HUMAN RIGHTS WATCH

Guinée

Résumé par pays

En 2006, la Guinée a traversé une période d’incertitude liée à des bouleversements économiques et à une transition politique imminente. L’économie guinéenne est très pauvre et avec une inflation qui atteint actuellement les 40 pour cent, les produits alimentaires de base ainsi que d’autres produits essentiels sont hors de portée de beaucoup de Guinéens. D’après la rumeur, le président, Lansana Conté, âgé de 72 ans, serait gravement malade; il a effectué deux voyages en Suisse pour recevoir des soins médicaux. L’armée guinéenne passe pour être profondément divisée en fonction de critères générationnels et ethniques. Bon nombre d’observateurs estiment qu’une prise de pouvoir par les militaires serait inévitable si, et c’est fort probable, le Président Conté venait à ne pas terminer son mandat, lequel doit expirer en 2010. En 2006, les deux plus grands syndicats guinéens sont apparus comme des acteurs importants pour l’avenir politique du pays. Ils ont organisé deux grèves nationales qui ont véritablement paralysé le pays pendant plusieurs semaines.

En 2006, les citoyens guinéens ont été victimes de nombreuses formes de brutalité, notamment l’usage excessif de la force contre des manifestants non armés, des actes de torture, des agressions et des vols commis par les forces de sécurité pourtant responsables de leur protection. Au cours de l’année, la police guinéenne a régulièrement soumis les suspects en garde à vue à la torture et aux mauvais traitements afin de leur arracher des aveux. Une fois que les personnes sont transférées du poste de police à la prison dans l’attente d’un procès, beaucoup se retrouvent dans des cellules exiguës où elles croupissent pendant des années, confrontées à la faim, la maladie, et parfois la mort. Par ailleurs, les forces de sécurité guinéennes ont réagi aux grèves organisées pour protester contre la détérioration des conditions économiques en recourant à la force, de manière inappropriée et excessive, contre les manifestants non armés. Le gouvernement a largement omis de s’attaquer à l’impunité souvent associée aux graves violations des droits de l’homme, en particulier celles commises par les forces de sécurité.  
 
Alors que le pays s’enfonçait plus profondément dans le chaos économique et politique, la société civile guinéenne, jadis perçue comme peu revendicatrice d’un changement politique, s’est montrée davantage capable de s’organiser à grande échelle pour exercer des pressions en faveur de réformes politiques et économiques. En mars 2006, la majorité des organisations importantes de la société civile et les partis d’opposition se sont unis pour organiser quatre journées de « concertation nationale » en vue de réclamer au gouvernement des réformes politiques majeures. L’événement était significatif dans le sens où malgré le passé répressif de la Guinée, la conférence s’est déroulée sans aucun incident violent ou harcèlement de la part du gouvernement.  
 
Usage excessif de la force contre des manifestants non armés  
En 2006, comme au cours des années précédentes, l’usage excessif de la force contre des manifestants non armés a entravé considérablement la capacité des citoyens guinéens à exercer leur droit à la liberté d’expression et de réunion. Au cours de 2006 les forces de sécurité du pays ont été responsables d’au moins deux incidents au cours desquels des dizaines de manifestants non armés ont été blessés par balles, battus et arrêtés arbitrairement. L’incident le plus grave a eu lieu en juin 2006 lorsqu’à l’occasion d’une grève organisée pour protester contre l’augmentation des prix des produits de base, les forces de sécurité guinéennes ont réagi en recourant à la force de manière excessive et inappropriée , tuant au moins 11 manifestants. Au cours de la répression, la police et d’autres forces de sécurité ont commis des viols, des agressions et des vols, s’attaquant non seulement aux manifestants mais également à nombre d’autres personnes, dont des femmes, des enfants et des vieillards qui ne participaient pas au mouvement de protestation. Des enquêtes seraient en cours mais à ce jour, personne n’a été traduit en justice pour ces délits. De même, les membres des forces de sécurité responsables d’incidents antérieurs n’ont jamais été inquiétés par la justice.  
 
Torture policière  
Pendant la garde à vue, la torture et les mauvais traitements contre des suspects, notamment des enfants, sont monnaie courante. Lors des interrogatoires de police, les personnes sont fréquemment attachées avec des cordes, battues, brûlées avec des cigarettes et coupées avec des lames de rasoir jusqu’à ce qu’elles acceptent d’avouer le délit dont elles sont accusées. Beaucoup de méthodes de torture utilisées lors des interrogatoires de police remontent à la dictature brutale et répressive du premier président guinéen, Sékou Touré (1958-1984). L’absence de poursuites judiciaires engendre une impunité qui demeure l’obstacle majeur à l’éradication de ces exactions.  
 
Détention préventive prolongée  
En 2006, comme lors des années précédentes, la détention préventive prolongée a constitué un grave problème sur le plan des droits de l’homme. Dans la plus grande prison de Guinée située dans le centre de Conakry, 70 à 80 pour cent des personnes incarcérées n’ont pas été jugées. Bon nombre d’entre elles, notamment des enfants, se trouvent là depuis plus de deux ans sans avoir fait l’objet d’un procès. Certaines ont déjà passé plus de quatre ans en détention préventive. Dans certains cas, les prévenus ont passé plus de temps à attendre leur procès que la peine maximum prévue pour le délit dont ils sont accusés. En violation des normes internationales, les responsables des prisons omettent souvent de séparer les condamnés des prévenus, et les adultes des mineurs. Fin 2006, le Ministre de la justice a organisé une conférence à laquelle ont participé des juges guinéens pour se pencher sur les moyens de s’attaquer au problème. L’ambassade des Etats-Unis d’Amérique a également versé des fonds à une organisation locale de défense des prisonniers afin de contribuer à la résolution du problème.  
 
Etat de droit  
Les faiblesses qui rongent le système judiciaire guinéen sont criantes, notamment le manque d’indépendance de l’appareil judiciaire par rapport au pouvoir exécutif, les moyens inadaptés, les pratiques de corruption, la formation inadéquate des magistrats et autres membres de l’autorité judiciaire, ainsi que le nombre insuffisant d’avocats, en particulier de pénalistes. En raison de la corruption régnante, il n’est pas rare que des personnes soient privées de leur droit d’avoir accès à la justice lorsqu’elles ne sont pas en mesure de verser des pots-de-vin aux juges, magistrats et autres fonctionnaires travaillant dans les secteurs judiciaire et pénal.  
 
Conditions de détention inappropriées  
Dans tout le pays, les conditions de détention sont totalement inappropriées. Le problème le plus crucial et le plus chronique est l’importante surpopulation carcérale. Ces dernières années, la plus grande prison de Guinée a accueilli près de 1 500 prisonniers dans des installations conçues pour 240-300 personnes. La nourriture et la qualité nutritive des aliments sont largement insuffisantes. Plusieurs décès dus à la malnutrition sont survenus en 2006 bien qu’ils aient diminué par rapport aux années précédentes. Beaucoup d’agents pénitentiaires travaillent en tant que « volontaires », sans être payés par le gouvernement, et par conséquent, ils se font de l’argent en extorquant les prisonniers ou en leur vendant de la drogue.  
 
Les acteurs clés au niveau international  
La Guinée a souvent fièrement prétendu agir au mépris de la communauté internationale. Cette attitude remonte à son indépendance obtenue de la France en 1958, date à partir de laquelle elle a opposé une résistance à toute influence extérieure. Au cours des dernières années, probablement en raison de la crise économique persistante, le gouvernement s’est montré davantage ouvert à des réformes en matière de bonne gouvernance et de droits de l’homme. Pourtant, les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux de la Guinée ont fait preuve d’une volonté mitigée quand il s’est agi de tirer profit de cette ouverture pour chercher à améliorer la situation des droits de l’homme dans le pays. Suite à la répression brutale des manifestations de juin 2006, le Président de la Commission de l’Union africaine, la Présidence de l’Union européenne (UE) et le Secrétaire général des Nations Unies ont tous publié des déclarations exprimant leur inquiétude face à la violence et aux décès survenus. Les Etats-Unis se sont toutefois abstenus de publier tout communiqué en ce sens. En 2004, en raison des problèmes de droits de l’homme, l’UE a invoqué l’Article 96 de l’Accord de Cotonou pour suspendre l’aide au développement octroyée à la Guinée. Au cours de consultations ultérieures avec l’UE, le Gouvernement guinéen s’est engagé, entre autres, à mettre en œuvre des réformes électorales et à autoriser l’existence des chaînes de télévision et de radio privées. Bien que l’application de ces réformes par la Guinée ait rencontré un succès variable, en 2006 les premières licences ont été délivrées à des stations de radio privées et les premières stations ont commencé à émettre. Réagissant en partie à ces réformes et à d’autres changements, le Commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire a signalé en octobre 2006 que l’UE pourrait, à brève échéance, débloquer son aide au développement. Les principaux bailleurs de fonds bilatéraux, tels les Etats-Unis, n’ont pas soumis leur assistance à des conditions similaires.  
 
Une approche plus cohérente des acteurs internationaux à propos de l’aide à apporter à la Guinée pour résoudre ses problèmes de droits de l’homme, notamment l’impunité, contribuerait à endiguer les exactions les plus graves. A cet égard, des efforts soutenus des principaux bailleurs de fonds bilatéraux tels que la France et les Etats-Unis se révéleraient particulièrement essentiels. Dans le futur, la concurrence accrue autour des vastes ressources naturelles de la Guinée, entre autres la bauxite, l’or, les diamants, le fer et, dans les années à venir, le pétrole, risquent de faire obstacle à ce type d’approche.



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