HUMAN RIGHTS WATCH

Les grandes lignes de l'affaire Habré

1990  
Le 1er décembre, voit la chute du régime de Hissène Habré. Idriss Deby prend le pouvoir et Hissène Habré se réfugie au Sénégal.  
 
 
1991  
Plusieurs rescapés des geôles de Hissène Habré fondent l’Association des Victimes de Crimes et Répressions Politiques au Tchad (AVCRP) afin, entre autres objectifs, d’engager des poursuites judiciaires nationales et internationales à l’encontre des auteurs des crimes et répressions commis sous le régime d’Habré et de demander une indemnisation des victimes.  
 
 
1992  
La Commission d’Enquête du Ministère tchadien de la Justice publie son rapport à N’Djaména en mai. Le rapport accuse le régime d’Hissène Habré de 40 000 assassinats politiques et de torture systématique. La Commission recommande que Habré et ses complices soient poursuivis pénalement et que des réparations morales et symboliques soient accordées aux victimes.  
 
 
1999  
S’inspirant du procès Pinochet, l’Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (ATPDH) demande à Human Rights Watch d’aider les victimes d’Habré à le poursuivre en justice. Afin de préparer le dépôt de plaintes contre Habré, des chercheurs de Human Rights Watch et de la Rencontre Africaine pour les Droits de l’Homme (RADDHO) au Sénégal conduisent deux missions au Tchad.  
 
 
2000  
Le 26 janvier, sept victimes tchadiennes et l’AVCRP portent plainte devant le tribunal régional hors-classe de Dakar contre Hissène Habré, l’accusant d’actes de torture et de crimes contre l’humanité.  
 
Le 3 février, le juge d’instruction sénégalais, Demba Kandji, après avoir entendu les victimes, cite Habré à comparaître et l’inculpe de complicité de crimes contre l’humanité, d’actes de torture et de barbarie et le place en résidence surveillée. Le parquet qui avait été consulté au préalable est favorable aux poursuites.  
 
Le 18 février, Hissène Habré, par l’intermédiaire de ses avocats, interjettent appel, devant la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar, de l’ordonnance d’inculpation du juge Kandji.  
 
Le 30 juin, le Conseil supérieur de la magistrature décide de muter le Juge Kandji et de promouvoir à un autre poste le président de la Chambre d’accusation en charge de la procédure d’appel dans l’affaire Habré.  
 
Le 4 juillet, la Chambre d'accusation décide que le Sénégal n'a pas compétence pour poursuivre Hissène Habré parce que ses crimes n’ont pas été commis au Sénégal. Pendant l’audience, le parquet s’était, cette fois-ci, opposé aux poursuites contre Habré. Cette décision, et les circonstances qui l’entourent, est vivement critiquée par les experts des Nations Unies sur la torture et l'indépendance du pouvoir judiciaire. Les victimes introduisent un pourvoi contre cette décision devant la Cour de Cassation du Sénégal.  
 
L’inculpation de Hissène Habré n’est pas sans effets au Tchad. Le 26 octobre, dix-sept victimes portent plainte au Tchad pour torture, meurtre et « disparition » contre les complices de Hissène Habré, les anciens directeurs, chefs de services et membres de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), la police politique de Habré.  
 
Le 30 novembre, trois victimes de nationalité belge d’origine tchadienne, vivant en Belgique, déposent plainte à Bruxelles contre Hissène Habré, en application de la loi dite de compétence universelle, pour crime contre l’humanité, crime de torture, crime d’arrestation arbitraire et d’enlèvement. Depuis, une vingtaine d’autres victimes se sont jointes à ces plaintes. Le juge d’instruction Daniel Fransen du tribunal de Première instance de Bruxelles est chargé de ce dossier.  
 
 
2001  
 
Le 20 mars, la Cour de Cassation du Sénégal déclare que le Sénégal n’a pas de compétence juridictionnelle pour juger des crimes commis par Habré. Les victimes annoncent qu’elles chercheront à obtenir son extradition vers la Belgique.  
 
Le 7 avril, Wade demande à Hissène Habré de quitter le Sénégal.  
 
Le 18 avril, les victimes déboutées par la Cour de cassation du Sénégal portent plainte contre le Sénégal devant le Comité des Nations Unies contre la Torture pour violation de la Convention contre la Torture.  
 
Le 23 avril, le Comité des Nations Unies contre la Torture, en réponse à la demande des victimes pour des mesures provisoires, demande au Sénégal de « ne pas expulser Monsieur Hissène Habré et de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que Monsieur Hisséne Habré quitte le territoire du Sénégal autrement qu’en vertu d’une procédure d’extradition.”  
 
En mai, Human Rights Watch découvre à N’Djaména les archives abandonnées de la DDS.  
 
Le 11 juin, Maître Jacqueline Moudeïna, l’avocate tchadienne des victimes de Hissène Habré est blessée par une grenade alors qu’elle participait à une manifestation pacifique à N’Djaména. Cet attentat aurait été dirigé par un complice de l’ex-président Habré travaillant toujours pour les forces de sécurité de l’état tchadien et qui est l’objet d’une plainte déposée par Jacqueline Moudeïna.  
 
Le 27 septembre, le président sénégalais Abdoulaye Wade déclare lors d’une interview avec le quotidien suisse Le Temps qu’à la demande des Nations Unies, il a accepté de garder Hissène Habré sur son sol, le temps qu’une justice le réclame.  
 
 
2002  
 
Du 27 février au 7 mars, le juge Daniel Fransen enquête au Tchad, accompagné du Procureur du roi, de quatre officiers de police judiciaire et de sa greffière.  
 
Le 26 juin, la Cour d’Appel de Bruxelles décide, au cours de l’examen d’une plainte déposée à l’encontre du Premier Ministre israélien Ariel Sharon, que la loi belge de compétence universelle ne peut être invoquée à moins que l’accusé ne se trouve sur le sol belge. L’instruction de l’affaire Habré est suspendue temporairement.  
 
Le 7 octobre, le Ministre tchadien de la Justice écrit au juge Fransen pour lui dire que « Monsieur Hissène Habré ne peut prétendre jouir d’aucune immunité de la part des autorités tchadiennes ».  
 
 
2003  
 
Le 12 février, la Cour de Cassation belge casse la décision de la Cour d’appel de Bruxelles dans l’affaire Sharon et décide que la loi de compétence universelle ne nécessite pas la présence de l’accusé en Belgique pour s’appliquer. Cependant et dans le même temps, le Parlement belge examine des amendements qui modifieraient cette loi.  
 
Le 5 avril, le Parlement belge vote une première limitation de la loi belge de compétence universelle. La nouvelle version de la loi ne permet la tenue de procès en Belgique que lorsqu’il existe un lien entre l’affaire jugée et la Belgique et quand un tel procès ne pourrait être organisé ailleurs.  
 
Dans une lettre du 5 juin, le Ministre belge de la Justice déclare que « la procédure de dessaisissement prévu par la nouvelle loi ne sera pas engagée » dans l’affaire Habré parce que trois des plaignants ont la nationalité belge et parce que ni le Sénégal ni le Tchad ne sont en mesure de traiter ce cas.  
 
En juillet-août, après que des plaintes ont été déposées à Bruxelles contre des responsables américains, le Parlement belge abroge la loi de compétence universelle sous la pression des Etats-Unis. La majorité des poursuites pendantes devant les tribunaux belges en application de cette loi devront être arrêtées. Cependant, une disposition transitoire permet la poursuite du cas Hissène Habré. Après 14 mois d’interruption, le juge Fransen reprend l’instruction de l’affaire Habré.  
 
 
2004  
 
Le 31 janvier, à la veille du 4ème anniversaire de l’inculpation d’Habré au Sénégal, l’AVCRP organise un rassemblement demandant l’indemnisation des victimes.  
 
 
2005  
 
Le 12 juillet, un rapport de Human Rights Watch révèle comment des dizaines de complices de Hissène Habré occupent toujours des positions de responsabilité au sein du gouvernement et de l’administration tchadienne.  
 
Le 12 août, six des complices de Hissène Habré sont démis de leurs fonctions au sein de l’appareil sécuritaire de l’Etat.  
 
Le 12 août, le gouvernement tchadien adresse une lettre à Human Rights Watch s’engageant à démettre de leurs fonctions gouvernementales tous les complices de Hissène Habré, mais aussi à rapidement examiner un projet de loi relative à l’indemnisation des victimes du régime Habré et à construire un monument à mémoire des victimes dès lors que les fonds nécessaires auront été trouvés.  
 
Le 19 septembre, le juge belge Fransen, après 4 années d’enquête, délivre un mandat d’arrêt international à l’encontre de Hissène Habré, inculpant l’ancien président du Tchad de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, actes de torture, et de violations graves du droit international humanitaire. Le même jour, la Belgique adresse une demande d’extradition au Sénégal.  
 
En exécution de la demande d’extradition, les autorités sénégalaises arrêtent Hissène Habré le 15 novembre et le placent en détention.  
 
Le 24 novembre, le Procureur de la République du Sénégal recommande à la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar de se déclarer incompétente pour statuer sur la demande d’extradition.  
 
Le 25 novembre, la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar se déclare incompétente pour statuer sur la demande d’extradition. Hissène Habré est relâché.  
 
Le 26 novembre, le Ministre sénégalais de l’Intérieur, Ousmane Ngom, prend un arrêté mettant Hissène Habré « à la disposition du Président de l’Union africaine », à l’époque Olusegun Obasanjo Président du Nigeria, et laisse entendre que Hissène Habré serait expulsé vers le Nigeria dans un délai de quarante huit heures.  
 
Le 27 novembre, le Ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, déclare que Hissène Habré resterait au Sénégal le temps que l’Union africaine décide de « la juridiction compétente pour juger cette affaire » lors de son prochain Sommet en janvier 2006.  
 
 
2006  
 
Le 24 janvier, l’Union africaine, réunie en Sommet à Khartoum, décide « de mettre en place un Comité d’éminents juristes africains » afin « d’examiner tous les aspects et toutes les implications du procès d’Hissène Habré ainsi que les options disponibles pour son jugement », et de soumettre un rapport à la prochaine session de l’Union africaine en juillet 2006.  
 
Le 26 janvier, la Vice-Première ministre belge et ministre de la Justice, Mme. Laurette Onkelinx, déclare que si le Sénégal refuse d’extrader Habré, la Belgique invoquera l’article 30 de la Convention des Nations Unies contre la Torture, qui pourrait conduire, le cas échéant, à porter son différend avec le Sénégal devant la Cour internationale de Justice.  
 
Le 16 mars, le Parlement Européen demande au Sénégal que Hissène Habré soit traduit en justice en Afrique ou qu’il soit extradé vers la Belgique.  
 
Le 18 mai, le Comité des Nations Unies contre la torture rend une décision sur le fond de la plainte des victimes qui conclut que le Sénégal a violé la Convention contre la torture en manquant à son obligation de poursuivre ou d’extrader Hissène Habré. Le Comité enjoint les autorités sénégalaises « de soumettre la présente affaire à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale ou, à défaut, dans la mesure où il existe une demande d’extradition émanant de la Belgique, de faire droit à cette demande, ou le cas échéant, à tout autre demande d’extradition émanant d’un autre Etat en conformité avec les dispositions de la Convention ».  
 
Le 2 juillet, l'Union africaine, s'appuyant sur les recommandations du Comité d’éminents juristes africains, demande au Sénégal de juger Hissène Habré « au nom de l'Afrique », ce que le Président du Sénégal, Abdoulaye Wade, accepte.  
 
 
2007  
 
Le 31 janvier, l’Assemblée nationale sénégalaise adopte une nouvelle loi permettant d’instruire des cas de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, même s’ils ont été commis hors du territoire sénégalais, ce qui lève les obstacles juridiques au procès de M. Habré au Sénégal.  
 
Le 26 avril, le Parlement européen invite l’Union européenne « à encourager et à appuyer le gouvernement du Sénégal dans ses efforts en vue de préparer un procès rapide et équitable d'Hissène Habré, afin qu'il réponde devant la justice d'accusations de violations massives des droits de l'Homme ».  
 
En juillet, les Présidents suisse et français annoncent qu’ils fourniraient une assistance au Sénégal afin de conduire les investigations et le procès.  
 
Le 13 juillet, le ministre sénégalais de la justice, Cheikh Tidiane Sy, annonce qu’un procès d’ Hissène Habré serait tenu devant la Cour d’Assises qui serait réformée afin de supprimer le jury populaire et de créer une cour d’appel mais il refuse de donner un calendrier.  
 
 
2008  
 
Le 20 janvier, une délégation européenne, dirigée par Bruno Cathala, le Greffier de la Cour pénale internationale, arrive à Dakar pour évaluer les besoins du Sénégal et proposer une aide technique et financière.  
 
Le 14 avril, Madické Niang, l’ex- coordinateur des avocats d’Hissène Habré, devient Ministre de la Justice au Sénégal. Il s’agit d’une fonction clé pour l’organisation du procès de Hissène Habré.  
 
Le 23 juillet, le Congrès sénégalais adopte un amendement constitutionnel qui confirme la compétence de la justice sénégalaise pour juger des crimes contre l’humanité perpétrés par le passé.  
 
Le 16 septembre, quatorze victimes déposent plainte devant un procureur sénégalais, accusant l’ancien dictateur tchadien de crimes contre l’humanité et de torture.



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