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Tunisie: la police recourt à la force pour empêcher la tenue d'une réunion sur les droits humains

Le gouvernement qualifie d' ‘illégale’ la rencontre d'une association des droits humains

(Paris, le 14 décembre 2004) — La police tunisienne a recouru à la force pour empêcher une organisation des droits de l'homme de tenir son assemblée générale samedi, démontrant une nouvelle fois l'intolérance de l'Etat à l'égard des activités indépendantes dans le domaine des droits humains.

« Les autorités tunisiennes se targuent du fait que plus de 8.000 associations sont légalement reconnues dans le pays. Mais aussi longtemps que le gouvernement interdira ou harcèlera les quelques groupements qui osent contester les politiques gouvernementales, on ne pourra pas dire que la liberté d'association existe en Tunisie. »
Sarah Leah Whitson, directrice à la Division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch
  

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Le lendemain de la Journée Internationale des droits de l'homme, alors même que les journaux tunisiens contrôlés par l'Etat publiaient à la une les résultats obtenus en la matière par le Président Zine el-Abidine Ben Ali, des dizaines de policiers ont encerclé le siège de l'une des principales associations de défense des droits humains du pays, le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT). La police en a bloqué l'accès aux personnes qui espéraient pouvoir assister à l'assemblée générale de l'organisation et elle a par ailleurs sauvagement agressé deux membres du CNLT ainsi qu'un autre défenseur des droits humains.  
 
Au cours des dernières années, la police tunisienne a fait obstacle à des dizaines de rassemblements indépendants sur les droits de l'homme, utilisant souvent la violence pour disperser les personnes souhaitant avoir accès au bâtiment où étaient prévues les réunions.  
 
La répression frappant les rassemblements sur les droits humains survient au moment où Tunis arbore des pancartes annonçant le Sommet Mondial sur la Société de l'Information (SMSI) parrainé par l'ONU, événement que la ville accueillera en novembre 2005. Le sommet est présenté comme un débat international sur l'impact de la révolution digitale et sur la façon de combler au mieux la “fracture numérique” entre riches et pauvres.  
 
“En accueillant le sommet de l'ONU sur la société de l'information, la Tunisie veut être considérée comme un leader international en matière d'accès accru à l'information,” a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice à la Division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. “Mais en ce qui concerne son bilan dans le domaine des droits humains, le gouvernement tunisien est un leader en matière de suppression de l'information.”  
 
Les autorités tunisiennes ont non seulement empêché les réunions du CNLT d'avoir lieu mais elles ont également bloqué l'accès local au site web de l'organisation (http://welcome.to/cnlt) et à de nombreux autres sites qui traitent des droits humains et de la politique en Tunisie. Les médias officiels et semi-officiels font le black-out total sur les activités et déclarations de l'organisation.  
 
Un responsable du gouvernement a confirmé que la police avait empêché la tenue de la réunion du 11 décembre, faisant valoir que le CNLT “n'a aucune existence légale.” Ce responsable, parlant à l'Agence France-Presse sous le couvert de l'anonymat, a nié le fait que la police avait recouru à la violence.  
 
Bien que la constitution tunisienne garantisse la liberté d'association, les autorités du pays ont refusé de reconnaître légalement chacune des organisations réellement indépendantes de défense des droits de l'homme qui en ont fait la demande au cours des dix dernières années. En 1999, le CNLT a interjeté appel du rejet de sa demande par le Ministère de l'Intérieur mais cinq ans plus tard, le tribunal administratif n'a toujours pas statué sur le cas.  
 
En juillet, la police de Tunis a empêché un autre groupe indépendant, l'Association internationale de solidarité avec les prisonniers politiques (AISPP), de tenir son assemblée générale au cabinet de son président. Le 15 juin, les autorités avaient refusé d'accorder l'agrément à l'organisation.  
 
Dans le cas de deux autres organisations de droits humains, l'Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT) et le Centre Tunisien pour l’indépendance de la justice (CTIJ), les responsables du Ministère de l'Intérieur sont même allés jusqu'à refuser de recevoir leurs demandes d’agrément.  
 
Bien que jouissant d'une reconnaissance juridique, la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'homme (LTDH) fait également l'objet d'un harcèlement constant de la part du gouvernement. Le 28 novembre, la police s'est massée devant le bureau de la Ligue à Kairouan et a dressé des barrages à l'entrée de la ville pour empêcher les gens d'assister à une conférence sur les dernières élections nationales. Des témoins ont dénoncé à Human Rights Watch les brutalités policières dont a été victime Hamma Hammami, chef de file du Parti Communiste des Ouvriers Tunisiens (non reconnu) lorsque celui-ci s'approchait du bureau de la Ligue. Les responsables tunisiens ont démenti avoir eu recours à la violence. La veille de la rencontre avortée, les responsables du Ministère de l'Intérieur de Kairouan avaient averti la Ligue que la rencontre ne pourrait avoir lieu car des représentants d'organisations non reconnues faisaient partie des co-organisateurs.  
 
“Les autorités tunisiennes se targuent du fait que plus de 8.000 associations sont légalement reconnues dans le pays,” a ajouté Whitson. “Mais aussi longtemps que le gouvernement interdira ou harcèlera les quelques groupements qui osent contester les politiques gouvernementales, on ne pourra pas dire que la liberté d'association existe en Tunisie.”