Le gouvernement de transition en République démocratique du Congo doit enquêter sur les chefs de milices coupables de massacres et d’autres graves crimes de guerre dans le district d’Ituri, au Nord-Est du pays et les traduire en justice. Il ne doit pas les récompenser en les nommant à des postes de haute responsabilité dans la nouvelle armée nationale intégrée, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
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Des centaines de témoins ont rapporté à Human Rights Watch que ces quatre commandants avaient ordonné, toléré ou personnellement commis des massacres ethniques, des meurtres, des actes de torture, des viols, des mutilations et des recrutements d’enfants soldats. Selon les estimations des Nations unies, le conflit en Ituri a coûté la vie à plus de 60 000 civils.
« De telles nominations soulèvent de graves interrogations sur l’engagement du gouvernement congolais en faveur de la justice et des droits humains, » a déclaré Alison Des Forges, conseillère à la division Afrique de Human Rights Watch. « Le gouvernement doit traduire ces seigneurs de la guerre en justice et non leur attribuer des postes de responsabilité dans l’armée. »
Le gouvernement doit installer à des postes de colonel, lieutenant-colonel et major 32 autres commandants de milices de l’Ituri – parmi lesquels Rafiki Saba Aimable, reconnu coupable d’arrestations arbitraires aggravées d’actes de torture et condamné à 20 ans de prison en juillet.
Les autorités congolaises affirment qu’intégrer ces commandants qui ont commis de graves abus par le passé est une façon de leur faire quitter l’Ituri, facilitant ainsi la fin des combats sur place. Cependant, le gouvernement n’a avancé aucun élément apportant la garantie que ces nouveaux officiers seront en fait affectés ailleurs qu’en Ituri.
La Cour pénale internationale qui a commencé à enquêter sur les graves violations du droit international humanitaire en Ituri pourrait inculper l’un au moins de ces chefs de milice ou même plusieurs d’entre eux.
Les bailleurs internationaux – dont le gouvernement belge et l’Union européenne – financent des projets pour aider à la reconstruction de l’armée congolaise.
« Les bailleurs doivent insister pour que le gouvernement poursuive en justice les seigneurs de la guerre accusés d’avoir tué et violé des civils, » a déclaré Des Forges. « Ils doivent s’assurer que leurs fonds ne sont pas utilisés pour entraîner et équiper des personnes responsables de graves atteintes aux droits humains. »
Peut-on faire confiance à ces hommes dans la nouvelle armée congolaise ?
Le 11 décembre 2004, le Président Joseph Kabila a signé un décret nommant six chefs de groupes armés de l’Ituri à des postes de généraux dans l’armée congolaise (FARDC). Ce décret assurait également la nomination de trente-deux autres personnes à des postes de responsabilité. Cette semaine, cinq de ces nouveaux généraux ont pris leurs fonctions dans l’armée. Au cours des deux dernières années, quatre de ces généraux et plusieurs de ces hommes nouvellement nommés officiers étaient à la tête de combattants qui ont commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et d’autres violations du droit international humanitaire et du droit en matière de droits humains en Ituri. Les chercheurs de Human Rights Watch ont recueilli des centaines de témoignages apportant des informations sur ces crimes, notamment ceux décrits ci-dessous, lors de missions dans la région entre 2001 et 2004. [1]
1. Germain Katanga – nouvellement nommé Général dans les FARDC
Chef des Forces Patriotiques de Résistance de l’Ituri (FRPI).
Selon des témoins, Germain Katanga a contribué à diriger l’un des plus importants massacres en Ituri, celui de l’hôpital de Nyakunde en septembre 2002. Sur une période de dix jours, ses combattants Ngiti (connus ensuite sous le nom de FRPI) ont massacré de façon systématique, avec l’appui de soldats du Rassemblement congolais pour la démocratie-mouvement de libération (RCD-ML), au moins 1200 Hema ainsi que d’autres civils pris pour cibles sur la base de leur appartenance ethnique. Ils ont installé des barricades pour empêcher les civils de fuir et ont traqué ceux qui s’étaient cachés. Ils ont torturé certaines des personnes capturées et les ont ensuite forcées à transporter le fruit de leur pillage jusqu’à un village voisin avant de finir par les massacrer. Germain Katanga a également dirigé des combattants FRPI lors d’autres massacres, notamment ceux de Bunia, Komanda et Bogoro en 2002 et 2003.
2. Jérôme Kakwavu – nouvellement nommé Général dans les FARDC
Président des Forces Armées du Peuple Congolais (FAPC)
Les forces du FAPC, sous le commandement de Jérôme Kakwavu ont commis des abus contre les droits humains, graves et généralisés, notamment des exécutions sommaires, des actes de torture et des viols. En octobre 2004, les combattants des FAPC sous le commandement de Jérôme Kakwavu ont arrêté 24 civils et les ont frappés sur la tête et le dos avec de gros bâtons en bois. Deux personnes sont mortes immédiatement et quatre autres sont décédées ultérieurement des suites de leurs blessures. Entre 2002 et 2004, le commandant Jérôme a ordonné que soient publiquement exécutés cinq soldats accusés de crimes sans qu’aucune action judiciaire n’ait été conduite. Dans certains cas, il a lui-même exécuté ces hommes. Selon plusieurs témoins, les combattants aux ordres du commandant Jérôme ont torturé des civils accusés de s’opposer à lui ou de soutenir ses rivaux. Dans un cas, une victime a rapporté à Human Rights Watch que le Commandant Jérôme, assis sur une chaise, l’a regardée recevoir 500 coups de fouet administrés par des soldats du FAPC.
3. Floribert Kisembo Bahemuka – nouvellement nommé Général dans les FARDC
Responsable de l’Union des patriotes congolais-aile Kisembo (UPC-K), un groupe dissident de l’UPC
Ancien chef d’état major de l’UPC à majorité hema, Floribert Kisembo fut l’un des commandants responsables de la campagne d’exécutions et de disparitions forcées qui a frappé les civils d’origine lendu ainsi que d’autres personnes opposées aux politiques de l’UPC à Bunia, fin 2002. Selon des témoins locaux, ces commandants ont torturé et tué 100 personnes. Les troupes de l’UPC sous le commandement de Kisambo ont également participé à des massacres ethniques de civils, dans plusieurs localités notamment Songolo, Mongbwalu, Kilo, Kobu et Lipri. Dans la ville de Kilo en décembre 2002, le Commandant Kisembo a donné pour ordre à des civils de creuser leur propre tombe avant que ses combattants ne les massacrent. Parmi les victimes se trouvaient des femmes et des enfants, certains tués à coups de masse. Le commandant Kisembo a fait scission de l’UPC début 2004, formant une aile rivale appelée UPC-K dont il s’est auto-proclamé président.
4. Bosco Taganda – nouvellement nommé Général mais non encore entré en fonction
Responsable par intérim de l’Union des patriotes congolais-faction Lubanga (UPC-L)
Ancien chef d’opérations de l’UPC et responsable actuel du mouvement UPC en Ituri, Bosco Taganda a été impliqué dans de nombreux massacres et d’autres graves abus contre les droits humains. A Songolo, en août 2002, les combattants UPC sous le commandement de Songolo ont encerclé la ville et se sont livrés à des massacres, maison par maison, tuant des civils lendu et ngiti avec des armes à feu, des machettes ou des lances. D’août 2002 à mars 2003, le Commandant Bosco a participé à la traque, aux arrestations et à la torture d’environ 100 personnes, appartenant au groupe ethnique des Lendu ainsi que d’autres personnes opposées aux politiques de l’UPC à Bunia. Selon les forces de maintien de la paix des Nations unies, l’UPC de Bosco est responsable du meurtre d’un soldat kenyan des forces de maintien de la paix de l’ONU en janvier 2004 et du rapt d’un soldat marocain des forces de maintien de la paix un peu plus tard dans l’année.
5. Rafiki Saba Aimable – nouvellement nommé Colonel dans les FARDC
Chef de sécurité de l’UPC.
En tant que commandant en chef de l’UPC, Rafiki Saba est en partie responsable de la traque de civils lendu et d’autres personnes opposées à l’UPC, comme nous l’avons décrit plus haut. L’une des victimes des abus commis à cette époque a raconté aux chercheurs de Human Rights Watch comment elle avait été détenue dans une prison souterraine pendant quatre jours avec des cadavres avant d’en être sortie et d’être brutalement battue. Plus d’un an après, son corps porte encore les marques des coups. Le 8 novembre 2003, le Commandant Rafiki a été arrêté et quelques mois plus tard, le tribunal local de Bunia l’a reconnu coupable d’arrestations arbitraires, aggravées d’actes de torture et l’a condamné à 20 ans de prison. Il est actuellement incarcéré à Kinshasa.
6. Salumu Mulenda – nouvellement nommé Lieutenant-colonel dans les FARDC
Commandant en chef dans les FAPC de Jérôme, ancien membre de l’UPC
Salumu Mulenda fait partie des commandants qui ont dirigé les massacres de civils entre 2002 et 2004 à Mongbwalu, Kilo, Kobu et Lipri. Selon des témoins, Salumu a ordonné l’exécution, fin 2003 de civils qui participaient aux négociations de paix. Ses combattants ont encerclé le site où se tenaient les discussions à Kobu et ont massacré les chefs communautaires qui se trouvaient à l’intérieur des bâtiments. Selon les estimations de l’ONU transmises au Conseil de sécurité, le Commandant Salumu a dirigé les opérations militaires qui ont fait au moins 350 victimes. En 2004, le Commandant Salumu a rejoint les forces FAPC de Jérôme et était présent lorsque des soldats ont été exécutés en représailles pour de présumés crimes mais sans qu’aucun procès n’ait été organisé.
[1] Voir Human Rights Watch, A Short Report, Ituri: “Covered in Blood” – Ethnically Targeted Violence in North-eastern DRC, juillet 2003 ; Uganda in Eastern DRC: Fuelling Political and Ethnic Strife, mars 2001 ; “Chaos in Eastern Congo: UN Action Needed Now,” A Briefing Paper, octobre 2002 ; “D.R. Congo: Executions, Torture by Armed Groups in Ituri,” communiqué de presse, 22 octobre 2004 ainsi que d’autres publications à venir. Egalement la Lettre du Conseil de sécurité des Nations unies du Secrétaire général au Président du Conseil de sécurité, Special Report on the Events in Ituri January 2002 – December 2003, 16 juillet 2004.