennent des talibés interrogés par Human Rights Watch :

Produits de la mendicité forcée des enfants : Sommes exigées par les marabouts de quatre daaras représentatifs[223]

Lieu

Nombre de talibés

Quota journalier par talibé

Total hebdomadaire exigé des talibés

Total annuel exigé par le marabout

Thiès

~20

250 CFA, riz et sucre facultatifs

35 000 CFA (76 $)

1 820 000 CFA (~4 000 $)

Saint-Louis

28

300 CFA et ½ kg de riz

58 800 CFA (128 $) ; 98 kg de riz, d’une valeur de 39 000 CFA (85 $)

5 085 600 CFA (~11 000 $)

Dakar

~60

Vendredi, 1 000 CFA ; autres jours, 300 CFA ; chaque jour, 2 kg de riz et 20 morceaux de sucre

168 000 CFA (365 $) ; 840 kg de riz, d’une valeur de 336 000 CFA (730 $) ; et 8 400 morceaux de sucre, d’une valeur de 28 000 CFA (61 $)

27 664 000 CFA (~60 000 $)

Guédiawaye

150+

Vendredi, 750 CFA ; dimanche, repos ; autres jours, 500 CFA ; tous les jours sauf le dimanche, 1 ou 2 kg de riz (selon l’âge), sucre facultatif

487 500 CFA (1 060 $) ; 1 350 kg de riz, d’une valeur de 540 000 CFA (1 174 $)

53 430 000 CFA (~116 000 $)

Un ex-talibé du daara de Dakar analysé plus haut, qui avait fugué avec quatre autres enfants parce qu’ils étaient fréquemment battus, a informé Human Rights Watch que le marabout vivait dans une « belle » maison séparée de son daara à Dakar, et qu’il possédait aussi la plus grande maison, que le talibé avait visitée, de son village et des villages avoisinants de Guinée-Bissau—avec une installation électrique complète, plusieurs motos et plusieurs téléviseurs.[224]

En fait, des talibés de plusieurs daaras ont fait savoir à Human Rights Watch qu’ils croyaient que leurs marabouts tiraient suffisamment d’argent de leur exploitation pour posséder plusieurs demeures, souvent somptueuses, qu’ils avaient visitées.[225] Human Rights Watch a visité un daara comptant plus de 200 talibés à Guédiawaye, où les talibés vivaient entassés dans une construction abandonnée grouillant d’insectes, sans eau, dépourvue de fenêtres, de portes et de toilette. À un kilomètre de là, le marabout du daara, Malic Mane, possédait une maison, visitée par Human Rights Watch, mais il résidait plus souvent dans une seconde demeure à Mbao, une banlieue de Dakar—ne venant au daara qu’une ou deux fois par semaine, selon les talibés vivant au daara.[226] En 2005, plusieurs organisations locales avaient, selon le directeur de l’une de ces associations, informé le ministère de la Justice des conditions sordides régnant au daara, mais aucune mesure n’avait été prise.[227] Human Rights Watch avait programmé deux entretiens avec le marabout, mais ce dernier n’a pas honoré l’engagement.[228]

D’autres marabouts et des membres de la communauté de Kolda, une région du sud du Sénégal d’où provient un pourcentage disproportionné de talibés et de marabouts sénégalais, ont mentionné que la richesse était relativement fréquente. Un marabout de Kolda a déclaré :

La pratique consistant à amasser de grosses sommes d’argent en provenance des daaras de Dakar est très courante. Il y a un grand marabout ici à Kolda qui a envoyé des étudiants à Dakar avec un grand talibé et puis, l’argent lui est renvoyé ici et il en vit très confortablement. Et il y a beaucoup de marabouts qui se servent de l’argent de la mendicité pour construire des grandes maisons et contrôler d’autres bâtiments, ici et en Guinée-Bissau.[229]

Un membre de la communauté qui vit dans la région de Kolda depuis plus de 40 ans a également déclaré à Human Rights Watch :

Je connais des marabouts ici qui ont des grandes maisons, des voitures et des motos, qui possèdent plusieurs bâtiments et qui s’habillent mieux que les hommes d’affaires. Certains vivent ici actuellement ; certains ont des daaras ailleurs dans le pays. Cela devient presque un concours entre eux d’avoir le plus de talibés.[230]

Acceptation en silence

Un certain nombre de marabouts et d’imams ont exprimé leur indignation face à la prolifération de « faux marabouts » et de ce qu’ils perçoivent comme la primauté de la mendicité et de l’argent sur le Coran dans d’autres daaras. Cependant, rares étaient ceux qui se montraient disposés à dénoncer publiquement l’exploitation, à pousser le gouvernement à adopter une réglementation, ou à exercer une pression institutionnelle religieuse sur les personnes se livrant à cette pratique.

Mohamed Niass, un marabout et imam de Guédiawaye, a déclaré à Human Rights Watch :

La question relative à l’exploitation pratiquée par les marabouts est pertinente. Il est important pour nous tous de soulever la question des droits humains et il est nécessaire de dénoncer l’exploitation. Le Prophète a ordonné que nous éduquions les enfants, pas que nous les exploitions... Je vois ces problèmes, les enfants qui mendient toute la journée et qui n’ont pas de chaussures ni de vêtements, et cela me met en colère.[231]

Ibrahima Puye, un marabout de Guédiawaye, s’est inquiété du fait que la prolifération de la mendicité forcée finirait par discréditer la pratique de l’éducation coranique au sein de la société sénégalaise :

Je connais le niveau d’exploitation de certains autres marabouts, et cela me met en colère ... [parce que] le résultat, c’est que tous les marabouts sont vus de la même manière. Certains enfants sont dans la rue toute la journée parce que leurs marabouts ne se préoccupent pas de leur éducation... Cela doit cesser afin que ces faux marabouts ne souillent pas le nom de tous les daaras.[232]

Néanmoins, même s’ils ont confié leur colère à Human Rights Watch, ces marabouts, et des centaines d’autres qui éprouvent le même sentiment, n’ont encore pris aucune mesure pour exiger du gouvernement ou de la hiérarchie religieuse une réglementation et des poursuites à l’encontre des responsables.[233] En janvier 2010, le porte-parole de la confrérie de Tijaniyya a exprimé son opposition à la mendicité forcée endémique ; cependant, sa déclaration n’a pas été accompagnée de mesures concrètes.[234] Les dirigeants d’autres confréries n’ont même pas encore protesté publiquement contre la pratique. Comme l’a expliqué un travailleur humanitaire sénégalais, « Si les dirigeants des deux grandes confréries du Sénégal disaient ‘finie, la mendicité forcée des enfants’, il n’y aurait plus de mendicité forcée. »[235]

Contrairement aux autorités religieuses sénégalaises, celles de Guinée-Bissau ont commencé à élever la voix contre la pratique consistant à envoyer des enfants dans des daaras au Sénégal. Alhadji Alonso Faty, premier vice-président du Conseil supérieur islamique (Conselho Superior Islâmico) de Guinée-Bissau, compte parmi la demi-douzaine de responsables religieux à avoir participé à une commission qui a enquêté sur les conditions des talibés au Sénégal, lesquelles, a-t-il confié, les ont choqués et « révoltés », lui et ses collègues.[236] La commission a présenté ses conclusions à la télévision nationale et a vivement recommandé aux parents de garder leurs enfants en Guinée-Bissau. La présidente de la Communauté nationale de la Jeunesse islamique (Comunidade Nacional da JuventudeIslâmica, CNJI) a expliqué que son organisation avait travaillé en étroite collaboration avec des imams à Bissau et a mentionné comme résultats concrets la discussion sur l’envoi d’enfants au Sénégal lors de la prière du vendredi et dans le cadre d’émissions radiophoniques.[237] L’imam principal de Bafatá, la deuxième plus grande ville de Guinée-Bissau, a informé Human Rights Watch qu’il avait publiquement exprimé son opposition à l’envoi d’enfants au Sénégal et qu’il avait conseillé aux familles de ne pas le faire.[238]

En dépit de ces efforts, des marabouts continuent à emmener des centaines, voire probablement des milliers d’enfants de la Guinée-Bissau au Sénégal chaque année. La présidente de la CNJI a reconnu que les efforts de sensibilisation étaient principalement concentrés dans la capitale, Bissau, et dans ses environs, alors que la majeure partie de la circulation transfrontalière avait lieu dans les régions de Bafatá et Gabú, dans l’est du pays.[239] Plus important encore, tous ces responsables religieux ont fait savoir que, même dans le cas de la traite des enfants, ils étaient réticents à impliquer l’État et à faire pression pour que des poursuites judiciaires soient engagées à l’encontre des auteurs de ce trafic.

Le gouvernement sénégalais

L’État est responsable au premier chef de la protection des droits des enfants à l’intérieur de ses frontières, mission que le gouvernement sénégalais a omis d’assumer en ce qui concerne des dizaines de milliers de talibés. En 2007, le gouvernement a créé le Partenariat pour le Retrait et la Réinsertion des Enfants de la Rue (PARRER), un organe de coordination des ministères gouvernementaux, de la société civile, des associations religieuses et des organisations humanitaires, chargé d’aider à s’attaquer au problème des enfants de la rue, dont les talibés. Bien que le PARRER ait commandé et entrepris des études sur le nombre d’enfants mendiants au Sénégal et sur des stratégies de réponse efficaces, il se focalise, comme son président l’a expliqué à Human Rights Watch, « non pas sur le gouvernement, [mais] sur la prévention et le renforcement de la mobilisation sociale ».[240] En janvier 2010, l’État a signé un partenariat de 23 millions de CFA (50 000 $) avec le PARRER, pour que l’organe de coordination poursuive son travail de prévention.[241]

Certes, l’augmentation des financements visant à extraire les enfants de la rue et à sensibiliser les parents mérite d’être soulignée, mais il n’en demeure pas moins que le gouvernement continue de négliger d’autres réponses d’une importance cruciale qui pourraient servir de moyens de dissuasion. Le fait que le gouvernement n’inspecte pas les daaras et ne les soumette à aucune réglementation, le fait qu’il n’exige pas que les enfants aient accès à une éducation complète, et le fait qu’il se montre encore beaucoup moins enclin à ouvrir des enquêtes et à engager des poursuites à l’encontre des marabouts qui se livrent à la maltraitance et à l’exploitation des enfants sont autant d’éléments qui jouent un rôle essentiel dans la négligence et les mauvais traitements généralisés dont sont victimes les talibés.

L’absence de réglementation

À l’exception de quelques daaras modernes, aucune des écoles coraniques du Sénégal ne sont soumises à une quelconque forme de réglementation gouvernementale, que ce soit du point de vue du programme, des conditions de vie ou des normes en matière de santé. Le gouvernement n’exige pas l’inscription du daara sur un registre ni une liste des enfants du daara, et aucune obligation n’a été fixée en ce qui concerne les heures d’enseignement ; les sujets enseignés ; les qualifications des enseignants ; le nombre d’étudiants par professeur ; la qualité de la construction dans laquelle les enfants vivent et apprennent ; ou la fourniture d’eau potable, d’aliments et de soins de santé.

Il n’est pas étonnant que cela ait permis la prolifération des daaras et des marabouts, y compris de ceux qui semblent avoir peu d’intérêt pour l’éducation des enfants. La non-réglementation des daaras par le gouvernement a contribué à chacune des violations des droits humains des talibés décrites dans le présent rapport. Le gouvernement ne commencera à protéger ces enfants que s’il adopte une loi sur l’enregistrement et la réglementation de tous les daaras, créant des mécanismes adéquats pour contrôler l’application de ladite réglementation, et s’il exerce ensuite le pouvoir qui lui est conféré de fermer les daaras où les enfants sont forcés à mendier, brutalisés et soumis à des conditions qui mettent en péril leur éducation et leur santé.

Le besoin de réglementation est discuté depuis longtemps par les responsables du gouvernement sénégalais, la communauté diplomatique et les agences humanitaires. Plusieurs ministères, en particulier le ministère de l’Éducation, ont organisé et participé à des dizaines de conférences, séminaires et ateliers sur l’éducation coranique au Sénégal.[242] En 2004, l’Inspection des daaras a été créée au sein du ministère de l’Éducation ; cependant, l’unité n’est devenue opérationnelle qu’en 2008. Par ailleurs, son mandat est très limité : les daaras soumises à l’inspection sont les daaras « modernes ».[243] Les daaras traditionnels et les daaras urbains fonctionnant en internats—qu’un inspecteur a qualifiés de « daaras en marge de la loi »—ne sont pas contrôlés.[244] Les plans d’expansion des daaras modernes, analysés plus loin, accroîtront le nombre de daaras soumis à une réglementation mais ils n’auront pas d’incidences sur le contrôle à exercer par le gouvernement sur les daaras qui font l’objet du présent rapport. Bien que le gouvernement ait officiellement reconnu toutes les écoles coraniques en février 2010, cette reconnaissance n’a pas été associée à une réglementation.[245] Par voie de conséquence, ce sont précisément les daaras qui sont le plus liés à l’exploitation et à la maltraitance qui resteront à l’abri de la réglementation imposée par l’État.

Déjà en 1978, un séminaire organisé à l’Institut islamique de Dakar, auquel ont assisté de hauts responsables du ministère de l’Éducation,[246] avait recommandé que les professeurs d’écoles coraniques répondent à des critères professionnels bien définis ; qu’une pédagogie soit établie ; et que des conditions soient fixées pour pouvoir ouvrir et administrer des daaras.[247] Cependant, interrogé par Human Rights Watch, un haut responsable du ministère de la Famille a déclaré : « Il est impossible pour l’État de réglementer immédiatement. Il doit d’abord gagner la confiance des marabouts [et] réfléchir davantage à l’institution des daaras. »[248] Trois décennies après que les principales autorités islamiques du Sénégal eurent appelé à une réglementation visant à éliminer l’exploitation alors naissante des enfants, le gouvernement continue à proclamer qu’il faut analyser la question plus en profondeur—des dizaines de milliers d’enfants étant aujourd’hui touchés par ce problème.

L’impunité pour les responsables d’abus

Au Sénégal, les autorités de l’État se sont également mises en défaut d’ouvrir des enquêtes et d’engager des poursuites à l’encontre des marabouts impliqués dans la maltraitance et la négligence des talibés. En 2005, le gouvernement a voté une loi qui criminalise le fait de forcer autrui à mendier pour en tirer profit, acte punissable d’une lourde amende et d’un emprisonnement de deux à cinq ans.[249] Cinq ans plus tard, aucun responsable gouvernemental interrogé par Human Rights Watch n’a pu citer un seul cas où la loi a été appliquée aux fins de sanctionner un marabout uniquement pour avoir pratiqué la mendicité forcée.

Un haut responsable de la Direction de la Protection des Droits de l’Enfant, qui relève du ministère de la Famille, a expliqué à Human Rights Watch les deux choix que l’État entrevoit pour combattre la mendicité forcée des enfants :

Soit l’État applique la loi [relative à la lutte contre la mendicité forcée] avec rigueur—et se trouve dans une situation où il arrête des centaines, voire des milliers de marabouts—soit l’État travaille avec certains marabouts, qui peuvent alors regarder ce que font les autres et leur dire, « Ce n’est pas comme cela, c’est comme cela ». Nous avons choisi la seconde option, car autrement trop de personnes seraient impliquées ; ce n’est tout simplement pas possible ou optimal.[250]

La raison pour laquelle il n’existe que ces deux options n’est pas claire. Un membre influent de l’Assemblée nationale, qui désapprouvait la réticence de l’État, a relevé que ce dernier pouvait d’une part obliger les marabouts qui exploitent et maltraitent le plus les enfants à subir les conséquences de leurs actes en purgeant des peines d’emprisonnement et en payant des amendes, et d’autre part, recourir à des sanctions alternatives telles que l’humiliation publique dans le cas des autres marabouts. Plus important encore, a-t-elle expliqué, l’État est tenu d’extraire les enfants du milieu où ils sont maltraités et de les ramener dans leurs familles.[251] Du reste, pour identifier les marabouts les plus exploiteurs, il suffit simplement d’interroger les talibés qui mendient à l’extérieur de leur daara, de déterminer leur quota et le châtiment encouru s’ils ne rapportent pas le quota imposé.

Outre le fait de ne pas punir les marabouts pour la mendicité forcée, les autorités de l’État se sont montrées réticentes à engager des poursuites pénales et à y donner suite, même lorsque les marabouts se livraient à des violences physiques excessives à l’encontre des talibés. Dans les rares cas ayant débouché sur des condamnations, les juges n’ont imposé que de courtes peines de prison. L’article 298 du code pénal dispose que quiconque aura volontairement blessé ou porté des coups à un enfant de moins de quinze ans, à l'exclusion des « violences légères », sera puni d'un emprisonnement et d'une amende. Les résultats du présent travail de recherche montrent que de nombreux marabouts brutalisent leurs talibés en allant bien au-delà des « violences légères ». Pourtant, entre 2005 et 2009, moins de cinq arrestations de marabouts ont eu lieu chaque année pour des violences physiques à l’encontre de talibés.[252] Les responsables gouvernementaux du ministère de la Justice à Mbour et Kolda ont déclaré ne pas se souvenir d’un seul cas où un marabout avait comparu devant un tribunal pour avoir infligé des violences physiques à un talibé.[253]

Les affaires débouchant sur des poursuites judiciaires et des condamnations concernaient quasi exclusivement des cas où un talibé avait été battu à mort ou presque. En 2007, un marabout qui avait battu à mort un talibé a été condamné à quatre ans d’emprisonnement ; et en 2008, un marabout qui avait presque tué un talibé en le frappant a été condamné à trois ans de prison.[254] L’une des rares affaires dans le cadre desquelles l’auteur s’est vu infliger une lourde peine a eu lieu en 2008, lorsque l’assistant d’un maître coranique a été condamné à la prison à perpétuité pour avoir torturé et asphyxié un talibé dans des conditions atroces au daara de son père.[255]

La peur de réactions brutales

Comme mentionné dans la section « Contexte » du présent rapport, les responsables religieux exercent un énorme pouvoir social, politique et économique au Sénégal. Pratiquement tous les travailleurs humanitaires et beaucoup de responsables gouvernementaux interrogés par Human Rights Watch ont expliqué que le pouvoir des confréries mettait en évidence le manque de volonté politique du gouvernement lorsqu’il s’agit de veiller à ce que le personnel des ministères compétents—à savoir les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de l’Éducation— d’une part impose une réglementation, et d’autre part traduise en justice les marabouts responsables de maltraitance et d’exploitation. Un responsable gouvernemental du ministère de la Famille a signalé à Human Rights Watch :

L’État a fait des efforts mais se montre très sensible à la question, surtout sur le plan du châtiment. Les grands marabouts—chefs des confréries—cela les implique, ne fût-ce qu’indirectement. Si vous touchez à un seul marabout, vous touchez aux confréries, et c’est très difficile ici. Vous perdez des voix, vous perdez peut-être votre poste, et vous vous exposez à des problèmes.[256]

Une haute responsable du gouvernement a déclaré à Human Rights Watch qu’en 2005, elle avait publiquement fait pression pour l’engagement de poursuites à l’encontre d’un marabout qui avait violemment battu un talibé âgé de trois ans. Le marabout a finalement été condamné à une peine de deux ans de prison, mais la responsable gouvernementale a reçu de multiples menaces de mort par téléphone. Elle a fait remarquer que ses collègues avaient peur de prendre les mêmes risques.[257] De même, une personne administrant un centre pour talibés à Mbour a expliqué qu’elle avait été victime de menaces et d’ostracisme de la part des marabouts et de la communauté locale après avoir tenté de porter plainte dans une affaire de viol sur un jeune talibé.[258]

Outre les menaces directes, la pression sociale réduit le nombre d’affaires portées devant les autorités. Un homme qui avait osé déposer une plainte après que son fils eut été brutalement battu par un marabout a été mis à l’écart par son village et par son propre père, lequel a déclaré à un journaliste de l’Associated Press : « [Les coups] étaient un accident et mon fils n’avait pas le droit d’humilier le marabout... Le jour où ils ont emmené le marabout en prison, cela m’a fait aussi mal que s’ils étaient venus pour me mettre en prison. »[259]

Les personnes risquent effectivement d’être la proie de menaces et de pressions sociales si elles portent plainte contre des marabouts, mais ce problème n’est pas une excuse pour le gouvernement sénégalais, dont le soutien pourrait limiter les représailles. Un responsable gouvernemental du ministère de la Justice a fait part de ce sentiment à Human Rights Watch :

Il y une énorme peur des grands marabouts, mais pourquoi ? Il s’agit d’une loi sur la protection des enfants. Il faut appliquer le texte de la loi—la pauvreté et la religion ne sont pas des excuses pour jeter un enfant dans la rue, pour se faire de l’argent sur le dos d’un enfant.[260]

L’aide à l’éducation religieuse

De nombreux parents refusent d’envoyer leurs enfants dans des écoles publiques car le programme n’inclut pas l’instruction coranique et des frais de scolarité informels sont imposés. Reconnaissant le premier problème, en 2004 le gouvernement a modifié la loi sur l’éducation de façon à prévoir une instruction religieuse dans les écoles de l’État.[261] Le gouvernement a également construit des daaras « modernes » financées par l’État, où les études coraniques sont associées à l’étude de l’arabe, du français et d’autres matières telles les mathématiques et les sciences. Bénéficiant d’une aide financière de partenaires internationaux, le ministère de l’Éducation a entamé la construction de daaras modernes en 2010, prévoyant 100 daaras d’ici à 2012, chacun pouvant accueillir environ 300 étudiants. Selon ce projet, l’État déterminera et réglementera le programme, la formation et les normes relatives aux enseignants, ainsi que les exigences en matière de sécurité et d’hygiène. Les écoles seront soumises à des inspections effectuées par des agents de l’État et, si elles ne respectent pas les normes, ordre pourra leur être donné de fermer leurs portes. Selon le ministère de l’Éducation, cela permettra à l’État d’assumer sa responsabilité en ce qui concerne l’éducation primaire universelle de ces enfants, tout en accédant aux préférences des parents.[262]

Bien que cette initiative soit prometteuse à bien des égards, elle ne constitue pas une solution pour la vaste majorité des talibés exploités. Comme l’a relevé un inspecteur du ministère de l’Éducation, plus de 1 600 daaras ont déjà introduit une demande pour être choisies parmi les 100 daaras à « moderniser ».[263] D’ailleurs, il est peu probable que les marabouts intéressés par le gain financier personnel aux dépens de l’éducation présentent une demande en ce sens car ils peuvent récolter des profits bien plus importants que des professeurs employés par l’État. Il en résulte que même si le droit à l’éducation sera étendu à un nombre important d’enfants, l’impact sera insignifiant pour les dizaines de milliers de talibés qui travaillent dur dans la rue. Leurs daaras demeureront non réglementées selon les projets gouvernementaux actuels, et de nouveaux daaras « en marge de la loi » verront très probablement le jour.

Les projets de développement des daaras modernes doivent aller de pair avec des efforts visant à faire en sorte que l’enseignement de l’État soit accessible et attrayant pour les enfants et les parents. Ils doivent également être accompagnés par de gros efforts des autorités de l’État, d’une part pour fermer les daaras caractérisés par l’exploitation et la maltraitance des enfants, et d’autre part pour punir les personnes qui ont commis ou autorisé de tels actes. La lutte contre l’exploitation et la maltraitance généralisées des enfants ne peut être différée pendant les décennies qu’il faudra pour étendre la « modernisation » à la vaste majorité des daaras du Sénégal.

L’absence de réaction cohérente

Un dernier problème qui ronge le gouvernement sénégalais est sa réaction diffuse et non coordonnée face à l’exploitation des talibés. Plusieurs responsables d’organisations nationales et internationales ont expliqué à Human Rights Watch que l’un des principaux obstacles à des mesures efficaces de l’État était le fait que la réaction du gouvernement s’éparpillait entre les ministères de la Famille, de l’Éducation, de la Justice, de l’Intérieur, des Affaires sociales, et même des Affaires étrangères en ce qui concerne la Guinée-Bissau—sans parler des dizaines de directions au sein de ces ministères—sans qu’il y ait un responsable clair. Les fonctionnaires interrogés par Human Rights Watch estimaient que la réaction était au pire contradictoire, mais plus souvent simplement incohérente, les responsables d’un ministère n’étant pas au courant des autres initiatives gouvernementales.[264] Compte tenu de la gravité du problème au Sénégal, il est nécessaire de désigner un responsable qui sera le point focal chargé d’élaborer une stratégie coordonnée.

Le gouvernement bissau-guinéen

Bien que le gouvernement bissau-guinéen ait adopté certaines mesures importantes pour lutter contre la circulation transfrontalière illégale des talibés vers le Sénégal, ses efforts demeurent hésitants et confrontés à un financement insuffisant. Plus important encore, le gouvernement n’a pas eu la volonté de sanctionner les marabouts qui transfèrent des enfants de l’autre côté de la frontière en violation des lois nationales et des normes internationales relatives aux droits humains. Par ailleurs, le gouvernement bissau-guinéen n’a pratiquement prêté aucune attention au problème naissant de la mendicité des talibés à l’intérieur de ses frontières. Le non-respect par le gouvernement du droit à l’éducation de nombreux enfants est à la base à la fois de la circulation transfrontalière et de la mendicité forcée.

L’insuffisance des mesures prises contre la migration transfrontalière illégale

Après avoir ignoré pendant des dizaines d’années l’exode massif des enfants bissau-guinéens vers les daaras du Sénégal, où des milliers d’entre eux ont été maltraités et exploités, le gouvernement bissau-guinéen a mis sur pied un Comité national pour la lutte contre la traite des personnes (Comité national contre la traite des personnes) en 2008 et a reconnu la gravité du problème.[265] Depuis lors, il a pris des mesures positives pour réduire le transfert illégal d’enfants vers le Sénégal, entre autres en dispensant des formations aux gardes-frontières et à la police civile. Son action demeure toutefois limitée et lente. Il laisse la police face à un manque cruel de moyens financiers pour combattre le problème, n’a pas criminalisé la traite des enfants et s’abstient de réclamer des comptes.

Les initiatives aux frontières : amélioration aux postes-frontières, lacunes ailleurs

Le Comité national contre la traite des personnes a organisé une formation pour la police civile et la police aux frontières, ainsi que pour le personnel de l’immigration et des douanes, enregistrant quelques résultats positifs. Le commissaire de la force de police civile de la région de Bafatá, probablement le point de départ principal pour les marabouts et les talibés, a signalé à Human Rights Watch qu’en 2007 et 2008, la police civile et aux frontières avait bloqué quelque 200 talibés à la frontière et les avait renvoyés chez eux. Elle avait également arrêté neuf individus, soit des marabouts, soit des personnes agissant sur l’ordre d’un marabout, qui faisaient passer les enfants de l’autre côté de la frontière.[266] En 2009, selon les déclarations du commissaire confirmées par la principale organisation humanitaire de la région, le trafic d’enfants aux postes officiels a connu une régression, la police bloquant dès lors moins d’enfants et n’arrêtant que deux marabouts.[267]

Même si le commissaire estimait que cette réduction était en partie due à une diminution générale de la circulation transfrontalière illégale, il a reconnu que c’était également la conséquence des efforts faits par « les marabouts pour mieux se cacher, eux et les enfants, lorsqu’ils traversent la frontière ».[268] Le commissaire de police de Gabú a donné des explications supplémentaires :

Il y a différentes explications à la diminution des captures. La première est que le trafic a ralenti. La deuxième est que les gens qui font passer ces enfants ont de nouvelles méthodes. Avant, ils passaient par les deux postes-frontières officiels ; maintenant, ils passent par des centaines de points de passage clandestins. Au lieu d’emmener 20 enfants, ils en emmènent deux ou trois. Et ils traversent maintenant la nuit parce qu’ils savent que des indicateurs dévoileront leur localisation pendant la journée.[269]

Effectivement, plusieurs enfants interrogés par Human Rights Watch ont expliqué avoir traversé la frontière la nuit, et l’un d’eux s’est souvenu avoir marché longtemps avec un grand talibé avant de passer la frontière clandestinement et d’être emmené par le marabout qui l’attendait avec une voiture au Sénégal.[270]

Un haut responsable de la police a également reconnu que les efforts déployés pour mettre un terme au trafic des enfants aux postes officiels continuaient à être entravés par des agents de l’État qui se laissaient corrompre.[271] Par ailleurs, le directeur d’une organisation humanitaire qui aide à former la police des frontières a expliqué qu’il avait reçu des appels téléphoniques de responsables aux frontières qui lui demandaient si les personnes pouvaient passer sans faire aucune démarche administrative pour les enfants—dénotant à la fois le besoin de poursuivre la formation de la police mais également les progrès opérés qui conduisent certains responsables à reconnaître un problème potentiel et à demander conseil.[272]

Cependant, le plus grand problème auquel est confrontée la police dans sa lutte contre la circulation transfrontalière illégale des enfants est le manque de financement alloué par le gouvernement bissau-guinéen. Les responsables de la police et des frontières de la région de Bafatá ont signalé à Human Rights Watch qu’ils ne disposaient ensemble que d’une seule voiture et d’une seule moto ; à Gabú, il y avait une voiture, une moto et une bicyclette. Comme l’a expliqué le commissaire de police de Bafatá : « Si la voiture est en mission quelque part et que nous recevons un appel concernant le passage d’enfants de l’autre côté de la frontière, nous sommes bloqués—nous ne pouvons rien faire. »[273]

L’absence de cadre juridique et de lutte contre l’impunité

L’absence de lois criminalisant expressément la traite des personnes en Guinée-Bissau met sérieusement à mal les efforts déployés pour réduire la traite des enfants, et cette situation est encore aggravée par l’impunité dont jouissent les marabouts qui transfèrent illégalement des enfants au Sénégal.

Au moment où ont été écrites ces lignes, il n’existait aucune loi en Guinée-Bissau criminalisant la traite des personnes, y compris la traite des enfants. Il existe toutefois un projet de loi. La personne focale du gouvernement au sein du Comité national contre la traite des personnes, ainsi qu’un responsable de l’UNICEF chargé de la protection des enfants qui fournit une aide autour de cette question, se sont montrés optimistes à propos de l’adoption d’une loi par le pouvoir législatif au cours du premier semestre de 2010, admettant néanmoins que le processus avait déjà été retardé à plusieurs reprises.[274]

Actuellement, les arrestations ont lieu en se basant sur les obligations imposées aux frontières et sur les violations des dispositions du code pénal, dont l’enlèvement et « l’abus de confiance ».[275] Aux termes de la loi bissau-guinéenne, un non-parent emmenant un enfant de l’autre côté de la frontière doit présenter une déclaration signée des deux parents indiquant leur approbation et communiquant le motif du déplacement.[276] L’éducation dans une école coranique est un motif légitime au regard de la loi, mais un responsable gouvernemental a souligné que les deux parents et le marabout devaient déclarer que l’enfant ne mendierait pas et ne serait pas battu.[277] Si ces conditions ne sont pas réunies, le passage transfrontalier est illégal et, en vertu de la loi, le marabout devrait être arrêté et déféré devant un tribunal.

Dans la pratique, cela arrive rarement. Des responsables humanitaires qui suivent cette question de près ont confié à Human Rights Watch qu’aucun marabout ayant tenté de faire passer illégalement des enfants de l’autre côté de la frontière n’avait vu son affaire aboutir à un procès, et encore moins à un jugement et à une condamnation pénale.[278] Bien que les responsables humanitaires aient cité le manque de volonté politique comme première explication, la personne focale de l’État au sein du Comité national sur la traite des personnes a invoqué comme principal obstacle l’absence de loi sanctionnant expressément la pratique, et elle a assuré : « Lorsque la loi [contre la traite des personnes] existera, elle sera pour tout le monde—les marabouts ne seront pas traités différemment des autres. La loi est la loi, et la loi sera appliquée à chacun de la même manière. »[279]

Le problème croissant de la mendicité forcée en Guinée-Bissau

De nombreux travailleurs humanitaires ainsi que des représentants de l’UNICEF et de la Communauté nationale de la Jeunesse islamique ont signalé à Human Rights Watch que le problème de la mendicité forcée en Guinée-Bissau s’était considérablement accentué au cours des cinq dernières années, en particulier dans la capitale.[280] La présence généralisée de dizaines de talibés mendiants, avec un quota imposé, a été confirmée par Human Rights Watch dans plusieurs villes, notamment Bissau et Gabú.[281]

Actuellement, le gouvernement bissau-guinéen n’a pas pris de mesures concrètes pour lutter contre ce problème qui s’intensifie. Contrairement à ce qui se passe au Sénégal, la mendicité forcée n’est ni criminalisée dans le droit national, ni définie comme l’une des pires formes de travail des enfants.[282] Selon plusieurs responsables de l’État, la principale réponse du gouvernement est la sensibilisation à la pratique de la mendicité forcée, conjuguée à l’exploration de pistes axées sur une offre d’assistance financière aux madrasas, l’équivalent bissau-guinéen des daaras modernes du Sénégal.[283] Human Rights Watch exhorte le gouvernement bissau-guinéen à examiner attentivement l’exemple du Sénégal, où des décennies de « solutions alternatives » et de non-lutte contre l’impunité ont servi à encourager les responsables d’exploitation des enfants et ont débouché sur une augmentation sans cesse croissante du nombre de victimes.

Le déni du droit à l’éducation

Aux termes de la loi bissau-guinéenne, l’enseignement primaire devrait être obligatoire et gratuit, conformément au droit international. Cependant lorsque l’enseignement primaire gratuit a été instauré au milieu des années 2000, le gouvernement n’était pas préparé à la quantité extraordinaire d’enfants se présentant à l’école pour la première fois. L’État, se rétablissant d’une décennie d’instabilité, s’est trouvé dans l’impossibilité de couvrir les frais des enseignants, de l’équipement et des bâtiments. Bien que la loi prescrive la « gratuité » de l’enseignement, les représentants de plusieurs organisations travaillant avec le gouvernement sur les questions liées à l’éducation ont signalé que les frais informels, notamment l’inscription et les frais mensuels, étaient généralisés. Ces frais forcent beaucoup de parents à retirer leurs enfants des écoles publiques et à les envoyer dans des écoles coraniques, soit en Guinée-Bissau, soit au Sénégal, où ils n’ont aucune dépense à leur charge.[284] À cause de cela et d’autres barrières qui entravent l’accès à l’enseignement, plus de 60 pour cent des enfants de Guinée-Bissau ne sont pas inscrits dans une école publique.[285]

Human Rights Watch a interrogé huit enfants de deux daaras villageois opérant en internats en Guinée-Bissau. Sept sur huit fréquentaient auparavant une école publique dans leur village d’origine, combinant les matières scolaires normales avec les études coraniques, jusqu’à ce que leurs parents n’arrivent plus à payer les frais de l’école publique. Six de ces sept enfants étudiant auparavant dans une école publique ont expliqué qu’eux-mêmes et leurs parents auraient préféré qu’ils continuent à fréquenter l’école publique et l’école coranique dans leur village.[286] Le gouvernement bissau-guinéen est assurément confronté à des contraintes financières, mais il doit malgré tout prendre des mesures positives en faveur de la réalisation du droit à l’éducation.

À l’image du Sénégal, de nombreuses familles bissau-guinéennes accordent à l’enseignement religieux une importance au moins égale à l’éducation dans une école publique, si pas plus grande. Pour ces familles, le gouvernement devrait œuvrer aux côtés des principales organisations islamiques de Guinée-Bissau pour réglementer et uniformiser les écoles coraniques, afin de garantir une éducation de qualité, des conditions de vie décentes et l’absence d’exploitation.

Bien que le projet n’en soit encore qu’à ses balbutiements, le gouvernement bissau-guinéen a commencé à prendre des mesures visant à atteindre cet objectif. En septembre 2009, sous la direction de l’Institut pour le développement de l’éducation nationale (Instituto Nacional para o Desenvolvimento da Educaçao National, INDE), il a élaboré un plan d’action pour l’intégration des madrasas[287]dans le système d’éducation nationale. Ce plan appelle à l’établissement d’un programme cohérent et de normes relatives aux enseignants, ainsi qu’à des subventions de l’État. Bien que ces principes aient été clarifiés, certaines ambigüités demeurent, notamment autour de la question de savoir si les madrasas seront des écoles autonomes incluant le programme global des écoles publiques, ou s’il s’agira d’écoles exclusivement religieuses associées à des écoles publiques du voisinage. Par ailleurs, comme l’ont expliqué plusieurs travailleurs humanitaires, la façon dont le gouvernement envisage de financer ces initiatives reste floue, puisque 60 pour cent de ses enfants demeurent à l’écart du système éducatif, en grande partie à cause d’un financement déjà inadapté.

Les parents responsables de négligence et de maltraitance

L’attitude des parents qui choisissent d’envoyer leurs enfants chez des marabouts à des centaines de kilomètres de chez eux va de la négligence à la complicité voulue de maltraitance. Dans certains cas, les parents ignorent effectivement que leurs enfants subissent des violences—en partie à cause des tentatives délibérées du marabout de masquer la vérité—mais dans d’autres, ils envoient ou renvoient leurs enfants intentionnellement vers des conditions de maltraitance dont ils sont parfaitement conscients.

Des parents interrogés par Human Rights Watch ont cité trois motifs principaux poussant à confier un enfant à un marabout. Premièrement, chaque parent interrogé a souligné leur désir de voir l’enfant mémoriser le Coran. Deuxièmement, beaucoup de parents ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas assurer le soutien financier de l’enfant, et avaient donc choisi de le confier à un marabout. Enfin, certains parents ont expliqué que le marabout avait « réclamé » l’enfant, et que puisque le marabout était un personnage représentant l’autorité—souvent un ancien, un membre respecté de la famille ou de la communauté—ils ne « pouvaient pas dire non ».

En général, les talibés des daaras urbains opérant en internats proviennent de quelques-unes des régions rurales les plus pauvres du Sénégal et de Guinée-Bissau. Dans la région de Kolda—d’où sont issus le plus grand nombre de talibés du Sénégal—le ménage moyen dispose de moins d’un dollar par jour (278 CFA, soit 0,60 $) à dépenser par personne. Soixante-treize pour cent des dépenses d’un ménage sont consacrés à la nourriture, laissant 5 pour cent et 3 pour cent, respectivement pour la santé et l’éducation.[288] Contraints financièrement, certains parents envoient leurs enfants soi-disant pour apprendre le Coran, mais aussi pour alléger les dépenses du ménage. Un père qui a envoyé trois de ses neuf enfants apprendre le Coran a expliqué à Human Rights Watch :

J’aurais préféré que mes enfants restent à mes côtés, mais je n’avais pas les moyens de les garder tous ici... C’est pour des raisons économiques que je les ai envoyés. Lorsque vous confiez un enfant au marabout, le marabout prend à sa charge la nourriture et les vêtements...[289]

Le président d’une organisation sénégalaise qui s’emploie à sensibiliser les parents, les communautés et les chefs religieux aux droits des enfants en Islam et aux risques qu’ils prennent en envoyant leurs enfants loin de chez eux, a expliqué à Human Rights Watch :

Il y a un certain nombre de personnes directement responsables du bien-être de ces enfants qui ne remplissent pas leurs rôles. Voici un exemple. Un père a deux enfants—il en envoie un dans une école française et l’autre dans une école coranique. Dans le cas de l’enfant qui est à l’école française, il se charge de la nourriture, des soins de santé, des frais de scolarité, de l’endroit où il dort ... de tout. Dans le cas de l’enfant qui est à l’école coranique, il ne se charge de rien. Il remet l’enfant au marabout et ne participe pas au bien-être de l’enfant. Pourquoi faut-il accepter cela au nom de la culture?[290]

Plusieurs parents interrogés par Human Rights Watch estimaient effectivement qu’ils n’assumaient plus aucune responsabilité une fois qu’ils avaient confié leur enfant au marabout. Le père de deux talibés a déclaré : « Quand j’ai remis [mes enfants] au marabout, je les lui ai donnés. C’est lui qui en est responsable maintenant. Si vous avez des questions, vous devriez aller les lui poser—je n’ai aucune réponse. »[291] Dans un autre village, une mère a également fait valoir qu’elle n’était plus responsable de l’enfant confié au marabout, et que le chercheur devrait aller parler avec lui.[292] Un nombre écrasant de talibés interrogés par Human Rights Watch ne voulaient pas quitter leurs familles et ont, selon le cas, exprimé des sentiments légers ou profonds d’abandon, amplifiés par le fait que, malgré la facilité des communications par téléphone portable, ils n’avaient pas parlé avec leurs parents depuis qu’ils avaient quitté le village.

La Convention relative aux droits de l’enfant précise que c’est aux parents qu’il incombe au premier chef d’assurer « dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l'enfant ».[293] Actuellement, les parents de milliers de talibés exploités et maltraités se mettent en défaut d’honorer cette obligation. Ces parents ne fournissent aucune aide au marabout pour le développement physique de l’enfant, ils ne maintiennent pas le contact pour contribuer au développement affectif de l’enfant, et se préoccupent encore moins de son bien-être.

Dans bon nombre de cas, les parents semblent ne pas se rendre compte de la gravité des mauvais traitements que leurs enfants subissent ou sont susceptibles de subir dans un daara. Des entretiens de Human Rights Watch avec des talibés, il ressort que le marabout était souvent quelqu’un issu du village d’origine du talibé ; un membre de la famille, tantôt proche, tantôt éloignée ; ou quelqu’un auprès de qui ou avec qui leur père avait étudié le Coran. Dans des cas extrêmement rares, le marabout était une personne avec qui les parents, en particulier le père, n’avaient jamais eu de contact antérieur. Par conséquent, les parents croient souvent que malgré l’existence de marabouts exploiteurs, le marabout de leur fils se concentrera sur l’éducation.

Lorsque les enfants sont renvoyés dans leurs villages par des organisations humanitaires suite à une fugue, certains parents sont choqués d’entendre la façon dont ils ont été traités. Un chef de village de la région de Kolda qui avait envoyé l’un de ses neuf enfants chez un marabout à Dakar a déclaré à Human Rights Watch :

Je n’étais pas content de ce qui est arrivé lorsque j’ai envoyé mon fils à Dakar. Il ne maîtrisait pas le Coran et il se fatiguait à mendier. Il souffrait énormément là-bas et alors il s’est enfui. Il s’est caché pendant quatre ans... Lorsque j’ai parlé au marabout, il a cherché des excuses—il a dit que mon enfant était devenu un bandit. C’est un autre talibé qui m’a aidé à retrouver mon enfant. Je n’enverrai plus aucun enfant chez un marabout parti s’installer dans une ville.[294]

Malam Baio, directeur de SOS Enfants Talibés à Bafatá, en Guinée-Bissau, a tourné une vidéo exposant en détail les conditions et le niveau d’exploitation dans lesquels la plupart des talibés vivent dans les villes du Sénégal, vidéo qu’il montre dans les communautés villageoises. Il a signalé à Human Rights Watch que la plupart des parents étaient épouvantés lorsqu’on leur présentait des preuves visuelles des conditions régnant dans les daaras. Certains de ces parents envoient malgré tout leurs enfants dans des daaras de Dakar.[295]

De nombreux parents sont en fait bien conscients que leurs enfants sont victimes de négligence et de maltraitance. Human Rights Watch a interrogé beaucoup de familles qui savaient que leurs enfants mendiaient pendant de longues heures, mais elles jugeaient que c’était nécessaire pour que le marabout puisse survivre et payer le loyer.[296] Dans une étude récente réalisée dans la région de Kolda, 30 pour cent des familles qui avaient confié un enfant à un marabout pensaient que les conditions de vie au daara étaient en fait plus dures pour l’enfant que les conditions à la maison.[297] Dans ces cas, les parents ne sont pas seulement coupables de négligence, mais aussi complices de maltraitance.

Le plus invraisemblable, c’est que certains parents renvoient leurs enfants fugueurs chez un marabout connu pour les mauvais traitements qu’il inflige. Human Rights Watch a analysé des dizaines de cas de ce genre ; parfois, les parents ont même battu eux aussi l’enfant pour avoir fugué.

Adama H. avait sept ans en 2008 lorsqu’il s’est enfui de son daara de Mbour parce qu’il était battu et tombait constamment malade. Il est parvenu à rentrer chez lui, où il a informé ses parents des mauvais traitements auxquels il était soumis. Ses parents, en particulier son père, ont immédiatement décidé de le renvoyer au daara. Âgé de huit ans seulement, il a de nouveau fugué. Sachant qu’il ne trouverait pas refuge chez lui, il s’est mis en route à pied vers Dakar, à 70 kilomètres de là. Un conducteur a fini par l’amener à Dakar, où il a vécu dans la rue avant qu’un assistant social ne le trouve. Adama vivait dans un centre d’accueil depuis deux mois lorsqu’il a été interrogé par Human Rights Watch, à qui il a confié : « Je veux rentrer à la maison, mais j’ai peur parce que je ne veux pas être renvoyé chez le marabout. »[298]

Un autre ex-talibé, Seydou R., 13 ans, a décrit à Human Rights Watch une expérience similaire :

Je ne supportais plus les coups, alors je me suis enfui. La première fois, je suis rentré à la maison mais mes parents m’ont ramené au daara. J’ai décidé que si je m’enfuyais à nouveau, je ne retournerais pas chez moi. Les deux fois suivantes, j’ai été repris et le marabout m’a frappé comme jamais auparavant pour avoir essayé de fuguer. Quand j’ai finalement réussi à m’enfuir, j’ai marché jusqu’à Fatick, où j’ai trouvé un véhicule se rendant à Dakar et j’ai sauté dedans.[299]

Dans l’impossibilité de se tourner vers ses parents, Seydou a voyagé seul jusqu’à Dakar, à 12 ans. Il vivait là, dans la rue, depuis huit mois lorsque Human Rights Watch l’a interrogé.[300] Même si les parents peuvent prétendre ne pas connaître au départ les conditions d’exploitation régnant dans les daaras lorsqu’ils confient leur enfant à un marabout, la décision de renvoyer l’enfant dans ce cadre de vie alors qu’ils sont sans conteste au courant des mauvais traitements les rend complices de ces mauvais traitements.

Les organisations humanitaires : incitation à la migration urbaine, inertie dans la lutte contre l’impunité

Au Sénégal, des dizaines d’organisations humanitaires nationales et internationales offrent toute une gamme de services visant à aider les talibés et à améliorer les conditions dans les daaras. Beaucoup s’y emploient depuis près de dix ans. Cette assistance prend diverses formes : fourniture de nattes pour dormir, d’eau, de vêtements et de chaussures ; construction de centres d’accueil ; distribution de repas, de savons de toilette, de produit de lessive et de désinfectants ; médicaments et aide en matière de soins de santé ; cours de français ; argent pour atteindre le quota imposé aux talibés ; microcrédits destinés aux marabouts pour qu’ils mettent sur pied une affaire ; et paiement du loyer du marabout. Étant donné les conditions déplorables régnant dans les daaras urbains, les efforts des organisations humanitaires sont certainement compréhensibles mais ils ont des conséquences non voulues : dans l’ensemble, ils encouragent les marabouts à venir dans les villes—où la mendicité est courante—et réduisent la responsabilité de l’État, des familles et des autorités religieuses. Par ailleurs, de nombreux marabouts continuent de forcer leurs talibés à mendier, engrangeant ainsi des revenus encore plus importants puisque les organisations humanitaires les aident à réduire leurs dépenses. Dans certains cas extrêmes, les marabouts vendent la nourriture et les médicaments qu’ils reçoivent de ces associations. Beaucoup d’organisations n’ont pas suspendu l’aide qu’elles apportent aux marabouts qui continuent d’exploiter les talibés dont ils ont la charge, et encore moins dénoncé ces marabouts aux autorités pour maltraitance et négligence.

L’assistance prodiguée à grande échelle, et sans condition, par les organisations humanitaires, encourage les marabouts de village à s’installer dans les villes, où la majorité écrasante des aides sont fournies. Un marabout d’un village de Kolda a décrit cet enthousiasme à Human Rights Watch :

Elle [la migration massive des marabouts vers les villes] est due en partie au fait que dans les émissions télévisées, vous voyez des images de marabouts qui bénéficient de l’aide d’ONG ou de l’État à Dakar. Cela incite beaucoup de marabouts à se rendre dans les villes, car ils pensent qu’ils en tireront profit.[301]

Plutôt que d’aider les marabouts qui restent dans les villages, où la mendicité est pratiquement inexistante, la plus grande partie de l’assistance humanitaire a eu pour effet d’attirer les marabouts et leurs talibés dans les villes, où la mendicité est omniprésente. Plusieurs organisations, dont l’UNICEF, Terre des Hommes et Intermonde, coopèrent au projet du gouvernement sénégalais contre les pires formes de travail des enfants pour favoriser le retour de plusieurs daaras urbains dans les villages. D’autres associations, telles qu’ONG Gounass et Tostan, apportent une aide aux daaras de village en particulier, tout en œuvrant plus généralement pour le développement de la communauté, et elles encouragent les marabouts et les familles à garder les enfants dans leurs villages. Mais la majeure partie de l’aide financière destinée aux daaras continue d’être canalisée en direction des daaras urbains, en particulier dans la région de Dakar.

Certains marabouts semblent effectivement se servir de l’aide pour réduire ou éliminer les heures de mendicité de leurs talibés et pour améliorer fortement les conditions d’hygiène au daara. Human Rights Watch a visité plusieurs daaras bénéficiant du soutien d’organisations humanitaires, où chaque enfant pouvait être vu portant des vêtements propres et des chaussures, où il y avait des tableaux noirs et de nouveaux livres, et où les enfants ne mendiaient que de la nourriture.[302] Dans d’autres daaras, les marabouts avaient considérablement réduit les heures de mendicité et ont affirmé à Human Rights Watch que s’ils recevaient un peu plus d’aide, ils ne forceraient plus du tout les enfants à mendier de l’argent.[303]

Cependant, selon les entretiens réalisés avec des talibés et des agences humanitaires, beaucoup de marabouts qui reçoivent une aide n’adaptent absolument pas leur pratique de la mendicité, mais utilisent simplement cette aide pour engranger des revenus nets encore plus importants. Comme expliqué plus haut, les talibés d’un daara de Dakar ont signalé à Human Rights Watch que leur marabout vendait des médicaments donnés par une agence humanitaire, exigeant que les talibés paient leurs propres médicaments en passant plus d’heures à mendier.[304] Par ailleurs, plusieurs personnes qui collaboraient auparavant avec une organisation humanitaire internationale ont exprimé leur profonde inquiétude quant à la décision de l’association de fournir une aide aux daaras, notamment sous la forme de prêts et en payant le loyer du marabout. Ces personnes ont déclaré que bien que l’organisation ait dit aux marabouts de ne plus forcer les talibés à mendier en échange des fonds fournis, elles ont régulièrement rencontré des talibés de ces daaras en train de mendier dans la rue. À leurs yeux, l’organisation « soutient et encourage la pratique des faux marabouts ».[305] Enfin, l’évaluation interne réalisée par une organisation humanitaire sur son programme de trois ans—aujourd’hui terminé—destiné à aider des dizaines de daaras a révélé que certains daaras n’avaient fait aucun effort pour améliorer les conditions d’hygiène ou pour réduire la mendicité, en dépit de l’aide considérable qui avait été fournie.[306]

L’évaluation interne a noté que l’une des graves lacunes du programme avait été l’absence de conséquences pour les marabouts qui ne prouvaient pas s’être orientés vers une réduction des heures de mendicité.[307] En fait, un des employés a confié à Human Rights Watch que lorsqu’un marabout était pris en train de forcer les enfants à mendier après les heures convenues, la seule réaction était de faire une croix dans l’un des registres de l’organisation ; quelle que soit la quantité de mauvais points reçus par le marabout, l’organisation ne suspendait jamais son soutien, affirmant qu’elle cherchait à « créer la confiance chez les marabouts ».[308] Il ne fait guère de doute qu’une aide importante, non conjuguée à de sérieux efforts pour assortir cette aide de conditions ou pour réclamer des comptes à ceux qui en abusent, sert à encourager les marabouts sans scrupules à ouvrir des daaras et à exploiter les enfants.

La position actuelle de l’UNICEF n’est pas de soutenir directement les daaras urbains avec des moyens matériels mais plutôt de travailler d’une part avec les familles, les marabouts et les communautés dans le cadre d’initiatives de prévention visant à garder les enfants dans leurs villages, et d’autre part de s’attaquer au problème sous l’angle systémique, notamment en aidant le ministère de la Famille à réinstaller plusieurs daaras urbains dans les villages, à améliorer l’accès au système d’éducation publique, et à améliorer la situation financière des familles et des communautés afin que les enfants puissent rester chez eux.[309] La plupart des organisations humanitaires n’ont pas suivi l’exemple de l’UNICEF et n’ont pas cessé de fournir une assistance directe aux daaras urbains ; elles doivent dès lors déployer davantage d’efforts pour garantir que leur aide n’encourage pas l’exploitation d’autres talibés.

Même lorsque l’aide directe améliore les conditions dans les daaras, les programmes ne sont généralement pas viables à long terme et ils amoindrissent la responsabilité des marabouts, des parents, des institutions religieuses et de l’État.[310] L’évaluation interne réalisée par l’organisation mentionnée plus haut à propos de son programme d’aide aux talibés a mis en évidence le fait que la durabilité était l’obstacle majeur auquel elle avait été confrontée, reconnaissant qu’une fois que le programme de financement avait pris fin et que les versements de fonds aux marabouts avaient dès lors cessé, la plupart des daaras étaient retournés à leur situation antérieure à l’aide, à savoir la mendicité et le manque d’hygiène. Compte tenu des dizaines de milliers de talibés mendiant dans les villes du Sénégal, les agences humanitaires ne peuvent tout simplement pas financer la disparition définitive de l’exploitation. En fait, vu l’augmentation continue du nombre de talibés forcés de mendier dans les rues, cette aide s’est révélée être en grande partie inefficace, et elle rend moins évident le besoin pourtant incontestable d’une réponse gouvernementale à ce problème.

Enfin, bien que de nombreuses organisations humanitaires nationales et internationales aient joué un rôle crucial en faisant pression sur le gouvernement sénégalais pour qu’il adopte la loi de 2005 sur la lutte contre la traite des personnes criminalisant la mendicité forcée, beaucoup n’ont par la suite pas insisté sur la lutte contre l’impunité ni dénoncé l’absence totale d’intervention du gouvernement pour faire appliquer la loi. L’organisation humanitaire Samusocial Sénégal se distingue des autres par son attitude unique et exemplaire ; elle a expliqué à Human Rights Watch que lorsque des membres de son personnel trouvaient un enfant qui avait subi des violences physiques, sa réaction habituelle était d’en informer les autorités.[311] Par contre, les directeurs de plus de 10 organisations humanitaires travaillant sur le problème des talibés ont affirmé à Human Rights Watch que faire pression pour réclamer des comptes était à présent inutile, contre-productif, ou constituait même une perte de temps parce que l’État faisait depuis longtemps la sourde oreille.[312] Le directeur d’une organisation nationale est allé jusqu’à dire que des sanctions seraient injustes : « Vous ne pouvez pas sanctionner quelqu’un qui ne comprend pas ou ne sait pas pourquoi il est sanctionné—c’est cela que vous feriez en traitant en criminels ou en emprisonnant la plupart des marabouts. »[313]

Les organisations humanitaires nationales et internationales présentes au Sénégal et en Guinée-Bissau ont donc adopté une approche dite d’ « engagement constructif » et de prévention par rapport à la maltraitance et à la négligence dont sont responsables les marabouts. Ce faisant, elles se sont en grande partie abstenues de dénoncer des cas de maltraitance et de négligence auprès des autorités compétentes, et ont encore moins réclamé la traduction en justice des marabouts coupables d’abus.

Pour sa part, l’UNICEF, tant au Sénégal qu’en Guinée-Bissau, a contribué à s’attaquer aux mauvais traitements infligés aux talibés au cours des dix dernières années. Il a commandé et réalisé plusieurs études sur l’ampleur du phénomène de mendicité des enfants au Sénégal et sur les raisons sous-jacentes aux migrations et au confiaged’enfants. Il a, comme expliqué plus haut, aussi beaucoup œuvré à la protection des enfants vulnérables, dont les talibés, dans le cadre d’efforts de prévention. Cependant, bien que les opérations de terrain de l’UNICEF au Sénégal et en Guinée-Bissau aient fait pression sur les gouvernements respectifs pour qu’ils adoptent une loi contre la traite des personnes et la mendicité forcée, elles ont hésité à poursuivre sur leur lancée en réclamant de façon soutenue l’application de ces lois, en particulier l’engagement de poursuites judiciaires et des condamnations dans le cas de la mendicité forcée—hésitation due à la peur de nuire aux relations de travail établies avec les responsables gouvernementaux autour de cette question sensible.[314] Human Rights Watch estime qu’en sa qualité d’organe supérieur de protection des enfants, l’UNICEF doit conjuguer son remarquable travail de prévention avec des appels soutenus à la lutte contre l’impunité, car l’exploitation et la maltraitance des talibés ne prendront fin que grâce à ces deux types d’action.

Au final, en dépit des efforts de nombreuses organisations humanitaires et d’associations locales, le phénomène de la mendicité des talibés ne cesse de s’étendre. Comme l’a expliqué à Human Rights Watch le directeur d’une grande organisation humanitaire qui réalisait antérieurement des programmes d’assistance directe aux daaras, mais a aujourd’hui réorienté sa stratégie vers la réinstallation des daaras dans les villages :

Tout le monde profite de ce statu quo. Les ONG internationales ont manipulé la situation et reçoivent leur financement. Les partenaires nationaux en profitent, puisqu’ils sont financés pour la mise en œuvre de programmes. Les marabouts en profitent. Chaque ONG fait quelque chose, mais on ne voit pas clairement dans quelle mesure elles aident puisque le nombre de talibés qui mendient continue d’augmenter. Tout le monde en profite, tout le monde sauf les talibés.[315]

Règles de droit national et international applicables à la protection des talibés

Les mauvais traitements perpétrés à l’encontre des talibés constituent des violations du droit national et international. Selon le droit international relatif aux droits humains, les divers abus dont sont victimes ces enfants peuvent être qualifiés de pratiques analogues à l’esclavage, de pires formes de travail des enfants, et, dans des centaines, voire des milliers de cas chaque année, de traite des enfants. Par ailleurs, les exactions que subissent les talibés violent les droits garantis dans la Convention relative aux droits de l’enfant, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, ainsi que la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam. Le Sénégal a adopté plusieurs lois en vue d’harmoniser sa législation nationale avec les normes internationales en matière de droits humains, mais l’application de ces lois se heurte à un manque total de volonté.

La servitude ou l’esclavage des enfants

La Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage (Convention supplémentaire) définit en ces termes les pratiques analogues à l’esclavage :

Toute institution ou pratique en vertu de laquelle un enfant ... est remis, soit par ses parents ou par l’un d’eux, soit par son tuteur, à un tiers ... en vue de l’exploitation ... ou du travail dudit enfant.[316]

Des enfants sont régulièrement remis par leurs parents ou leurs tuteurs à un marabout. La question centrale est de savoir si la pratique est exercée « en vue de l’exploitation » de ces enfants. L’emploi de l’expression « en vue de » dans la définition indique qu’il suffit que l’exploitation constitue l’une des raisons pour lesquelles l’enfant est remis au marabout. Comme le montre clairement le présent rapport à travers ses descriptions de cas d’abus et des avantages qu’en retirent les marabouts, dans la majorité des daaras urbains fonctionnant en internats, l’exploitation est certainement l’une des motivations du marabout lorsqu’il accueille l’enfant. Le seuil requis par la définition précitée est donc atteint.[317]

Afin de combattre ces pratiques analogues à l’esclavage, la Convention supplémentaire dispose que chacun de ses États parties « prendra toutes les mesures, législatives et autres, qui seront réalisables et nécessaires pour obtenir progressivement et aussitôt que possible l’abolition complète ou l’abandon de [ces] institutions et pratiques ».[318] Le Sénégal s’est mis en défaut de prendre de telles mesures pour protéger les talibés.

L’esclavage, la servitude et le travail forcé sont également prohibés par l’article 8 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.[319] L’article 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples interdit « toutes formes d’exploitation et d’avilissement », dont l’esclavage.[320]

Les pires formes de travail des enfants

Dans sa définition des pires formes de travail des enfants, l’article 3 de la Convention 182 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) inclut :

« (a) toutes les formes d’esclavage ou pratiques analogues, telles que ... le travail forcé ou obligatoire ;
...
(d) les travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s’exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l’enfant. »[321]

Comme expliqué plus haut, la pratique consistant à forcer les enfants à mendier peut être facilement qualifiée de pratique analogue à l’esclavage. Par ailleurs, le travail—qui exige que les enfants passent de longues heures dans la rue, leur faisant courir le risque d’être renversés par des voitures et de contracter des maladies, et qui les encourage souvent à voler lorsqu’ils n’arrivent pas à remplir leur quota—peut être qualifié de pire forme de travail des enfants au regard de l’alinéa (d).

Le Sénégal, État partie à la Convention 182 de l’OIT, a effectivement défini la pratique de la mendicité forcée, incluant une mention spéciale relative à la mendicité forcée des talibés, comme étant l’une des pires formes de travail des enfants.[322] Cependant, la Commission d’experts de l’OIT pour l’application des conventions et recommandations (CEACR), qui supervise l’observation des conventions de l’OIT par les États parties, dont la Convention sur les pires formes, a relevé en 2009 que le Sénégal s’était mis en défaut d’appliquer sa propre législation :

Bien que la législation soit conforme à la convention [sur les pires formes] ... le phénomène des enfants talibés reste une préoccupation dans la pratique. La commission se dit inquiète par l’utilisation de ces enfants à des fins purement économiques. Elle prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour appliquer la législation nationale sur la mendicité et punir les marabouts qui utilisent les enfants à des fins purement économiques.[323]

Bien que la recommandation de la commission à propos du fait de réclamer des comptes soit importante, la formulation qu’elle utilise risque de ne pas affecter bon nombre de situations qui violent la Convention sur les pires formes. Rares sont les marabouts qui peuvent être taxés d’utiliser les talibés à des fins « purement » économiques—si l’on donne à purement le sens d’ « uniquement »—car l’aspect éducatif est généralement présent, ne fût-ce que dans une proportion infime. Il faut au minimum réclamer des comptes aux marabouts qui utilisent « principalement » les talibés à des fins économiques ou qui, en leur qualité de tuteurs de facto acceptant de prendre en charge ces enfants, omettent de veiller à ce que leurs droits les plus élémentaires soient respectés.

À la différence du Sénégal, la Guinée-Bissau n’a pas défini la mendicité forcée des enfants comme étant l’une des pires formes de travail des enfants.

La traite des enfants

L’article 3 du Protocole des Nations Unies sur la traite des personnes précise que :

(c) Le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil d’un enfant aux fins d’exploitation sont considérés comme une « traite des personnes »....[324]

Aux termes du droit international, lorsqu’un enfant est concerné, il ne faut pas qu’il y ait recours à la menace, à la contrainte, à la tromperie et à d’autres moyens pour que les actes posés soient considérés comme une traite des personnes. Chaque talibé interrogé par Human Rights Watch a été transporté ou accueilli par le marabout. Par conséquent, pour répondre à la définition de traite des personnes au regard du protocole, le marabout doit recevoir l’enfant « aux fins d’exploitation ». Dans son article 3(a), le Protocole sur la traite des personnes définit l’exploitation comme comprenant, au minimum, « des pratiques analogues à l’esclavage »[325]—critère auquel la situation des talibés répond de toute évidence.

Cependant, comparé à la Convention supplémentaire, qui requiert uniquement que les actes soient posés « en vue d’une exploitation », le critère mentionné par le Protocole sur la traite des personnes selon lequel le transfert de l’enfant doit se faire « aux fins d’exploitation » semble monter l’exigence d’un cran.[326] Même cette condition est presque certainement satisfaite dans des dizaines de cas analysés par Human Rights Watch où des marabouts ont menti à la famille afin de garder un enfant au daara, ont brutalisés des talibés qui tentaient de fuguer ou demandaient à rentrer chez eux, et ont trompé des parents à propos des conditions régnant au daara. Un argument probant qui pourrait être invoqué est que dans les daaras où les marabouts imposent les plus hauts quotas et le plus grand nombre d’heures de mendicité—négligeant presque complètement l’éducation coranique—le principal dessein est l’exploitation.

Les critères à remplir pour répondre à la définition de la traite des enfants sont dès lors pleinement satisfaits dans bon nombre de cas, et en grande partie satisfaits dans d’autres, poussant Human Rights Watch à conclure qu’il existe des centaines, voire des milliers de cas de talibés soumis à la traite des enfants par des marabouts. La situation dans certains daaras, où la mendicité est associée à des cours dispensés sérieusement, est plus ambiguë aux termes du Protocole sur la traite des personnes.

La Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam

La Déclaration du Caire, que le Sénégal appuie, énonce dans les grandes lignes les droits humains et les responsabilités qui s’y rattachent, jugés conformes au Coran et à la charia. Il semblerait que ses dispositions relatives à l’éducation et à l’exploitation interprètent les mauvais traitements infligés aux talibés comme contraires aux principes de l’islam :

  • L’article 7(a) établit que « tout enfant a, au regard de ses parents, de la société et de l’État, le droit d’être ... éduqué et protégé sur les plans matériels, moral et sanitaire ».[327] Pour de nombreux talibés, le manque de nourriture et de soins de santé, même lorsqu’ils sont gravement malades, constitue un déni de ce droit.
  • L’article 7(b) accorde aux parents le droit de choisir le type d’éducation qu’ils veulent donner à leurs enfants, pour autant qu’ils tiennent compte de l’intérêt supérieur de l’enfant,[328] mais l’article 9(b) dispose que « tout homme a droit à une éducation ... au plan religieux et de la connaissance de la matière ».[329] Aujourd’hui, un certain nombre d’enfants sénégalais ne reçoivent ni éducation religieuse, ni éducation sur le plan de la connaissance de la matière, mais ne font que passer de longues heures dans les rues à mendier.
  • L’article 11 interdit expressément l’oppression et l’exploitation d’autrui.[330]

Les traités internationaux relatifs aux droits de l’enfant

La Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (Charte africaine sur les enfants) énoncent les responsabilités principales qui incombent aux gouvernements sénégalais et bissau-guinéen aux termes du droit international sur le plan de la protection et du respect des droits de l’enfant.

Le gouvernement sénégalais viole clairement ses obligations au regard de la CDE, du moins en ce qui concerne les droits de certains talibés, dont le droit à la vie,[331] à la santé,[332] au développement physique et mental,[333] à l’éducation,[334] au repos et aux loisirs,[335] à une protection contre l’exploitation économique,[336] et à une protection contre les violences sexuelles.[337]

L’article 19 de la CDE exige également que l’État protège l’enfant contre « toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié » (soulignage ajouté par Human Rights Watch).[338] L’observation générale n° 8 du Comité des droits de l’enfant, l’organe responsable d’interpréter la convention, a précisé que les obligations énoncées à l’article 19 s’appliquent au châtiment corporel dans tous les cadres, y compris les établissements scolaires.[339] Comme expliqué dans le présent rapport, les sévices corporels que de nombreux marabouts infligent aux talibés sont graves et constituent incontestablement une violation aux termes de l’article 19. L’État est tenu de protéger ces talibés, notamment en améliorant la législation, en réglementant les daaras et en réclamant des comptes aux responsables de ces actes.[340]

Outre l’inclusion de dispositions analogues à celles apparaissant dans la CDE, la Charte africaine sur les enfants comprend plusieurs dispositions supplémentaires importantes :

  • L’article 29 exige que les États prennent « les mesures appropriées pour empêcher » le trafic d’enfants et « l’utilisation des enfants dans la mendicité ».[341]
  • L’article 21 appelle les États à prendre « toutes les mesures appropriées pour abolir les coutumes et les pratiques négatives, culturelles et sociales » qui sont au détriment du bien-être et du développement de l’enfant, en particulier celles qui sont « préjudiciables à la santé, voire à la vie de l’enfant ».[342] La pratique de l’enseignement coranique—ou même le fait de prendre un enfant en pension dans un daara—n’est pas préjudiciable en soi ; la pratique moderne souvent marquée par l’exploitation est assurément très éloignée de la pratique culturelle traditionnelle. Toutefois, au regard de cet article, il apparaît clairement que les gouvernements sénégalais et bissau-guinéen ne peuvent se retrancher derrière la nature « culturelle » de la pratique lorsqu’ils omettent de prendre des mesures.
  • L’article 20 définit les devoirs qu’ont les parents à l’égard de leurs enfants, et notamment : « (a) veiller à ne jamais perdre de vue l’intérêt supérieur de l’enfant ; [et] (b) assurer, compte tenu de leurs aptitudes et de leurs capacités financières, les conditions de vie indispensables à l’épanouissement de l’enfant ».[343]

La CDE, la Charte africaine sur les enfants, ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels contiennent tous des dispositions exigeant des États parties qu’ils garantissent que l’éducation conduise au plein épanouissement de l’enfant.[344]

Enfin, l’article 29 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples précise que : « L’individu a en outre le devoir ... de préserver le développement harmonieux de la famille et d’œuvrer en faveur de la cohésion et du respect de cette famille. »[345] Lorsque des marabouts interdisent à des talibés d’avoir des contacts avec leurs familles, ou lorsque des marabouts mentent aux familles à propos du bien-être de leurs enfants, ils violent ledit devoir.

La législation nationale applicable aux talibés

Plusieurs lois sénégalaises sont également applicables à la protection des talibés, entre autres celles régissant la mendicité forcée, la traite des personnes, les violences et la négligence.

La loi sur la traite des personnes

En 2005, le gouvernement sénégalais a voté la Loi n° 2005-06, qui interdit la pratique de la mendicité forcée. L’article 3 de ladite loi dispose que :

Quiconque organise la mendicité d’autrui en vue d’en tirer profit, embauche, entraîne ou détourne une personne en vue de la livrer à la mendicité ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle mendie ... est puni d’un emprisonnement de 2 à 5 ans et d’une amende de 500 000 francs à 2 000 000 francs (1 160 à 4 350 $). Il ne sera pas sursis à l’exécution de la peine lorsque le délit est commis à l’égard d’un mineur....[346]

Les marabouts de presque tous les talibés interrogés par Human Rights Watch forcent les enfants à mendier en vue d’en tirer un profit financier. Au moment où ont été écrites ces lignes, le gouvernement sénégalais n’avait puni aucun marabout pour avoir violé les dispositions de cette loi, alors que ces violations surviennent chaque jour dans les villes sur tout le territoire sénégalais.

Outre la criminalisation de la mendicité forcée, la loi de 2005 a officiellement harmonisé la législation nationale sénégalaise avec le Protocole sur la traite des personnes et elle a rendu la traite des personnes punissable d’un emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende de 5 à 20 millions de francs (11 630 à 46 520 $).[347]

Les dispositions du Code pénal sénégalais

L’article 298 du code pénal sénégalais criminalise les violences physiques et la négligence volontaire des enfants, stipulant :

Quiconque aura volontairement fait des blessures ou porté des coups à un enfant au-dessous de l’âge de quinze ans accomplis, ou qui l’aura volontairement privé d’aliments ou de soins au point de compromettre sa santé ou qui aura commis à son encontre toute autre violence ou voie de fait, à l’exclusion des violences légères, sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 25.000 à 200.000 francs (54 à 435 $).[348]

Le code pénal prescrit une peine plus lourde—jusqu’à 10 ans d’emprisonnement—si les coupables sont les père et mère ou toutes autres personnes ayant autorité sur l’enfant ou ayant sa garde.[349] Les marabouts, en tant que tuteurs de facto, devraient rentrer dans cette catégorie de coupables condamnés plus lourdement. Bien que le code pénal exclue les « violences légères », la vaste majorité des marabouts décrits dans le présent rapport perpètrent des violences physiques qui ne peuvent être considérées comme légères. Les sévices infligés provoquent un préjudice corporel grave, ainsi qu’un sentiment de terreur chez les enfants, dont la vaste majorité sont âgés de moins de 15 ans et sont par conséquent couverts par ledit code. La négligence, à savoir la privation volontaire de nourriture et de soins, est également fréquente dans de nombreux daaras urbains fonctionnant en internats, comme expliqué dans le présent rapport.

Remerciements

Les recherches et la rédaction du présent rapport ont été assurées par Matthew Wells, titulaire d’une bourse de recherche auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. Ce rapport a été relu et révisé par Corinne Dufka, chercheuse senior pour l’Afrique de l’Ouest ; Lois Whitman, directrice de la division Droits des enfants ; Clive Baldwin, conseiller juridique senior ; et Andrew Mawson, directeur adjoint au Bureau du programme. Thomas Gilchrist, assistant senior à la division Afrique, a apporté son concours à la rédaction et réalisation du rapport. La traduction française a été assurée par Françoise Denayer et Olivier Ervyn, et la traduction portugaise par Diana Tarre. La traduction française a été relue et révisée par Thomas Gilchrist et Peter Huvos, rédacteur de la section française du site Internet de Human Rights Watch. La version portugaise a été relue et révisée par Lisa Rimli, chercheuse à la division Afrique. John Emerson a conçu la carte. Grace Choi, directrice des publications ; Anna Lopriore, responsable de la création ; et Fitzroy Hepkins, responsable de la gestion du courrier, ont préparé le rapport en vue de sa publication.

Human Rights Watch tient à remercier toutes les organisations et personnes qui ont contribué à ce travail de recherche, notamment : Isabelle de Guillebon et ses collègues de Samusocial Sénégal ; Issa Kouyate, directeur de la Maison de la Gare ; Malam Baio, président de SOS Crianças Talibés ; Madame Joanita, de l’Associação dos Amigos da Criança ; Mame Couna Thioye, coordinatrice du programme sur les enfants à Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme(RADDHO) ; Mamadou Ndiaye, spécialiste sénégalais des écoles coraniques qui a apporté son éclairage sur l’histoire des pratiques décrites dans ce rapport ; et Ibrahim Diallo, qui a servi de traducteur dans toute la Guinée-Bissau. Beaucoup d’autres ont demandé à rester dans l’anonymat en raison du caractère délicat de la question des talibés au Sénégal, mais leurs contributions sont appréciées à leur juste valeur.

Human Rights Watch remercie tout particulièrement les familles, les maîtres coraniques et, surtout, les talibés eux-mêmes qui ont accepté de partager leurs histoires.

[1] Chez les Peuls, on distingue trois sous-groupes distincts : les Toucouleurs, ou le Fula Toro, qui vivent surtout au nord et à l’est du Sénégal ; les Fulakundas, surtout présents dans l’est de la Casamance ; et le Fula Jalon, surtout présents dans l’ouest de la Casamance.

[2] Constitution du Sénégal, art. 1.

[3] Voir Ministère de l’Économie et des Finances, Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), Résultats du troisième Recensement général de la population (2002) (environ 20 pour cent de la population maîtrise l’arabe, contre 37 pour cent pour le français).

[4] Constitution du Sénégal, art. 1 (« La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale »).

[5] Le soufisme n’est pas une secte de l’islam, puisque ses adhérents sont souvent encore sunnites ou shiites, mais représente plutôt une conception particulière de l’islam. Pour en savoir davantage, voir BBC, Sufism, http://www.bbc.co.uk/religion/religions/islam/subdivisions/sufism_1.shtml (consulté le 3 février 2010).

[6] Les disciples sont appelés tidjanes ou tidianes.

[7] Les disciples sont appelés mourides.

[8] Voir Codou Bop, « Roles and the Position of Women in Sufi Brotherhoods in Senegal », Journal of the American Academy of Religion, vol. 73(4), décembre 2005, pp. 1103-1104 ; Cheikh Anta Babou, « Brotherhood solidarity, education and migration: The role of the dahiras among the Murid Muslim community of New York », African Affairs, vol. 101, 2002, p. 153 ; et Andrew F. Clark, « Imperialism, Independence, and Islam in Senegal and Mali », Africa Today, vol. 46, 1999, p. 160.

[9] Voir Bop, « Roles and the Position of Women in Sufi Brotherhoods in Senegal », Journal of the American Academy of Religion, p. 1104 ; et Christian Coulon, « The Grand Magal in Touba: A Religious Festival of the Mouride Brotherhood of Senegal », African Affairs, vol. 98, 1999, p. 202 (affirmant que le serment d’allégeance d’un disciple à son marabout, ou cheikh, est « comparable à la notion féodale d’hommage »).

[10] Par exemple, les autorités françaises ont exilé le fondateur de la confrérie mouride, Sheikh Amadou Bamba Mbakké, au Gabon (1895-1902) et en Mauritanie (1903-1907) et ont entretenu une relation très conflictuelle avec le fondateur de la confrérie Layenne, Seydina Laye, malgré ses enseignements orientés vers la non-violence. Voir David Robinson, « Beyond Resistance and Collaboration: Amadu Bamba and the Murids of Senegal », Journal of Religion in Africa, vol. 21(2), 1991, p. 160 ; et Eva Evers Rosander et David Westerlund, « Senegal », dans David Westerlund et Ingvar Svanberg, eds., Islam Outside the Arab World (New York: St. Martins Press, 1999), p. 83.

[11] Voir Bop, « Roles and the Position of Women in Sufi Brotherhoods in Senegal », Journal of the American Academy of Religion, p. 1105 ; Robinson, « Beyond Resistance and Collaboration: Amadu Bamba and the Murids of Senegal », Journal of Religion in Africa, p. 161-62 ; et Lucy Creevey Behrman, « Muslim Politics and Development in Senegal », Journal of Modern African Studies, vol. 15(2), 1977, p. 262.

[12] Voir Bop, « Roles and the Position of Women in Sufi Brotherhoods in Senegal », Journal of the American Academy of Religion, p. 1105 ; et Lucy Creevey, « Islam, Women and the Role of the State in Senegal », Journal of Religion in Africa, vol. 26(3), août 1996, pp. 268-69 (« Les autorités français ont utilisé les marabouts… pour obtenir du soutien pour leurs programmes et obéissance à leurs édits. Les marabouts eux recevaient l’aide des autorités gouvernementales et comptaient même sur le soutien des les autorités françaises pour éliminer certains rivaux au sein de leur confrérie. »).

[13] Parmi ceux-ci figuraient des terres, le contrôle du marché informel sénégalais, des prêts qui souvent ne devaient pas être remboursés et la création de ce qui était de facto une zone franche à Touba, la capitale spirituelle des mourides. Linda J. Beck, « Reining in the Marabouts? Democratization and Local Governance in Senegal », African Affairs, 2001, p. 612 ; Coulon, « The Grand Magal in Touba », African Affairs, pp. 203-04 ; et Bop, « Roles and the Position of Women in Sufi Brotherhoods in Senegal », Journal of the American Academy of Religion, p. 1105.

[14] Beck, « Reining in the Marabouts? », African Affairs, p. 612 (il remarque que 96 pour cent des électeurs de Touba ont voté pour Diouf lors de cette élection).

[15] Voir Ibid., p. 613 ; Frank Wittmann, « Politics, religion and the media: The transformation of the public sphere in Senegal », Media, Culture & Society, vol. 30, 2008, pp. 484-85. A certains moments, ceux qui ont observé la relation entre le Président Abdoulaye Wade et la confrérie des Mourides ont pu penser que l’ancien jeu de séduction entre politiques et religieux redevenait d’actualité. Sans émettre formellement de ndiguel, le calife des mourides, à la télévision, a affirmé son soutien à Wade, juste avant les élections présidentielles de 2007. Il a notamment déclaré que la réélection de Wade permettrait de finaliser le développement de l’infrastructure à Touba. Penda Mbow, « Senegal: The Return of Personalism », Journal of Democracy, vol. 19(1), janvier 2008, p. 161.

[16] Voir Beck, « Reining in the Marabouts? », African Affairs, p. 612, note 28 ; et Bop, « Roles and the Position of Women in Sufi Brotherhoods in Senegal », Journal of the American Academy of Religion, p. 1105 (il remarque également que « en échange, les leaders des confréries reçoivent des terres, de l’équipement technique et des prêts bancaires qui ne doivent pas forcément être remboursés »).

[17] Entretiens de Human Rights Watch avec un marabout, Guédiawaye, 21 novembre 2009 ; avec un marabout, Saint-Louis, 2 décembre 2009 ; avec un marabout et un imam, Saint-Louis, 2 décembre 2009 ; avec un marabout, Kolda, 6 janvier 2010 ; avec un marabout, village de Simtian Samba Koulobale, région de Kolda, 7 janvier 2010 ; et avec un marabout, Mbour, 18 décembre 2009.

[18] Voir Mbow, « Senegal: The Return of Personalism », Journal of Democracy, p. 160 ; et Wittmann, « Politics, religion and the media », Media, Culture & Society, pp. 484-85.

[19] Entretiens de Human Rights Watch avec Aida Mbodj, ancienne ministre de la Famille et actuelle vice-présidente de l’Assemblée nationale, Dakar, 11 février 2010 ; avec un représentant du gouvernement, Mbour, 18 décembre 2009 ; avec le directeur d’une organisation locale travaillant sur la question des talibés, Guédiawaye, 18 novembre 2009 ; et avec le directeur des programmes talibés d’une organisation locale, Dakar, 6 novembre 2009.

[20] Mamadou Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, 1982, p. 47 ; Rudolph T. Ware III, « Njàngaan: The Daily Regime of Qur’ânic Students in Twentieth-Century Senegal », International Journal of African Historical Studies, vol. 37, n° 3, 2004, p. 524 ; et Donna L. Perry, « Muslim Child Disciples, Global Civil Society, and Children’s Rights in Senegal: The Discourses of Strategic Structuralism », Anthropological Quarterly, vol. 77, n° 1, 2004, pp. 56-58.

[21] Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, p. 42 ; mais voir aussi Ware, « Njàngaan: The Daily Regime of Qur’ânic Students in Twentieth-Century Senegal », International Journal of African Historical Studies, p. 524 (au sujet de l’exploitation du travail des talibés dans certains daaras traditionnels).

[22] Entretien de Human Rights Watch avec Mamadou Ndiaye, directeur du Département Éducation à l’Institut Islamique de Dakar et professeur au Département Arabe de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD), Dakar, 21 janvier 2010.

[23] Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, pp. 49-50.

[24] Entretien de Human Rights Watch avec Mamadou Ndiaye, 21 janvier 2010. Voir aussi Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, p. 51.

[25] Entretien de Human Rights Watch avec Mamadou Ndiaye, 21 janvier 2010. Une analyse de l’histoire des écoles coraniques au Sénégal montre que l’exploitation économique par la mendicité forcée est un phénomène relativement récent, mais Human Rights Watch ne peut se prononcer sur l’existence, à l’époque pré-coloniale et coloniale, d’autres abus commis aujourd’hui dans de nombreux daaras urbains fonctionnant en internats, notamment les sévices physiques et les la négligence grave en matière des besoins des talibés. Pour lire un descrption des abus dans les daaras traditionnels avant l’indépendance, voir Ware, « Njàngaan: The Daily Regime of Qur’ânic Students in Twentieth-Century Senegal », International Journal of African Historical Studies ; et Perry, « Muslim Child Disciples, Global Civil Society, and Children’s Rights in Senegal », Anthropological Quarterly, pp. 56-58.

[26] Dakar a remplacé Saint-Louis en tant que capitale de l’Afrique occidentale française en 1902.

[27] En 1857, en introduisant la première loi réglementant les daaras à Saint-Louis, le gouverneur colonial a déclaré : [Considérant que le gouvernement français, qui s’intéresse également à toutes les classes de la population sénégalaise] « ne peut rester indifférent devant la question de l’éducation des enfants des familles musulmanes, et que si, jusqu’à ce jour, aucune garantie de savoir et de moralité n’a été exigée des marabout maîtres d’école, si chacun était libre d’exercer cette profession et de l’exercer à sa guise, il est temps de faire cesser cet abus, dans l’intérêt des familles comme dans celui des enfants ». Arrêté n° 96 : Arrêté sur les écoles coraniques, Bulletin administratif du Sénégal 1857, 22 juin 1857, p. 446.

[28] Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, pp. 135-36 (citant, par exemple, une lettre du gouverneur général d’Afrique de l’Ouest, qui a écrit : « Nous ne pouvons pas subventionner les écoles coraniques et nous devons même éviter de paraître encourager le développement d’une religion dont les adhérents, en AOF [Afrique occidentale française] du moins, ne seraient pas toujours très favorables à notre influence et aux idées nouvelles dont nous sommes ici les représentants »).

[29] Ibid., p. 128.

[30] Ibid., p. 142 (« En imposant le certificat de bonne vie et mœurs … l’autorité coloniale, visait à éliminer les marabouts qui seraient hostiles à sa politique et qui pourraient constituer un frein à l’expansion de ses idées et de sa langue »). Pour connaître les critères de l’arrêté de 1857, voir Arrêté n° 96, Bulletin administratif du Sénégal 1857, pp. 445-47.

[31] Arrêté n° 96, Bulletin administratif du Sénégal 1857, art. 5, p. 446. En 1870, les autorités françaises imposent que, dans les deux années, toutes les écoles coraniques enseignent le français à leurs élèves, exigeant de ce fait du marabout qu’il apprenne lui aussi le français. Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, p. 147.

[32] Arrêté n° 123 : Arrêté portant réorganisation des écoles musulmanes, Bulletin administratif du Sénégal 1896, 9 mai 1896, pp. 227-228.

[33] Ibid., art. 11, p. 228.

[34] Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, p. 123.

[35] Ibid., pp. 157-58.

[36] Voir Arrêté n° 254 : Arrêté accordant une subvention aux professeurs d’arabe établis dans les Territoires d’administration directe et régulièrement autorises, qui emploieront au moins deux heures par jour à enseigner le français, Bulletin administratif du Sénégal 1906, 12 juin 1906, pp. 607-08.

[37] Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, p. 168, et voir aussi p. 170 (citant un rapport de l’inspecteur de l’Éducation publique et de l’Éducation musulmane, affirmant que les diplômés de la Médersa pourraient être utilisés en tant que dirigeants d’écoles coraniques sous l’autorité de l’administration coloniale, ce qui devait « leur permettre de supplanter les marabouts formés en dehors de nous »). Pour l’ordre établissant la Médersa, voir Arrêté n° 68 : Arrêté créant a Saint-Louis une Médersa ou Ecole d’enseignement supérieur musulman, Bulletin administratif du Sénégal 1908, 15 janvier 1908, pp. 98-99.

[38] Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, p. 169 (citant l’inspecteur français de l’Éducation musulmane de l’époque, qui a écrit : « En créant la Médersa nous sommes préoccupés de former le personnel indigène dont nous pouvons avoir besoin, les magistrats et les greffiers, sans compter les maîtres d’écoles coraniques et les professeurs appelés à enseigner les éléments de notre langue et interpréter dans un sens large les textes jusqu’ici commentés d’une manière hostile à nos idées et à notre influence. »).

[39] Ibid., p. 181. Pendant les deux premières années de scolarisation, l’élève suivait 10 heures de cours de français et neuf heures d’arabe par semaine. Les deux années suivantes, le nombre d’heures était respectivement de 10 et six heures. Dans son enseignement de l’arabe, l’école remplaçait graduellement les textes religieux par des textes littéraires, le but poursuivi étant « la laïcisation de l’enseigment [sic] musulman ». Ibid., p. 172.

[40] Ibid., p. 198.

[41] Ibid., p. 202 (citant Arrêté n° 2541, Code administratif de l’Afrique occidentale française, 22 août 1945).

[42] Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, pp. 11, 237-38 ; entretien de Human Rights Watch avec le directeur d’une organisation humanitaire locale et d’un refuge pour enfants vulnérables, 6 novembre 2009 ; entretien de Human Rights Watch avec Ousmane Diop, étudiant dans une école coranique dans une des régions les plus affectées par la sécheresse à l’époque de l’exode de masse, région de Fouta Toro, 2 décembre 2009 ; et Anti-Slavery International, Begging for Change: Research findings and recommendations on forced child begging in Albania/Greece, India and Senegal, 2009, p. 16.

[43] Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, pp. 237-38, 270.

[44] UNICEF, OIT et Banque mondiale, Enfants mendiants dans la région de Dakar, novembre 2007, p. 37.

[45] Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, p. 270.

[46] Ibid., p. 270. En 1997, le calife des Mourides, Serigne Saliou Mbacké, a fermé toutes les écoles françaises de la ville de Touba, pour protester contre le manque d’éducation religieuse. Ce n’est qu’en 2009, cinq ans après que le gouvernement sénégalais ait amendé la législation pour autoriser les cours de religion dans les écoles publiques que le nouveau calife, Serigne Bara Mbacké, a déclaré accepter la réouverture des écoles publiques dans la ville. Entretien de Human Rights Watch avec Hameth Sall, inspecteur des daaras au Ministère de l’Éducation et chef de département à l’Institut Islamique de Dakar, 8 février 2010 ; « Touba : Retour annoncé d’écoles publiques en langue française », Agence de Presse Sénégalaise, 6 avril 2009, http://www.seneweb.com/news/article/22139.php (consulté le 8 février 2010).

[47] Entretien de Human Rights Watch avec Mamadou Ndiaye, 21 janvier 2010.

[48] Ibid. Le directeur d’un refuge accueillant des talibés fugueurs a fait un récit similaire, affirmant que « avec la crise des années 1970 et 1980, et la sécheresse, il y a eu une forte immigration dans les villes. C’est à ce moment-là que c’est devenu une sorte de commerce, un moyen de gagner de l’argent, pour beaucoup. La pratique tout entière est devenue lucrative. » Entretien de Human Rights Watch avec le directeur d’une organisation humanitaire locale et d’un refuge pour enfants vulnérables, Dakar, 6 novembre 2009.

[49] Entretien de Human Rights Watch avec Mamadou Ndiaye, 21 janvier 2010. Le directeur d’une organisation de défense des droits humains au Sénégal a exprimé des observations similaires. Entretien de Human Rights Watch avec Alioune Tine, président de RADDHO, Dakar, 5 novembre 2009.

[50] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 12 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009.

[51] Entretien de Human Rights Watch avec un représentant du gouvernement, Mbour, 19 décembre 2009.

[52] Entretien de Human Rights Watch avec un représentant du gouvernement, Kolda, 8 janvier 2010.

[53] Entretien de Human Rights Watch avec Issa Kouyate, président de la Maison de la Gare, une organisation humanitaire nationale qui travaille avec les talibés, Saint-Louis, 3 décembre 2009. La Maison de la Gare réalise actuellement un recensement à Saint-Louis pour déterminer combien de talibés sont forcés de mendier et combien ne le sont pas. Sur base du travail important réalisé à ce jour, le président de l’organisation estime que les talibés forcés de mendier sont bien plus nombreux que les autres. Ibid.

[54] Entretien de Human Rights Watch avec Isabelle de Guillebon, Dakar, 10 novembre 2009.

[55] Human Rights Watch a interrogé 139 talibés. L’âge moyen et médian était de 10 ans, la fourchette allant de cinq à 19 ans. Les ex-talibés ayant fui leur daara n’ont pas été inclus dans ces statistiques, beaucoup ayant passé des mois ou des années dans des refuges ou étant rentrés dans leur ville ou pays d’origine. En fait, l’âge moyen et médian des 29 ex-talibés interrogés était de 12 ans, la fourchette allant de sept à 18 ans. Voir également UNICEF, OIT et Banque mondiale, Enfants mendiants dans la région de Dakar, p. 36 (où l’on constate qu’environ la moitié des talibés mendiants présents dans la région de Dakar ont moins de 10 ans).

[56] Ces chiffres viennent de 73 entretiens approfondis réalisés par Human Rights Watch avec des talibés et ex-talibés. Un certain nombre des talibés interrogés ont étudié le Coran dans leur village d’origine, pendant une période allant de plusieurs mois à plusieurs années, avant que la décision ne soit prise de les envoyer étudier ailleurs. Etant donné que ce rapport met l’accent sur les conditions de vie et les sévices dont sont victimes les talibés dans les daaras résidentiels des villes du Sénégal, l’âge cité est celui qu’avait l’enfant lorsqu’il a été confié à un marabout dans un daara en ville. Dans le cadre d’une autre étude, réalisée par un important institut de recherche, des chercheurs ont constaté que des garçons de la région de Kolda—peut-être la région du Sénégal d’où provient le plus grand nombre de talibés—sont envoyés dans d’autres régions du pays, notamment pour étudier le Coran, à l’âge moyen de 7,1 ans. Version préliminaire d’une étude sur la région de Kolda, vue par Human Rights Watch (publication à venir).

[57] Avant l’entretien, les talibés avaient en moyenne vécu 3,4 ans dans leurs daaras, la durée du séjour pouvant cependant aller de seulement un mois à jusqu’à 12 ans.

[58] Une étude de 2007 basée sur un échantillon plus large a montré que, dans la région de Dakar, 58 pour cent des mendiants talibés venaient du Sénégal, 30 pour cent de Guinée-Bissau et 10 pour cent de Guinée. UNICEF, OIT et Banque mondiale, Enfants mendiants dans la région de Dakar, pp. 37-38.

[59] Parmi ceux originaires du Sénégal, les plus nombreux venaient des régions de Kolda, Kaolack et Diourbel. Voir également UNICEF, OIT et Banque mondiale, Enfants mendiants dans la région de Dakar, p. 37 (où l’on constate que 15 pour cent des talibés mendiants de Dakar viennent de la région de Kolda, 11 pour cent de la région de Kaolack, 7 pour cent de la région de Thiès, 7 pour cent de la région de Ziguinchor et 5 pour cent de la région de Diourbel).

[60] Voir également UNICEF, OIT et Banque mondiale, Enfants mendiants dans la région de Dakar, p. 39 (où l’on constate que 69 pour cent des talibés mendiants sont peuls, environ 25 pour cent wolofs et 5 pour cent sérères).

[61] Parmi ceux originaires du Sénégal, les plus nombreux venaient des régions de Saint-Louis (en particulier la région de Fouta Toro), Matam et Kolda.

[62] Parmi ceux originaires du Sénégal, les plus nombreux venaient de Kaolack, Thiès et Louga.

[63] Un travailleur humanitaire employé par un centre d’accueil pour talibés en fuite, à Mbour, a confirmé qu’à sa connaissance la majorité des talibés que l’on trouve en ville viennent des régions de Kaolack et de Thiès au Sénégal, suivies par la Gambie et la Guinée-Bissau. Il a déclaré rencontrer beaucoup plus de talibés wolofs que peuls à Mbour. Entretien de Human Rights Watch avec Ablaye Sall, travailleur social à Vivre Ensemble, Mbour, 14 décembre 2009.

[64] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 13 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009.

[65] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Thiès âgé de huit ans, Mbour, 14 décembre 2009.

[66] Entretien de Human Rights Watch avec le directeur d’une organisation humanitaire locale et d’un centre d’accueil pour enfants vulnérables, Dakar, 6 novembre 2009. Plusieurs autres personnes interrogées ont fait des déclarations similaires. Entretiens de Human Rights Watch avec Mamadou Ndiaye, 21 janvier 2010 (voir contexte, plus haut) ; avec Amadou Tidiane Talla, président de l’ONG Gounass, Kolda, 8 janvier 2010 ; et avec Aliou Seydi, marabout, Kolda, 7 janvier 2010.

[67] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 10 ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009.

[68] Le minimum était de trois heures (juste pour les repas) et le maximum de 10 heureslors d’une journée typique, voire 16 heures le jeudi et le vendredi. Bien qu’il soit difficile de distinguer les deux types de mendicité, puisqu’elles sont souvent simultanées, des talibés ont déclaré passer en moyenne un peu plus de cinq heures par jour à mendier de l’argent et le reste du temps à essayer de trouver de quoi manger. Dans leur étude, l’UNICEF, l’OIT et la Banque mondiale constatent que les enfants talibés consacrent en moyenne six heures par jour à la mendicité. Il est difficile de savoir si cette statistique tient compte du temps passé à mendier de la nourriture ou ne porte que sur la mendicité financière. UNICEF, OIT et Banque mondiale, Enfants mendiants dans la région de Dakar, p. 41.

[69] Certains marabouts prévoient une pause le dimanche, mais cela ne concerne qu’une minorité de daaras.

[70] Certains talibés, lorsqu’ils ont été interrogés pour la première fois, ont déclaré qu’il n’y avait pas de « somme fixe », mais lorsqu’on leur a demandé ce qui se passait s’ils ne ramenaient rien, ils ont répondu qu’alors ils étaient battus. Human Rights Watch a alors demandé à ces talibés ce qui arrivait s’ils ramenaient des montants de plus en plus importants (par exemple entre 300 et 400 CFA), leur réponse étant qu’alors ils n’étaient pas battus. Human Rights Watch considère que, dans ce genre de situation, il y a de fait quota ou « somme fixe ». Ce n’est que lorsqu’un enfant affirmait ne subir aucune forme de punition qu’il a été conclu qu’il n’y avait pas de quota. Sur les 175 talibés interrogés, seuls deux ont affirmé que leur marabout ne les obligeait pas à mendier, et trois talibés obligés de mendier ont affirmé ne pas avoir à respecter de quota.

[71] Le minimum était 0 CFA, le maximum 1 000 CFA en semaine et 1 500 le vendredi.

[72] Organisation des Nations Unies, Indicateurs des Objectifs du Millénaire pour le Développement : Sénégal, http://unstats.un.org/unsd/mdg/Data.aspx (consulté le 4 février 2010) (basé sur une étude gouvernementale de 2005).

[73] Données de l’ONU, Sénégal, http://data.un.org/CountryProfile.aspx?crName=Senegal (consulté le 26 février 2010).

[74] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Mbour âgé de huit ans, Mbour, 14 décembre 2009. D’autres talibés ont raconté que leur marabout revendait le riz qu’ils lui ramenaient. Par exemple, entretiens de Human Rights Watch avec un talibé de 12 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (le marabout vend du riz aux gens du quartier) ; avec un talibé de 13 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (le marabout vend du riz dans sa boutique) ; et avec un talibé de neuf ans, Thiès, 24 janvier 2010 (le marabout met du riz en sacs et le vend).

[75]ONU, Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage, adoptée le 7 septembre 1956, 226 U.N.T.S. 3, entrée en vigueur le 30 avril 1957, accession par le Sénégal le 19 juillet 1979, art. 1(d).

[76] Entretien de Human Rights Watch avec un marabout, Guédiawaye, 19 novembre 2009.

[77] Entretien de Human Rights Watch avec le père d’un ex-talibé, région de Kolda, 7 janvier 2010.

[78] UNICEF, OIT et Banque mondiale, Enfants mendiants dans la région de Dakar, pp. 22, 27-28.

[79] Entretiens de Human Rights Watch avec un représentant du gouvernement, Mbour, 19 décembre 2009 ; avec Isabelle de Guillebon, directrice de Samusocial Sénégal, Dakar, 10 novembre 2009 ; et avec Alioune Tine, président de RADDHO, Dakar, 5 novembre 2009.

[80] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans, Dakar, 10 novembre 2009.

[81] Entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 10 ans, Gabú, Guinée-Bissau, 12 janvier 2010 (ami originaire du même daara tué dans un accident de la circulation) ; et avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans, Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010 (ami originaire du même daara tué dans un accident de la circulation).

[82] Entretien de Human Rights Watch avec Mamadou Salio Sidibe, leader des chefs traditionnels de la région de Bafatá, Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010.

[83] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de neuf ans, Thiès, 24 janvier 2010.

[84] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Rufisque âgé de 13 ans, Rufisque, 26 janvier 2010.

[85] Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée le 20 novembre 1989, G.A. Res. 44/25, annex, 44 U.N. GAOR Supp. (No. 49) at 167, U.N. Doc. A/44/49 (1989), entrée en vigueur le 2 septembre 1990, ratifiée par le Sénégal le 31 juillet 1990, art. 19 (droit à la sécurité physique et mentale) et art. 6 (droit à la vie).

[86] Ibid., art. 19 (les États parties prennent toutes les mesures pour protéger le droit à la sécurité physique et mentale) et art. 18 (obligation faite aux parents et représentants légaux d’être guidés par l’intérêt supérieur de l’enfant).

[87] Entretien de Human Rights Watch avec Ibrahim Cissé, marabout, Mbour, 19 décembre 2009.

[88] Entretien de Human Rights Watch avec Amadou Tidiane Talla, Kolda, 8 janvier 2010. Des spécialistes de l’Islam au Sénégal et en Guinée-Bissau ont expliqué à Human Rights Watch que, lorsque les études sont prises au sérieux, un enfant d’intelligence moyenne maîtrise le Coran en trois à quatre ans. Entretiens de Human Rights Watch avec Helena Assana Said, présidente de la Communauté nationale de la Jeunesse islamique (Comunidade Nacional da Juventude Islâmica, CNJI), Bissau, 14 janvier 2010 ; avec Mohamad Aliou Ba, marabout de village, Geuro Yiro Alpha, région de Kolda, 7 janvier 2010 ; et avec Hameth Sall, inspecteur en charge des daaras au Ministère de l’éducation et chef de département à l’Institut Islamique, Dakar, 8 février 2010. Pourtant, Human Rights Watch a interrogé des dizaines de talibés qui, malgré avoir passé jusqu’à huit années à étudier dans des daaras, démontraient n’avoir même pas maîtrisé la moitié du Coran lorsqu’on testait leurs connaissances. D’autres personnes travaillant en étroite relation avec les talibés ont exprimé un sentiment de frustration similaire face à l’absence d’études concernant même le Coran dans de nombreux daaras urbains. Entretiens de Human Rights Watch avec Issa Kouyate, président de la Maison de la Gare, Saint-Louis, 3 décembre 2009 ; avec Alioune Tine, président de RADDHO, Dakar, 5 novembre 2009 ; avec Mohamed Niass, marabout, Guédiawaye, 21 novembre 2009 ; et avec Aliou Seydi, marabout, Kolda, 7 janvier 2010.

[89] ONU, Comité des droits de l’enfant, Commentaire Général No. 1, Les Objectifs de l’Education, 2, U.N. Doc. CRC/GC/2001/1 (2001).

[90] Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam, U.N. GAOR, World Conf. on Hum. Rts., 4th Sess., U.N. Doc. A/CONF.157/PC/62/Add.18 (1993), 5 août 1990, point 5 de l’ordre du jour, art. 7(b).

[91] Déclaration du Caire, art. 9(b).

[92] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 11 ans, Dakar, 10 décembre 2009.

[93] L’assistant du maître coranique est souvent à la fois encore un talibé, qui apprend le Coran ou la Sharia, et un maître qui enseigne aux élèves les plus jeunes. Dans les entretiens, les talibés enfants l’appellent soit « grand talibé » ou « petit » maître coranique.

[94] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 13 ans, Dakar, 25 novembre 2009.

[95] Des traducteurs locaux et le personnel local d’organisation humanitaires ont suggéré lors de réunions préliminaires que les talibés interrogés en groupe seraient moins enclins à répondre par l’affirmative à des questions sur les punitions corporelles, par crainte d’être dénoncés par un de leurs compagnons et d’être ensuite punis encore plus sévèrement. Effectivement, 88 pour cent des talibés interrogés individuellement ont déclaré être battus s’ils ne ramenaient pas le quota prévu, contre seulement 64 pour cent lorsque les entretiens se faisaient en groupe. De la même manière, 86 pour cent des talibés interrogés dans des centres, qui offraient une sécurité et un respect total du caractère privé des entretiens, ont affirmé avoir été battus, contre seulement 71 pour cent des talibés interrogés dans la rue.

[96] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 12 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009. Un ex-talibé a fait un témoignage similaire. Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans, Dakar, 12 novembre 2009 (« Le marabout tenait le fil électrique en l’air et avant de me battre il disait, ‘Tu vas amener le reste de l’argent ?’ Si je disais oui, alors parfois il ne me battait pas. Si j’hésitais, il me frappait à chaque fois. Quand il ne me battait pas la première fois, il fallait que je trouve le reste de l’argent le lendemain, ou il me battait. »).

[97] Le seul ex-talibé qui ait déclaré que les talibés étaient battus à l’insu du marabout a déclaré à Human Rights Watch que celui-ci vivait à plus de 20 kilomètres du daara, dans une banlieue de Dakar, et ne venait pas au daara chaque jour. Cet ex-talibé estimait que les grands talibés, et non le marabout, fixaient le quota et les battaient s’ils ne le respectaient pas. Cependant, après que lui et d’autres aient dénoncé le comportement des grands talibés, ceux-ci les ont battus brutalement après le départ du marabout et ont continué à exiger le quota. Les jeunes talibés ont décidé de ne plus en parler au marabout. Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 18 ans, Dakar, 15 décembre 2009.

[98] L’enfant qui a affirmé avoir été battu chaque jour a expliqué à Human Rights Watch qu’il refusait de mendier, ce qui lui valait d’être battu quotidiennement par le marabout. Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de sept ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009.

[99] Entretiens de Human Rights Watch avec un talibé de neuf ans, Saint-Louis, 1er décembre ; et avec un ex-talibé de 15 ans, Gabú, Guinée-Bissau, 12 janvier 2010 (habillé de ses seuls sous-vêtements, jambes et bras écartés, un talibé différent le tenant chacun par une main ou un pied, pendant que le marabout les frappait).

[100] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 11 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009.

[101] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 13 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (ligoté avec de la corde et battu) ; avec un ex-talibé de Mbour âgé de huit ans, Mbour, 14 décembre 2009 (chevilles enchaînées) ; et avec un ex-talibé de Dakar âgé de 15 ans, Gabú, Guinée-Bissau, 12 janvier 2010 (maintenu en position par d’autres talibés).

[102] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Rufisque âgé de 13 ans, Rufisque, 26 janvier 2010.

[103] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 14 ans, Saint-Louis, 3 décembre 2009.

[104] Entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 18 ans, Dakar, 15 décembre 2009 ; avec un talibé de 12 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 ; et avec un groupe de talibés, Guédiawaye, 12 décembre 2009.

[105] Entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 13 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 ; avec un ex-talibé de Mbour âgé de huit ans, Mbour, 14 décembre 2009 ; avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans, Dakar, 26 janvier 2010 ; et avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 18 ans, Dakar, 10 décembre 2009. Pendant la semaine après la Tabaski, par exemple, les marabouts étaient absents dans cinq sur les onze daaras visités par Human Rights Watch.

[106] Entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Mbour âgé de huit ans, Dakar, 8 novembre 2009 ; avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 13 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (violences sexuelles) ; et avec un ex-talibé de Mbour âgé de huit ans, Mbour, 14 décembre 2009.

[107] Entretiens de Human Rights Watch avec un talibé de 14 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 ; et avec un talibé de neuf ans, Thiès, 9 décembre 2009.

[108]Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Kaolack âgé de 13 ans, Dakar, 15 décembre 2009.

[109] Entretien de Human Rights Watch avec un représentant du gouvernement, Sénégal, janvier 2010.

[110] Entretien de Human Rights Watch avec un représentant du gouvernement, Mbour, 19 décembre 2009.

[111] Convention relative aux droits de l’enfant, art. 19.

[112] ONU, Comité des droits de l’enfant, Commentaire Général No. 8, Le droit de l’enfant à être protégé contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments (arts. 19 ; 28, para. 2 ; et 37, entre autres), UN Doc. CRC/C/GC/8 (2006).

[113] Code pénal du Sénégal, art. 298.

[114] ONU, Comité contre la torture, Observation générale n° 2, Application de l’article 2 par les Etats parties, UN Doc. CAT/C/GC/2 (2008), para. 18.

[115] Entretiens de Human Rights Watch avec un talibé de 19 ans, Guédiawaye, 23 novembre 2009 (un compagnon talibé tombe malade en 2007 et décède quelques jours plus tard) ; et avec l’oncle d’un talibé mort de maladie à Dakar, Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010.

[116] Heureusement, sous la pression d’AEMO (Ministère de la Justice) et de la Maison de la Gare, une organisation humanitaire locale, le marabout a fait déménager les enfants du camion abandonné. L’un d’eux a expliqué qu’ils vivaient dans ce camion depuis cinq ans. Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 14 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009. Ceci a été confirmé par le président de la Maison de la Gare. Entretien de Human Rights Watch avec Issa Kouyate, Saint-Louis, 3 décembre 2009.

[117] « Mbour : l’effondrement d’un bâtiment tue un talibé et blesse quatre autres », Agence de Presse Sénégalaise, 14 décembre 2009, http://www.seneweb.com/news/article/27444.php (consulté le 27 mars 2010).

[118] Entretiens de Human Rights Watch avec un talibé de 12 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (raconte qu’il n’y avait pas de porte à la pièce où dormaient les talibés et qu’il faisait donc très froid pendant l’hiver, sans que les talibés ne disposent de couvertures) ; avec un talibé de 14 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (raconte qu’il devait dormir dehors sans couverture, comme beaucoup d’autres) ; avec un ex-talibé de Mbour âgé de huit ans, Mbour, 14 décembre 2009 (raconte qu’ils dormaient à même le sol de brique, sans natte, quasiment sans avoir de quoi se couvrir, et qu’ils étaient très peu protégés du froid) ; et avec un ex-talibé de Dakar âgé de 11 ans, Dakar, 8 novembre 2009 (raconte que sans couverture ni vêtements adaptés, la saison froide était une période excessivement désagréable).

[119] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de neuf ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009.

[120] Les programmes de marrainage, qui associent des talibés avec une mère de la communauté, sont particulièrement intéressants dans le sens où ils marquent un retour à la pratique traditionnelle de la « quête », par opposition à la « mendicité ». Les marraines préparent un repas à heure fixe, ce qui réduit la malnutrition et permet de sortir les talibés de la rue, puisqu’ils ne doivent au moins plus mendier leur nourriture. Souvent, elles les aident à laver leur linge et leur donnent accès à un endroit où ils peuvent se laver. Beaucoup de talibés ont également dit que leur marraine les aidait financièrement lorsqu’ils tombaient malades et leur achetaient parfois des vêtements. De plus, et ceci est peut-être encore plus important, beaucoup de marraines établissent un lien émotionnel intense avec les talibés, qui sont éloignés de leur famille et souvent victimes de sévices. Une marraine, qui avait aidé le même talibé pendant cinq ans, a raconté que celui-ci venait tous les soirs chez elle regarder la télévision et manger avec la famille, décrivant sa relation avec lui comme celle qu’elle aurait avec un de ses fils. Une autre marraine, qui dirige l’organisation communautaire de femmes qui a développé le programme de marrainage dans la ville, a expliqué que les marraines examinent régulièrement le dos des enfants les plus jeunes, pour vérifier s’ils ont été durement battus et, dans certains cas, avertissent la police. Entretiens de Human Rights Watch avec une marraine, Guédiawaye, 23 novembre 2009 ; et avec une marraine, Mbour, 14 décembre 2009.

[121] Voir également UNICEF, OIT et Banque mondiale, Enfants mendiants dans la région de Dakar, p. 42 (où l’on constate que seulement 29 pour cent des enfants mendiants de la région de Dakar avaient de quoi se couvrir pendant la saison froide).

[122] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Mbao (banlieue de Dakar) âgé de 12 ans, Mbour, 21 décembre 2009. D’autres talibés ont décrit les mêmes situations de surpeuplement. Par exemple, entretiens de Human Rights Watch avec un talibé de 11 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (raconte que les 30 talibés de son daara partagent la même pièce et que beaucoup dorment donc dehors) ; avec un talibé de 12 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (raconte que son daara, de 40 talibés, n’a que deux très petites pièces et que la majorité dort donc dehors) ; et avec un ex-talibé de Pikine (banlieue de Dakar) âgé de 11 ans, Dakar, 12 novembre 2009 (raconte que son daara, de plus de 30 talibés, ne disposait que d’une seule pièce et qu’il dormait souvent dehors, comme beaucoup d’autres).

[123] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 11 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009.

[124] Entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Mbour âgé de huit ans, Dakar, 8 novembre 2009 ; et un talibé de six ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009. Un talibé a même expliqué que son daara, situé à Guédiawaye, dans la banlieue de Dakar, est tellement inondé pendant la saison des pluies que les talibés dorment dehors, sous la pluie. Entretien de Human Rights Watch un talibé de 18 ans, Guédiawaye, 23 novembre 2009.

[125] UNICEF, OIT et Banque mondiale, Enfants mendiants dans la région de Dakar, p. 42.

[126] Entretiens de Human Rights Watch avec Abdullai Ba, marabout et imam, Saint-Louis, 2 décembre 2009 (admet que beaucoup de ses élèves sont obligés de dormir dehors à cause du manque de place et de la chaleur étouffante qui règne dans les pièces) ; avec l’assistant d’un maître coranique, Mbour, 19 décembre 2009 ; et avec Ibrahima Puye, marabout, Guédiawaye, 18 novembre 2009.

[127] Entretiens de Human Rights Watch avec Amadou Boiro, marabout, Guédiawaye, 19 novembre 2009 ; avec Demba Balde, marabout, Guédiawaye, 21 novembre 2009 ; et avec Alu Diallo, marabout, Thiès, 8 décembre 2009 (même si selon lui des familles du quartier aident le daara en apportant occasionnellement de l’eau).

[128] Entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 11 ans, Dakar, 8 novembre 2009 ; avec un talibé de six ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009 ; et avec un ex-talibé de Mbour âgé de huit ans, Dakar, 8 novembre 2009.

[129] Entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Rufisque âgé de 13 ans, Rufisque, 26 janvier 2010 ; et avec un talibé de neuf ans, Thiès, 24 janvier 2010.

[130] Entretiens de Human Rights Watch avec un talibé de 14 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 ; avec un talibé de 11 ans, 1er décembre 2009 ; et avec un talibé de cinq ans, Thiès, 9 décembre 2009.

[131] Entretiens de Human Rights Watch avec un talibé de 14 ans, Saint-Louis, 3 décembre 2009 (lave ses vêtements à l’heure du déjeuner chez sa marraine) ; avec une marraine, Mbour, 14 décembre 2009 (a mis sur pied un groupe de marraines, dont chacune s’occupe et aide au moins un talibé, notamment en lavant leurs vêtements) ; et avec un talibé de neuf ans, Thiès, 9 décembre 2009 (a reçu du savon et de l’eau d’une organisation humanitaire).

[132] Entretiens de Human Rights Watch avec un talibé de 10 ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009 ; avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 13 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 ; et avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans, Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010.

[133] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Touba âgé de 13 ans, Dakar, 25 novembre 2009. Un autre talibé a fait un récit similaire : « Ma maman m’a donné de nouveaux vêtements, un jour où j’étais à la maison … deux chemises et un pantalon. Le marabout ne m’a jamais laissé les porter au daara. Il me les a pris et les a donnés à son fils. Il avait un fils, un peu plus jeune que moi. » Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Mbour âgé de neuf ans, Mbour, 14 décembre 2009.

[134] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Mbour âgé de huit ans, Dakar, 8 novembre 2009.

[135] Entretien de Human Rights Watch avec Abdullai Diop, directeur de l’équipe sanitaire de Samusocial Sénégal, Dakar, 22 février 2010.

[136] Convention relative aux droits de l’enfant, art. 27 ; Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, Doc. OUA CAB/LEG/24.9/49 (1990), entrée en vigueur le 29 novembre 1999, art. 20.

[137] Code pénal du Sénégal, art. 298.

[138] UNICEF, OIT et Banque mondiale, Enfants mendiants dans la région de Dakar, pp. 42-43 (constate que, dans la région de Dakar, la majorité des enfants mendiants sont sous-alimentés, un peu plus de la moitié seulement d’entre eux consommant régulièrement des légumes et seulement environ un cinquième consommant régulièrement des fruits ou de la viande, en quantités toutefois insuffisantes pour couvrir leurs besoins en matière de développement).

[139] Entretiens de Human Rights Watch avec un talibé de 13 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (« A la Tabaski, on a dû mendier de la viande, pas de l’argent. Le marabout avait deux moutons. Lui et sa famille ont mangé et tous les gens de la communauté sont venus se prosterner devant lui. Ils ont reçu de la viande mais à nous, il n’a rien donné. ») ; avec un talibé de neuf ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009 (le marabout avait un mouton mais les talibés ont dû mendier de la nourriture) ; avec un talibé de six ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009 (idem) ; et avec un talibé de cinq ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (idem).

[140] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de neuf ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009.

[141] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de sept ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009.

[142] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Thiès âgé de huit ans, Mbour, 14 décembre 2009.

[143] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 12 ans, Dakar, 8 novembre 2009.

[144] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 14 ans, Saint-Louis, 3 décembre 2009. Lors de plusieurs entretiens, cependant, des enfants pouvant compter sur une marraine ont mentionné que la fourniture de nourriture était parfois incertaine et les quantités parfois insuffisantes. Entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Mbour âgé de huit ans, Mbour, 14 décembre 2009 (« J’avais une marraine mais, certains jours, quand j’arrivais, elle me disait que tout avait été mangé ») ; et avec un talibé de sept ans, Thiès, 8 décembre 2009 (« J’ai une marraine mais j’ai encore souvent faim. Parfois, elle n’a rien, parfois ce n’est pas assez. »).

[145] Entretiens de Human Rights Watch avec une marraine, Guédiawaye, 23 novembre 2009 ; avec une marraine, Saint-Louis, 1er décembre 2009 ; et avec une marraine, Mbour, 14 décembre 2009.

[146] Entretien de Human Rights Watch avec une marraine, Mbour, 14 décembre 2009.

[147] Convention relative aux droits de l’enfant, arts. 24 and 27 ; Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, art. 14.

[148] Code pénal du Sénégal, art. 298.

[149] Entretien de Human Rights Watch avec Abdullai Diop, Dakar, février 22, 2010.

[150] De tous ceux ayant affirmé ne pas avoir été malades, tous sauf un vivaient dans un daara depuis moins de six mois.

[151] Une étude menée en 2007 a recueilli des informations sur des maladies similaires attrapées par des enfants mendiants. UNICEF, OIT et Banque mondiale, Enfants mendiants dans la région de Dakar, p. 4 (note que les maladies les plus courantes sont la fièvre, l’épuisement, les douleurs abdominales, la diarrhée, les maladies de peau et le paludisme).

[152] Entretien de Human Rights Watch avec Amadou Boiro, marabout, Guédiawaye, 19 novembre 2009.

[153] En plus des 30 pour cent (environ) de daaras où une aide médicale est fournie, les talibés d’environ 10 pour cent des daaras ont déclaré que des marraines ou des organisations humanitaires leur apportaient une assistance médicale.

[154] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans, Dakar, 12 novembre 2009. Un ex-talibé de huit ans interrogé par Human Rights Watch a fait un récit similaire : « Quand j’étais malade, je ne voyais jamais personne. Le marabout ne m’aidait pas et je n’avais pas d’argent. Je souffrais, c’est tout. Le pire, c’était le palu. » Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Thiès âgé de huit ans, Mbour, 14 décembre 2009.

[155] Entretien de Human Rights Watch avec un groupe de talibés âgés de cinq, sept, neuf, 10 et 11 ans, Dakar, 28 janvier 2010.

[156] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Ziguinchor et Dakar âgé de 13 ans, Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010.

[157] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans, Dakar, 26 janvier 2010.

[158] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de neuf ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009. De très nombreux autres talibés interrogés ont décrit des situations similaires. Par exemple, entretien de Human Rights Watch avec un talibé de six ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009 ; et avec un ex-talibé de Guédiawaye âgé de 12 ans, région de Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010.

[159] Entretiens de Human Rights Watch avec un talibé de 13 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (« Je suis souvent malade, avec des maux de tête et des problèmes d’estomac, mais le marabout ne nous aide que si ça devient vraiment sérieux, pour des blessures graves ou si on est très très malade. Il ne nous aide pas du tout si on a mal à l’estomac ou à la tête. ») ; avec un talibé de 12 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 ; et avec un ex-talibé de Saint-Louis et Kaolack âgé de 18 ans, Dakar, 10 décembre 2009.

[160] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 10 ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009.

[161]Voir Convention relative aux droits de l’enfant, arts. 24 et 27 ; Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, art. 14 ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIRDESC), adopté le 16 décembre 1966, G.A. Res. 2200A (XXI), 21 U.N. GAOR Supp. (No. 16) at 49, U.N. Doc. A/6316 (1966), 993 U.N.T.S. 3, entré en vigueur le 3 janvier 1976, ratifié par le Sénégal le 13 février 1978, art. 12.

[162] Code pénal du Sénégal, art. 298.

[163] ICESCR, art. 10.

[164] L’homosexualité est un délit brutalement réprimé. Voir Code pénal du Sénégal, art. 319 ; Sadibou Marone, « Senegal : 9 Men Jailed for Homosexual Acts », Associated Press, 8 janvier 2009 ; « Senegal jails gays for eight years », Agence France-Presse, 7 janvier 200 ; « Senegal: Tougher jail terms signal rise of homophobia », Agence France-Presse, 16 janvier 2009.

[165] Entretiens de Human Rights Watch avec Mohamed Cherif Diop, directeur du programme talibé chez Tostan, Dakar, 6 novembre 2009 ; avec Isabelle de Guillebon, directrice de Samusocial Sénégal, Dakar, 10 novembre 2009 ; et avec Moussa Sow, président d’Avenir de l’Enfant, Dakar, 17 décembre 2009.

[166] Les questions sur les abus sexuels ne pouvaient être posées que lors d’entretiens individuels, réalisés dans des centres privés et sécurisés. De plus, pour éviter de faire revivre un traumatisme à un jeune enfant et dissiper toute crainte liée à la tendance qu’ont les jeunes enfants de percevoir certains signaux, lors des entretiens, et d’y réagir en donnant certaines réponses, parfois fausses, Human Rights Watch n’a posé aucune question sur d’éventuelles violences sexuelles à des enfants de moins de 10 ans. Conséquence de ce double critère, de telles questions n’ont été posées qu’à 39 enfants.

[167] Entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans, Dakar, 26 janvier 2010 (attouchements inappropriés répétés) ; et un ex-talibé de Kaolack et Mbour âgé de 11 ans, Dakar, 25 novembre 2009 (victime d’un viol).

[168] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans, Dakar, 26 janvier 2010.

[169] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 13 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009.

[170] Entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Kaolack et Mbour âgé de 10 ans, Dakar, 25 novembre 2009 (le marabout avait confié la gestion du daara au talibé le plus âgé, pendant qu’il était dans son village) ; avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans, Dakar, 26 janvier 2010 (le marabout vivait dans une maison séparée) ; et avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 13 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (le marabout avait confié la gestion du daara au talibé le plus âgé, pendant qu’il était dans son village).

[171] Entretien de Human Rights Watch avec un travailleur social d’une organisation humanitaire locale, Mbour, 14 décembre 2009.

[172] Entretiens de Human Rights Watch avec un travailleur social de Samusocial Sénégal, Dakar, 10 février 2010 ; avec un travailleur social dans un refuge pour enfants vulnérables, Dakar, 5 novembre 2009 ; avec un travailleur social d’Avenir de l’Enfant, Rufisque, 26 janvier 2010 ; et avec Issa Kouyate, président de la Maison de la Gare, Saint-Louis, 3 décembre 2009.

[173] Entretiens de Human Rights Watch avec un travailleur social de Samusocial Sénégal, 10 février 2010 ; avec un travailleur social dans un refuge pour enfants vulnérables, 12 novembre 2009 ; et avec un travailleur social d’Avenir de l’Enfant, 26 janvier 2010.

[174] Entretien de Human Rights Watch avec un travailleur social de Samusocial Sénégal, 10 février 2010.

[175] Convention relative aux droits de l’enfant, arts. 19 and 34.

[176] Entretiens de Human Rights Watch avec trois directeurs d’organisations humanitaires locales, Sénégal et Guinée-Bissau, janvier 2010 (l’un d’eux, après un long moment de silence, a réagi en disant, « Mais alors ça impliquerait de l’homosexualité ? »).

[177] Version préliminaire d’une étude sur la région de Kolda, réalisée par un important institut de recherche, vue par Human Rights Watch (publication à venir) (constate que 57 pour cent des ménages de la région de Kolda, l’une des plus pauvres et des plus isolées du Sénégal, possédaient au moins un téléphone portable).

[178] Entretiens de Human Rights Watch avec un talibé de 10 ans, Guédiawaye, 23 novembre 2009 (voit ses parents à chaque fête de Tabaski) ; avec un ex-talibé de Dakar âgé de 12 ans, Mbour, 21 décembre 2009 (a vu une fois ses parents à l’occasion de Tabaski) ; et avec un ex-talibé de Pikine âgé de 13 ans, Pikine, 26 janvier 2010 (a reçu une fois la visite de ses parents en trois ans).

[179] Entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 12 ans, Dakar, 8 novembre 2009 (une conversation téléphonique en deux ans) ; avec un talibé de neuf ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009 (a parlé à ses parents deux fois en quatre ans) ; et avec un talibé de 14 ans, Saint-Louis, 3 décembre 2009 (parle à ses parents plus régulièrement parce qu’un frère plus âgé, qui vit dans le même daara, possède un téléphone portable). Voir également UNICEF, OIT et Banque mondiale, Enfants mendiants dans la région de Dakar, pp. 40-41 (constate que ce sont le plus souvent les enfants âgés de deux à huit ans qui n’ont pas de contact avec leurs familles et que ce contact se fait le plus souvent uniquement par téléphone).

[180] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé de 11 ans, Guédiawaye, 23 novembre 2009.

[181] Entretien de Human Rights Watch avec le père d’un ex-talibé, région de Fouta Toro, 2 décembre 2009.

[182] Entretiens de Human Rights Watch avec le père d’un ex-talibé, Gabú, Guinée-Bissau, 12 janvier 2010 (n’a pas été informé par le marabout, la première fois que son fil s’est enfui) ; et avec le père d’un ex-talibé, Gabú, Guinée-Bissau, 12 janvier 2010 (malgré plusieurs contacts par téléphone, le marabout a attendu un mois avant de l’informer de la fugue de son fils).

[183] Entretien de Human Rights Watch avec le père d’un ex-talibé, région de Kolda, 7 janvier 2010.

[184]Charte africaine des droits de l’homme et des peuples [Charte de Banjul], adoptée le 27 juin 1981, Doc. OUA CAB/LEG/67/3 rev. 5, 21 I.L.M. 58 (1982), entrée en vigueur le 21 octobre 1986, ratifiée par le Sénégal en août 1982, art. 29.

[185] Mamadou Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, 1982, p. 258.

[186] Entretiens de Human Rights Watch avec un talibé de 14 ans, Saint-Louis, 3 décembre 2009 (de 17 à 19h chaque jour) ; avec un ex-talibé de Mbour âgé de huit ans, Dakar, 8 novembre 2009 (une heure avant le dîner) ; et avec un talibé de 18 ans, Guédiawaye, 23 novembre 2009 (de 18 à 19h).

[187] Entretiens de Human Rights Watch avec Ibrahima Puye, marabout, Guédiawaye, novembre 18, 2009 (a introduit le football et la lutte dans le daara, avec l’aide de l’organisation humanitaire ENDA Tiers Monde) ; avec Mohamed Nass, marabout et imam, Guédiawaye, 21 novembre 2009 (accueille dans son daara moderne un tournoi de football à l’occasion de la Journée de l’Enfant Africain, organisé avec l’aide de l’organisation humanitaire Intermonde) ; et avec Malick Sy, marabout, Mbour, 18 décembre 2009 (organise chaque jour à 17h des activités de loisirs, dans son daara, en collaboration avec l’organisation humanitaire Keur Talibé).

[188] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Mbour âgé de 11 ans, Dakar, novembre 8, 2009.

[189] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 11 ans, Dakar, 8 novembre 2009.

[190] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans, Dakar, 12 novembre 2009. Plusieurs autres talibés ont fait des récits similaires. Par exemple, entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de sept ans, Dakar, 12 novembre 2009 (battu s’il jouait avec toute personne extérieure au daara) ; avec un ex-talibé de Touba âgé de 13 ans, Dakar, 25 novembre 2009 (battu parce qu’il jouait) ; et avec un ex-talibé de Dakar âgé de 12 ans, Dakar, 8 novembre 2009 (battu parce qu’il jouait).

[191] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 12 ans, Dakar, 8 novembre 2009.

[192] Convention relative aux droits de l’enfant, art. 31.

[193] Par exemple, entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans, Dakar, 12 novembre 2009 (raconte que son daara est passé de 15 talibés à trois, avant qu’il ne s’enfuie) ; avec un ex-talibé de Dakar âgé de 15 ans, Gabú, Guinée-Bissau, 12 janvier 2010 (raconte qu’au moins 15 talibés se sont enfuis avant lui) ; et avec un ex-talibé de Dakar et Ziguinchor âgé de 13 ans, Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010 (raconte que quatre talibés s’étaient enfuis avant lui, en plus du groupe de quatre dont lui-même faisait partie).

[194] Entretien de Human Rights Watch avec un groupe de talibés âgés de cinq, sept, neuf, 10 et 11 ans, Dakar, 28 janvier 2010.

[195] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Mbour âgé de huit ans, Dakar, 8 novembre 2009.

[196] Entretiens de Human Rights Watch avec Malam Baio, directeur de SOS Enfants Talibés, Bafatá, Guinée-Bissau, 10 janvier 2010 (mentionne également que sur ce chiffre de 334, 212 venaient de daaras situées à Dakar, 103 de daaras en Casamance (notamment à Ziguinchor) et 19 de daaras d’autres régions du pays ; avec Madame Joanita, présidente d’AMIC-Gabú, Gabú, Guinée-Bissau, 12 janvier 2010 (les dossiers disponibles étaient incomplets mais montrent que 62 ex-talibés ont retrouvé leurs familles entre janvier et juin 2007) ; et avec Laudolino Carlos Medina, secrétaire exécutif d’AMIC, Bissau, Guinée-Bissau, 14 janvier 2010.

[197] Organisation internationale pour les migrations (OIM), « Statistics on Assisted Trafficking Victims since 2006 », document non-publié disponible auprès de Human Rights Watch.

[198] En 2007-2008, SOS Crianças Talibés a rencontré 32 ex-talibés qui étaient rentrés en Guinée-Bissau sans assistance. Entretien de Human Rights Watch avec Malam Baio, 10 janvier 2010.

[199] Entretien de Human Rights Watch avec Moussa Sow, président d’Avenir de l’Enfant, 17 décembre 2009.

[200] Entretiens de Human Rights Watch avec Isabelle de Guillebon, directrice de Samusocial Sénégal, 10 novembre 2009 ; et avec un travailleur social de Samusocial Sénégal, March 1, 2010.

[201] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 14 ans, Gabú, Guinée-Bissau, 12 janvier 2010. Plusieurs autres talibés ont également déclaré que c’était lorsque quelqu’un avait essayé de fuir qu’il était le plus sauvagement battu. Par exemple, entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Kaolack âgé de 13 ans, Dakar, 15 décembre 2009 (« Les punitions les plus dures, c’était si on essayait de fuir et qu’on était capturé. ») ; et avec un ex-talibé de Mbour âgé de huit ans, Mbour, 14 décembre 2009 (« Les marabouts nous battaient durement tout le temps…. [Mais] le pire ça a été après que je me sois enfui et qu’on m’ait retrouvé. »).

[202] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 18 ans, Dakar, 10 décembre 2009.

[203] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 11 ans, région de Gabú, Guinée-Bissau, 13 janvier 2010.

[204] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 12 ans, région de Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010. Un autre talibé a expliqué que son groupe avait rencontré un homme sénégalais un matin, alors qu’ils mendiaient, qui leur a dit qu’il les amènerait à un centre dans l’après-midi s’ils voulaient fuir le daara—une offre qu’ils ont acceptée. Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans, Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010.

[205] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Kaolack âgé de 13 ans, Dakar, 15 décembre 2009. Plusieurs autres ex-talibés ont décrit des tentatives de fuite similaires. Par exemple, entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Lobodou âgé de 14 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (a marché plus de 10 kilomètres avant de trouver une voiture qui l’a emmené à Saint-Louis) ; et avec un ex-talibé de Mbour âgé de 10 ans, Dakar, 25 novembre 2009 (a commencé à marcher de Mbour à Dakar avant de se cacher dans la benne d’un camion poubelle qui se rendait à Dakar).

[206] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 18 ans, Dakar, 10 décembre 2009.

[207] Entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé âgé de 13 ans qui avait vécu huit mois dans la rue, Dakar, 15 décembre 2009 ; un ex-talibé âgé de 18 ans qui avait vécu six mois dans la rue, Dakar, 15 décembre 2009 ; et avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 18 ans qui avait vécu par intermittence dans la rue à Dakar pendant six ans, 10 décembre 2009. Des chiffres similaires ont été avancés par le leader d’un groupe de jeunes de la rue qui compte parmi ses membres un grand nombre d’ex-talibés, ainsi que par un travailleur social d’une organisation humanitaire qui aide les enfants de la rue. Entretiens de Human Rights Watch avec le leader d’un groupe de jeunes de la rue âgé de 27 ans, Dakar, 16 décembre 2009 ; et avec un travailleur social de Samusocial Sénégal, Dakar, 1er mars 2010.

[208] Entretien de Human Rights Watch avec le leader, âgé de 27 ans, d’un groupe de jeunes de la rue qui compte parmi ses membres beaucoup d’ex-talibés, Dakar, 16 décembre 2009.

[209] Une dose quotidienne de guinze coûte environ 200 ou 300 CFA (0,43 ou 0,65 $). Voir « Sexually active street children increasingly vulnerable to HIV », IRINnews, 31 octobre 2006, http://www.irinnews.org/Report.aspx?ReportId=62639 (consulté le 1er février 2010).

[210] Entretiens de Human Rights Watch avec le leader, âgé de 27 ans, d’un groupe de jeunes de la rue composé principalement d’ex-talibés, Dakar, 16 décembre 2009 ; avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans qui a vécu huit mois dans la rue, Dakar, 15 décembre 2009 ; et avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 18 ans qui a vécu par intermittence dans la rue pendant six ans, Dakar, 10 décembre 2009.

[211] Ceci n’a pas pour but de suggérer que tous les enfants des rues au Sénégal sont des ex-talibés. Cependant, le grand nombre de talibés qui fuient chaque année des daaras où on les maltraite contribue de manière significative à l’augmentation du nombre d’enfants qui vivent dans la rue.

[212] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 18 ans, Dakar, 10 décembre 2009.

[213] Entretien de Human Rights Watch avec Aliou Seck, marabout, Saint-Louis, 30 novembre 2009. De nombreux autres marabouts ont fait des déclarations allant dans le même sens. Par exemple, entretiens de Human Rights Watch avec Mohamed Niass, Guédiawaye, 21 novembre 2009 ; avec Demba Balde, Guédiawaye, 21 novembre 2009 ; et avec Abdullai Ba, Saint-Louis, 2 décembre 2009.

[214] Entretien de Human Rights Watch avec Masso Balde, marabout, Saint-Louis, 1er décembre 2009. De nombreux autres marabouts ont fait des déclarations allant dans le même sens. Par exemple, entretiens de Human Rights Watch avec Abdullai Ba, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (« La mendicité sert à montrer aux enfants ce que c’est que de ne rien avoir, à leur montrer qu’ils doivent travailler dur, à leur montrer la voie de la vertu… ils sont obligés de survivre comme cela pour connaître la douleur, afin d’être réellement bienheureux plus tard. ») ; avec Alu Diallo, Thiès, 8 décembre 2009 ; et avec Celein Douda Faye, Guédiawaye, 23 novembre 2009.

[215] Par exemple, entretiens de Human Rights Watch avec un talibé âgé de 12 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (qui a aussi déclaré que les enfants du marabout étaient allés dans une école française) ; avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 13 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (qui a aussi déclaré que le fils du marabout était allé dans un daara moderne privé pour lequel le marabout payait des frais) ; avec un ex-talibé de Dakar âgé de 12 ans, Mbour, 21 décembre 2009 ; avec un ex-talibé de Dakar âgé de 13 ans, Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010 ; et avec un talibé âgé de 14 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (les enfants du marabout mendient mais ils fréquentent aussi une école française spécialement destinée aux enfants de marabouts). Selon un historien des religions, ceci est en contradiction avec la tradition des daaras, où même les fils des marabouts et des chefs de village participaient aux pratiques ascétiques. Entretien de Human Rights Watch avec Mamadou Ndiaye, directeur du Département des enseignements à l’Institut islamique de Dakar et professeur au Département d’arabe de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD), Dakar, 21 janvier 2010.

[216]Entretien de Human Rights Watch avec Mamadou Ndiaye, 21 janvier 2010. Voir aussi Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, p. 49 (« Si l’on a essayé de justifier la mendicité dans l’Ecole coranique, les diverses raisons alléguées ne nous apparaissent pas suffisantes. On donne même pour motif, le désir d’éduquer le taalibe dans une vie ascétique et humble. »).

[217] Entretien de Human Rights Watch avec Aliou Seydi, marabout, Kolda, 6 janvier 2010.

[218] Entretien de Human Rights Watch avec Mohamad Aliou Ba, marabout, Guero Yiro Alpha, région de Kolda, 7 janvier 2010.

[219] Entretien de Human Rights Watch avec Mohamadou Sali Ba, marabout, Saint-Louis, 30 novembre 2009.

[220] Nations Unies, Indicateurs des Objectifs du Millénaire pour le développement : Sénégal, http://unstats.un.org/unsd/mdg/Data.aspx (consulté le 4 février 2010) (basés sur une étude gouvernementale de 2005).

[221] Voir Statistiques de 2007 du Ministère de l’Économie et des Finances, République du Sénégal, cité dans Codou Bop, « Senegal: Homophobia and Islamic Political Manipulation », Sexuality Policy Watch Working Papers, no. 4, mars 2008, p. 3, http://www.sxpolitics.org/wp-content/uploads/2009/03/texto-codou-_revny.pdf (consulté le 27 mars 2010) ; République du Sénégal, Evaluation quantitative du DSRP-I (2003-2005), juillet 2007, http://siteresources.worldbank.org/INTSENEGAL/Resources/Doc5_Rapport_eval_quant_DSRP1.pdf (consulté le 4 février 2010).

[222] Voir Anti-Slavery International, Begging for Change: Research findings and recommendations on forced child begging in Albania/Greece, India and Senegal, 2009, p. 11.

[223] Les informations reprises dans ce tableau sont basées sur des entretiens réalisés avec des talibés dans des daaras de chacune de ces quatre villes. Le chiffre pour le total hebdomadaire exigé est calculé en multipliant le quota journalier par talibé par le nombre de talibés du daara et le nombre de jours par semaine où ils mendient. Le chiffre indiquant le revenu annuel du marabout est calculé en multipliant par 52 le total hebdomadaire, qui comprend les sommes d’argent et la valeur du riz et du sucre. Entretiens de Human Rights Watch avec un talibé âgé de 10 ans, Thiès, 24 janvier 2010 ; avec un talibé âgé de 11 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 ; avec un talibé âgé de 14 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 ; avec un ex-talibé de Dakar âgé de 15 ans, Gabú, Guinée-Bissau, 12 janvier 2010 ; et avec un talibé de Guédiawaye âgé de 12 ans, 23 novembre 2009.

[224] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 15 ans, Gabú, Guinée-Bissau, 12 janvier 2010.

[225] Entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Dakar âgé de 18 ans, Dakar, 15 décembre 2009 (qui a déclaré que le marabout vivait plus souvent dans une maison située dans une banlieue de Dakar, venant rarement au daara, même s’il possédait aussi une maison près du daara) ; et avec un talibé âgé de 10 ans, Saint-Louis, 30 novembre 2009 (qui a déclaré que le marabout possédait une maison pour sa famille restée à Fouta Toro, où il se rendait souvent, en plus de sa résidence au daara).

[226] Entretien de Human Rights Watch avec un groupe de talibés, Guédiawaye, 12 et 20 décembre 2009.

[227] Entretien de Human Rights Watch avec le directeur d’une organisation humanitaire locale, Guédiawaye, 12 décembre 2009. Le directeur a déclaré que le marabout était très puissant et que dès lors, l’État avait peur d’engager une quelconque action à son encontre.

[228] Le premier entretien avait été confirmé la veille du rendez-vous et le second entretien avait été confirmé le matin-même. Lorsque le marabout a été contacté par téléphone à l’heure convenue pour le premier entretien, il a expliqué qu’il avait des invités chez lui à Mbao et qu’il ne serait pas en mesure de venir. Lorsque le marabout a été contacté à l’heure convenue pour le second rendez-vous, il n’a pas répondu et a éteint son téléphone, de sorte que les tentatives d’appel ultérieures ont directement abouti à la messagerie vocale.

[229] Entretien de Human Rights Watch avec Aliou Seydi, marabout, Kolda, 6 janvier 2010. Un marabout de Guédiawaye a également expliqué : « Avec l’argent, ces marabouts construisent d’énormes bâtisses à Kolda et en Guinée-Bissau. Ils appartiennent à un groupe qui n’honore pas le vrai Coran. » Entretien de Human Rights Watch avec un marabout, Guédiawaye, 19 novembre 2009.

[230] Entretien de Human Rights Watch avec un habitant et responsable communautaire de Kolda, Kolda, 5 janvier 2010.

[231] Entretien de Human Rights Watch avec Mohamed Niass, marabout, Guédiawaye, 21 novembre 2009. Un certain nombre d’autres marabouts ont exprimé une colère analogue. Par exemple, entretiens de Human Rights Watch avec Mohamadou Sali Ba, marabout, Saint-Louis, 30 novembre 2009 ; avec Oustas Pape Faye, marabout, Guédiawaye, 19 novembre 2009 ; et avec Sélène Toure, marabout, Guédiawaye, 21 novembre 2009.

[232] Entretien de Human Rights Watch avec Ibrahima Puye, marabout, Guédiawaye, 18 novembre 2009.

[233] Un marabout a rejeté la faute sur le gouvernement qui, a-t-il expliqué, a chargé « des gens qui n’y connaissent rien en daaras » de mener des inspections, conduisant le gouvernement à « ne rien faire ». Il a laissé entendre que si quelqu’un comme lui en était chargé—s’il y avait un marabout délégué de chaque quartier responsable de superviser les daaras de ce quartier—« il serait facile d’identifier et de fermer les mauvais daaras. L’exploitation pourrait prendre fin facilement ». Entretien de Human Rights Watch avec un marabout, Guédiawaye, 21 novembre 2009.

[234] Voir Abdoul Aziz Seck, « Serigne Abdoul Aziz Sy ‘Junior’ invite les talibés à refuser d’être exploités », Le Populaire, 27 janvier 2010.

[235] Entretien de Human Rights Watch avec le directeur d’une grande organisation humanitaire, Dakar, 11 novembre 2009.

[236] Entretien de Human Rights Watch avec Alhadji Alonso Faty, Bissau, Guinée-Bissau, 15 janvier 2010.

[237] Entretien de Human Rights Watch avec Helena Assana Saïd, Bissau, Guinée-Bissau, 14 janvier 2010. Saïd a également souligné que ces imams avaient déclaré publiquement qu’en plus de l’enseignement du Coran, les parents devraient envoyer leurs enfants dans des écoles portugaises.

[238] Entretien de Human Rights Watch avec El Hadj Thierno Kolabro Ba, Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010.

[239] Entretien de Human Rights Watch avec Helena Assana Saïd, 14 janvier 2010.

[240] Entretien de Human Rights Watch avec Mame Gaye, président du PARRER, Dakar, 25 novembre 2009.

[241] La Cellule d’appui à la protection de l’enfance (CAPE) a signé l’accord au nom de l’État. Voir Babacar Dieng, « Convention de partenariat entre Cape et Parrer - 23 millions de francs de l’Etat pour aider les enfants de la rue », Le Soleil, 19 janvier 2010.

[242] Pour une analyse d’un certain nombre de séminaires et d’ateliers—ainsi que des groupes de travail mis sur pied par le gouvernement—entre 1976 et 1982, par exemple, voir Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, pp. 217-229, 310-317.

[243] Entretien de Human Rights Watch avec Hameth Sall, inspecteur de daaras au ministère de l’Éducation et chef de département à l’Institut islamique, Dakar, 8 février 2010 ; Pape Coly Ngom, « Daaras modernes – Le ministre crée une inspection », Le Soleil, 22 décembre 2009.

[244] Entretien de Human Rights Watch avec Hameth Sall, 8 février 2010.

[245] Voir Iba Der Thiam, « Reconnaissance des écoles coraniques par le gouvernement », Le Soleil, 4 février 2010.

[246] Dénommé à l’époque ministère de l’Éducation Nationale.

[247] Ndiaye, L’Enseignement arabo-islamique au Sénégal, pp. 314-316.

[248] Entretien de Human Rights Watch avec un haut responsable du ministère de la Famille, 15 décembre 2009. Le directeur du programme du PARRER a également signalé à Human Rights Watch qu’une réglementation n’était pas possible actuellement car il était « nécessaire d’expérimenter d’abord » des méthodes d’assistance, un programme et d’autres questions. Entretien de Human Rights Watch avec Cheik Amadou Bamba Diaw, Dakar, 25 novembre 2009.

[249] Loi n° 2005-06 du 10 mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes, art. 3.

[250] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable du ministère de la Famille, Dakar, 15 décembre 2009.

[251] Entretien de Human Rights Watch avec Aida Mbodj, ex-ministre de la Famille et actuelle vice-présidente de l’Assemblée nationale, Dakar, 11 février 2010.

[252] Voir Département d’État américain, Bureau de la Démocratie, des droits humains et du travail (Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor), « Country Reports on Human Rights Practices - 2005: Senegal », 8 mars 2006 (qui mentionne deux arrestations de ce genre selon les statistiques fournies par le gouvernement sénégalais) ; Département d’État américain, Bureau de la démocratie, des droits humains et du travail, « Country Reports on Human Rights Practices - 2006: Senegal », 6 mars 2007 (qui mentionne trois arrestations) ; et Département d’État américain, « Trafficking in Persons Report 2009 », 16 juin 2009 (qui mentionne deux arrestations pour 2008).

[253] Entretiens de Human Rights Watch avec un responsable du ministère de la Justice, Kolda, 6 janvier 2010 ; et avec un responsable du ministère de la Justice, Mbour, 18 décembre 2009. Un travailleur humanitaire de Mbour a indiqué qu’il y avait eu une arrestation de ce type suite à des violences particulièrement horribles infligées par un marabout en 2008. Entretien de Human Rights Watch avec un assistant social travaillant pour une organisation humanitaire locale, Mbour, 14 décembre 2009. Voir également Pape Mbar Faye, « Maltraitance à Mbour : Un maître coranique déféré pour avoir torturé son talibé », WalFadjri, 11 juin 2008, http://www.seneweb.com/news/article/16853.php (consulté le 5 février 2010). 

[254] Voir Soro Diop, « Affaire de la bastonnade du talibé M. B : Garde à vue prolongée pour le maître coranique », Le Quotidien, 9 juillet 2008 ; Birane Diaw, « Sévices corporels sur un talibé de 8 ans : 3 ans ferme requis pour le maître coranique », Le Quotidien, 23 octobre 2008 ; Birane Diaw, « Jugement des sévices sur un talibé à Kaolack : Le maître coranique écope de 3 ans ferme », Le Quotidien, 13 novembre 2008.

[255] Voir Samba Oumar Fall, « Pour avoir torturé à mort un élève, Bassirou Diané écope la perpétuité », Le Soleil, 28 janvier 2008, http://www.seneweb.com/news/article/14457.php (consulté le 5 février 2010).

[256] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable du ministère de la Famille, Dakar, décembre 2009. Un responsable du ministère de la Justice a fait des déclarations allant dans le même sens. Entretien de Human Rights Watch, Dakar, janvier 2010 (« Tout le problème des talibés existe à cause de la non-application de la loi, la loi contre la mendicité. Le gouvernement sénégalais n’applique pas la loi parce que le pays est dominé par la force maraboutique. »)

[257] Entretien de Human Rights Watch avec Aida Mbodj, ex-ministre de la Famille et actuelle vice-présidente de l’Assemblée nationale, Dakar, 11 février 2010.

[258] « Senegal Aid Workers Express Concern About Abuse of Child Beggars », Voice of

America, 10 mars 2008.

[259] Rukmini Callimachi, « Child beggar’s father fights abusive teacher », Associated Press, 17 août 2008.

[260] Entretien de Human Rights Watch avec un haut responsable du ministère de la Justice, Dakar, 22 décembre 2009.

[261] Loi n° 2004-37 du 15 décembre 2004 modifiant et complétant la loi d’orientation de l’Éducation nationale n° 91-22 du 16 février 1991.

[262] Entretien de Human Rights Watch avec Hameth Sall, 8 février 2010.

[263] Ibid.

[264] Entretiens de Human Rights Watch avec les directeurs d’organisations humanitaires locales et internationales, Dakar, décembre 2009 et janvier 2010.

[265] Entretien de Human Rights Watch avec Emanuel Fernandes, personne focale du Comité national pour la lutte contre la traite des personnes et responsable à l’Institut de la femme et de l’enfant (Instituto da Mulher e Criança, IMC), Bissau, Guinée-Bissau, 13 janvier 2010 (qui a déclaré qu’avant 2008 et la création du Comité, seules deux organisations humanitaires travaillaient et sensibilisaient à cette question).

[266] Entretien de Human Rights Watch avec August Monte, commissaire de la force de police civile de la région de Bafatá, Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010. Le commissaire de la police régionale de Gabú a confié à Human Rights Watch que, d’après son expérience, il s’agissait plus souvent d’un intermédiaire désigné, généralement un ex-talibé ou un talibé plus âgé, qui était chargé de faire passer les enfants de l’autre côté de la frontière. Il a déclaré : « Il est recruté, cet ex-talibé, et ensuite il sensibilise le village aux vertus du marabout, à l’éducation possible—puis il recrute les enfants. Il est plus rare que le marabout vienne recruter lui-même, cherchant à exploiter les enfants comme lui a probablement été exploité. » Entretien de Human Rights Watch avec Ibrahima Mane, commissaire régional de la force de police civile, Gabú, Guinée-Bissau, 13 janvier 2010.

[267] Entretiens de Human Rights Watch avec August Monte, 11 janvier 2010 ; et avec Malam Baio, directeur de SOS Enfants Talibés, Bafatá, Guinée-Bissau, 10 janvier 2010.

[268] Entretien de Human Rights Watch avec August Monte, 11 janvier 2010.

[269] Entretien de Human Rights Watch avec Ibrahima Mane, 13 janvier 2010.

[270] Entretien de Human Rights Watch avec un talibé âgé de 11 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009.

[271] Entretien de Human Rights Watch avec un haut responsable de la police, Guinée-Bissau, janvier 2010.

[272] Entretien de Human Rights Watch avec Laudolino Carlos Medina, secrétaire exécutif de l’AMIC, Bissau, Guinée-Bissau, 14 janvier 2010.

[273] Entretien de Human Rights Watch avec August Monte, 11 janvier 2010.

[274] Entretiens de Human Rights Watch avec Emanuel Fernandes, 13 janvier 2010 ; et avec un responsable de l’UNICEF chargé de la protection des enfants, Bissau, Guinée-Bissau, 15 janvier 2010.

[275] Entretien de Human Rights Watch avec Emanuel Fernandes, 13 janvier 2010.

[276] Ibid. ; et entretien de Human Rights Watch avec Laudolino Carlos Medina, 14 janvier 2010.

[277] Entretien de Human Rights Watch avec Emanuel Fernandes, 13 janvier 2010.

[278] Entretiens de Human Rights Watch avec Laudolino Carlos Medina, 14 janvier 2010 ; et avec Malam Baio, 10 janvier 2010.

[279] Entretien de Human Rights Watch avec Emanuel Fernandes, 13 janvier 2010.

[280] Entretiens de Human Rights Watch avec Laudolino Carlos Medina ; avec un responsable de l’UNICEF chargé de la protection des enfants, Bissau, Guinée-Bissau, 15 janvier 2010 ; et avec Helena Assana Saïd, présidente de la CNJI, Bissau, Guinée-Bissau, 14 janvier 2010 (qui a également indiqué que la CNJI avait identifié les daaras où cela s’était produit, qu’elle avait essayé de sensibiliser les marabouts afin qu’ils réduisent au moins le nombre d’heures passées à mendier, et qu’elle entamait un programme de marrainage où les talibés dormiraient dans une famille d’accueil et recevraient par ailleurs de la nourriture et autre type d’aide).

[281] Entretiens de Human Rights Watch avec un talibé âgé de huit ans, Gabú, Guinée-Bissau, 12 janvier 2010 ; et avec un talibé âgé de neuf ans, Gabú, Guinée-Bissau, 13 janvier 2010.

[282] Le gouvernement bissau-guinéen, gêné par l’instabilité et les changements constants de personnel au sein des institutions de l’État, a passé la dernière décennie à faire du surplace pour ce qui est de ses initiatives d’harmonisation des lois nationales avec les obligations des traités internationaux. L’UNICEF, qui travaille avec le gouvernement, a exprimé son optimisme de voir de réels progrès s’opérer cette année, entre autres en ce qui concerne la loi contre la mendicité forcée. Entretien de Human Rights Watch avec un responsable de l’UNICEF chargé de la protection des enfants, Bissau, Guinée-Bissau, 15 janvier 2010. Cependant, les directeurs de deux organisations humanitaires de Guinée-Bissau qui travaillent avec les talibés ont fait montre de moins d’optimisme, étant donné le manque de progrès enregistrés au cours des dix dernières années pour réformer les lois bissau-guinéennes et l’hésitation du gouvernement à s’ingérer dans les affaires des responsables religieux. Entretiens de Human Rights Watch avec les directeurs d’organisations humanitaires locales, Bissau, Guinée-Bissau, janvier 2010.

[283] Entretiens de Human Rights Watch avec Emanuel Fernandes, 13 janvier 2010 ; avec un responsable du ministère de l’Intérieur, Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010 ; et avec un responsable régional, Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010.

[284] Entretiens de groupe de Human Rights Watch avec des talibés âgés de neuf, neuf , 12 , 16 et 19 ans, région de Bafatá, Guinée-Bissau, 10 janvier 2010 ; avec des talibés âgés de huit, 12 et 15 ans, région de Bafatá, Guinée-Bissau, 10 janvier 2010 ; et entretien de Human Rights Watch avec le père d’un ex-talibé, Bafatá, Guinée-Bissau, 10 janvier 2010.

[285] Entretiens de Human Rights Watch avec un responsable de l’UNICEF chargé de la protection des enfants, 15 janvier 2010 ; avec un responsable d’une organisation humanitaire internationale travaillant en étroite collaboration avec le gouvernement sur la politique d’éducation, Bissau, Guinée-Bissau, 15 janvier 2010 ; avec Helena Assana Saïd, 14 janvier 2010 ; et avec Laudolino Carlos Medina, 14 janvier 2010.

[286] Entretiens de groupe de Human Rights Watch avec des talibés âgés de neuf, neuf , 12 , 16 et 19 ans, région de Bafatá, Guinée-Bissau, 10 janvier 2010 ; avec des talibés âgés de huit, 12 et 15 ans, région de Bafatá, Guinée-Bissau, 10 janvier 2010.

[287] En Guinée-Bissau, un daara est une école où les enfants apprennent principalement, et dans certains cas exclusivement, le Coran, tandis qu’une madrasa bissau-guinéenne comprend les études coraniques, l’arabe, et souvent le portugais ainsi que d’autres matières de l’école publique.

[288] Avant-projet d’une étude sur la région de Kolda réalisée par un grand institut de recherche, vu par Human Rights Watch (à publier prochainement) (qui révèle également que le nombre moyen de personnes par ménage à Kolda est de 10,5 personnes).

[289] Entretien de Human Rights Watch avec le père de trois talibés, région de Kolda, 7 janvier 2010. Une autre personne, père de deux talibés, a déclaré que si ses fils restaient à la maison et allaient à l’école publique ou s’ils étaient envoyés vivre dans un daara dépendait en partie du succès de la récolte au moment où les enfants atteignaient l’âge d’aller à l’école. Entretien de Human Rights Watch avec le père de deux talibés de Saint-Louis, région de Fouta Toro, 2 décembre 2009.

[290] Entretien de Human Rights Watch avec Amadou Tidiana Talla, président d’ONG Gounass, Kolda, 8 janvier 2010.

[291] Entretien de Human Rights Watch avec le père de deux talibés de Saint-Louis, région de Fouta Toro, 2 décembre 2009.

[292] Entretien de Human Rights Watch avec la mère d’un talibé de Saint-Louis, région de Fouta Toro, 2 décembre 2009.

[293] CDE, art. 27.

[294] Entretien de Human Rights Watch avec un chef de village qui a envoyé un fils dans un daara de Dakar, Guero Yiro Boucar, région de Kolda, 7 janvier 2010. D’autres ont fait des déclarations allant dans le même sens. Entretiens de Human Rights Watch avec la mère d’un ex-talibé, Bafatá, Guinée-Bissau, 11 janvier 2010 (qui a confié à Human Rights Watch que son plus jeune fils, âge de trois ans, n’irait pas au Sénégal pour apprendre le Coran après l’expérience de son fils aîné, qui a été renvoyé chez eux après avoir fui les violences physiques infligées par son marabout) ; et avec le père d’un ex-talibé, Gabú, Guinée-Bissau, 12 janvier 2010 (« Ce n’est que quand l’enfant est revenu ici que nous avons appris toute la vérité sur les difficultés au Sénégal »).

[295] Entretien de Human Rights Watch avec Malam Baio, 10 janvier 2010.

[296] Entretiens de Human Rights Watch avec le père d’un talibé de Saint-Louis, région de Fouta Toro, 2 décembre 2009 ; avec le père d’un talibé de Saint-Louis, région de Fouta Toro, 2 décembre 2009 ; et avec la mère d’un talibé et d’un ex-talibé de Dakar, Gabú, Guinée-Bissau, 13 janvier 2010.

[297] Avant-projet d’une étude sur la région de Kolda réalisée par un grand institut de recherche, vu par Human Rights Watch (à publier prochainement) (qui signale aussi que 30 pour cent des parents estimaient que l’enfant aurait les mêmes conditions de vie et 31 pour cent estimaient que l’enfant aurait de meilleures conditions de vie).

[298] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Mbour âgé de huit ans, Dakar, 8 novembre 2009. Beaucoup de talibés ont décrit des expériences similaires. Par exemple, entretiens de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Touba âgé de 13 ans, Dakar, 25 novembre 2009 (battu par son père après avoir fugué du daara, forcé de se réfugier dans les rues de Dakar) ; avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 13 ans, Saint-Louis, 1er décembre 2009 (battu par son père après avoir fugué du daara à l’âge de neuf ans ; sachant qu’il serait renvoyé au daara, il s’est enfui de chez lui) ; et avec un ex-talibé de Saint-Louis âgé de 18 ans, Dakar, 10 décembre 2009 (sur le point d’être renvoyé au daara après être retourné chez lui à l’âge de 11 ans, il a de nouveau fugué, se voyant forcé de vivre par intermittence dans les rues de Kaolack, Mbour, Thiès et Dakar au cours des sept dernières années).

[299] Entretien de Human Rights Watch avec un ex-talibé de Kaolack âgé de 13 ans, Dakar, 15 décembre 2009.

[300] Ibid.

[301] Entretien de Human Rights Watch avec Mohamed Aliou Ba, marabout de village, Guero Yiro Alpha, région de Kolda, 7 janvier 2010. Le frère d’un marabout qui a quitté Kolda pour Dakar, ainsi qu’un responsable gouvernemental de Kolda, ont mentionné le même type de facteurs influençant la migration des marabouts. Entretiens de Human Rights Watch avec le père d’un talibé de Dakar et le frère d’un marabout, région de Kolda, 7 janvier 2010 (« Vu la façon dont le gouvernement et les ONG font leur travail, l’argent ne quitte jamais Dakar—alors les marabouts vont là-bas. C’était la perception de mon frère qui est parti [de son village de Kolda]. Si vous voulez changer les choses, l’argent doit aller directement à la population, il doit aller à la base. ») ; et avec un responsable gouvernemental du ministère des Affaires sociales, Kolda, 8 janvier 2010 (« Les marabouts pensent que s’ils ont un grand nombre d’enfants autour d’eux, l’État ou les ONG les aideront. Ils ont vu que c’était le cas avec d’autres marabouts. »).

[302] Entretiens de Human Rights Watch avec Mohamed Niass, marabout et imam, Guédiawaye, 21 novembre 2009 ; et avec Seybatou Ciss, marabout, Mbour, 19 décembre 2009.

[303] Entretiens de Human Rights Watch avec Ibrahima Puye, marabout, Guédiawaye, 18 novembre 2009 ; avec Oustas Pape Faye, marabout, Guédiawaye, 19 novembre 2009 ; et avec Malick Sy, marabout, Mbour, 18 décembre 2009. Une évaluation interne de 2008 du vaste programme d’aide aux talibés d’une organisation humanitaire, partagée avec Human Rights Watch, a également révélé que certains marabouts qui avaient reçu une aide de cette association avaient abandonné la pratique de la mendicité, tandis que d’autres avaient au moins réduit le nombre d’heures.

[304] Entretien de groupe de Human Rights Watch avec des talibés âgés de cinq, sept, neuf, 10 et 11 ans, Dakar, 28 janvier 2010.

[305] Entretien de Human Rights Watch avec des ex-employés d’une organisation humanitaire internationale, Dakar, 20 novembre 2009.

[306] Évaluation interne du programme d’aide aux talibés d’une organisation humanitaire, 2008, document non publié en possession de Human Rights Watch. Dans cet examen interne, l’organisation note que son aide peut effectivement avoir conduit à une augmentation du nombre de talibés envoyés dans des daaras spécifiques, mais elle estime que l’augmentation globale aurait probablement eu lieu quand même et que les actions de l’organisation n’ont eu un impact que sur la répartition relative des talibés entre les différents daaras plutôt que sur le chiffre global. Il est clair, toutefois, que lorsque des organisations se focalisent sur les daaras urbains, la répartition relative change en faveur des daaras urbains au détriment des daaras de village—amenant les enfants là où la mendicité est généralisée plutôt que là où elle est en grande partie inexistante.

[307] Ibid.

[308] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable humanitaire, Sénégal, 9 décembre 2009.

[309] Entretien de Human Rights Watch avec un responsable de l’UNICEF chargé de la protection des enfants, Dakar, 24 février 2010.

[310] Évaluation interne du programme d’aide aux talibés d’une organisation humanitaire, 2008, document non publié en possession de Human Rights Watch.

[311] Entretien de Human Rights Watch avec Abdullai Diop, chef de l’équipe médicale de Samusocial Sénégal, Dakar, 22 février 2010.

[312] Entretiens de Human Rights Watch avec des responsables d’organisations humanitaires locales et internationales au Sénégal et en Guinée-Bissau, de novembre 2009 à janvier 2010.

[313] Entretien de Human Rights Watch avec le directeur d’une organisation humanitaire locale, Dakar, décembre 2009.

[314] Entretiens de Human Rights Watch avec des responsables de l’UNICEF chargés de la protection des enfants au Sénégal et en Guinée-Bissau, décembre 2009 et janvier 2010.

[315] Entretien de Human Rights Watch avec le directeur d’une organisation humanitaire internationale, Dakar, 11 novembre 2009.

[316] Convention supplémentaire de l’ONU relative à l’abolition de l’esclavage, à laquelle le Sénégal a adhéré le 19 juillet 1979, art. 1(d). L’adhésion a le même effet juridique que la ratification.

[317] Voir également Anti-Slavery International, Begging for Change: Research findings and recommendations on forced child begging in Albania/Greece, India and Senegal, 2009, p. 3 (qui arrive à la même conclusion juridique).

[318] Convention supplémentaire de l’ONU relative à l’abolition de l’esclavage, art. 1.

[319]Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), adopté le 16 décembre 1966, Rés. AG 2200A (XXI), 21 U.N. GAOR Supp. (No. 16) at 52, Doc. ONU A/6316 (1966), 999 U.N.T.S. 171, entré en vigueur le 23 mars 1976, ratifié par le Sénégal, 13 février 1978, art. 8.

[320] Charte africaine des droits de l’homme et des peuples [Charte de Banjul], art. 5.

[321]Convention n° 182 de l’OIT concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination (Convention sur les pires formes de travail des enfants), 38 I.L.M. 1207, adoptée le 17 juin 1999, entrée en vigueur le 19 novembre 2000, ratifiée par le Sénégal le 1er juin 2000.

[322] Voir Ministère de la Famille, Le Projet de Lutte Contre la Traite et les Pires Formes de Travail des Enfants, http://www.famille.gouv.sn/index.php?option=com_content&task=view&id=36&Itemid=128 (consulté le 2 février 2010) ; Ministère de la famille, Stratégies de Lutte Contre La Mendicité, http://www.enfantsenegal.org/bienvenue/pdf/Doc_Technique_Lutte_Contre_la_Mendicite.pdf (consulté le 2 février 2010).

[323] CEACR, Observation individuelle concernant la Convention (n° 182) sur les pires formes de travail des enfants, Sénégal (ratification : 2000), 2009.

[324]Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (Protocole sur la traite des personnes), adopté le 15 novembre 2000, Rés. GA 55/25, annexe II, 55 U.N. GAOR Supp. (No. 49) at 60, Doc. ONU A/45/49 (Vol.I) (2001), entré en vigueur le 25 décembre 2003, art. 3(c).

[325] Ibid., art. 3(a).

[326] Il est toutefois curieux voire illogique que le Protocole sur la traite des personnes exempte certains cas qui répondent à la définition de la Convention supplémentaire sur l’esclavage, alors que ce Protocole cite expressément ladite convention.

[327] Déclaration du Caire, art. 7(a).

[328] Ibid., art. 7(b).

[329] Ibid., art. 9(b).

[330] Ibid., art. 11(a).

[331] CDE, art. 6.

[332] Ibid., art. 24.

[333] Ibid., art. 27.

[334] Ibid., art. 28.

[335] Ibid., art. 31.

[336] Ibid., art. 32.

[337] Ibid., art. 34.

[338] Ibid., art. 19.

[339] Comité des droits de l’enfant de l’ONU, Observation générale n° 8, Le droit de l’enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments (arts. 19 ; 28, para. 2 ; et 37, entre autres), Doc. ONU CRC/C/GC/8 (2006).

[340] Voir également Comité des droits de l’enfant de l’ONU, « Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 44 de la Convention, Observations finales : Sénégal », CRC/C/SEN/CO/2, 20 octobre 2006, paras. 39, 60, 61 (qui relève des carences en matière de lois et d’application des lois en vigueur au Sénégal, notamment en ce qui concerne les talibés).

[341] CADBE, art. 29.

[342] Ibid., art. 21.

[343] Ibid., art. 20.

[344] CDE, art. 29 ; Comité des droits de l’enfant de l’ONU, Observation générale n° 1, Les buts de l’éducation, 2, Doc. ONU CRC/GC/2001/1 (2001) ; CADBE, art. 11; PIDESC, art. 13.

[345] Charte africaine des droits de l’homme et des peuples [Charte de Banjul], art. 29.

[346]Loi n° 2005-06 du 10 mai 2005, relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes, art. 3.

[347] Ibid., arts. 1 et 2.

[348] Code pénal sénégalais, art. 298.

[349] Ibid.