HUMAN RIGHTS
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Procès Habré: «Le Sénégal nous a déjà déçus»

Par Pierre Chambonnet

Publié dans Le Temps

4 juillet 2006  
 
JUSTICE. Tout en se réjouissant de la décision du président sénégalais de juger Hissène Habré sur son sol, les victimes de l'ancien dictateur tchadien s'inquiètent de la durée de la procédure.

« Il faut effectivement que le Sénégal puisse profiter des quatre années de travail de la justice belge. Il ne faut pas que tout ce travail soit perdu. »
Reed Brody, porte-parole de Human Rights Watch
  
Dimanche, le président sénégalais Abdoulaye Wade a annoncé lors du sommet de l'Union africaine (UA) de Banjul que son pays va juger l'ex-dictateur Hissène Habré. Réfugié au Sénégal, l'ancien chef de l'Etat tchadien (entre 1982 et 1990) a été inculpé par un tribunal belge pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et actes de torture, sur plainte de trois Belges d'origine tchadienne. Ses victimes doutent de la tenue rapide d'un procès au Sénégal, pays dont la justice s'est déjà déclarée deux fois incompétente. Un avis que partage Reed Brody, le «chasseur de dictateurs» de Human Rights Watch (HRW), l'ONG américaine de défense des droits de l'homme qui assiste les victimes d'Hissène Habré.  
 
Le Temps: Un procès au Sénégal est-il la meilleure solution?  
 
Reed Brody: C'est la meilleure solution africaine. C'est l'option la plus évidente et la plus juridiquement fiable. Au Tchad, la vie de Hissène Habré serait menacée et il n'y aurait aucune garantie d'un procès équitable.  
 
- Pour Human Rights Watch, la solution idéale demeure l'extradition vers la Belgique?  
 
- Absolument. L'option belge était la meilleure: la justice a fait quatre ans d'enquête et était sur le point de pouvoir offrir à Hissène Habré un procès équitable dans les meilleurs délais. Nous avions commencé par demander il y a sept ans au Sénégal de juger l'ancien dictateur. C'était le scénario d'origine. Mais la justice sénégalaise s'était déclarée incompétente. En tout état de cause, les victimes attendent maintenant depuis quinze ans. Nous ne voulons surtout pas attendre encore trois ou quatre ans de plus. C'est pour cette raison que nous demandons au Sénégal d'agir vite. Deux des sept plaignants de Dakar en 2000 sont déjà morts. Le temps presse.  
 
- La justice sénégalaise s'est déjà déclarée incompétente deux fois. Comment peut-elle aujourd'hui juger Hissène Habré?  
 
- Le Sénégal doit modifier sa législation pour assurer sa compétence. Le comité d'experts de l'UA a d'ailleurs fait une demande dans ce sens. Cette même demande avait déjà été formulée il y a un mois par le comité des Nations unies contre la torture.  
 
- Sans transmission de l'enquête belge à la justice sénégalaise, la procédure risque d'être très longue...  
 
- Il faut effectivement que le Sénégal puisse profiter des quatre années de travail de la justice belge. Car un juge belge a déjà effectué une mission importante au Tchad. Il a épluché les dizaines de milliers de documents de la police politique qu'Hissène Habré avait mise sur pied. Il a interrogé une centaine de témoins. Il ne faut pas que tout ce travail soit perdu. Même s'il n'existe pas de possibilité dans le droit sénégalais de valider automatiquement tout ce qui a été fait, le Sénégal doit pouvoir au moins en prendre connaissance. Enfin, il faut garantir l'indépendance de la procédure. En 2000 et 2001, le juge d'instruction qui avait inculpé Hissène Habré a été muté, alors que le président Wade s'était exprimé plusieurs fois en public contre un procès.  
 
- Quelle a été la réaction des victimes à l'annonce du procès?  
 
- Elles restent sur leurs gardes car ce n'est pas encore fait. Le Sénégal nous a déjà déçus deux fois dans cette affaire. Il accepte aujourd'hui de faire ce qu'il a refusé il y a sept ans. Pour nous, rien n'est acquis.  
 
- Avec l'annonce du procès de Charles Taylor et celui d'Hissène Habré, l'Afrique est sur la voie de la lutte contre l'impunité?  
 
- La décision de l'Union africaine est très significative. Aucune voix ne s'est élevée à Banjul durant le sommet contre le procès d'Habré. L'ensemble des chefs d'Etat africains - y compris (ndlr: le Zimbabwéen) Mugabe, (le Soudanais) Al-Béchir et (le Gabonais) Bongo - a rejeté l'impunité et a donné mandat à un pays africain pour juger un ex-collègue. Pour la Sierra Leone, les présidents (ndlr: nigérian) Obasanjo et (libérien) Johnson Sirleaf ont accepté de déférer Charles Taylor à la justice internationale. Deux dictateurs qui siégeaient dans les sommets africains sont maintenant devant la justice. C'est une avancée certaine qui doit beaucoup à la mobilisation de la société civile.  
 

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