(Bruxelles, 19 avril 2007) – Le gouvernement congolais doit immédiatement empêcher les anciens seigneurs de guerre rebelles, qui servent maintenant comme officiers dans l’armée nationale, de continuer à recruter et à utiliser des enfants soldats dans les brigades militaires déployées dans la province du Nord Kivu, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
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« En janvier, le chef de l’armée congolaise a ordonné aux brigades du Nord Kivu d’arrêter de recruter et d’utiliser des enfants soldats, » a indiqué Alison Des Forges, conseillère principale à la division Afrique de Human Rights Watch. « D’anciens seigneurs de guerre rebelles qui servent maintenant en tant qu’officiers de l’armée n’ont pas suivi cet ordre, et les enfants sont encore en première ligne pour tirer et se faire tirer dessus. »
Malgré l’ordre donné par le Général de division Kisempia Sungilanga Lombe, chef d’état-major des forces armées, 300 à 500 enfants, dont certains n’ont pas plus de 13 ans, servent actuellement dans les brigades de l’armée nouvellement formées, d’après des travailleurs locaux et internationaux de la protection de l’enfant. Les brigades déploient ces enfants dans des opérations militaires contre des groupes armés locaux, tels que les Maï Maï et les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui luttent contre le gouvernement rwandais. Beaucoup de ces enfants sont des Tutsi Congolais qui étaient originellement sous le commandement de l’ancien chef rebelle le Général Laurent Nkunda.
Dans le cadre d’un accord visant à mettre un terme aux combats entre l’armée nationale et les forces de Nkunda, les combattants rebelles devaient être intégrés dans l’armée nationale selon un processus baptisé « mixage. » A dater du mois de janvier, les commandants des brigades militaires étaient supposés identifier et remettre les enfants à des agences devant assurer leur réhabilitation, mais plusieurs d’entre eux se sont refusés à le faire. Les commandants ont dit qu’ils devaient conserver des soldats en nombre suffisant pour protéger les Tutsis vivant au Nord Kivu et permettre le retour de milliers de réfugiés congolais Tutsi vivant dans des camps au Rwanda.
Dans un incident survenu le 22 mars au camp militaire de Kitchanga au Nord Kivu, le Colonel Sultani Makenga, commandant de brigade, a tenté d’enlever par la force huit enfants qui se trouvaient dans le véhicule des travailleurs de la protection de l’enfant. Il a personnellement traîné six d’entre eux hors du véhicule malgré les protestations et a battu deux des enfants qui refusaient de se laisser emmener. Makenga a également traité les travailleurs de la protection de l’enfant de « chiens » et a menacé de les battre eux aussi. Trois des enfants ont ensuite trouvé refuge auprès des soldats de maintien de la paix des Nations Unies, mais trois autres sont toujours portés disparus.
Selon les travailleurs de la protection de l’enfant, les enfants sont toujours recrutés pour les brigades du Nord Kivu au Congo même, et aussi de l’autre côté de la frontière au Rwanda. Dans un cas, l’Association des jeunes réfugiés congolais, active dans les camps de réfugiés congolais au Rwanda depuis 2005, a recruté deux garçons, âgés de 14 et 16 ans, dans un des camps, ainsi que 9 autres enfants et 17 adultes. Le 18 janvier, les deux garçons ont été emmenés du Rwanda pour servir dans une des brigades de l’armée congolaise du Nord Kivu, mais ils ont réussi à s’échapper au cours de l’inhumation de deux recrues adultes mortes pendant le voyage.
D’autres groupes armés actifs au Nord Kivu sont connus pour leur utilisation d’enfants soldats. L’un des groupes armés locaux connus sous le nom de Maï Maï s’est livré à des escarmouches avec les brigades de l’armée congolaise en février. Le 19 février, six garçons âgés de 14 à 17 ans ont échappé à ce groupe Maï Maï et ont réussi à rejoindre les soldats de maintien de la paix des Nations Unies basés à Kiwandja.
Le 11 avril, lors d’une conférence de presse, la Mission de l’ONU en République Démocratique du Congo (MONUC) a déclaré que sur les 267 enfants qu’elle avait identifiés dans les brigades du Nord Kivu, 37 seulement avaient été démobilisés. La MONUC a exhorté les commandants de brigades à respecter les lois nationales et internationales et à suivre les ordres du Général de division Kisempia Sungilanga Lombe, demandant que les enfants soient libérés.
Depuis novembre 2001, la République Démocratique du Congo est un Etat partie au Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés (Protocole sur les enfants soldats), qui fixe à 18 ans l’âge minimum de participation dans un conflit armé. Le pays est aussi un Etat partie au Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, qui définit comme des crimes de guerre tant le recrutement d’enfants de moins de 15 ans dans les forces armées, que l’utilisation d’enfants pour participer activement aux hostilités.
En septembre, la République Démocratique du Congo a été le premier pays à être analysé par le nouveau mécanisme de contrôle et de reporting du Conseil de sécurité de l’ONU relatif aux enfants dans les conflits armés, qui envisage des mesures sévères contre les auteurs de recrutement d’enfants. Le Groupe de travail du Conseil de sécurité sur les enfants et les conflits armés a demandé au gouvernement d’entreprendre les actions en justice appropriées contre les membres de l’armée congolaise accusés de crimes graves contre des enfants, et a insisté à nouveau sur le devoir de la MONUC d’aider le gouvernement à appréhender et à traduire en justice les coupables de recrutement et d’utilisation d’enfants soldats.
Malgré ce nouveau système, les dirigeants des forces de maintien de la paix de l’ONU au Congo ont exprimé en privé leur préoccupation quant à leur incapacité à obliger les commandants des brigades militaires à libérer les enfants.
Human Rights Watch a demandé aux responsables de l’ONU de renvoyer les commandants de brigades coupables de continuer le recrutement d’enfants au Nord Kivu devant le comité de sanctions de l’ONU au Congo pour recevoir d’éventuelles sanctions, telles que des interdictions de voyager, des gels d’avoirs ou autres mesures.
« Les officiers de l’armée congolaise qui recrutent, forment et utilisent des enfants soldats violent le droit international et ils le savent, » a observé Des Forges. « Le chef des forces armées a fait le premier pas en ordonnant de mettre fin à ce crime, mais l’armée doit s’assurer que les officiers suivent ces ordres ou qu’ils subissent des conséquences graves s’ils refusent. »