(New York, 27 avril 2006) Le gouvernement soudanais a lancé une nouvelle offensive militaire au Sud Darfour qui met gravement en danger les civils, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
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« Les nouvelles attaques de Khartoum contre des civils montrent que le Conseil de sécurité doit bouger rapidement sur la question d’une force de protection des Nations unies au Darfour, » a déclaré Peter Takirambudde, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Ces attaques montrent également que les sanctions, si elles sont bienvenues, ne frappent probablement pas assez fort – ni assez haut – et que les civils vont continuer à en payer le prix. »
L’attaque du 24 avril contre le village de Joghana semble s’inscrire dans une offensive gouvernementale plus vaste au Sud Darfour, dans le but apparemment de consolider le territoire avant la date limite du 30 avril fixée par l’Union africaine pour conclure les négociations de paix. La région située à 110 kilomètres au sud est de la capitale du Sud Darfour, Nyala, est depuis longtemps une zone explosive, opposant le gouvernement et les milices Janjaweed à deux groupes rebelles. Les groupes rebelles se sont aussi parfois opposés les uns aux autres à cet endroit. Toutes les parties ont contribué à la polarisation ethnique du conflit et au déplacement massif des populations dans la région.
Selon les récits de témoins, les forces du gouvernement et les milices ont commencé à attaquer Joghana à 7 heures du matin le 24 avril. Les civils qui ont fui la ville ont affirmé qu’un avion Antonov et deux hélicoptères de combat avaient été utilisés et que l’Antonov avait largué des bombes qui ont tué des civils. Le nombre de morts et de blessés n’a cependant pas pu être vérifié.
Des milliers de personnes déplacées vivaient à Joghana, sous contrôle du groupe rebelle de l’Armée de libération du Soudan (SLA), après avoir fui de préalables attaques contre leurs villages. Joghana est situé à environ 10 kilomètres de Greida, une autre ville sous contrôle du SLA où au moins 80 000 personnes déplacées ont cherché refuge.
« Si le gouvernement soudanais poursuit cette offensive alors Greida sera certainement la prochaine cible, » a déclaré Takirambudde. « Les civils là-bas, en particulier ceux qui sont de la même ethnie que les groupes rebelles, pourraient se retrouver très exposés. »
Les groupes rebelles – le SLA et le Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) – ont tous les deux été très actifs dans la région de Greida au cours de l’année écoulée en dépit de la demande de l’Union africaine d’un retrait des forces SLA de la ville de Greida où les forces de l’Union africaine ont une base.
La localisation stratégique de Greida, sur la route principale de Nyala au sud de Buram, a fait de cette ville et des villages environnants, un point de fixation pour des accrochages armés au cours des six derniers mois. Depuis novembre 2005, Human Rights Watch a recueilli des récits sur une douzaine d’attaques, d’ampleur variable, menées par les milices soutenues par le gouvernement contre des villages situés autour de Greida. Au cours de ces attaques, des milliers de civils ont été déplacés et ont perdu le cheptel qui leur restait ainsi que d’autres biens. Les forces rebelles auraient attaqué d’autres villages de la région en représailles. Depuis janvier 2006, des témoins ont signalé la présence massive de milices pro-gouvernementales autour de la ville et début mars 2006, au moins 60 villages autour de Greida ont essuyé des attaques.
L’offensive du gouvernement soudanais contre Joghana et les villages environnants s’apparente à des opérations antérieures au Sud Darfour, fin 2004 lorsque des responsables soudanais avaient affirmé « nettoyer la route » autour de Nyala pour des raisons de sécurité alors qu’ils menaient en fait une offensive brutale contre les populations civiles vivant dans des régions stratégiquement importantes sous contrôle SLA.
L’opération actuelle avait été préalablement très clairement planifiée et coordonnée. Human Rights Watch a appris de sources crédibles que les responsables du gouvernement soudanais avaient récemment informé la mission de l’U.A. au Darfour de leur intention de « nettoyer la route » de Nyala à Buram.
« Il ne s’agit pas d’une attaque menée au hasard, » a déclaré Takirambudde. « Ceci est le résultat de mois de préparation par les responsables soudanais et de coordination avec les milices. »
Comme dans d’autres régions du Darfour, les responsables soudanais ont exacerbé les tensions ethniques locales en continuant à recruter, soutenir et utiliser des milices ethniques dans la région de Greida. Les autorités soudanaises dont Al Haj Atta Al Mannar, le wali ou gouverneur du Sud Darfour, ont mis en place de soi-disant mécanismes de réconciliation, censés apaiser les tensions ethniques à Greida. Mais ces efforts, notamment l’installation de responsables de milices bien connus responsables de crimes de guerre dans les comités de réconciliation, représentent la poursuite de la politique du gouvernement soudanais qui construit des alliances militaires sur une base ethnique, sans se préoccuper de leur impact nocif sur les relations inter-ethniques.
Le gouverneur du Sud Darfour est un personnage clef dans le réseau des alliances de milices soutenues par le gouvernement au Sud Darfour, comme l’a décrit le rapport de Human Rights Watch de décembre 2005, « Impunité inébranlable : responsabilité gouvernementale dans les crimes internationaux commis au Darfour ».
« Les responsables locaux, comme le gouverneur du Sud Darfour, ont joué un rôle clef dans la stratégie soudanaise visant à déchirer le Darfour, » a déclaré Takirambudde. « Leurs noms doivent s’ajouter à la liste des Nations unies des personnes à sanctionner et ils doivent faire l’objet d’une enquête pour le rôle qu’ils ont joué en soutenant et coordonnant les attaques contre les civils. »
La Chine, la Russie et le Qatar se sont abstenus de voter la résolution du Conseil de sécurité du 25 avril imposant des sanctions à quatre ressortissants soudanais, prétextant qu’une telle action pourrait interférer avec les négociations de paix de l’U.A. en cours au Nigeria. Les quatre personnes, dont deux commandants rebelles, le responsable Janjaweed le plus connu, Musa Hillal et un ancien officier de l’armée de l’air, n’ont plus le droit de se déplacer à l’étranger et leurs avoirs sont gelés. Parmi ces quatre personnes, aucune n’est un responsable de haut rang impliqué dans les négociations, ni un gouverneur ou ministre fédéral impliqué dans de graves abus.
Pour consulter le rapport de décembre 2005, « Impunité inébranlable : responsabilité gouvernementale dans les crimes internationaux commis au Darfour », veuillez consulter :
http://hrw.org/reports/2005/darfur1205/