HUMAN RIGHTS WATCH

Maroc/Sahara occidental

Résumé par pays

Le Maroc continue à offrir une image contrastée en matière de droits humains. Il a fait de grands progrès dans le traitement des abus commis dans le passé et il a accordé un espace considérable à la dissidence et la contestation publiques au cours des années récentes. Mais les autorités, aidées par des tribunaux complaisants, continuent à utiliser une législation répressive pour punir parfois des opposants pacifiques et la police emploie une force excessive pour disperser des manifestations, en particulier dans des régions écartées.

Les contrôles ont été particulièrement étroits dans la région rebelle et contestée du Sahara occidental, que le Maroc administre comme s’il faisait partie de son territoire national. Un mouvement pro indépendantiste connu sous le nom de Front Polisario (Front populaire pour la libération de la Saga el Hamar et du Rio de Oro) conteste la souveraineté marocaine et réclame la mise en application d’un plan de l’ONU retardé et prévoyant un référendum sur l’autodétermination pour les Sahraouis.  
 
Plusieurs centaines de personnes soupçonnées d’extrémisme islamiste arrêtées dans les semaines qui ont suivi les attentats à la bombe de Casablanca de mai 2003 continuent à purger des peines de prison, en dépit d’une série de grâces royales qui ont libéré quelques centaines de prisonniers islamistes. Les prisonniers restants ont mené des grèves de la faim au cours de l’année pour réclamer leur libération ou une révision de leurs jugements, ainsi que des améliorations des conditions de détention. Un grand nombre des individus interpellés lors de rafles en 2003 avaient été maintenus au secret pendant des jours ou des semaines et soumis à de mauvais traitements, et parfois à la torture, lors de leur interrogatoire, puis condamnés lors de procès non équitables.  
 
Les réformes du droit de la famille, décrétées en 2004, ont relevé l’âge minimum du mariage pour les femmes de quinze à dix-huit ans, ont fait de la famille la responsabilité conjointe des deux époux, ont abrogé le devoir d’obéissance de la femme à son mari, et ont placé la pratique de la polygamie sous un strict contrôle judiciaire. Des inquiétudes subsistent car ces réformes sont appliquées avec lenteur.  
 
Le travail des enfants est largement répandu, en dépit de l’interdiction de travailler pour les enfants de moins de 15 ans inscrite au Code du Travail. Les fillettes travaillant comme domestiques à demeure dans des domiciles privés sont spécialement vulnérables aux abus, y compris aux sévices sexuels, et travaillent fréquemment cent heures par semaine sans avoir accès à l’éducation, ni à une alimentation correcte ou à des soins médicaux. Les autorités punissent rarement les employeurs coupables d’abus contre les enfants domestiques, et les inspecteurs du travail ne sont pas autorisés à pénétrer dans les domiciles privés. Le gouvernement a introduit un projet de loi en 2006 pour réglementer les conditions d’emploi des travailleurs domestiques mais, à début novembre, le projet ne prévoyait pas de mécanisme suffisant de mise en application utilisable pour les enfants.  
 
Le système judiciaire et les réformes juridiques  
Les policiers sont rarement amenés à répondre de leurs actes en cas de violations des droits humains. Cependant, les autorités ont dit à une délégation de l’ONU en visite au mois de mai 2006 que deux policiers étaient en attente de procès pour avoir causé la mort de Hamdi Lembarki, un Sahraoui décédé à la suite de coups à la tête le 30 octobre 2005, pendant une période de troubles à El Ayoun. Une nouvelle loi sur la torture est entrée en vigueur en février, prévoyant des peines de prison pour les agents gouvernementaux coupables de torture ou de mauvais traitements contre des personnes détenues.  
 
Dans les affaires à caractère politique, les tribunaux refusent régulièrement aux accusés un procès équitable, ignorant les demandes d’examens médicaux déposées par les accusés qui affirment avoir été torturés, refusant de citer à comparaître des témoins à décharge, et condamnant des accusés uniquement sur la base d’aveux apparemment extorqués.  
 
En décembre 2005 par exemple, un tribunal de El Ayoun a condamné sept défenseurs des droits humains sahraouis en lien avec les manifestations parfois violentes qui avaient éclaté sporadiquement dans la région depuis le mois de mai précédent. Les preuves rattachant ces sept personnes à des actes de violence étaient douteuses et dans certains cas semblaient fabriquées. Les autorités semblent avoir pris ces Sahraouis pour cible à cause de leur militantisme en faveur des droits humains et de leurs convictions ouvertement indépendantistes. Les sept prévenus ont reçu des peines de prison allant jusqu’à deux ans, mais en avril tous avaient été libérés.  
 
Dans un autre exemple de déni de justice —qui semble relever d’un règlement de comptes personnel plutôt que de répression politique— l’homme d’affaires Mourad Belmâachi de Casablanca a entamé sa troisième année de détention préventive sur la base d’accusations de vol de documents et de falsification de ces documents dans le but d’échapper à des créanciers. Sortant d’un interrogatoire par la police en juin 2004, Belmâachi a immédiatement demandé un examen médical, affirmant que ses aveux avaient été obtenus sous la torture, mais les autorités judiciaires n’ont pas fait droit à cette requête. Depuis lors, les juges ont refusé de le relâcher dans l’attente de son procès, sans justifier ce refus.  
 
La liberté d’association, de réunion et de mouvement  
Les autorités ont en général toléré le travail de nombreuses organisations de défense des droits humains actives à Rabat et Casablanca. De façon générale, elles n’ont pas non plus empêché les organisations étrangères de défense des droits humains de se rendre au Maroc, et elles ont souvent répondu à leurs lettres exprimant des préoccupations. Cependant, au Sahara occidental, la surveillance est plus étroite, et le harcèlement des militants nationaux et étrangers des droits humains est plus courant.  
 
La plupart des réunions publiques exigent l’autorisation du ministère de l’Intérieur, qui peut refuser sa permission s’il les estime susceptibles de « troubler l’ordre public. » Ce pouvoir discrétionnaire s’exerce plus souvent si le programme des manifestants est critique à l’égard des politiques gouvernementales. Si beaucoup des fréquentes manifestations publiques à Rabat se déroulent sans heurts, des policiers munis de matraques en ont brutalement dispersé d’autres. Par exemple, le 6 juillet 2006, ils ont utilisé la force pour disperser un petit sit-in devant le parlement à Rabat organisé pour protester contre de récentes violations du droit de réunion.  
 
La répression policière des manifestations a été plus féroce au Sahara occidental que partout ailleurs, et a présenté une tendance au recours excessif à la force contre les manifestants, dont certains jetaient des pierres et des cocktails Molotov.  
 
Les autorités ont continué à limiter les voyages à l’étranger pour certains militants sahraouis, bien que ce type de mesures ait diminué dans l’ensemble au cours des années récentes. A début novembre, les autorités n’avaient toujours pas restitué les passeports confisqués à neuf militants qu’elles ont empêchés de se rendre à Genève en 2003 pour participer à des activités de l’ONU portant sur les droits humains.  
 
La liberté de la presse  
Les critiques exprimées dans les médias contre les autorités sont souvent plutôt directes, mais sont néanmoins circonscrites par une loi sur la presse qui prévoit des peines de prison pour diffamation et pour expression critiquant « l’Islam, l’institution de la monarchie ou l’intégrité territoriale. » Une loi de 2004 a libéralisé les médias de la radio et de la télévision mais exige des médias étrangers qu’ils demandent des licences pour que les stations basées au Maroc « respectent scrupuleusement les valeurs de la monarchie et son héritage en termes d’Islam et d’intégrité territoriale. » Les autorités ont bloqué l’accès à certains sites Web pro Polisario, expliquant à une délégation de l’ONU en visite qu’elles contrôlaient les contenus en ligne pour empêcher des attaques contre l’« intégrité territoriale. »  
 
Depuis la mi 2005, une série de poursuites contre des hebdomadaires indépendants, le secteur le plus critique et le plus direct des organismes de presse marocains, a montré les limites persistantes de la liberté de la presse. Des tribunaux ont condamné au moins quatre hebdomadaires, ou leurs journalistes, sur la base d’accusations de diffamation, de publication de « fausses nouvelles, » ou « d’offense » à un chef d’Etat étranger, et ils étaient en train d’en juger un cinquième pour « attaque » contre l’institution de la monarchie. Le 18 avril, une cour d’appel a confirmé une condamnation record pour diffamation de 3,1 millions de dirhams  
(356 500 $ US) prononcée contre Le Journal Hebdomadaire. Un institut de recherche basé à Bruxelles a déclaré que Le Journal l’avait diffamé en disant que son rapport sur le Sahara occidental était si partial qu’il donnait l’impression d’avoir été commandité par le gouvernement marocain. L’hebdomadaire a déclaré qu’il devrait fermer s’il était forcé de payer l’amende.  
 
Les mesures antiterroristes  
Il y a eu des comptes-rendus dans les médias, constants mais non confirmés tout au long de l’année, selon lesquels le Maroc avait accepté de recevoir des détenus secrètement transférés par des pays occidentaux, pour y être brutalement interrogés par des agents marocains du renseignement. Les autorités marocaines ont nié catégoriquement ces rapports.  
 
Le 14 septembre 2006, Francesca Longhi, avocate du citoyen italien Abou el Kassim Britel, a témoigné devant un comité temporaire du Parlement Européen que son client avait été arrêté au Pakistan en 2002 puis secrètement transporté par avion privé « sous la protection de la CIA » vers son Maroc natal, où la police l’a torturé au cours des interrogatoires. Britel a été libéré au bout de neuf mois de détention sans avoir été inculpé mais il a été à nouveau arrêté en 2003 et condamné à une longue peine de prison sur la base d’accusations de terrorisme. Binyam Mohammed, natif d’Ethiopie et détenu à la prison de Guantanamo gérée par les Etats-Unis, a affirmé par l’intermédiaire de son avocat que des agents américains l’avaient transféré en 2002 au Maroc depuis le Pakistan, où les personnes qui l’avaient interrogé l’avaient torturé, avant d’être transporté en Afghanistan sous surveillance américaine, puis à Guantanamo.  
 
Reconnaissance des exactions commises dans le passé  
Le 30 novembre 2005, l’Instance équité et réconciliation (IER) du Maroc, instaurée en 2004 par le roi Mohamed VI, a publié son rapport sur les graves violations des droits humains commises entre 1956 et 1999, encourageant des discussions rompant les tabous sur la répression passée. L’IER a permis une reconnaissance officielle de la répression passée, a donné la parole aux victimes qui l’attendaient depuis longtemps, et a élucidé de nombreux cas individuels. Cependant, la non coopération de fonctionnaires a empêché l’IER de résoudre d’autres cas. Et en dépit des recommandations de l’IER sur la fin de l’impunité, les autorités n’ont pris aucune mesure pour traduire en justice les individus impliqués dans des exactions passées, dont certains qui occupent toujours des postes élevés au gouvernement. Au cours de l’année 2006, en accord avec son mandat, l’IER s’est employée à déterminer le niveau de dédommagement que l’Etat payerait aux victimes passées.  
 
Les acteurs clés sur le plan international  
Le Maroc est un allié important des Etats Unis en raison de sa coopération dans la lutte contre le terrorisme, de la signature en 2004 d’un accord bilatéral de libre échange, et de ses politiques pro occidentales en général. En juin 2004, les Etats-Unis ont désigné le Maroc comme « un allié privilégié non membre de l’OTAN, » ce qui a entraîné la levée des restrictions sur les ventes d’armes. Dans des déclarations publiques, les responsables des Etats-Unis ont mis en avant ces aspects de l’alliance bilatérale et ont parlé rarement des problèmes relatifs aux droits humains, même si les rapports du Département d’Etat sur les droits humains ont reflété fidèlement l’étendue des violations de ces droits au Maroc et au Sahara occidental.  
 
Un accord d’association est effectif entre le Maroc et l’Union européenne depuis 2000. Le Maroc est le premier bénéficiaire des fonds du MEDA, le principal programme d’aide de l’UE à ses pays partenaires méditerranéens. Le Maroc a reçu 1,25 milliard d’euros de subventions au cours des dix dernières années ; le programme pour 2005-2006 a été budgétisé à 275 millions d’euros. Les déclarations publiques de l’UE sur la situation des droits humains au Maroc sont rares. Un sous-comité bilatéral sur les droits humains, la gouvernance et la démocratisation, devait se réunir pour la première fois en novembre.  
 
La France est le principal partenaire commercial du Maroc et le principal fournisseur d’investissements et d’aide publique au développement. Les dirigeants français n’ont fait presque pas de déclarations publiques sur les droits humains au Maroc au cours de l’année 2006.  
 
Le Haut Commissaire de l’ONU pour les droits de l’homme a envoyé une délégation en mai pour examiner la situation des droits humains au Sahara occidental administré par le Maroc et dans les camps de réfugiés sahraouis administrés par le Polisario à Tindouf, en Algérie. Après avoir négocié l’assouplissement d’une forte présence sécuritaire marocaine, la délégation a pu, selon ses propres termes, « rencontrer toute personne qu’elle jugeait utile. » Elle a conclu : « Les Sahraouis se voient non seulement nier leur droit à l’autodétermination mais de la même façon ils sont gravement empêchés d’exercer une série d’autres droits, et en particulier des droits d’une importance particulière pour le droit à l’autodétermination, comme le droit à exprimer leurs opinions sur la question, à créer des associations défendant leur droit à l’autodétermination et à organiser des réunions pour faire connaître leurs opinions. » La délégation a déclaré qu’elle était incapable de collecter suffisamment d’informations sur les conditions des droits humains dans les camps de Tindouf, mais elle a qualifié d’ « indispensable » une surveillance plus étroite de la situation de ces droits dans cette région et dans les zones qui sont sous contrôle marocain.