HUMAN RIGHTS WATCH

Rwanda : jugement historique attendu pour l’ancien président et sept autres accusés

Une note d’information de Human Rights Watch

La Cour suprême du Rwanda doit se prononcer le 17 janvier sur la requête de l’ancien président, Pasteur Bizimungu et de sept autres personnes pour annulation de la condamnation pour association de malfaiteurs. Bizimungu et l’ancien ministre des travaux publics, Charles Ntakirutinka font également appel des condamnations pour propagation de rumeurs incitant à la rébellion contre le gouvernement. Bizimungu fait également appel de la condamnation pour détournements de fonds publics.

Cette affaire constitue le premier cas d’importance jugé par la Cour suprême depuis la réforme du système judiciaire il y a deux ans. Au vu des erreurs flagrantes commises par le tribunal de première instance dans cette affaire, ce jugement apporterait d’indications importantes sur la compétence et l’indépendance du plus haut tribunal du pays et aura des répercussions majeures sur l’état de droit au Rwanda.  
 
Contexte  
 
Pasteur Bizimungu, président d’une importante société para-étatique au Rwanda dans les années 80 s’est brouillé avec Juvenal Habyarimana, alors président du Rwanda et a fui le pays. Il a ensuite rejoint le Front Patriotique Rwanda (FPR), un mouvement de guérilla opposé à Habyarimana. Le RPF dirigé par Paul Kagame était dominé par les Tutsi mais comptait un certain nombre de Hutu dans ses rangs dont Bizimungu. Après avoir battu le gouvernement rwandais responsable du génocide de la population tutsi en 1994, le RPF a formé un nouveau gouvernement avec Bizimungu comme président. Début 2000, le RPF a fait pression sur Bizimungu pour obtenir sa démission, et Kagame a assumé les fonctions de président.  
 
En 2001, Bizimungu, Ntakirutinka et plusieurs autres personnes – certaines hutu, d’autres tutsi – ont cherché à créer un nouveau parti politique, le Parti de Renouveau démocratique-Ubuyanja (PDR-Ubuyanja). Selon la loi de 1991 sur les partis politiques, il était légal de créer un nouveau parti politique mais les autorités se sont opposées à cet effort, avançant qu’aucun nouveau parti ne pouvait être autorisé pendant la période de transition que traversait alors le pays. Au cours des mois qui suivirent, Bizimungu et Ntakirutinka ont fait l’objet d’ harcèlement : des autorités ont perturbé une conférence de presse et la police a interrompu la visite de diplomates étrangers au domicile de Bizimungu. Des bandes de rue ont attaqué les deux responsables politiques. Bizimungu a publié un livre en novembre 2001 mais n’a pas été autorisé à le distribuer.  
 
En décembre 2001, Gratien Munyarubuga, l’une des personnes impliquées dans la création d’Ubuyanja, a été assassiné, en milieu de journée, à Kigali, la capitale alors que des membres de la Force de défense locale, une agence de sécurité étatique, ne parvenaient pas à intervenir ni à arrêter les auteurs de cet acte.  
 
Alors que le pouvoir officiel exprimait clairement son opposition à Ubuyanja, plusieurs membres, pour la plupart tutsi, se retiraient du parti et le condamnaient, faisant de ce groupe un parti uniquement hutu.  
 
Arrestation et accusations  
 
En avril 2002, Bizimungu et Ntakirutinka ont été arrêtés sous le chef d’inculpation de création d’un parti politique. Or, lorsque ces deux personnes ont été présentées devant le tribunal, elles se sont retrouvées accusées d’avoir formé une association de malfaiteurs, d’avoir propagé de rumeurs incitant à la rébellion et d’avoir comploté contre le gouvernement. Bizimungu a également été accusé de détournement de fonds publics, de fraude fiscale et de possession illégale d’une arme à feu.  
 
Les six personnes jugées avec Bizimungu et Ntakirutinka ont également été accusées d’association de malfaiteurs. Cette association aurait harcelé des survivants du génocide en jetant des pierres sur les toits de leurs maisons et aurait prévu d’incendier une centrale électrique, entre autres activités.  
 
L’accusation n’a jamais tenté de prouver les charges directement liées à l’établissement d’un parti politique mais pendant tout le procès, il a fréquemment été fait allusion à Ubuyanja, comme étant apparemment l’association de malfaiteurs en question.  
 
Faiblesses de l’accusation  
 
Après des débats de procédure et de longs retards, le procès du groupe a débuté en avril 2004. La procédure elle-même s’est déroulée rapidement. Après six jours, le parquet a terminé la présentation des preuves, s’étant largement appuyée sur le témoignage d’un seul témoin, Theogene Bugingo, lui-même impliqué dans ces évènements. Pour les six personnes accusées avec Bizimungu et Ntakirutinka, l’accusation n’a présenté aucun autre témoin. Le témoignage de Bugingo comportait des contradictions flagrantes et Bugingo s’est montré très confus sur les dates des événements au centre même de son témoignage. L’un des six accusés a affirmé qu’il étudiait à l’étranger au moment des événements avancés par Bugingo et il a présenté son passeport pour étayer son affirmation. Sept témoins de la défense ont contesté le témoignage de Bugingo.  
 
D’autres témoins appelés à déposer contre Bizimungu et Ntakirutinka se sont contredits eux-mêmes à plusieurs reprises, se sont contredits entre eux et ont contredit Bugingo. Des questions ont été soulevées sur l’authenticité et l’origine de l’un des documents présentés et un autre document, le procès-verbal de l’interrogatoire d’un témoin par la police, aurait été perdu. Un témoin, Obed Nsengiyumva, a affirmé que ses déclarations à la police étaient le fruit de la peur et des intimidations suite à sa propre arrestation en avril 2002.  
 
Un autre témoin de l’accusation, Christophe Niringiyimana, présent lors du procès n’est pas allé à la barre mais a interrompu la procédure pour relater les abus qu’il avait lui-même subis lors de ses deux années de détention provisoire. Niringiyimana a d’abord été détenu pendant une semaine en octobre 2001 à cause de ses liens présumés avec Ntakirutinka. Il a affirmé à la Cour qu’au cours de cette période, il avait été battu par la police et n’avait pas été nourri pendant trois jours. Il a de nouveau été arrêté en mai 2002 sous le chef d’inculpation de participation au parti Ubuyanja. Détenu pendant deux ans, il a été interrogé à plusieurs reprises sur ses activités politiques et ses présumées critiques contre le RPF. Selon Niringiyimana, les enquêteurs ont ensuite falsifié ou détruit les procès-verbaux de ses déclarations. La Cour n’a pas pris action suite au récit de cette détention illégale et des abus commis par la police et l’accusation pour soutirer un témoignage par la force. A l’issue du procès, cependant, la police a libéré Niringiyimana après l’avoir sommé de ne parler à personne du traitement qui lui avait été réservé en prison. Peu de temps après sa libération, il a fui le pays.  
 
Human Rights Watch estime que les accusés n’ont pas eu la possibilité de se défendre légalement comme le prévoit l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que le Rwanda a ratifié en 1976. A plusieurs reprises pendant le procès, la Cour a refusé de permettre aux accusés et à leur avocat de contre-interroger pleinement les témoins et elle leur a refusé le droit d’appeler à la barre d’autres témoins pour remettre en question les preuves avancées par l’accusation.  
 
Le verdict  
 
En dépit de la faiblesse de l’accusation et des nombreuses contradictions dans le témoignage de Bugingo, mentionnées par la Cour elle-même dans son jugement, la Cour a néanmoins estimé que les huit accusés étaient coupables d’association de malfaiteurs. De plus, Bizimungu et Ntakirutinka ont été accusés d’avoir propagé des rumeurs incitant à la rébellion contre le gouvernement et Bizimungu a été reconnu coupable de détournement de fonds publics. Bizimungu et Ntakirutinka ont été acquittés des autres charges pesant contre eux. La Cour a condamné Bizimungu à quinze ans de prison, Ntakirutinka à dix ans et les autres accusés à cinq ans chacun.  
 
Les accusés ont fait appel de ces décisions et le parquet a fait appel pour que les acquittements soient reconsidérés et les peines accrues.  
 
La Cour suprême présidée par Aloysie Cyanzayire, a tenu plusieurs sessions fin 2005 sur cette affaire. En rendant son verdict, la Cour a une opportunité historique d’affirmer l’indépendance du système judiciaire et le respect de l’état de droit, des éléments absents depuis longtemps dans l’administration de la justice au Rwanda.



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