Rapports de Human Rights Watch

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5. LES EFFORTS DU GOUVERNEMENT IVOIRIEN POUR QUE LES COUPABLES REPONDENT DE LEURS CRIMES CONTRE LES DROITS HUMAINS

Depuis l'entrée en fonction du Président Gbagbo en 2000, très peu d'efforts ont été consentis pour que les membres des forces de sécurité de l'Etat et des forces pro-gouvernementales soupçonnés d'être impliqués dans de graves crimes soient appelés à répondre de leurs actes. Les seuls cas de violence politique ayant fait l'objet d'une enquête convenable et où les coupables ont été jugés par les autorités ivoiriennes sont ceux où les victimes étaient des étrangers, notamment le meurtre du journaliste français Jean Hélène par un policier ivoirien en octobre 2003; la disparition du journaliste financier franco-canadien Guy-André Kieffer en avril 2004; et le meurtre d'un soldat de la paix français par un soldat ivoirien en juin 2004.

En dépit des innombrables preuves démontrant que les forces gouvernementales étaient responsables des massacres et autres atrocités commises lors des élections de 2000,7 pas un seul membre des forces de sécurité n'a été condamné.8 En lieu et place de condamnation, Gbagbo a répondu aux appels réclamant la poursuite des coupables par une série de gestes symboliques tels que la mise sur pied d'un comité chargé de promouvoir la réconciliation nationale et l'instauration d'une journée nationale de prière. Bien que le gouvernement ait proclamé en octobre 2002 son intention d'enquêter sur le meurtre de plus de cinquante civils par une unité d'élite de la police à Dalao, il n'a pas encore publié de rapport, et encore moins procédé à des arrestations. Suite à la manifestation du 25 mars 2004, le Procureur général de Côte d'Ivoire a ordonné que des autopsies soient pratiquées sur quatre-vingt seize corps de personnes arrêtées par le gouvernement; à ce jour, aucune arrestation n'a eu lieu.9 En septembre 2004, le parlement ivoirien a créé deux commissions multipartites chargées d'enquêter à propos des violences commises lors de la manifestation de mars 2004 et des atteintes aux droits humains commises depuis le 19 septembre  2002.



[7] Voir “The New Racism: The Political Exploitation of Ethnicity in Côte d’Ivoire,” Rapport de Human Rights Watch, Volume 13, No 6(A) août 2001.

[8] Le 13 avril 2001, six gendarmes ont été inculpés de meurtre en lien avec le massacre du Charnier de Yopougon. L'un d'entre eux était le commandant du Camp de gendarmerie d'Abobo, le Major Be Kpan qui, au moment des événements d'octobre, était capitaine mais qui a ensuite été promu. Deux autres gendarmes ont été inculpés plus tard et le 24 juillet 2001, le procès des huit gendarmes a commencé devant un tribunal militaire au Camp de gendarmerie d'Agban. Le dossier du ministère public s'est toutefois trouvé sérieusement affaibli par l'absence d'expertises balistiques sur les balles trouvées dans les corps et l'absence de plusieurs témoins principaux, notamment de deux survivants du massacre qui, apparemment, craignaient pour leur vie. Au cours du procès, l'une des avocates des familles des victimes, Ibrahima Doumbia, a déclaré: "Les témoins ne se sentent pas en sécurité et sans eux, je ne pense pas que ce procès établira la vérité." De son côté, l'avocat de la défense, Banti Kakou, a laissé entendre que l'impunité des gendarmes était une nécessité pour la stabilité de la Côte d'Ivoire: "Si vous les condamniez, vous saperiez inutilement le moral de la gendarmerie et par conséquent de la Côte d'Ivoire." Les huit gendarmes affirmaient qu'ils étaient  innocents et l'un des accusés, le Sergent Nguessan Ble a déclaré, "J'étais même surpris d'entendre parler des meurtres."  Le 3 août 2001, les huit gendarmes ont tous été acquittés par le Juge Delli Sepleu, qui a décrété que le ministère public n'avait pas présenté de preuves impliquant directement les gendarmes dans les meurtres.

[9] Entretien de Human Rights Watch avec le Procureur Général de Côte d'Ivoire, Damou Kouyaté, Abidjan, le 2 juin 2004.


<<précédente  |  index  |  suivant>>october 2004