HUMAN RIGHTS WATCH

Israël/Territoires palestiniens occupés

La situation des droits de l’homme est restée critique pendant toute l’année 2004 en Israël, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, où les conflits armés ont coûté la vie à de nombreux civils. Alors que d’aucuns pensaient que le décès d’Arafat, le 11 novembre, marquerait le début d’une nouvelle ère pour le conflit israélo-palestinien, peu de changements sont survenus sur le sol où Israël construit un mur en Cisjordanie et où les colonies illégales d’Israéliens continuent de s’étendre. Le 3 décembre, un grand leader du Hamas a déclaré que le groupe serait prêt à accepter la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ainsi qu’un armistice à long-terme avec Israël. Reste à voir si Israël fera des déclarations réciproques et si les paroles seront traduites en actions.

En 2004, l’armée et les forces de sécurité israéliennes ont fait de nombreuses incursions militaires, à large échelle dans la bande de Gaza, et dans les zones à forte densité palestinienne, causant souvent de lourds tributs en termes de morts, de blessés et de destructions matérielles. Les groupes armés palestiniens ont tiré des rockets depuis la bande de Gaza sur des colonies civiles israéliennes et des zones fortement peuplées en Israël, près de la frontière. Ils ont organisé sept attentats suicides en Israël et quatre autour des postes de contrôle de l’armée israélienne dans les Territoires palestiniens occupés. Les attaques armées et les combats dans le courant de l’année ont porté le nombre de victimes depuis septembre 2000 à plus de trois mille morts et plus de 34.000 blessés du côté palestinien et près d’un millier de morts et de six mille blessés du côté israéliens, la plupart étant des civils.  
 
Les autorités israéliennes poursuivent leur politique de fermeture, imposant de sévères et fréquentes restrictions arbitraires de la liberté de circulation en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem Est, aggravant ainsi une crise humanitaire marquée par une extrême pauvreté, le chômage et l’insécurité alimentaire. Les restrictions de circulation ont également gravement compromis l’accès des résidents palestiniens aux soins de santé, à l’éducation et à d’autres services.  
 
Ces deux dernières années, ces restrictions sont devenues plus strictes et plus permanentes à certains endroits, avec la construction d’une “barrière de séparation” en Cisjordanie. Alors qu’Israël justifie cette barrière par des raisons de sécurité – il s’agit d’empêcher des groupes de Palestiniens armés de mener des attaques contre Israël - 85 pour cent de son tracé s’étend en Cisjordanie, annexant ainsi à Israël la plupart des grandes colonies juives illégales construites ces quelques dernières décennies et confisquant certaines des terres agricoles palestiniennes les plus productives et des sources d’eau absolument essentielles.  
 
En octobre 2004, la Knesset a approuvé le projet du Premier Ministre Ariel Sharon de se « désengager » de la bande de Gaza en 2005 en retirant ses forces militaires et les colonies juives. Mais le projet permettra à Israël de garder le contrôle des frontières, du littoral et de l’espace aérien de Gaza et ne mettra aucunement un terme à l’occupation israélienne de Gaza ni à sa responsabilité du bien-être de ses habitants.  
 
Le contrôle de l’Autorité Palestinienne (AP) sur les centres de population palestiniens est souvent purement théorique et l’anarchie prévaut dans certaines parties de la bande de Gaza et du Nord de la Cisjordanie. Des terroristes palestiniens ont lancé des attaques mortelles contre des personnes soupçonnées d’avoir collaboré avec les forces de sécurité israéliennes et des rivalités policières ont parfois donné lieu à des combats entre factions armées et des attaques d’officiels et de bureaux de l’AP.  
 
Usage illégal de la force  
L’armée israélienne et les forces de sécurité ont organisé d’innombrables attaques dans les zones palestiniennes durant l’année 2004. Les plus intenses ont eu lieu dans la bande de Gaza, sans que les attaquants n’aient pris aucune mesure pour éviter ou réduire les dommages subis par les civils et leurs biens. Human Rights Watch a rapporté de graves violations de la loi humanitaire internationale durant l’assaut des Forces de Défense Israéliennes en mai 2004, dans une ville du Sud de Gaza et dans le camp de réfugiés de Rafah, où plus de deux cents maisons, ainsi que des champs cultivés, des routes et d’autres infrastructures ont été rasés sans aucune nécessité militaire. Les forces israéliennes ont également continué à faire un usage abusif et sans discernement d’armes de destruction. Le 19 mai 2004, par exemple, pendant les incursions de Rafah, un tank et un hélicoptère armé israéliens ont fait feu sur une foule de manifestants, tuant neuf personnes, dont trois enfants. A la fin du mois de septembre 2004, Israël a lancé une incursion massive dans le Nord de la bande de Gaza. Environ 130 Palestiniens ont été tués, plus d’un quart étant des enfants. Un officier israélien a abattu une jeune fille de treize ans, Imam al-Hams, de vingt balles. Plusieurs enfants ont été tués en classe lors d’autres incidents.  
 
En Cisjordanie, de nombreux civils ont été tués par des tirs israéliens. C’est ainsi qu’ont été tués à Nablus, en juin 2004, le docteur Khaled Salah, professeur à l’université de Najah et son fils âgé de seize ans. Israël n’a pas enquêté sur les agissements suspects de ses forces de sécurité, y compris les meurtres d’enfants, et continue ainsi à entretenir une atmosphère d’impunité.  
 
Alors qu’en 2004, le nombre d’attentats suicides de Palestiniens et d’attaques similaires visant des civils en Israël avait chuté considérablement en comparaison avec les années précédentes, ni l’Autorité Palestinienne ni les groupes armés responsables n’ont pris aucune mesure pour agir contre ceux qui ont commandité ou organisé ces attaques. Les groupes palestiniens armés dans la bande de Gaza ont lancé à de nombreuses reprises des rockets Qassam, une arme artisanale qui frappe sans distinction, sur des colonies illégales juives dans la bande de Gaza ainsi que sur des communautés du côté israélien de la frontière. Les rockets Qassam ont tué un homme et un petit enfant dans la ville frontalière de Sderot, en juin et deux petits enfants dans la même ville, en septembre. En août 2004, des terroristes apparemment affiliés au mouvement du Hamas ont lancé une ou plusieurs grenades dans la cellule d’une prison de l’AP, dans laquelle étaient enfermés des collaborateurs, puis ils sont entrés dans un hôpital de Gaza City pour tuer deux des prisonniers qui avaient été sérieusement blessés par les grenades. En juillet 2004, les terroristes ont essayé d’assassiner le membre du Conseil législatif palestinien Nabil Amr après qu’il ait critiqué le Président de l’AP, Yasser Arafat, dans une émission télévisée; Amr a été gravement blessé et a dû être amputé d’une jambe.  
 
Barrière de séparation et restriction de la libre circulation de personnes  
Le gouvernement d’Israël évoque la réduction significative des attentats suicides en 2004 pour étayer son affirmation selon laquelle la barrière de séparation assume une véritable fonction de sécurité, mais il omet de dire qu’une barrière construite entièrement du côté israélien de la « Green Line » aurait été tout aussi efficace. L’itinéraire actuel, par contre, est conçu pour « intégrer » 80 pour cent de la population juive vivant illégalement dans des colonies de Cisjordanie, ainsi que les terres et les ressources qu’elle contrôle, tandis que la politique gouvernementale continue à soutenir l’expansion des colonies. Dans le cas de nombreux villages palestiniens comme Jayyous et Isla, la barrière sépare des fermiers de leurs terres agricoles, de leurs serres, et de leurs oliviers et citronniers, et même de l’eau. D’autres Palestiniens qui se trouvent du côté israélien de la barrière doivent avoir des permis spéciaux pour résider dans leurs propres maisons. En entravant la circulation des personnes et, dans certains cas, la résidence, la barrière semble conçue pour encourager les Palestiniens à quitter la région et à s’installer dans d’autres parties de Cisjordanie, ou même dans d’autres pays.  
 
En juin 2004, la Haute cour de justice israélienne a demandé la modification du tracé d’une portion de quarante kilomètres de la barrière de séparation, estimant que celle-ci violait le principe de proportionnalité et infligeait à une population palestinienne déjà gravement affectée des privations et des souffrances (en la séparant de ses terres agricoles dont dépend leur alimentation) disproportionnées par rapport au bénéfice escompté au niveau de la sécurité. Les dommages causés par la barrière, a écrit la Cour, ne se limitent pas aux habitants immédiats: « L’ampleur du dommage est bien plus large. Il concerne la vie de toute la population. » Le gouvernement a répondu qu’il modifierait trente kilomètres du tracé dans la région pour répondre aux objections de la cour, mais ni la cour ni le gouvernement n’ont évoqué le problème de la proportionnalité dans les autres zones où passe la barrière.  
 
Le mois suivant, la Cour internationale de justice, dans une opinion consultative en réponse à une requête de l’Assemblée générale des NU, a stipulé que la barrière constituait une violation de la loi humanitaire internationale. La cour a écrit qu’Israël devrait cesser la construction de la barrière sur le territoire palestinien, démanteler les portions déjà construites sur le territoire palestinien et payer des dédommagements pour les dommages occasionnés par sa construction. Toutefois, la construction de la barrière s’est poursuivie depuis la décision de la CIJ.  
 
Les restrictions de la libre circulation imposées par Israël en Cisjordanie et dans la bande de Gaza sont tellement strictes qu’elles constituent une punition collective et une grave violation de la loi humanitaire internationale. Ces restrictions sont le résultat de la barrière, des colonies illégales sponsorisées par le gouvernement, du réseau de routes accessibles aux Juifs exclusivement et des plus de 700 postes de contrôle souvent occupés de manière arbitraire. Ce système de punition collective est également une violation directe de l’obligation d’Israël, en tant que puissance occupante, de garantir dans la mesure du possible le bien-être de la population qu’elle contrôle.  
 
Désengagement de Gaza  
Le Cabinet israélien a adopté le plan de « désengagement » de Gaza du Premier Ministre Sharon le 6 juin 2004 et la Knesset a donné son accord le 26 octobre. Le plan prévoit le retrait des colons juifs et le redéploiement des troupes israéliennes dans les postes du côté israélien de la frontière avec Gaza, mais il prévoit aussi qu’Israël gardera le contrôle des frontières, des côtes et de l’espace aérien de Gaza. Israël se réserve le droit de faire des incursions dans Gaza, et continuera à contrôler l’économie, le commerce, les télécommunications, l’eau, l’électricité et les réseaux d’égouts de Gaza. Le plan envisage explicitement la démolition de centaines de maisons le long de la frontière entre Gaza et l’Egypte afin d’élargir la zone tampon. Le plan stipule que le désengagement « libérera Israël de toute responsabilité vis-à-vis des Palestiniens dans la bande de Gaza ». Mais en fait, sous la loi humanitaire internationale, les mesures prévues ne mettront pas un terme à l’occupation du territoire par Israël, qui continuera à être responsable du bien-être de la population civile de Gaza.  
 
Acteurs clés internationaux  
Israël reste le plus grand bénéficiaire bilatéral d’assistance militaire et économique des Etats-Unis, qui s’est élevée à 2.7 milliards de dollars américains lors de l’exercice fiscal 2004. Les forces israéliennes de défense continuent d’utiliser des armes fournies par les USA dans les opérations militaires menées dans les Territoires palestiniens occupés, y compris des hélicoptères Apache et Cobra, des avions de combat F-16 et des armes automatiques M-16. Dans le cadre du Foreign Military Sales Program, Caterpillar Corporation a fourni à Israël les bulldozers construits selon des spécifications militaires, qui ont été utilisés pour démolir des maisons palestiniennes et d’autres propriétés civiles, violant ainsi la loi humanitaire internationale. Les réactions publiques des fonctionnaires de l’administration Bush face aux violations par Israël de la loi humanitaire internationale ont encore renforcé le droit d’Israël à l’autodéfense, sans référence claire aux normes de la loi humanitaire internationale et les USA n’ont pris aucune mesure publique pour enjoindre Israël à satisfaire à ses obligations dans le cadre de ces normes. En avril 2004, durant une visite du Premier Ministre Sharon à Washington, le Président Bush a ratifié le plan de « désengagement » de Gaza et manifesté son support en faveur d’un statut final de la Cisjordanie où Israël pourrait continuer à contrôler ses nombreuses colonies illégales qui y sont implantées. Bien que les USA appellent à un « gel » de la construction de colonies illégales, en 2004, l’administration a refusé de déduire des 9 milliards de dollars de prêts garanti en 2003 aucun montant correspondant aux dépenses israéliennes dans les colonies , comme cela avait été le cas l’année précédente. Des rapports ont été publiés dans la presse en 2004, affirmant que des unités de l’armée américaine s’entraînaient dans une « école spéciale anti-terreur » dans une base des forces de défense israéliennes près de Modi’in.  
 
Au début du mois de mai 2004, des représentants du « Quartet »—le Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, le Ministre des affaires étrangères irlandais Brian Cowen, représentant la présidence de l’Union européenne, le Ministre des affaires étrangères russe Sergei Lavrov, et le Secrétaire d’état américain Colin Powell se sont réunis aux NU et ont publié un communiqué appelant, entre autres, Israël à exercer son droit légitime à l’auto-défense « dans le cadre des paramètres de la loi humanitaire internationale » et l’AP à « prendre immédiatement des mesures contre les groupes terroristes et les individus qui projettent de mener de telles attaques ».