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Tchad: Les complices d’Hissène Habré toujours en exercice

Quinze ans après la chute de l’ex-dictateur, ses victimes attendent toujours reconnaissance et réparation

(New York, 12 juillet 2005)—Près de quinze ans après la chute de Hissène Habré et de son régime, marqué par de massives violations des droits de l’homme, des dizaines de ses complices occupent toujours des positions d’influence au sein du gouvernement et de l’administration tchadienne, dénonce Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. De plus, et malgré leurs efforts, les victimes de Hissène Habré n’ont jamais reçu ni réparation ni même la moindre reconnaissance de leur statut de victime de la part du gouvernement tchadien.

« S’il est possible qu’Hissène Habré soit un jour mis en face de ses responsabilités à l’étranger, ses complices, eux, continuent de jouir d’une totale impunité au Tchad. Les ex-tortionnaires ont des postes de responsabilités tandis que les victimes et leurs familles n’ont jamais reçu une quelconque réparation ou reconnaissance. »
Reed Brody, conseiller juridique, Human Rights Watch
  

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Hissène Habré a fui le Tchad le 1er décembre 1990 et a été par la suite inculpé au Sénégal de complicité de crimes contre l’humanité, d’actes de torture et de barbarie avant que la justice sénégalaise estime que l’ex-dictateur ne pouvait pas être jugé au Sénégal pour des crimes commis au Tchad. Après des années de procédures internationales, Habré fait aujourd’hui l’objet d’une instruction devant les tribunaux belges pour des accusations similaires. Cependant, Human Rights Watch révèle dans son rapport « Tchad: les victimes de Hissène Habré toujours en attente de justice », que 41 collaborateurs influents du régime Habré, pour la plupart poursuivis devant la justice tchadienne pour disparitions forcées, assassinats ou actes de torture, occupent toujours des positions influentes au sein de l’administration du Tchad, y compris dans l’appareil sécuritaire de l’Etat.  
 
« S’il est possible qu’Hissène Habré soit un jour mis en face de ses responsabilités à l’étranger, ses complices, eux, continuent de jouir d’une totale impunité au Tchad » dénonce Reed Brody de Human Rights Watch qui joue un rôle de première importance dans les efforts internationaux mis en oeuvre pour poursuivre Hissène Habré. Il ajoute « Les ex-tortionnaires ont des postes de responsabilités tandis que les victimes et leurs familles n’ont jamais reçu une quelconque réparation ou reconnaissance ».  
 
Human Rights Watch déclare que la plupart des hauts responsables et chefs de service de la redoutable police politique de Hissène Habré, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), sont toujours en activité. Les plaintes déposées par les victimes devant les tribunaux tchadiens à l’encontre de ces responsables piétinent, le juge d’instruction ne bénéficiant pas de la sécurité et des ressources nécessaires à une quelconque investigation.  
 
Des trois anciens directeurs de la DDS toujours au Tchad, l’un est actuellement Délégué régional de la Police Nationale, le second est Préfet et le troisième travaille pour le Ministère de la Communication. Un ancien chef de service de la DDS, accusé de torture devant les tribunaux, est aujourd’hui Directeur des Services de Police. Un homme identifié dès 1992 par la Commission d’enquête du Ministère tchadien de la justice sur les crimes de Hissène Habré comme l’un des « tortionnaires les plus redoutés » de la DDS est maintenant Commandant du Corps urbain du 6e arrondissement de N’Djaména, la capitale du Tchad. Un ancien chef de service de la DDS, contre lequel plusieurs plaintes ont été déposées pour tortures, est l’actuel chef de la Sécurité à l’Aéroport international de N’Djaména. Un Directeur de la Sûreté Nationale sous Hissène Habré occupe actuellement le poste de Coordinateur National de la Zone pétrolière, et un ancien Directeur adjoint de DDS est maintenant le Directeur de la Police Judiciaire. Enfin, l’ancien gardien des « Locaux », l’un des pires centres de détention de la DDS où des crimes atroces furent commis, est maintenant le régisseur de la maison d’arrêt de N’Djaména.  
 
De plus, le rapport déplore que les victimes de Hissène Habré n’aient jamais reçu la moindre réparation de la part du gouvernement tchadien. En mars 2005, l’AVCRP a déposé formellement auprès de l’Assemblée Nationale tchadienne une proposition de loi prévoyant le principe d’une indemnisation des victimes du régime d’Hissène Habré.  
 
Le gouvernement n’a pas non plus mis en œuvre les recommandations de la Commission d’enquête qui, dès 1992 encore, proposait d’édifier un monument à la mémoire des victimes ou de transformer en musée l’ancien siège de la DDS et la prison souterraine de « La Piscine », connue comme l’un des pires lieux de détention du régime Habré.  
 
« Hissène Habré fait l’objet d’une enquête à l’étranger, mais nous, ses victimes, sommes oubliées au Tchad » déclare Ismaël Hachim Abdallah, président de l’association tchadienne des Victimes de Crimes et Répressions Politiques (AVCRP) qui représente plus de 1000 victimes de Hissène Habré. « Nos bourreaux continuent à nous narguer et défient la justice qui reste empêtrée dans les problèmes de tous ordres qui l'empêchent de dire le droit et do sanctionner les coupables et leurs complices. Nous attendons toujours que notre souffrance et les épreuves que nous et nos familles avons endurées soient reconnues officiellement par le gouvernement et la société tchadienne ».  
 
Human Rights Watch cite comme preuve du pouvoir persistant des complices de Hissène Habré l’agression contre Jacqueline Moudeïna, Présidente de l’Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de L'Homme (ATPDH) et avocate des victimes dans le dossier des plaintes déposées au Tchad contre d’anciens agents de la DDS.  
 
Maître Moudeïna a en effet été sévèrement blessée par une attaque à la grenade le 11 juin 2001, alors qu’elle participait à une manifestation pacifique dans les rues de N’Djaména. L’unité de police responsable de l’attaque était commandée par Mahamat Wakaye, le Directeur adjoint de la Sécurité Nationale sous le régime de Hissène Habré et l’une des personnes visée dans des plaintes déposées au Tchad par Maître Moudeïna au nom des victimes de Hissène Habré. Mahamat Wakaye est l’actuel Directeur de la Police judiciaire au Tchad.  
 
Le gouvernement tchadien n’a pas enquêté sur les circonstances de l’attaque. Les pressions exercées par les groupes tchadiens et internationaux de défense des droits de l’homme ont cependant permis que le cas soit jugé devant les tribunaux tchadiens deux ans après les faits. Les preuves présentées durant le procès, auquel a assisté Human Rights Watch, permettaient d’établir que Maître Moudeïna avait été spécifiquement identifiée avant que la grenade ne soit lancée sur elle par les policiers agissant sous les ordres de Mahamat Wakaye. Après que Maître Moudeïna ait été blessée, la voiture la transportant à l’hôpital a été la cible de coups de feu. Mahamat Wakaye a cependant été relaxé le 11 novembre 2003. Cette décision de relaxe a été confirmée en appel.  
 
En novembre 2004, Human Rights Watch a appris qu’un autre des « tortionnaires les plus redoutés» sous le régime d’Habré, Mahamat Djibrine, était un fonctionnaire de police en service au sein de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Avant d’être envoyé en Côte d’Ivoire, Mahamat Djibrine était le directeur de cabinet du directeur général de la Police Nationale tchadienne. En janvier 2005, après une plainte de Human Rights Watch auprès des Nations Unies, le gouvernement tchadien a rappelé Mahamat Djibrine.  
 
Le rapport de Human Rights Watch inclut une compilation des allégations portées contre des anciens agents de la DDS fondée sur les archives abandonnées de la DDS découvertes par Human Rights Watch, ainsi que sur les dossiers préparés par l’AVCRP et sur 150 entretiens avec des victimes menés par Human Rights Watch et la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme.  
 
 
Résumé de l’affaire Hissène Habré  
 
Hissène Habré dirigea l’ancienne colonie française du Tchad de 1982 jusqu’à son renversement en 1990 par l’actuel président Idriss Déby et sa fuite vers le Sénégal. Son régime de parti unique, marqué par l’étendue de ses atrocités, fut soutenu par la France et les Etats-Unis. Une commission d’enquête nationale accusa le régime de Hissène Habré de plus de 40 000 assassinats politiques et de tortures systématiques. Les archives de la DDS, découvertes par Human Rights Watch, contiennent les noms d’au moins 12.321 victimes et donnent des preuves sur 1.208 individus morts en détention.  
 
En février 2000, Hissène Habré fut inculpé au Sénégal pour tortures et crimes contre l’humanité mais la Cour de Cassation sénégalaise a jugé que ce dossier ne relevait pas de sa compétence territoriale. Les victimes de Hissène Habré ont alors déposé une plainte en Belgique sur le fondement de la loi belge dite de « compétence universelle » qui est maintenant abrogée et le Sénégal a accepté de faire droit a la demande des Nations Unies consistant à maintenir Hissène Habré sur son territoire dans l’attente d’une demande d’extradition. Un juge belge et une équipe de police se sont rendus au Tchad en 2002. Ils ont pu y questionner les victimes de Hissène Habré et de ses complices. Ils ont visité d’anciennes prisons et ont eu accès aux archives de la terrible police politique de Hissène Habré. Le traitement du dossier n’a pas été affecté par l’abrogation de la loi belge dite de « compétence universelle » parce que d’une part l’instruction avait déjà commencée et d’autre part plusieurs plaignants étaient de nationalité belge. Le juge belge continue son instruction et l’inculpation et l’extradition de Hissène Habré vers la Belgique restent la suite logique et espérée de cette affaire.

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