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Irak : meurtres et expulsions en augmentation à Kirkuk

Les Etats Unis ne remplissent pas leurs devoirs de " puissance occupante "

(Arbil, 15 avril 2003) Des douzaines de civils ont été tués dans la ville de Kirkuk, au Nord de l'Irak, depuis le 10 avril et les pillages et expulsions forcées se poursuivent, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.

« La situation à Kirkuk actuellement est explosive. Les troupes américaines doivent stopper la violence et les leaders de la PUK doivent prendre des mesures immédiates pour faire cesser les expulsions d'Arabes irakiens de leurs maisons. »
Hania Mufti, directrice à Londres de la Division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch
  

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Human Rights Watch affirme que les forces américaines et celles de la coalition ont échoué à instaurer l'état de droit à Kirkuk et à assurer la sécurité des civils, enfreignant ainsi les dispositions des Conventions de Genève spécifiant les obligations d'une puissance occupante.  
 
Pillages et destructions de biens se produisent à large échelle et affectent tous les groupes ethniques dans la ville alors que la situation hors de Kirkuk semble encore plus précaire, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Une équipe de Human Rights Watch a recueilli des informations sur l'expulsion d'Arabes vivant dans des villages au sud de Kirkuk. Selon un officiel, ces expulsions feraient suite à des décisions politiques de l'Union Patriotique du Kurdistan (PUK).  
 
" La situation à Kirkuk actuellement est explosive, " a déclaré Hania Mufti, directrice à Londres de la Division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. " Les troupes américaines doivent stopper la violence et les leaders de la PUK doivent prendre des mesures immédiates pour faire cesser les expulsions d'Arabes irakiens de leurs maisons. "  
 
Human Rights Watch a déclaré que les Etats Unis et les autorités irakiennes intérimaires, y compris les représentants kurdes, devraient prendre des mesures pour établir aussi rapidement que possible un mécanisme permettant de régler les conflits de propriété sur les biens et autres avoirs.  
 
Les chercheurs de Human Rights Watch ont passé quatre jours à Kirkuk, suite au retrait des forces irakiennes de la ville le 10 avril. Ils ont recueilli des informations sur des morts de civils, des expulsions forcées et d'autres abus commis par tous les groupes ethniques. Les chercheurs ont interrogé des familles arabes expulsées de force de leur maison, des personnes ayant été témoins de meurtres perpétrés en représailles ainsi que des officiels kurdes et turkmènes. Les chercheurs ont également épluché les registres des hôpitaux et des morgues.  
 
Les meurtres de civils  
Depuis le 10 avril, au moins 40 civils ont été tués dans la ville. Beaucoup d'entre eux semblent être décédés suite à des affrontements entre des civils armés et des officiels du parti Baath. Selon des enregistrements légaux, au moins deux personnes sont mortes de blessures à la tête causées par une seule balle tirée à faible distance. Une troisième personne, dont les mains étaient liées, avaient des lésions au cou compatibles avec une mort par pendaison.  
 
Expulsions forcées  
Le 13 avril, les chercheurs de Human Rights Watch ont interrogé des Arabes appartenant à la tribu al-Shummar qui avaient fui quatre villages au sud de Kirkuk, peu de temps après le passage de la région sous contrôle kurde. Certains villageois ont affirmé qu'un officiel local kurde leur avait donné par écrit l'ordre de quitter leur maison sous trois jours.  
 
Peu de temps après, environ 2 000 habitants des villages de al-Muntasir, Khalid, al-Wahda et Umar Ibn al-Khattab ont trouvé refuge dans les tentes et les maisons de membres de leur tribu, dans le village de Sa'ad bin Abi Waqqas et ses environs. Plusieurs personnes, parmi ces déplacés, ont affirmé qu'elles avaient été forcées de quitter leur maison, sous la menace d'un fusil tandis que leurs possessions, voitures, camions, biens domestiques leur étaient enlevés. " Ils nous auraient tués si on n'était pas parti, " a déclaré une vieille femme.  
 
Les enquêteurs de Human Rights Watch ont trouvé le village de al-Muntasir abandonné et mis à sac. Les portes de plusieurs maisons, dans le village, portaient les noms, inscrits à la peinture en bombe, de Kurdes auxquels les autorités kurdes avaient de toute évidence donné la permission d'occuper finalement ces maisons. Lorsque Human Rights Watch a interrogé un officiel de la PUK, dans la ville voisine de Daqouq, sur ces expulsions, il a déclaré qu'elles avaient été conduites sur la base d'une décision politique prise par le Bureau politique de la PUK.  
 
Selon cet officiel, cette politique affirme que toutes les personnes ayant dû quitter leur domicile originel par le passé et se réinstaller dans d'autres régions du pays à cause du gouvernement irakien, doivent maintenant retourner dans ces maisons. Selon cet officiel de la PUK, cette politique " a été approuvée par les forces américaines et celles de la coalition. " Aucune confirmation indépendante, ni aucun démenti de l'approbation donnée par ces forces n'était immédiatement disponible.  
 
Alors que les officiels de la PUK, à Arbil, ont affirmé aux chercheurs de Human Rights Watch qu'ils avaient donné des assurances aux représentants de la tribu al-Shummar selon lesquelles les habitants n'avaient pas à quitter leur maison, ceci ne semble pas avoir été mis en application sur le terrain.  
 
Human Rights Watch affirme que les Etats Unis, en tant que puissance occupante, ont la responsabilité d'agir pour prévenir les abus contre les droits humains. Selon le droit international, une puissance occupante a le devoir de restaurer et d'assurer l'ordre public dans le territoire sous son autorité. Selon les Conventions de Genève de 1949 (Quatrième Convention, article 6), ce devoir entre en vigueur dès que la force d'occupation exerce son contrôle ou son autorité sur les civils du territoire.  
 
Les commandants militaires doivent prévenir et quand nécessaire, faire cesser les graves violations impliquant la population locale sous leur contrôle ou sujette à leur autorité. La puissance occupante est responsable de la protection de la population contre une violence commise par des tiers, comme des groupes armés nouvellement formés ou des forces de l'ancien régime. Assurer la sécurité locale inclut la protection des personnes, dont les groupes minoritaires et les officiels de l'ancien gouvernement, contre des représailles et des attaques lancées pour se venger.  
 
Contexte  
En 1973, dans le cadre de la politique du gouvernement irakien pour sédentariser les tribus arabes nomades du Centre et du Sud de l'Irak, des familles de la tribu al-Shummar ont été installées dans la région de al-Iskan, à environ 28 kilomètres au sud de Kirkuk. Ces familles ont reçu des maisons ainsi que des terres agricoles qui appartenaient à des Kurdes déplacés de force. Quelques familles s'étaient installées là, suite à la guerre du Golfe en 1991. Ces familles vivaient au Koweït et appartenaient à la communauté bédouine de ce pays à laquelle le gouvernement koweïtien a refusé la nationalité. Certaines de ces familles ont fui en Irak avant la guerre et le gouvernement koweïtien a ensuite refusé de les accueillir de nouveau, à la fin des hostilités.  
 
En 1975, suite à l'effondrement de la révolte kurde menée par Mulla Mustafa Barzani, le gouvernement irakien s'est lancé dans un vaste programme " d'arabisation " des provinces kurdes du Nord, expulsant des dizaines de milliers de Kurdes, de Turkmènes et d'Assyriens de leur maison pour les remplacer par des familles arabes du Sud de l'Irak. Au moins 120 000 personnes appartenant à ces minorités ethniques ont été expulsées depuis 1991, la plupart étant des Kurdes. Pour un rapport détaillé sur l'expulsion des minorités ethniques de la région de Kirkuk, merci de consulter en anglais: http://www.hrw.org/reports/2003/iraq0303/  
 
Pour lire en anglais des documents récents de Human Rights Watch sur la guerre en Irak, merci de consulter : http://www.hrw.org/campaigns/iraq/