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Angola : Des milliers de personnes expulsées par la force dans l’essor économique d’après-guerre

(Bruxelles, le 15 mai 2007) – Au cours de l’essor économique qui a suivi la fin de la guerre civile en Angola en 2002, le gouvernement angolais a expulsé par la force des milliers d’habitants pauvres de la capitale Luanda, souvent avec violence et presque toujours sans compensation, selon un rapport publié aujourd’hui par Human Rights Watch et l’organisation angolaise SOS Habitat.

Le rapport de 103 pages, intitulé « They Pushed Down the Houses: Forced evictions and Insecurity of Tenure for Luanda’s Urban Poor » (« Ils ont démoli les maisons : Expulsions forcées et insécurité de la tenure foncière pour les citadins pauvres de Luanda »), décrit de façon détaillée 18 expulsions massives, exécutées à Luanda par le gouvernement angolais entre 2002 et 2006. Au cours de ces expulsions, qui ont touché au total 20 000 personnes environ, les forces de sécurité ont détruit plus de 3 000 logements, et le gouvernement a saisi de nombreux terrains cultivés de taille réduite. Ces expulsions à grande échelle ont violé aussi bien les législations angolaise qu’internationale relatives aux droits humains, et ont fait de nombreux sans-abris angolais et de démunis, sans accès à un recours légal.  
 
« Des millions d’Angolais ont été déplacés pendant la guerre civile, mais depuis le gouvernement a expulsé de leurs logements par la force des milliers d’autres personnes dans la capitale », a signalé Peter Takirambudde, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les politiques adoptées par le gouvernement à la suite de la guerre ont abouti à la destruction de milliers de logements et à des violations répétées des droits humains. »  
 
Des milliers d’Angolais restent exposés aux expulsions forcées causées par l’échec du gouvernement à traiter l’insécurité largement répandue de la tenure foncière. La majorité des quelques 4 millions d’habitants de Luanda n’ont pas de titre formel pour leur maison ou leur terrain. Des lois insuffisantes sur l’urbanisme et le régime foncier dues au manque de dispositions d’application et à l’absence de clauses de protection contre les expulsions forcées, le peu d’application des lois et les procédures inefficaces d’enregistrement immobilier, mettent en danger des milliers de personnes.  
 
« La plupart des personnes expulsées sont des Angolais pauvres et vulnérables ; leurs maisons ont été démolies et pour nombre d’entre eux, on ne leur a laissé que les vêtements qu’ils portaient », a déclaré Luiz Araujo, directeur de SOS Habitat, une organisation non gouvernementale angolaise qui s’occupe des droits au logement. « Des millions d’habitants de Luanda resteront exposés aux expulsions forcées si le gouvernement ne prend pas de mesures immédiates pour y mettre fin complètement et pour répondre à l’insécurité des droits d’occupation de terrain dans cette ville. »  
 
Le rapport apporte la preuve que les expulsions forcées n’ont pas été des cas sporadiques ni isolés à Luanda. Les expulsions représentent plutôt un système de conduite abusive de la part du gouvernement angolais qui n’a pas significativement changé. Jusqu’ici, les autorités n’ont ni pris les mesures nécessaires pour garantir la fin des expulsions forcées, ni n’ont fait rendre de comptes pour les exactions associées à ces expulsions. Le gouvernement n’a pas non plus indemnisé la vaste majorité des expulsés, comme il est tenu de le faire selon le droit angolais et international.  
 
Des personnes expulsées ont dit à Human Rights Watch et à SOS Habitat que des officiers de police et des agents gouvernementaux locaux avaient réalisé les expulsions avec une violence brutale et un recours excessif à la force. Des officiers de police, parfois accompagnés par des membres de sociétés de sécurité privées, ont tiré des coups de feu en l’air ou vers le sol pour intimider la population désarmée. La police a souvent détenu de façon arbitraire des expulsés, et beaucoup des personnes arrêtées ont dit à Human Rights Watch et à SOS Habitat qu’elles avaient été maltraitées physiquement alors qu’elles se trouvaient en garde à vue. Des défenseurs des droits humains présents pendant les expulsions ont été harcelés et parfois arrêtés arbitrairement.  
 
Le gouvernement angolais n’a pas donné aux communautés concernées les informations correctes sur le but de leur expulsion et il ne les a pas consultées sur des solutions alternatives possibles à leur éviction. Dans les « implantations informelles » (« informal settlements ») où vit la majorité de la population de Luanda avec un droit d’occupation officieux, les résidents ont été expulsés avec peu ou pas de préavis. Le gouvernement ne s’est pas préoccupé des droits des gens sur la terre qu’ils occupaient avant de les expulser.  
 
Le gouvernement n’a pas non plus donné d’informations correctes sur l’organisme qui avait émis l’ordre d’expulsion, ses motifs juridiques, et sur l’institution devant laquelle faire appel de telles décisions. Les autorités ont réalisé ces expulsions forcées sans une procédure appropriée et cohérente pour déterminer la forme ou le montant de la compensation due aux personnes expulsées.  
 
Le gouvernement angolais justifie les expulsions au motif qu’il a besoin du terrain pour des projets de développement d’intérêt public ou qu’il déplace des auteurs allégués de violation de propriété hors de terrains appartenant à l’Etat. Alors que le gouvernement prétend qu’il essaie d’améliorer les conditions de vie à Luanda, il est en fait en train d’aggraver ces conditions pour les personnes économiquement les plus vulnérables, en expulsant des milliers d’entre elles et en les privant de l’aide nécessaire aux expulsés pour se réinstaller ailleurs.  
 
« Beaucoup de gens ont cultivé ces zones et y ont vécu depuis des dizaines d’années ; d’autres se sont installées selon l’usage, avec la permission des anciens », a précisé Araujo. « Le gouvernement n’a jamais exproprié légalement ou officiellement la terre occupée par les gens, ni ne leur a donné une chance de faire valoir leurs droits sur la terre. »  
 
Les expulsions dont ce rapport fait état ont été faites en violation du droit angolais et international. L’Angola est un état partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi qu’au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et il a l’obligation de protéger toute personne contre une perturbation arbitraire ou illégale de son logement et de sa famille, ainsi que de prendre des mesures pour réaliser le droit à un logement convenable. Les expulsions forcées violent ces deux obligations fondamentales et ont pour résultat de multiples autres violations des droits humains.  
 
« Le gouvernement angolais ne peut exproprier une terre privée et expulser des résidents par la force que dans les circonstances les plus exceptionnelles », a insisté Takirambudde. « Ces expulsions ne pourraient se justifier que si elles étaient basées sur un intérêt public clairement identifié, réalisées en accord avec la loi, et avec des protections claires pour les droits des communautés touchées, à savoir leur consultation préalable, le droit de contester l’expropriation, et une compensation convenable. »  
 
Si le gouvernement angolais n’empêche pas significativement les expulsions forcées en consultant au préalable les communautés touchées par les expulsions forcées prévues et en garantissant le respect de toutes les précautions de procédure, les citadins pauvres de Luanda continueront à être soumis aux déplacements et aux dangers de violations des droits humains.  
 
Human Rights Watch et SOS Habitat ont incité le gouvernement angolais à suivre les Directives globales de l’ONU relatives aux droits humains en matière de déplacements liés au développement, dans la mise en œuvre de tous les projets de développement à venir, et à appliquer des protections légales et de procédure qui comportent une annonce préalable convenable et raisonnable de la date d’expulsion pour toutes les expulsions projetées dans le futur. Le gouvernement doit fournir en temps utile des informations à toutes les personnes touchées, à savoir le but alternatif dans lequel le terrain sera utilisé, l’identification correcte du personnel chargé des expulsions, et la disponibilité d’aide juridique.  
 
Human Rights Watch et SOS Habitat ont aussi appelé le gouvernement à enquêter sur toutes les allégations de recours excessif à la force par les officiers de police et agents gouvernementaux, ainsi que sur les autres atteintes aux droits humains liées aux expulsions forcées, et à traduire les responsables en justice. Le gouvernement devrait de toute urgence offrir une assistance, comportant un logement de substitution pour toutes les personnes touchées par les expulsions forcées et une indemnisation convenable pour toutes les victimes d’expulsions forcées passées qui n’ont pas reçu de compensation.  



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