Background Briefing

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« Génocide » et craintes d’un « empire Tutsi »

Le risque élevé d’un nouveau conflit armé nourrit et à son tour, se nourrit, de la peur et de la haine qui existent entre les groupes ethniques, des sentiments qui sont à la fois réels mais en même temps, exagérés et manipulés par les dirigeants politiques pour leurs propres fins. L’invocation de plus en plus fréquente du terme « génocide » a commencé avec Nkunda lorsqu’il en tirait justification pour attaquer Bukavu, et se poursuit dans l’évocation du massacre de Gatumba. Pour les Hutu, cette évocation fait référence à la légendaire intention des Tutsi de créer un « empire Tutsi Hima » en Afrique centrale.

Le Rwanda n’a pas été immédiatement ni nécessairement impliqué dans la tragédie de Gatumba, en ce sens qu’elle n’a pas impliqué des citoyens rwandais et ne s’est pas produite sur le sol rwandais. Cependant, les autorités rwandaises, le président en premier, n’ont pas manqué de faire clairement savoir que le Rwanda jouerait un rôle majeur dans la lutte politique et ethnique qui se profilait. Etant donné la promptitude et la capacité dont a déjà fait preuve le Rwanda pour mener des conflits en dehors de ses frontières, une telle déclaration ne peut qu’encourager ceux qui cherchent comment encore impliquer le Rwanda dans le Congo, et au contraire, inspirer la terreur chez ceux qui le redoutent.

Au Rwanda aussi, la peur et la haine ethniques ont été ravivées, en avril, lors de la commémoration du dixième anniversaire du génocide. Le parlement rwandais a fait de même en étiquetant les dissidents politiques et les formes d’expression autonomes de la société civile sous le label de « divisionnisme » et d’ « idéologie génocidaire », dans des rapports de mai 2003 et juin 2004. De telles mesures, ainsi que le prétexte de prévention de génocide qu’elles servent, risquent de provoquer ressentiment et colère, qui pourraient venir alimenter des dérives ethnicistes, surtout si une nouvelle guerre se déclenche dans la proche région.

La rhétorique qui a fleuri autour du massacre de Gatumba a trouvé concrétisation dans des actes. Moins de deux semaines après le massacre de Gatumba, deux personnes ont été lynchées dans des provinces de l’intérieur du Burundi sous la rumeur qu’elles étaient des Tutsi qui avaient injecté des piqûres mortelles à des Hutu, avec l’intention de réduire le nombre de ceux-ci à un nombre qui s’apparente à celui des Tutsi. Cette situation a rappellé le « plan Simbananiye », qui visait à obtenir un équilibre progressif en nombre entre Hutu et Tutsi, accusation portée à charge des Tutsi depuis que les militaires Tutsi ont massacré à grande échelle les Hutu en 1972.  Au Congo, des membres du RCD-Goma appartenant à d’autres groupes ethniques ont refusé de suivre leurs dirigeants de langue Kinyarwanda – la plupart, Banyamulenge et Tutsi -, lorsque ceux-ci ont annoncé leur retrait du gouvernement, manifestant de la sorte la division interne dont souffre le parti, sur une base ethnique. Non loin de Goma, deux habitants du Sud Kivu – une région présumée être hostile au RCD-Goma -, ont été tués alors qu’ils voyageaient. Bien que le vol apparaît être le mobile principal de l’assassinat, des résidents du Sud Kivu en ont vite donné une interprétation ethnique, racontant que les tueurs avaient assassiné ces gens à titre de représailles pour le massacre de Gatumba. Les gens hostiles à la présence d’individus du Sud Kivu à Goma ont distribué des tracts contre eux et, dans au moins un cas, ont manifesté dans un quartier de Goma largement peuplé de sud kivutiens, en chantant des slogans menaçants.

Ces peurs et ces haines se répercutent sur le personnel des NU aussi. A la suite de l’attaque de Bukavu, en juin dernier, des Congolais ont pris d’assaut des membres du personnel et des installations des NU, accusant la MONUC d’avoir favorisé les Banyamulenge. Dès qu’il est apparu que le Secrétaire Général Annan avait mentionné l’implication apparente, dans le massacre de Gatumba, des Mai Mai et des rebelles rwandais aux côtés du FNL, la population à Uvira a manifesté son hostilité aux NU, vues comme favorisant, une fois de plus, la version « Tutsi » des évènements.

Invoquer le génocide suscite une réaction presque automatique chez ceux, qu’ils soient de la région ou de l’extérieur, qui portent le fardeau de la culpabilité de n’avoir pas pu empêcher le génocide de 1994 au Rwanda. Pour certains survivants et les autorités burundaises, la nature « génocidaire » du massacre de Gatumba emportait automatiquement une nécessaire implication de rebelles rwandais « Interhamwe » dans le massacre perpétré sur les réfugiés. A l’appui de cette conviction, ils ont évoqué la brutalité du massacre et l’utilisation de la machette, alors que la majorité des victimes sont mortes par balle ou par explosion de grenade. Certains journalistes, qui ont revu, dans le massacre, des images du génocide, ont relayé, sans questionnement, l’information remontée du terrain qui faisait appel aux clichés enfouis dans leur propre imaginaire.

Ceux qui sont soucieux de répondre avec promptitude et énergie à toute invocation de génocide, ne sont peut-être pas suffisamment conscients que les peurs des Tutsi de subir un génocide font écho, comme par un jeu de miroir, aux mêmes peurs, chez les Hutu, face à toute mesure qui pourrait être prise contre eux sous prétexte de lutter contre le génocide.

La responsabilité qui s’impose de rester toujours vigilant pour prévenir tout danger de génocide porte en elle la responsabilité de rester fidèle aux seuls faits et de ne pas exagérer le risque. Les exagérations éveillent la peur et sèment les graines de la violence. Le massacre de Gatumba, comme d'autres à Bukavu, a clairement été commis sur une base ethnique. Le reconnaître, c’est aussi être conscient que d’autres massacres peuvent suivre, dirigé contre un groupe ethnique ou un autre. Dans un tel contexte, il est moins important d’aboutir à une qualification légaliste de la nature du crime qui a été commis, que d’identifier ses auteurs et de les punir.


<<précédente  |  indexseptembre 2004