HUMAN RIGHTS WATCH

Saddam Hussein considéré comme prisonnier de guerre

Questions/Réponses sur le statut de prisonnier de guerre de Saddam Hussein

Le 13 décembre, les forces américaines en Irak capturaient l’ex-leader irakien Saddam Hussein. Le 9 janvier les Etats Unis déclaraient officiellement que Saddam Hussein est un prisonnier de guerre au titre des Conventions de Genève de 1949. La décision soulève un certain nombre de questions en droit international humanitaire, connu aussi sous le nom des lois de la guerre.

 
 
Saddam Hussein a-t-il droit au statut de prisonnier de guerre ?
 
 
Oui, selon les Conventions de Genève, Saddam Hussein est un prisonnier de guerre. Ce qui est moins clair est pourquoi le gouvernement américain a attendu un mois pour prendre cette décision. Les Conventions de Genève s'appliquent pendant un conflit armé international et sa subséquente occupation. En tant que commandant en chef des forces armées irakiennes, Saddam Hussein était un combattant habilité à être prisonnier de guerre au titre de l'article 4 de la troisième Convention de Genève. S'il n'avait pas été considéré comme tel, les USA auraient été obligés de lui accorder le statut de " personne protégée " en vertu de la quatrième Convention de Genève.  
 
 
Le statut de prisonnier de guerre aura-t-il une incidence sur le traitement de Saddam Hussein ?  
 
Le statut de prisonnier de guerre ne devrait globalement pas modifier son traitement. Avant l'annonce officielle de son statut de prisonnier de guerre, les Etats Unis avaient affirmé traiter Saddam Hussein comme tel. Cela était conforme à l'article 5 de la troisième Convention de Genève, qui stipule qu'un combattant capturé est considéré comme un prisonnier de guerre à moins que et jusqu'à ce qu'un " tribunal compétent " en décide autrement. Si les USA ne traitaient pas Saddam Hussein conformément aux obligations concernant les prisonniers de guerre, ils devraient le faire immédiatement.  
 
La troisième Convention de Genève énonce des règles détaillées pour un traitement humain des prisonniers de guerre. Une bonne protection des prisonniers de guerre signifie qu'ils ne peuvent être punis pour avoir refusé de donner plus que leurs nom, grade, numéro de matricule et date de naissance. Cela n'empêche cependant pas un pays détenant un prisonnier de guerre de l'interroger sur d'autres sujets. En aucun cas, un Etat détenant un prisonnier ne doit le torturer ou le maltraiter afin de le contraindre à livrer des informations. Cette protection est obligatoire pour tous les détenus, et ne bénéficie pas qu'à ceux qui possèdent le statut de prisonniers politiques.  
 
Human Rights Watch est particulièrement préoccupé par le fait que jusqu'à ce jour le Comité International de la Croix Rouge (CICR) n'a pas eu accès à Saddam Hussein. Les Conventions de Genève dotent expressément le CICR d'un accès illimité et sans entraves aux prisonniers de guerre et à toutes les autres catégories de personnes détenues pendant un conflit armé ou une occupation. (Articles 9 et 125 de la troisième Convention de Genève.) Le CICR est le mieux placé pour assurer que les autorités américaines traitent Saddam Hussein et les autres personnes détenues par les forces de la Coalition conformément aux Conventions de Genève. L'accès du CICR à Saddam devrait être immédiat.  
 
Peut-on toujours juger Saddam Hussein pour les crimes de guerre et autres crimes commis par le passé ?  
 
Le statut de prisonnier de guerre de Saddam Hussein ne l'exonère pas d'être jugé pour les crimes de guerre, de génocide, crimes contre l'humanité et ses autres atteintes aux droits. Selon le droit international humanitaire, les soldats bénéficient du " privilège du combattant, " qui implique qu'ils ne doivent être poursuivis pour avoir pris part à un conflit armé et blessé des combattants ennemis au combat. Ainsi, s'ils sont capturés, ils ne doivent être poursuivis pour avoir participé à la guerre.  
 
Mais les Conventions de Genève prévoient que toutes personnes impliquées dans des crimes de guerre doivent être poursuivies pour leurs actes (Troisième convention, article 129). Dans le cas de Saddam Hussein, cela devrait comprendre les crimes qu'il aurait commis dans les années 1980-1988 pendant la guerre Iran-Irak, et en 1991 pendant la guerre du Golfe. Il pourrait par ailleurs être poursuivi pour crimes contre l'humanité et génocide, notamment au titre de la campagne Anfal de 1988 contre les Kurdes irakiens, des assassinats à grande échelle consécutifs aux révoltes de 1991 dans le Nord et le Sud de l'Irak, et de la répression brutale des Arabes Marsh. Si Saddam Hussein peut être jugé pour des crimes en vertu de la loi irakienne, il ne pourra être poursuivi sur la base des lois pénales passées, après les faits, par le Conseil du Gouvernement Irakien ou par un pays étranger.  
 
Si les USA poursuivaient directement Saddam Hussein pour crimes de guerre, la Troisième Convention de Genève (art. 84) les obligeraient à le juger devant une cour martiale ou une cour fédérale américaine. Ils ne pourraient pas régulièrement le juger devant une commission militaire comme celles établies pour juger les terroristes présumés détenus à Guantanamo. Les Etats Unis pourraient livrer Saddam Hussein à un autre Etat pour les poursuites - y compris à un gouvernement irakien souverain - dès lors que cet Etat est membre de la Convention de Genève. Ainsi, les Etats-Unis sont surtout chargés d'assurer que Saddam est poursuivi selon les normes internationales en matière de justice.  
 
Le tribunal spécial prévu pour poursuivre Saddam est-il légal ?  
 
Pendant plus de 10 ans, Human Rights Watch a demandé la poursuite de Saddam Hussein pour crimes de guerre, de génocide, crimes contre l'humanité, au titre du droit international. Les Etats-Unis ont indiqué qu'ils livreront Saddam Hussein à un tribunal spécial établi par le Conseil du Gouvernement Irakien sous l'autorité de l'Autorité Provisoire de la Coalition. Human Rights Watch est cependant préoccupé par le fait que la loi instituant le Tribunal Spécial Irakien repose sur des fondements viciés.  
 
Le statut du Tribunal Spécial ne prévoit pas que les jugements se déroulent en vertu des normes internationales des droits de l'homme. Parmi les inquiétudes de Human Rights Watch :  
 
  • Le statut du Tribunal Spécial n'établit pas la compétence du tribunal en conformité avec l'article 14 de la Convention Internationale sur les Droits Civils et Politiques (ICCPR.) Il n'exige pas que les juges et les procureurs soient expérimentés en matière de cas criminels complexes ou de cas impliquant de sérieux crimes relatifs aux droits humains. Par ailleurs, le code interdit la nomination de procureurs non Irakiens et de juges d'investigations avec une bonne expérience de ce genre de cas.  
     
  • Le statut du Tribunal Spécial ne prévoit pas que la culpabilité doit reposer sur des preuves incontestables. La Commission des Nations Unies pour les Droits Humains a déclaré, dans son commentaire général de l'article 14 du ICCPR, que : " Eu égard à la présomption d'innocence, l'accusation a la lourde tâche de prouver les charges et l'accusé jouit du bénéfice du doute. Une culpabilité ne peut être présumée que lorsque les charges ont été prouvées de manière incontestable. "  
     
  • Le statut du Tribunal Spécial n'interdit pas la peine de mort. Le droit humain international, tel que codifié à l'article 6 de l'ICCPR, promeut l'abolition de la peine capitale. En outre, la pratique, qui reconnaît de plus en plus que la peine de mort viole les droits humains élémentaires, a alimenté un mouvement grandissant dans le monde pour radier la peine de mort.  
     
  • Le statut du Tribunal Spécial stipule que le droit pénal irakien et les procédures pourvoiront subsidiairement aux principes de droit pénal, responsabilité pénale individuelle, et de légalité de la peine s'ils ne sont pas mentionnés dans le code. Les lois irakiennes posent des dispositions contraires aux normes internationales, par exemple celles qui autorisent les aveux sous la contrainte et l'absence d'avocats pendant l'interrogatoire dans certains cas.  
     
    Il y a aussi des interrogations majeures concernant la légitimité, au regard du droit international, de mettre sur pied, en période d'occupation, un tribunal national comme le Tribunal Spécial Irakien. L'Autorité Provisoire de la Coalition n'a réussi à articuler l'établissement du tribunal avec aucun fondement du droit international humanitaire. En outre, la rédaction du statut s'est déroulée dans le secret et n'a donné lieu à aucune consultation ni commentaire public.