hrw news

Maroc: la progression des droits humains mise à mal par la répression antiterroriste

(Rabat, Maroc, le 21 octobre 2004) – La campagne que mène le Maroc contre les activistes islamistes présumés mine les progrès considérables que le pays a opérés en matière de droits humains au cours des dernières années, a déclaré Human Rights Watch dans un nouveau rapport publié aujourd'hui.

« Les détenus sont condamnés de manière expéditive car les procureurs et les juges se soucient peu de la méthode utilisée par la police pour obtenir leurs dépositions. La façon dont ils sont traités montre que si les droits humains ont fait du chemin au Maroc, ils sont restés fort à l'écart des tribunaux . »
Sarah Leah Whitson, directrice exécutive à la Division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch
  

Aussi disponible en

arabic  english 
Suite aux attentats suicides perpétrés à Casablanca le 16 mai 2003, les autorités ont adopté une loi antiterroriste sévère et arrêté plus de 2.000 activistes présumés, soumettant un grand nombre d'entre eux à des menaces et des exactions. Les suspects ont été maintenus au secret pendant des périodes prolongées et ont été confrontés à d'autres violations de leur droit à une procédure et à un procès équitables.  
 
“Les détenus sont condamnés de manière expéditive car les procureurs et les juges se soucient peu de la méthode utilisée par la police pour obtenir leurs dépositions,” a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice exécutive à la Division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. “La façon dont ils sont traités montre que si les droits humains ont fait du chemin au Maroc, ils sont restés fort à l'écart des tribunaux .”  
 
Le rapport de 70 pages, intitulé “Les droits humains à la croisée des chemins,” reprend des entretiens effectués avec les avocats et les parents des prisonniers marocains qui ont déclaré que lors de leurs interrogatoires, ils avaient été soumis à des exactions physiques et mentales, équivalant dans certains cas à des tortures, pour leur arracher des aveux ou les forcer à signer une déposition qu'ils n'avaient pas faite. Beaucoup ont été maintenus au secret par la police au delà du délai autorisé par la loi et ils n'ont pas eu rapidement accès aux conseils d'un avocat.  
 
Human Rights Watch a constaté que la loi antiterroriste marocaine, adoptée hâtivement à la suite des attentats de Casablanca, érodait les protections des droits. Par exemple, la loi porte à douze jours la période pendant laquelle la police peut détenir un terroriste présumé avant de le faire comparaître devant un juge, et à dix jours la période pendant laquelle elle peut le maintenir en détention avant qu'il ne consulte un avocat. Par ailleurs, la loi introduit une définition radicale des infractions liées au “terrorisme”, pour lesquelles des peines plus lourdes sont applicables.  
 
“Les problèmes qui affectent le Maroc sont plus profonds qu'une simple loi,” a souligné Whitson. “Même les récentes réformes du système judiciaire n'ont pas résolu les insuffisances systémiques qui frappent la protection des droits.”  
 
Human Rights Watch a souligné que les tribunaux marocains devraient remplir leur rôle de rempart contre les exactions, d'une part en rejetant les preuves qui ont été extorquées sous la torture, la contrainte excessive ou suite à d'autres graves violations du droit à une procédure équitable, et d'autre part en veillant à ce que les auteurs répondent de leurs actes.  
 
Le rapport examine par ailleurs un événement positif pour les droits humains au Maroc, la création d'une commission chargée de rassembler des informations et de fixer des réparations pour les graves exactions perpétrées par l'Etat à l'encontre des dissidents et autres personnes sous le règne d'Hassan II, le père du roi actuel. Il décrit l'Instance Equité et Réconciliation comme étant l'effort le plus sérieux fait dans le monde arabe à ce jour pour reconnaître et s'attaquer aux abus commis dans le passé mais il s'inquiète des limitations qui touchent au mandat et aux pouvoirs de cette commission. Le rapport émet des recommandations visant à aider la commission à aborder les abus du passé d'une façon telle qu'elle puisse contribuer plus efficacement à mettre un terme à l'impunité.  
 
Human Rights Watch invite résolument les Etats-Unis et l'Union européenne à intégrer la question du respect des droits humains dans leur coopération croissante avec le Maroc en matière de sécurité. Les recommandations appellent en outre à aider le pays à réformer son système judiciaire tout en poussant le gouvernement marocain à faire de l'indépendance de la justice une réalité. Le rapport demande également aux Etats-Unis et aux pays européens de ne pas extrader ou renvoyer par la force vers le Maroc les personnes soupçonnées d'avoir commis des infractions liées au terrorisme à moins que le gouvernement ne fournisse des garanties vérifiables démontrant que ces personnes ne seront pas soumises à la torture ou à d'autres mauvais traitements.  
 
“Les attentats suicides de mai 2003 sont des attaques abjectes contre des civils innocents,” a ajouté Whitson. “Mais tant que les autorités ne combattront pas la violence extrémiste en utilisant une méthode compatible avec leur engagement public envers les droits humains, les droits de tous les Marocains seront en péril.”