Rapport Mondial 2005

Soudan

Alors que les pourparlers de paix visant à mettre un terme à 21 ans de guerre civile au Sud-Soudan étaient sur le point d’aboutir, la crise dans la région du Darfour, à l’ouest du pays, s’est intensifiée en 2004. Suite au défi militaire posé par les deux mouvements rebelles du Darfour - l’Armée de libération du Soudan (SLA/ALS) et le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) -, le gouvernement a soudanais a décidé de répondre en armant, formant et déployant des milices ethniques arabes connues sous le nom de « Janjawid », lesquelles sont également motivées par le pillage des terres. Les forces armées Janjawid et soudanaises ont poursuivi leur campagne d’épuration ethnique et de déplacement forcé qui avait véritablement débuté en 2003, par le bombardement et la mise à feu de villages, le massacre de la population civile et le viol des femmes. On a constaté une escalade dramatique de ces atrocités au cours de la première moitié de l’année 2004. Au terme de cette année, on déplore la destruction de centaines de villages, le déplacement forcé de quelque 2 millions de civils par le gouvernement soudanais et ses milices, et le décès de 70.000 personnes, conséquences directes ou indirectes de cette campagne.

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La crise au Darfour  
La politique d’extermination et de déplacement menée au Darfour avec l’appui du gouvernement est à l’origine une tactique de contre-sédition consistant à déléguer à des milices ethniques la conduite d’une campagne d’épuration ethnique, comme ce fut d’ailleurs le cas au Sud-Soudan pendant la majeure partie des vingt dernières années. L’ampleur de la catastrophe humanitaire provoquée par les politiques gouvernementales au Darfour a fini par toucher la communauté internationale quand le nombre des personnes intérieurement déplacées (IDP) est passé d’un à deux millions.  
 
Le 8 avril, un Accord de cessez-le-feu a été signé à N’Djamena, au Tchad, entre le gouvernement du Soudan et les deux mouvements rebelles du Darfour, sous l’égide du Tchad, de l’Union africaine (UA), des Etats-Unis et de l’Union européenne. Cet accord engageait le gouvernement soudanais à « neutraliser » les milices Janjawid et prévoyait que l’UA mette sur pied une Commission du cessez-le-feu (CFC), chargée d’observer et de rapporter toute violation de cet accord. Mais plusieurs mois se sont écoulés avant que cette commission ne devienne opérationnelle.  
 
Le gouvernement soudanais a une nouvelle fois promis, par le biais cette fois-ci d’un Communiqué signé conjointement avec le secrétaire-général des Nations Unies Kofi Annan le 3 juillet, de procéder au désarmement des Janjawid, d’améliorer l’accès de l’aide humanitaire, la situation des droits de l’homme et la sécurité, et de rechercher une solution politique au conflit. Les pressions sur le gouvernement se sont accrues avec l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 30 juillet, de la résolution 1556: elle reprend les étapes esquissées dans le Communiqué conjoint, appelle à des restrictions sur les transferts d’armes à toutes les « entités non gouvernementales, y compris les Janjawid » et impose au gouvernement soudanais un délai de trente jours pour procéder au désarmement des milices Janjawid.  
 
L’incapacité chronique du gouvernement soudanais à maîtriser les milices Janjawid et à mettre un terme à toutes les attaques perpétrées par celles-ci et par les autres forces sur les civils a conduit le Conseil de sécurité à faire adopter, le 18 septembre, la résolution 1564. Cette deuxième résolution menace le gouvernement soudanais de sanctions s’il n’en observe pas à la lettre les dispositions et ceux de la résolution précédente. Elle autorise également la création d’une Commission internationale d’enquête « pour examiner les comptes rendus de violations du droit international humanitaire et de la législation pour la protection des droits humains au Darfour par toutes les parties, pour déterminer si des actes de génocide ont bel et bien été perpétrés et pour identifier les auteurs de telles violations afin de garantir que les responsables rendent compte de leurs actes ». La résolution enjoint également le gouvernement soudanais à accepter une force de contrôle du cessez-le-feu de l’UA plus importante.  
 
Le gouvernement soudanais prétend qu’il n’est pas en mesure de neutraliser et de procéder au désarmement des Janjawid, mais il a refusé une aide internationale pour réaliser cet objectif. Aucun leader Janjawid n’a été mis en examen ni été accusé de crime. Les rares poursuites entreprises par le gouvernement soudanais ont été dirigées contre des détenus impliqués dans des crimes qui n’entretiennent pas de rapport avec le conflit au Darfour, ou condamnés pour des chefs d’accusation différents, des mois ou des années auparavant. Le gouvernement soudanais a établi une commission d’enquête nationale visant à investiguer sur les crimes commis lors du conflit au Darfour, mais celle-ci n’a encore rien livré. Les Janjawid et l’armée soudanaise se partagent plusieurs camps et on dispose de nombreux témoignages sur des attaques coordonnées contre des civils lancées depuis ces camps. Des membres de la milice Janjawid sont incorporés en douce dans les forces régulières de police, dans l’armée et dans les forces de défense populaires (milice islamiste gouvernementale relevant de l’armée). Les violations du cessez-le-feu sont monnaie courante dans toute la région du Darfour et aucune partie n’a été sanctionnée. Bien que le Conseil de sécurité ait menacé d’infliger des sanctions si les violations des droits de l’homme commises par les Janjawid n’étaient pas contenues, on a laissé passer le délai de 30 jours sans imposer de sanctions supplémentaires ni renforcer les sanctions déjà rendues.  
 
Le Processus de paix Nord-Sud  
Le conflit vieux de 21 ans, en particulier dans le sud du pays, entre le gouvernement militaire islamiste au pouvoir à Khartoum et le Mouvement / l’Armée de libération des peuples du Soudan (SPLM/A) rebelle, a été sur le point de se résoudre en 2004. En mai, le gouvernement soudanais et le SPLM/A ont signé le dernier de six protocoles politiques clés à Naivasha, au Kenya, qui exposent les accords relatifs au partage du pouvoir et des richesses dans le Sud-Soudan pour une période transitoire de six ans et demi, après laquelle un référendum sur l’autodétermination mené dans la région du Sud permettra de décider si le Sud devient indépendant. Cependant, ces accords négligent totalement les préoccupations relatives aux droits de l’homme, comme la responsabilité pour les crimes commis pendant la guerre, la confession de ces exactions et l’application des droits de l’homme internationaux et du droit humanitaire dans le futur. Les protocoles de Naivasha prévoient des élections nationales, au niveau des états, et locales qui auront lieu à une date pour le moment indéterminée, entre la signature de l’accord final et le référendum sur la succession.  
 
Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Norvège ont tout fait pour hâter les négociations entre les deux parties qui ont duré presque trois ans. Ces pays ont ensuite été violemment critiqués, accusés d’exclure délibérément du processus de paix d’autres mouvements rebelles et politiques. L’escalade du conflit au Darfour a mis en lumière le mécontentement largement partagé quant à une solution partiale, et a engendré, à l’ouest du pays, au moins deux autres mouvements rebelles en 2004. Les pressions renouvelées de la part de la communauté internationale enjoignant de conclure les pourparlers de paix, dont on estime qu’ils sont le précurseur nécessaire à la résolution du conflit au Darfour, ont remis les deux parties autour de la table au mois d’octobre. Mais le processus de paix paraît définitivement compromis étant donné que la bonne foi du gouvernement soudanais a été mise en cause par son recours à la manipulation ethnique et aux techniques de la « terre brûlée » à l’ouest du pays.  
 
Le Conseil de sécurité a tenu une réunion spéciale à Nairobi, au Kenya, les 18 et 19 novembre et a adopté la résolution 1574 qui assure l’octroi d’une aide économique et un allègement de la dette du Soudan si l’Accord de paix global était signé avant la fin de l’année 2004. Quant au Darfour, la résolution ne prévoyait pas de « mesures supplémentaires », mais uniquement un avertissement plus réservé enjoignant de « prendre les mesures appropriées contre toute partie qui ne veillerait pas à remplir ses engagements ». Elle ignore donc les demandes explicites des résolutions précédentes, exigeant de Khartoum qu’elle procède au désarmement et poursuive les milices Janjawid soutenues par le gouvernement.  
 
La situation humanitaire  
Le Soudan est la patrie qui compte le plus grand nombre de personnes intérieurement déplacées (IDP) au monde : en 2004, cette population est passée de 4 à presque 6 millions. Le nombre de déplacés au Darfour continue de croître et ces personnes sont confrontées à une insécurité permanente. Ceux qui ont réussi à rejoindre les camps qui bénéficient d’une aide humanitaire sont confrontés à différents dangers, dont bien souvent le viol quand ils s’aventurent hors du camp pour ramasser du fourrage, de la nourriture ou du bois à brûler. La plupart sont restés dans des zones rurales inaccessibles aux organisations d’aide humanitaire, y compris dans les zones occupées par les rebelles, et ils subissent les attaques des Janjawid. La création, approuvée par les Nations Unies, de « zones de sécurité » au Darfour, protégées par le gouvernement du Soudan, s’accompagne du risque de consolider le nettoyage ethnique en cours et provoque de plus en plus d’accrochages entre le gouvernement et les rebelles qui n’ont pas été consultés sur le programme des « zones de sécurité ». En 2004, plus de 200.000 personnes originaires du Darfour ont trouvé refuge au Tchad.  
 
Le mélange d’insécurité, de sécheresse, de pillage à grande échelle et le fait que la saison des plantations qui n’a pas pu avoir lieu, ont augmenté le risque de famine étant donné que près de deux millions de personnes n’ont bénéficié d’aucune aide alimentaire au Darfour (dont la population est estimée à entre 5 et 6 millions). Les installations sanitaires et les services de santé étant insuffisants dans les camps de déplacés, un nombre important de foyers de maladies sont apparus, dont la dysenterie et la malaria, qui ont entraîné la mort de milliers de personnes, surtout au sein des groupes les plus vulnérables comme les enfants et les personnes âgées.  
 
Parce que la signature de l’accord de paix de Naivasha a été postposée, on a retardé le programme organisant le retour des quelques 4 millions de déplacés de guerre, une guerre qui a ravagé le sud du pays.  
 
Les acteurs clés sur le plan international  
Les Etats-Unis ont agi comme chef de file du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a adopté quatre résolutions relatives au Soudan au cours de l’année 2004. Les législateurs américains ont adopté une résolution jointe le 23 juillet, déclarant que le gouvernement soudanais et les Janjawid étaient coupables de génocide. Le secrétaire d’Etat Colin Powell a autorisé une enquête portant sur les réfugiés originaires du Darfour au Tchad et en a conclu qu’un « génocide avait été perpétré au Darfour et qu’il pourrait toujours être en cours ».  
 
Toutefois, en raison du ressentiment international envers les Etats-Unis au sujet de la guerre en Irak, ceux-ci ont éprouvé des difficultés sur le plan diplomatique pour convaincre les autres états membres de se positionner de manière plus ferme par rapport au Darfour. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a été divisé à propos des sanctions. La Chine et la Russie, qui ont toutes deux d’importants investissements au Soudan, menacent d’opposer leur veto aux résolutions qui entraîneraient des sanctions à l’encontre du gouvernement soudanais pour son manquement à procéder au désarmement des Janjawid et à mettre un terme aux attaques contre la population civile. L’élection du Soudan à la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies le 5 mai constitue une autre indication de l’échec de la communauté internationale à blâmer le gouvernement soudanais pour ses abus au Darfour. Le 24 novembre, le vote de l’Assemblée Générale des Nations Unies a rejeté une résolution condamnant le Soudan.  
 
Le Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a envoyé, en août, huit observateurs des droits humains au Darfour et a promis en octobre de doubler ce nombre. Suite à sa mission au Soudan en septembre, le Haut commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Louise Arbour, a recommandé le déploiement d’une force de police internationale au Darfour et a dénoncé l’impunité totale dont jouissaient les auteurs des atrocités commises dans la région. Louise Arbour était accompagnée dans sa mission par Juan Mendez, le conseiller spécial du secrétaire-général des Nations Unies pour la prévention des génocides.  
 
La récente Union africaine a déployé jusqu’à 136 observateurs du cessez-le-feu au Darfour et plus de 625 troupes rwandaises et nigérianes en guise de force de protection pour les observateurs. Le Président nigérian Olusegun Obasanjo a accueilli, à Abuja, les pourparlers de l’UA entre Khartoum, l’ALS et le MJE à la fin de l’année 2004, mais ces pourparlers ont échoué et l’accord de cessation des hostilités s’est délité.  
 
L’UA a proposé d’envoyer une force de protection de la population civile composée d’au moins 2.341 troupes et de 815 policiers civils, proposition soutenue par le Conseil de sécurité. Le gouvernement soudanais a rejeté cette proposition mais a fait marche arrière quand les conditions de l’intervention ont été adoucies et que l’UA a été proposée pour assurer la protection des civils à portée de leur vue.  
 
D’après de nombreuses estimations, à la fin de l’année 2004, la novice UA et ses pays membres manquaient encore de financement et ne disposaient pas de la capacité nécessaires à mettre sur pied une opération efficace qui aura sept fois la taille de sa force présente au Darfour en 2004. De plus, les besoins de la population civile en matière de protection ne sont toujours pas assurés.