Background Briefing

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La « version officielle »

Dès 2 heures du matin, à peine deux heures après la fin de l’attaque, un journaliste local et Radio France Internationale ont été informés de l’attaque. Au même moment environ, un officier de l’armée rwandaise basé à Cyangugu était aussi informé du massacre. Des officiers de la MONUC au Congo (bien que ce ne soit pas le cas de leurs homologues au Burundi) l’étaient peu après. Il apparaît que dès ce moment, des Banyamulenge et des personnes leur associées, faisaient déjà passer l’information à leurs contacts selon laquelle les attaquants étaient venus du Congo et incluaient des « Interhamwe. »81

La diffusion matinale de la nouvelle du massacre par les radios locales et l’information de bouche à oreille, amenèrent les membres de la communauté nationale et internationale à se rassembler sur le site dès 7 heures du matin le lendemain de l’attaque. C’est là que le président du camp des Banyamulenge a dit à plusieurs d’entre eux que l’attaque avait été planifiée au Congo et leur a montré un tract à cet appui.

Le tract et les preuves d’une planification

Le tract en question exhortait les Congolais à prendre leurs distances avec les Banyamulenge dès le 29 juillet, et appelait les Congolais à couper les liens avec les Tutsi et les Banyamulenge et s’unir « pour combattre notre ennemi. »82 Un groupe, inconnu jusque là, la Force de la coordination des patriotes et nationalistes révolutionnaires du mouvement congolais des combattants non-violents pour la démocratie (MCCND), a apposé son sceau sur le tract. Le tract dénonçait qu’une prétendue coalition rwando-ouganda-burundaise voulait imposer la colonisation Tutsi, se plaignait que les Banyamulenge avaient occupé les terres des Congolais, et que les Rwandais, Ougandais et Burundais avaient pillé systématiquement leurs ressources minières.        

Ce tract semble avoir été davantage destiné à influencer des Congolais plutôt que des Burundais. Il a été rédigé en Swahili et français, pas en Kirundi. Le nom du groupe qui prétend en être l’auteur et le contenu du message semblent aussi s’apparenter davantage au contexte congolais que burundais.

Les porte-paroles Banyamulenge ont cherché à connecter le tract au contexte burundais en prétendant que le tract avait circulé sur le marché central de Bujumbura et sur le site lui-même. Mais les résidents du site questionnés à propos du tract, ont dit ne l’avoir jamais vu avant l’attaque. Ni le personnel des NU au Burundi (ONUB et UNHCR), ni les habitants de Gatumba, ni les administratifs et officiers militaires burundais, n’ont vu ou entendu parlé du tract avant le matin de l’attaque.83

Un second tract a circulé au Congo, peu avant l’attaque, et a même été porté à l’attention de la MONUC, mais il s’agissait d’une menace précise dirigée contre Azarias Ruberwa, dirigeant Munyamulenge et vice-président congolais, l’intimant de ne pas venir à Uvira. Un membre du personnel du UNHCR au Burundi, ayant entendu parler d’un tract par un officier de la MONUC le 12 août, a demandé à un membre du personnel du UNHCR de s’enquérir de l’existence de ce tract auprès des réfugiés de Gatumba dès le lendemain.84 A ce moment, les réfugiés ont dit que le seul tract dont ils avaient connaissance était celui dirigé contre Ruberwa.

Que ces deux tracts soient ou non authentiques, aucune preuve n’a encore été rapportée, qui lie l’un ou l’autre au massacre de Gatumba.

Le contrôle des témoignages

Dans la matinée du 14 août, deux ou trois survivants, des hommes, ont imposé leur autorité naturelle pour fournir des informations aux enquêteurs ainsi qu’à la presse. L’un d’entre eux appartient aux services de renseignement du RCD-Goma, qui a déjà été mentionné ci-dessus, dont la version a varié au fur et à mesure des jours qui passaient.

Depuis le matin de l’attaque et dans les dix jours qui ont suivi, des enquêteurs des NU et les chercheurs de Human Rights Watch qui ont voulu s’entretenir avec des personnes autres que des responsables Banyamulenge hommes, ont éprouvé des difficultés à rencontrer ces personnes seules. Lorsque les chercheurs de Human Rights Watch avaient trouvé une femme – souvent plus spontanée dans ses réponses que les hommes -, il se trouvait toujours un ou plusieurs hommes qui s’immisçaient dans la conversation, parfois pour donner des réponses à la place de la femme et souvent, corrigeant les siennes. Un membre des NU a émis l’avis selon lequel il y avait un Munyamulenge en charge des survivants dans chaque hôpital de Bujumbura, qui venait fréquemment se joindre aux conversations censées être privées.85 Ces Banyamulenge omniprésents semblaient vouloir s’assurer que toutes les informations convergeaient vers une version donnée des faits, plutôt que de permettre la reconstitution la plus exacte possible de ceux-ci.

Plus la « version officielle » se répandra, plus les témoins délivreront des témoignages qui s’y conformeront. Un Burundais, questionné par un chercheur de Human Rights Watch à propos des langues utilisées pendant l’attaque, a indiqué qu’il avait eu connaissance de ce qui était généralement dit sur le sujet. Il a néanmoins insisté, « Je sais très bien qu’il y en a qui disent qu’il y avait d’autres langues, mais moi je vous dis ce que j’ai vu et ce que j’ai entendu : c’était seulement du Kirundi. »86 Trouver des témoins qui peuvent encore faire la différence entre ce qu’ils ont réellement vu et entendu et la version officielle, est devenu déjà difficile, et le sera probablement encore plus avec le temps.

La « version officielle » élaborée

La première version, qui avançait une participation de Mai Mai, rebelles rwandais (« Interhamwe ») et FNL dans l’attaque, s’est affinée dans les jours qui ont suivi le 14 août. Certains officiels ont même fini par préciser qu’il y avait cinq compagnies – quelques 600 combattants - impliqués dans l’attaque : deux compagnies de rebelles rwandais (« Interhamwe ») et deux compagnies de Mai Mai qui massacraient les réfugiés, tandis qu’une compagnie de FNL attaquait le camp militaire et la brigade.87 Parce que des Mai Mai font maintenant partie de la nouvelle armée nationale congolaise, certaines autorités burundais sont allées plus loin, en tirant la conclusion que des militaires de l’armée congolaise avaient participé au massacre.88 Même si l’information relative à la présence de plusieurs groupes pour mener l’attaque peut s’avérer correcte, la « version officielle » exagère les chiffres et la sophistication de l’opération. Qu’elle ait servi d’excuse pour justifier l’inaction des militaires et des gendarmes burundais en suggérant qu’ils étaient complètement débordés par le nombre des attaquants, ou qu’il s’agisse de faire passer l’idée qu’il s’agit là d’un commencement d’exécution d’un vaste plan génocidaire, cette version constitue une sérieuse déformation des faits.




<<précédente  |  index  |  suivant>>septembre 2004