HUMAN RIGHTS WATCH

Rwanda

Dix ans après la fin du génocide et de la guerre, le gouvernement rwandais a créé une impression de stabilité en supprimant la contestation et en limitant l’exercice des droits civils et politiques. Il justifie fréquemment de telles mesures répressives en évoquant la nécessité d’éviter un nouveau génocide. Après avoir remporté des victoires militaires en 1994, le parti au pouvoir du Front Patriotique Rwandais (FPR) a également gagné les élections. Il a ainsi mis un terme à une période de transition en 2003 et a consolidé sa victoire par le recours à la fraude, aux arrestations, aux intimidations et il a fait appel aux peurs ethniques et aux loyautés.

En 2004, le FPR a encore renforcé son contrôle en attaquant des organisations de la société civile, des églises et des écoles qui auraient propagé « une idéologie génocidaire ». Les autorités ont arrêté des douzaines de personnes accusées d’un tel crime.  
 
Les autorités judiciaires se sont livrées à une parodie de procès d’un ancien président et de sept autres personnes mais peu de procès supplémentaires ont été organisés. Des dizaines de milliers de personnes sont encore emprisonnées, sous le chef d’inculpation de génocide, certaines ayant été détenues pendant plus de dix ans. Le procureur général estimait par ailleurs que plus de 500 000 autres personnes seraient accusées de génocide.  
 
Tout en réformant le système judiciaire, les autorités ont obligé les juges et le personnel judiciaire – plus de 500 personnes – à démissionner. Moins d’une centaine de personnes ont été renommées à des postes dans le nouveau système. Au cours de l’année, la moitié ou presque des 106 maires ont également été obligés de démissionner. Les autorités affirment que les personnes contraintes de démissionner n’avaient pas les compétences requises ou étaient corrompues, une accusation étonnante compte tenu du nombre de personnes concernées et des responsabilités qu’elles assumaient.  
 
Limites à l’exercice des droits civils et politiques  
En 2003, une commission parlementaire a accusé le principal parti d’opposition de « divisionnisme » et a appelé à sa dissolution. Si aucune action officielle supplémentaire n’a toutefois été lancée contre le parti, celui-ci a disparu de la scène politique. En juin 2004, une commission parlementaire similaire a appelé à la dissolution de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’homme (LIPRODHOR), la principale organisation de défense des droits humains au Rwanda ainsi qu’à celle de quatre autres organisations de la société civile censées avoir propagé le « divisionnisme » ou sa manifestation la plus extrême, « l’idéologie génocidaire ». Craignant une arrestation immédiate, une douzaine de membres du personnel de LIPRODHOR ont fui le pays. Dans son long rapport, la commission a également accusé plus de 300 personnes, de nombreuses églises protestantes et catholiques, des organisations internationales comme Care International, Pax Christi, Trocaire et Norwegian People’s Aid ainsi qu’un membre du personnel en charge de la gestion des subventions pour l’ambassade hollandaise au Rwanda de soutenir la propagation du « divisionnisme » et de « l’idéologie génocidaire ». Il a demandé que 11.11.11, une coalition belge qui a financé de nombreuses organisations au Rwanda, ne puisse plus opérer dans le pays. La commission n’a apporté aucune preuves significatives pour étayer l’une ou l’autre de ses accusations avancées publiquement au parlement et sur les ondes de la radio nationale. Encore soumises aux conséquences du génocide de 1994, les autorités rwandaises ont clairement cherché à mettre un terme aux idées pouvant contribuer au génocide mais la commission parlementaire a paru décidée à éliminer non seulement ces idées mais également toute critique publique des politiques gouvernementales, toute discussion des crimes commis par le FPR et toute expression de soutien aux candidats opposés au FPR.  
 
Les autorités ont continué de harceler et de détenir arbitrairement les personnes qui tentaient d’organiser une alternative politique au FPR. Pierre Gakwandi et Leonard Kavutze ont tous les deux été arrêtés pour divisionnisme avant les élections présidentielles. Ils ont été nommés dans le rapport de la commission parlementaire en 2003 et sont toujours détenus dans l’attente de leur procès. D’autres personnes accusées de « divisionnisme » ont perdu leur emploi ou ont été privées de leurs passeports.  
 
Le gouvernement évoque fréquemment le rôle qu’ont joué les médias dans l’incitation au génocide de 1994 pour justifier ses restrictions à la liberté de la presse, ne laissant qu’un seul journal indépendant lutter pour sa survie. En mars 2004, le rédacteur en chef et journaliste le plus expérimenté de ce journal, Umuseso, a fui le pays après avoir reçu des menaces de mort d’un officiel haut placé dans le gouvernement. Ce rédacteur était le troisième à fuir le Rwanda depuis le début de la parution de ce journal en 2000. Son successeur, détenu et interrogé au moins quatre fois au cours des derniers mois de l’année, a été jugé pour divisionnisme et diffamation à l’encontre d’un officiel du FPR de haut rang. Fin novembre, il a été acquitté de l’accusation de divisionnisme et a dû payer des amendes et des dommages symboliques pour les autres accusations, une décision qui laissait espérer une plus grande liberté de la presse.  
 
Justice et impunité  
En juin 2002, le Rwanda a lancé un système de justice populaire gérée par l’Etat appelée Gacaca afin de traiter les cas de la plupart des cent mille personnes soupçonnées de génocide qui ont passé des années en prison dans l’attente de leur procès. A la fin de l’année 2004, dix pour cent seulement des quelque onze mille tribunaux gacaca avaient organisé des audiences en préalable à la tenue de procès et aucun n’avait effectivement jugé un suspect. Le système gacaca devait réduire la population carcérale mais les personnes admettant leur culpabilité dans le cadre de ce processus ont également nommé des dizaines de milliers de nouveaux suspects. Les autorités ont estimé que cinq cent mille personnes supplémentaires pourraient encore être accusées, un nombre étonnant qui soulève des interrogations sur les raisons pour lesquelles autant de personnes ont attendu dix ans après le crime pour accuser les auteurs présumés. Certains personnes condamnées doivent effectuer la moitié de leur peine chez elle dans le cadre d’un programme de liberté surveillée mais les détails de cette opération n’ont pas encore été finalisés à la fin de l’année 2004.  
 
Censé impliquer chacun dans la communauté, le système gacaca n’a pas réussi à susciter une vaste participation, en partie parce qu’il était perçu comme une justice partiale : initialement mandatés pour juger des crimes de guerre commis par les soldats du FPR pendant la période du génocide, les tribunaux gacaca n’ont pas été autorisés par les autorités à se pencher sur de tels cas. Reconnaissant que la participation aux gacaca était faible dans huit des douze provinces, les autorités ont réformé le système mi-2004, simplifiant les procédures et réduisant le nombre de juges pour chaque juridiction. De plus, l’autorité permettant d’envisager les crimes de guerre a été retirée du mandat, éliminant ainsi toute possibilité de justice pour les crimes commis par le FPR dans le cadre de cette justice populaire. Les juridictions gacaca ont été autorisées à rouvrir des dossiers de personnes préalablement acquittées par des tribunaux traditionnels, violant ainsi la protection habituelle contre la double peine. Pour aborder le problème de la faible participation, la nouvelle loi exige que les citoyens participent et définissent des peines pour ceux qui ne se présentent pas.  
 
Début 2003, le président a accordé une libération conditionnelle à quelque 24 000 personnes qui avaient reconnu leur culpabilité dans des actes de génocide. Si les personnes libérées sont censées être traduites en justice à un moment ou à un autre, peu de Rwandais estiment qu’elles le seront un jour. La possibilité que des milliers de criminels reconnus n’aient jamais à rendre compte de leurs actes dans un cadre public met encore davantage à mal la légitimité du système gacaca aux yeux de certains Rwandais.  
 
En avril 2004, l’ancien président Bizimungu, l’ancien ministre Ntakirutinka et six co-accusés ont été traduits en justice après avoir passé deux années en prison dans l’attente de leur procès. Les accusations contre Bizimungu incluaient plusieurs chefs d’inculpation pour trahison et concernaient également la possession illégale d’armes et le détournement de fonds publics. En dépit de la gravité de ces accusations et du nombre des accusés, l’accusation a présenté son cas en six jours seulement. Les témoins à charge contre Bizimungu et Ntakirutinka se sont contredits à plusieurs reprises et se sont contredits les uns les autres. Le juge a refusé que soient pleinement contre-interrogés certains témoins et leur a interdit d’en appeler d’autres à la barre. L’accusation a présenté un seul témoin contre les six autres co-accusés. Ses preuves étaient incohérentes, non vérifiées et ultérieurement remises en cause par sept témoins de la défense. En dépit des faiblesses de l’accusation, le tribunal a condamné les huit personnes. Bizimungu a reçu une peine de dix ans de prison tout comme Ntakirutina. Les autres personnes ont été condamnées à cinq ans chacune. Les huit accusés restent en détention dans l’attente d’un procès en appel.  
 
Jusqu'à la fin 2004, le gouvernement rwandais s’est opposé à ce que le Tribunal pénal international des Nations unies pour le Rwanda (TPIR) enquête sur les crimes commis par le FPR et a peu fait pour enquêter et traduire en justice ses propres soldats pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis pendant le génocide ou ultérieurement. Si le TPIR ne juge pas certains des accusés, les soldats du FPR échapperont à des sanctions pour leurs crimes, renforçant ainsi la pratique ancienne de l’impunité.  
 
Acteurs internationaux clefs  
Accablés par la culpabilité de leur inaction pendant le génocide, de nombreux bailleurs étrangers ont généreusement soutenu le gouvernement rwandais – auquel est attribué le mérite d’avoir mis un terme au génocide – tout en passant généralement outre sur les abus commis contre les droits humains. Les membres du Conseil de sécurité n’ont publié qu’une timide réprimande lorsque qu’ils ont eu à examiner la question des entraves rwandaises aux investigations du TPIR. Les informations sur l’exploitation illégale par le Rwanda des ressources de la RDC fournies par le panel des Nations unies en 2002 et 2003 n’ont suscité que de timides critiques. Les responsables étrangers ont aussi applaudi dans l’ensemble aux élections de 2003 même si des observateurs, notamment ceux de l’Union européenne, ont fait état d’abus généralisés.  
 
En 2004, le Royaume uni (R.U.), l’un des bailleurs les plus généreux du Rwanda, aurait suspendu ou menacé de suspendre son aide à deux reprises afin de limiter l’intervention rwandaise en RDC. L’Afrique du Sud aurait également exercé des pressions sur le Rwanda pour la même raison. Mais le R.U. et d’autres ont encore hésité à critiquer les abus commis au Rwanda même si l’Union européenne a fini par publier des lettres timidement critiques sur le procès de Bizimungu et les attaques lancées contre la société civile pour « idéologie génocidaire ». Le Rwanda a catégoriquement rejeté ces reproches.  
 



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