HUMAN RIGHTS WATCH

Tunisie

Résumé par pays

Le président Zine el-Abidine Ben Ali et le parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique, dominent la vie politique en Tunisie. Le gouvernement utilise la menace du terrorisme et de l’extrémisme religieux comme prétexte pour justifier les mesures sévères contre la contestation pacifique. Les témoignages de torture et de mauvais traitements visant à obtenir les dépositions de suspects en garde à vue sont courants et dignes de foi. Les prisonniers condamnés sont également victimes de mauvais traitements.

En mars, le président Ben Ali a amnistié ou accordé la libération conditionnelle à 1650 prisonniers environ, dont 70 membres du parti islamiste interdit An-Nahdha. En novembre, le président a amnistié ou accordé la libération conditionnelle à une cinquantaine d’autres prisonniers politiques, membres de An-Nahdha pour la plupart. Certains d’entre eux étaient des dirigeants du parti qui se trouvaient en prison depuis le procès de masse de 1992, sur la base d’accusations douteuses de complot pour renverser l’Etat. Cependant, le nombre de prisonniers politiques est resté supérieur à 350, car les autorités ont arrêté beaucoup de jeunes hommes au cours de ratissages dans tout le pays et les ont inculpés dans le cadre de la loi antiterroriste de 2003. Les autorités ont mené la vie dure aux prisonniers politiques relâchés, les surveillant étroitement, leur refusant des passeports et la plupart des emplois, et menaçant d’arrêter à nouveau ceux qui parlaient ouvertement de droits humains ou de politique.  
 
Les défenseurs des droits humains  
Les autorités ont refusé d’accorder un agrément à toute organisation de défense des droits humains véritablement indépendante en ayant fait la demande au cours des dix dernières années. Elles ont ensuite invoqué le statut « illégal » de l’organisation pour entraver ses activités. Le 21 juillet 2006, les forces de police ont encerclé à Tunis le bureau du Conseil National pour les Libertés en Tunisie, organisation non reconnue, et ainsi qu’elles l’ont déjà souvent fait auparavant, elles ont empêché ses membres de se réunir, recourant à la force contre ceux qui ne se dispersaient pas assez vite. La police a aussi fait obstruction à des réunions de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques, organisation elle aussi non reconnue.  
 
La Ligue tunisienne des droits de l’Homme, organisation indépendante bénéficiant d’un agrément, a continué à être confrontée à des actions en justice intentées par des membres dissidents. Le contexte général montre que ces procès s’inscrivent dans une tendance répressive plus large ; les tribunaux ont systématiquement rendu des jugements favorables en faveur de ces plaignants, donnant une apparence légale aux opérations de police à grande échelle visant à empêcher la plupart des réunions de la Ligue. Le 27 mai, la police a bloqué le congrès de la Ligue en refoulant les membres venus de plusieurs villes alors qu’ils tentaient d’atteindre le siège national. Le 18 mai, la police a empêché la tenue d’une petite cérémonie qui devait avoir lieu au siège en mémoire de Adel Arfaoui, ancien défenseur des droits humains. Les autorités ont bloqué les subventions étrangères accordées à la Ligue, dont celle de l’Union Européenne.  
 
La police surveille manifestement la plupart des militants étrangers pour la défense des droits humains qui se rendent dans le pays. Le 21 mai, les autorités ont expulsé Yves Steiner, de la section suisse d’Amnesty International, le jour après qu’il ait critiqué devant des membres d’Amnesty la situation des droits humains en Tunisie. Les autorités ont déclaré que Steiner avait « violé les lois du pays de manière à porter atteinte à l’ordre public, » mais n’ont pas fourni de détails.  
 
L’ Association Tunisienne des Magistrats est demeurée sous le contrôle d’un comité directeur progouvernemental installé par les autorités en 2005, après avoir utilisé des manœuvres légales douteuses pour évincer le comité exécutif qui venait d’être élu et qui avait réclamé une plus grande indépendance judiciaire.  
 
En mai 2006, le parlement a adopté une loi exigeant que les futurs avocats suivent un programme de formation dans un nouvel institut, dont le ministre de la Justice a dit qu’il était nécessaire pour les préparer à un environnement de plus en plus mondialisé. Les avocats ont protesté au motif que la loi sapait l’indépendance de la profession en rendant plus étroit le contrôle de l’Etat sur la formation et la certification des avocats.  
 
Les défenseurs des droits humains et les dissidents font l’objet d’une forte surveillance, d’interdictions de voyager arbitraires, de licenciements de leur travail, de coupures des lignes téléphoniques, d’agressions physiques, de harcèlement de leurs proches, d’actes suspects de vandalisme et de vol, et de campagnes de diffamation dans la presse. L’avocat Mohamed Abou purge toujours une peine d’emprisonnement de trois ans infligée en 2005, après qu’il ait publié des critiques virulentes du président Ben Ali sur des forums en ligne. La police a harcelé sa femme Samia lorsqu’elle venait lui rendre visite en prison et quand elle a fait connaître les problèmes de son mari.  
 
Le système judiciaire  
Le pouvoir judiciaire n’a pas d’indépendance. Les juges d’instruction interrogent souvent les accusés en l’absence de leurs avocats. Les procureurs et les juges ferment souvent les yeux sur les allégations de torture, même quand elles font l’objet de plaintes officielles déposées par des avocats. Les juges condamnent les inculpés uniquement ou principalement sur la base de confessions arrachées sous la contrainte, ou de dépositions de témoins que l’accusé n’a pas la possibilité de confronter au tribunal.  
 
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a poursuivi son programme de visites des prisons tunisiennes. Cependant, les autorités refusent l’autorisation d’accès aux organisations indépendantes de défense des droits humains. Elles ont refusé d’honorer un engagement explicite pris en avril 2005 de permettre ces visites à Human Rights Watch lors de « son prochain voyage » en Tunisie, expliquant que la Tunisie était occupée à organiser les visites du CICR.  
 
La liberté des médias  
Aucun des médias, que ce soit dans la presse écrite ou à la radio et à la télévision, n’émet de critiques sur les politiques gouvernementales, en-dehors de quelques rares revues indépendantes de faible tirage qui sont parfois confisquées. Les quotidiens privés sont tous loyalistes, déformant souvent les critiques contre le gouvernement d’une façon considérée comme indigne pour les médias officiels. La Tunisie dispose maintenant de stations privées de radio et de télévision, mais là aussi la propriété privée n’est pas synonyme d’indépendance éditoriale. Le gouvernement bloque certains sites Web politiques ou d’organisations de défense des droits humains qui diffusent des informations critiques sur la Tunisie.  
 
Les mesures antiterroristes  
Les autorités tunisiennes prétendent qu’elles sont depuis longtemps au premier rang de la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme. La loi adoptée en 2003 « relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent » comporte une définition large du terrorisme qui pourrait être utilisée pour poursuivre des personnes exerçant pacifiquement leur droit à la différence d’opinion, et qui érode les droits des accusés dans les cas de terrorisme.  
 
Depuis 2005, le gouvernement a inculpé plus de 200 Tunisiens, jeunes pour la plupart, qui ont été arrêtés dans plusieurs villes du pays ou bien extradés par l’Algérie ou par d’autres gouvernements, les accusant de s’apprêter à rejoindre des mouvements partisans du djihad à l’étranger ou de préparer des actes terroristes. Dans de nombreux cas, des policiers en civil ont procédé à ces arrestations sans s’être identifiés ni donner le motif de l’arrestation, et les familles sont restées pendant des jours ou des semaines sans savoir où se trouvaient les personnes. Au cours de leurs procès, ces accusés ont affirmé avec force que la police leur avait extorqué leurs déclarations sous la torture ou la menace de torture. Les tribunaux ont condamné un grand nombre de ces accusés à de longues peines de prison sur la base d’accusations de terrorisme générales mais, à la connaissance de Human Rights Watch, ils n’en ont déclaré aucun coupable d’un acte spécifique de violence ni de possession d’armes ou d’explosifs.  
 
La grâce présidentielle en février 2006 a libéré six accusés dans l’une des affaires de ce type les plus connues, le groupe de « Zarzis », après qu’ils aient purgé trois ans de prison sur des peines allant jusqu’à 19 ans. Le tribunal les avait reconnus coupables sur la base d’aveux apparemment extorqués et aussi sur la preuve qu’ils avaient téléchargé sur Internet des instructions pour fabriquer une bombe. Dans une autre affaire en lien avec Internet, Ali Ramzi Bettibi purge toujours une peine de quatre ans de prison reçue en 2005 pour avoir fait un couper-coller sur un forum en ligne de la déclaration d’un groupe obscur menaçant de faire des attentats à la bombe si le président Ben Ali recevait la visite du Premier ministre israélien.  
Depuis 1991, il y a eu une attaque terroriste meurtrière en Tunisie : en avril 2002, un attentat avec un camion piégé a pris pour cible une synagogue sur l’île de Djerba. Al-Quaïda a revendiqué la responsabilité de l’attentat.  
 
Les acteurs clés sur le plan international  
Les Etats-Unis ont de bonnes relations avec la Tunisie, tout en y appelant au progrès en matière de droits humains plus ouvertement que dans la plupart des autres pays de la région. L’ambassade envoie souvent des diplomates pour observer les procès politiques et pour rencontrer les militants de la société civile.  
 
Si les Etats-Unis apportent à la Tunisie une aide financière minime, le Département de la Défense fournit une formation antiterrorisme et des programmes d’échange pour l’armée. Le secrétaire de la Défense Donald Rumsfeld, après avoir rencontré le président Ben Ali à Tunis le 11 février 2006, a déclaré : « La Tunisie a longtemps été une voix importante de modération et de tolérance … et elle a joué un rôle déterminant dans la lutte contre les extrémistes non seulement au sein du pays, mais également dans la région. » Rumsfeld n’a pas mentionné que la Tunisie devrait arrêter d’utiliser « l’extrémisme » pour réprimer toutes formes d’opposition non-violente, disant seulement que « les libertés politique et économique vont de pair, et chacune dépend de l’autre pour une stabilité à long terme. »  
 
Le 1er mars, le porte-parole du Département d’Etat s’est félicité de la grâce présidentielle accordée aux détenus mais a incité la Tunisie à « accélérer des réformes qui créent un espace politique plus ouvert et plus stimulant dans lequel tous les partis, les organisations de la société civile et les prisonniers libérés puissent opérer plus librement. » Le Rapport du Département d’Etat sur le Soutien aux droits humains et à la démocratie pour 2005-2006 a affirmé : « Le gouvernement a continué à invoquer une multiplicité de lois et de règlements pour faire obstruction à la mise en application d’initiatives et de projets de réforme financés internationalement et par les Etats-Unis, dont ceux encourageant la liberté des médias et d’opinion dans le processus politique. »  
 
L’Accord d’association conclu entre la Tunisie et l’Union européenne est toujours en vigueur, en dépit du bilan du gouvernement en matière de droits humains et du blocage des subventions européennes en faveur de certaines ONG. Les représentants de l’UE ont parfois critiqué le bilan de leur partenaire en matière de droits humains, tout en se félicitant de l’état des relations bilatérales dans son ensemble. La présidence de l’UE a critiqué le refus à la dernière minute par la Tunisie d’accueillir une conférence internationale sur l’emploi et le droit au travail, programmée pour les 8 et 9 septembre, qualifiant ce refus de l’un d’une « série de signaux négatifs que la Tunisie a envoyé ces dernières années dans le domaine des droits de l’homme et la conduite des affaires publiques. » Le 15 juin 2006, le Parlement Européen a adopté une résolution déplorant la répression des défenseurs des droits humains en Tunisie.  
 
La France est restée le principal partenaire commercial et investisseur étranger de la Tunisie, et le président Jacques Chirac demeure un fidèle supporter du président Ben Ali. Les déclarations publiques de part de la France au sujet des droits humains ont été excessivement rares et prudentes.