HUMAN RIGHTS WATCH

Tunisie: l’exil interne utilisé pour réduire au silence un dissident

(Paris, le 1er février 2005) — Les autorités tunisiennes devraient cesser de harceler le journaliste et ancien prisonnier politique Abdallah Zouari et mettre fin à son bannissement dans une région reculée du sud du pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Depuis que Zouari a terminé de purger sa peine d’emprisonnement de onze ans en 2002, les autorités cherchent à le réduire au silence et à le punir pour ses critiques directes à l’égard des politiques gouvernementales, notamment en matière de droits humains. Le journaliste est exilé dans une zone rurale du gouvernorat de Médenine, à 500 kilomètres de sa résidence familiale située dans la banlieue de Tunis, il a été emprisonné à trois reprises, est placé sous surveillance policière vingt-quatre heures sur vingt-quatre et se voit, par intermittence, empêché d’utiliser les services des cybercafés de la localité pour communiquer avec d’autres personnes.  
 
Zouari poursuit une grève de la faim depuis le 23 janvier pour protester contre le rejet des nombreuses demandes écrites qu’il a adressées aux autorités pour obtenir l’autorisation de rendre visite à sa famille.  
 
“Le gouvernement tunisien ne cesse de mettre en avant son bilan en matière de droits humains,” a déclaré Sarah Leah Whitson de Human Rights Watch. “Mais il ne pourra convaincre le monde que les choses ont changé que quand ses détracteurs, tel Abdallah Zouari, seront autorisés à circuler et à s’exprimer librement.”  
 
Au moment de son arrestation en 1991, Zouari enseignait l’arabe dans une école secondaire et était journaliste à al-Fajr, l’organe du parti islamiste Nahdha. Son incarcération faisait partie d’une vaste campagne de répression lancée contre ce parti par les autorités après qu’elles aient décidé de l’interdire. Zouari figurait parmi les personnalités Nahdha jugées l’année suivante par un tribunal militaire lors d’un procès collectif et reconnues coupables de tentative de renversement de l’Etat. Des organisations, dont Human Rights Watch, qui avaient observé le procès l’avaient critiqué à l’époque pour son évident manque d’équité.  
 
Zouari avait été condamné à 11 ans de prison et à 5 ans de “contrôle administratif.” Lors de sa libération, les autorités lui ont ordonné de résider dans le gouvernorat de Médenine, à Hassi Jerbi, une localité avec laquelle il n’a aucun lien si ce n’est que la famille de son épouse en est originaire. Zouari a grandi dans la région de Monastir et au moment de son arrestation en 1991, il vivait dans la banlieue de Tunis, où sa femme et quatre de ses enfants vivent encore aujourd’hui. Tunis est le lieu de résidence indiqué sur leur carte d’identité et ses enfants y vont à l’école.  
 
Bien qu’en Tunisie, les prisonniers politiques libérés sont fréquemment confrontés à une série de mesures arbitraires, l’exil interne de facto d’un ancien prisonnier est rare. Cette mesure semble avoir été appliquée dans le cas de Zouari afin de réduire au silence quelqu’un qui avait pris méticuleusement note des conditions carcérales et qui n’avait pas caché qu’une dizaine d’années derrière les barreaux n’avait pas émoussé sa détermination à critiquer les politiques gouvernementales et à collaborer ouvertement avec les associations de défense des droits de l’homme.  
 
Les autorités tunisiennes ont souligné, dans une déclaration, que le code pénal accordait au ministre de l’intérieur le pouvoir de déterminer le lieu de résidence de Zouari dans le cadre de son contrôle administratif. Elles ajoutaient que les trois condamnations du dissident depuis 2002 avaient été prononcées par les tribunaux pour des infractions à la loi tunisienne et que chacune avait été confirmée en appel. Selon elles, ceci démontrait que la mesure prise à l’encontre de Zouari ne constituait en rien une violation de sa “liberté de ‘mener une vie normale avec sa famille.’”  
 
Toutefois, le traitement réservé en général à Zouari laisse planer peu de doute sur le fait que les autorités le persécutent pour son franc-parler en matière de politique et de droits humains.  
 
Zouari a interjeté appel de son assignation à Hassi Jerbi devant un tribunal administratif peu après son imposition en 2002, soulignant que tout contrôle administratif faisant suite à une peine de prison ne devrait pas le couper de sa famille, de son milieu social et de possibilités d’emploi. Plus de deux ans ont passé et le journaliste attend toujours un examen de son recours.  
 
Le 11 décembre, un représentant de Human Rights Watch a remarqué que des personnes qui étaient clairement des policiers en civil étaient postées à trois endroits différents à moins de 100 mètres de la maison de Zouari. Ce dernier a déclaré qu’elles étaient là vingt-quatre heures sur vingt-quatre et qu’elles le suivaient en voiture de façon très visible chaque fois qu’il quittait le village.  
 
Les autorités se sont également efforcées d’empêcher Zouari de communiquer avec le monde extérieur. Le 22 janvier, après que le dissident se soit rendu dans un cybercafé de Zarzis, une ville toute proche, afin de diffuser des nouvelles à propos de la grève de la faim qu’il allait entamer, le chef de la sécurité du district aurait ordonné aux propriétaires des quatre cybercafés de la ville de lui refuser l’accès à leurs établissements. Zouari a expliqué qu’il détenait cette information de l’un des propriétaires concernés.  
 
Ce n’est pas la première fois que les autorités cherchent à empêcher Zouari d’accéder à internet. Le 19 avril 2003, une propriétaire de cybercafé de Zarzis avait, apparemment sur ordre de la police, refusé que Zouari utilise un ordinateur dans son établissement. Lorsque ce dernier avait déposé plainte pour refus de services, la propriétaire l’avait accusé de diffamation, accusation niée par Zouari. En juillet 2003, un tribunal cantonal reconnaissait le dissident coupable de diffamation et le condamnait à quatre mois de prison, alors même que la supposée victime ne s’était pas présentée au tribunal. La plainte déposée par Zouari a par contre fait l’objet d’un non-lieu.  
 
Ces incidents reflètent la politique générale mise en œuvre par la Tunisie pour censurer les communications via internet en surveillant les cybercafés et en bloquant les sites web jugés critiques à l’égard du gouvernement. Parmi les cites bloqués se trouvent les trois revues en ligne pour lesquelles Zouari rédige occasionnellement des articles: Tunisnews (www.tunisnews.net), NahdhaNet (www.nahdha.net) et Kalima (www.kalimatunisie.com).  
 
Le 17 août 2003, alors qu’il avait été libéré en appel, Zouari a été arrêté pour avoir violé son contrôle administratif en se rendant dans la bourgade de Ben Ghardane, à une quarantaine de kilomètres de chez lui, en compagnie de trois visiteurs, avocats des droits de l’homme. Zouari avait alors déclaré qu’il croyait être autorisé à aller à Ben Ghardane puisqu’il s’y était rendu auparavant, sous étroite surveillance policière, sans que cela ait posé problème. Le 29 août 2003, un tribunal cantonal l’a condamné à neuf mois d’emprisonnement pour violation du contrôle administratif, en vertu de l’article 150 du code pénal. Cette peine a été cumulée aux quatre mois qu’il devait déjà purger pour diffamation et il a été libéré en septembre 2004. En 2002, Zouari avait également purgé deux des huit mois de prison auxquels il avait été condamné antérieurement pour violation de son contrôle administratif, avant d’être libéré pour des “raisons humanitaires.”