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Côte d’Ivoire : Le processus de paix doit faire face au problème de la violence sexuelle

Il incombe aux autorités nationales et à la communauté internationale d’enrayer l’impunité

(Abidjan, le 2 août, 2007) – Des hommes armés du camp pro-gouvernemental comme des groupes rebelles ont soumis de nombreuses filles et femmes à des violences sexuelles brutales en Côte d’Ivoire, tout en bénéficiant d’une impunité généralisée, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. En dépit du progrès que représente le processus de paix actuel, le récent accord de Ouagadougou représente un échec en ce qu’il marginalise complètement les questions de la justice et des violences sexuelles répandues.

« Jusqu'à présent la violence sexuelle est restée le crime invisible de la crise ivoirienne. Des combattants responsables des viols et autres attaques sexuelles ont joui d’une impunité quasi totale, tandis que les survivantes souffrent sans justice ni soins médicaux. »
Peter Takirambudde, Directeur de la Division Afrique de Human Rights Watch
  

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Les pires violences sexuelles eurent lieu entre 2002 et 2004 pendant les conflits armés, mais depuis cette période, les violences sexuelles contre les filles et les femmes ont continué.  
 
« Jusqu'à présent la violence sexuelle est restée le crime invisible de la crise ivoirienne », a dit Peter Takirambudde, Directeur de la Division Afrique de Human Rights Watch. « Des combattants responsables des viols et autres attaques sexuelles ont joui d’une impunité quasi totale, tandis que les survivantes souffrent sans justice ni soins médicaux ».  
 
Le rapport de 152 pages, « Mon cœur est coupé » : violences sexuelles commises par les rebelles et les forces pro gouvernementales en Côte d’Ivoire, révèle la nature répandue de la violence sexuelle à travers toute la crise militaire et politique ivoirienne des cinq dernières années. Le rapport, basé sur des entretiens avec plus de 180 victimes et témoins ainsi que d’autres sources, documente comment des filles et des femmes furent assujetties aux viols individuels et collectifs, ainsi que l’esclavage sexuel, l’inceste forcé, et d’autres attaques de nature sexuelle.  
 
De nombreux combattants des deux cotés ont violé des femmes assez âgées pour être leurs grand-mères, des enfants n’ayant pas plus de six ans, des femmes enceintes, et des mères allaitant. Certaines femmes et filles ont eu des fusils, des bâtons, des crayons, et autres objets insérés dans leurs vagins. D’autres ont été enlevées pour servir d’esclaves sexuelles, ou ont été enrôlées de force dans les rangs des combattants. Par surcroît, la victimisation sexuelle des filles et des femmes s’est souvent accompagnée d’autres violations générales des droits humains à leur encontre, contre leurs familles et leurs communautés, entre autres des tortures, massacres, mutilations, et même des cas de cannibalisme.  
 
Depuis près de sept ans, la Côte d’Ivoire — considérée autrefois comme un pilier de stabilité et de développement en Afrique de l’Ouest — souffre d’une crise politique, militaire, et économique, et de luttes de pouvoir souvent de caractère religieux ou ethnique. Les tentatives pour résoudre le conflit entre le gouvernement au sud et les rebelles des Forces Nouvelles au nord se sont soldées par une série d’accords de paix largement bafoués, par la mise en place de plus de 11.000 soldats des forces de maintien de la paix étrangères, et par l’imposition d’un embargo de l’ONU sur les armes, ainsi que quelques sanctions onusiennes économiques et de déplacement. En mars 2007 le gouvernement et les rebelles ont signé l’Accord de Ouagadougou, pour mettre un terme au conflit et mener à des élections plus tard cette année.  
 
Jusqu'à présent, les deux cotés ont mis en application plusieurs dispositions de l’Accord dans des initiatives encourageantes, mais le processus de paix n’a pas résolu des problèmes au cœur du conflit ivoirien et qui ont contribué à l’échec des précédents accords de paix— tels que l’identification et l’éligibilité à la citoyenneté, le désarmement, ou la justice pour les abus commis par les deux camps.  
 
Au cours de leurs entretiens avec Human Rights Watch, des victimes de violence sexuelle ont évoqué leur souffrances physiques et psychologiques aiguës suites aux viols qu’elles subirent. Ce rapport évoque comment certaines victimes sont mortes suite aux violences sexuelles qui leur ont été infligées. Certaines furent violées de façon si violente qu’elles en subirent des hémorragies graves, des déchirures de la région génitale, de l’incontinence, et de graves infections. D’autres souffrirent des avortements illégaux ratés qu’elles avaient faits après être tombées enceintes à la suite de leur supplice. De nombreuses femmes interrogées se plaignirent des saignements et de douleurs intenses surtout dans l’abdomen et le vagin. Il n’est pas possible de compter le nombre de victimes qui souffrirent d’infections sexuellement transmissibles et plus particulièrement du VIH/SIDA. Dissuadées par la honte, la pauvreté, et l’insuffisance des services médicaux, les victimes de violence sexuelle vont rarement chercher les soins médicaux dont elles ont tant besoin.  
 
Le gouvernement ivoirien et les autorités rebelles Forces Nouvelles n’ont fait que peu d’efforts velléitaires pour enquêter ou poursuivre les auteurs des crimes, y compris ceux des plus ignobles violences sexuelles. Ces lacunes ont contribué à un environnement d’illégalité de plus en plus enracinée, dans lequel prévaut une impunité flagrante. De même, la communauté internationale a systématiquement négligé de prendre des initiatives pour combattre l’impunité en Côte d’Ivoire en ce qui se rapporte aux violences sexuelles, en toute probabilité de peur de faire chavirer des efforts de négociations pour la paix.  
 
« Ni le gouvernement ni les rebelles n’ont réagi pour en finir avec les viols et autres abus commis par leurs troupes », a dit Takirambudde. « L’impunité n’a fait qu’encourager les criminels et les commanditaires dans les deux camps »  
 
La violence sexuelle s’est produite sur l’étendue du territoire national mais a particulièrement sévi dans les régions âprement contestées de l’ouest — la partie de la Côte d’Ivoire qui a connu le plus de combats. Des groupes mixtes composés de libériens et de sierra léonais combattant dans l’ouest du pays en tant que mercenaires se sont rendus coupables de violences sexuelles particulièrement flagrantes et largement répandues, aussi bien du côté des forces gouvernementales que des forces rebelles. Toutefois, même après la fin des hostilités actives, à partir de 2004 et au delà, les violences sexuelles sont restées un problème majeur dans toutes les régions, qu’elles soient détenues par les Forces Nouvelles ou par le gouvernement.  
 
Les rebelles en Côte d’Ivoire ont perpétré des violences sexuelles contre certaines femmes et des filles dans les zones se trouvant sous leur contrôle, notamment à l’ouest du pays, à cause de leur ethnie ou parce que leur mari, leur père ou un autre homme de la famille travaillait pour l’État. Beaucoup d’autres ont été la cible d’agression sexuelle sans raison apparente. Des filles et des femmes ont subi des violences sexuelles chez elles, pendant qu’elles se réfugiaient en brousse, au niveau des barrages, dans leurs fermes, et même dans des lieux de culte. De nombreuses victimes ont été enlevées par des rebelles pour servir d’esclaves sexuelles, ou elles subirent des sévices sexuels pendant de longues périodes. La résistance se soldait fréquemment par des punitions effroyables, voire même la mort. Certaines esclaves sexuelles, intimidées par leurs ravisseurs et les circonstances de leur captivité, ne purent pas s’échapper à leur vie d’esclave. Un nombre inconnu de ces filles et femmes demeurent encore auprès de leurs ravisseurs.  
 
Les forces pro-gouvernementales, y compris des membres de la gendarmerie, de la police, de l’armée et des milices, ont aussi perpétré des actes de violence sexuelle. Les viols et autres abus sexuels commis par les forces gouvernementales ont été particulièrement répandus à l’ouest et dans les zones de combats. Par surcroît, en dehors des conflits, les forces pro-gouvernementales ont pris pour cible de nombreuses filles et des femmes soupçonnées de soutenir les rebelles, plus particulièrement des femmes des groupes ethniques venant du nord de la Côte d’Ivoire ; des musulmanes ; des femmes originaires des États voisins (tels que le Burkina Faso ou le Mali) ; et des femmes issues des milieux politiques d’opposition. Les forces de l’ordre, les membres des milices, et d’autres forces pro-gouvernementales ont abusé des femmes aux barrages, au cours de descentes, dans des prisons temporaires, et dans des marchés. Les violations commises par les forces pro-gouvernementales semblaient augmenter pendant les périodes de tension politique accrue, au cours des quatre années d’impasse politique.  
 
Human Rights Watch fait appel au gouvernement ivoirien et aux rebelles des Forces Nouvelles pour enquêter sur les allégations de violence sexuelle et punir les auteurs d’abus selon les normes internationales. De plus, il incombe au Conseil de sécurité des Nations Unies de publier immédiatement le rapport de 2004 de la Commission d’enquête internationale sur les violations des droits de l’homme en Côte d’Ivoire commis depuis 2002, et de se réunir pour débattre de ses conclusions et recommandations. La justice seule ne peut pas alléger les souffrances des survivantes, et les Forces Nouvelles, le gouvernement et les organismes d’aide doivent agir pour améliorer l’aide médicale et psychologique, ainsi que les services sociaux dont les nombreuses survivantes de violence sexuelle ont tant besoin.  
 
Enfin, étant donné que les abus se sont souvent aggravés en période de tension politique accrue, Human Rights Watch a souligné que la réduction numérique ou le retrait des forces de maintien de la paix doit attendre les élections présidentielles et législatives.  
 
« Les autorités ivoiriennes gouvernementales et rebelles doivent prouver leur détermination sans équivoque de soutenir l’Etat de droit en traduisant en justice les responsables d’atrocités, y compris les crimes documentés dans ce rapport », a insisté Takirambudde. « À cette fin, les organisations et gouvernements oeuvrant pour promouvoir la sortie de crise, notamment les Nations Unies, le gouvernement français, et l’Union Africaine, doivent soutenir les autorités nationales pour développer une stratégie concrète. »  
 
 
Quelques témoignages recueillis pour ce rapport  
 
Une jeune femme qui était adolescente quant elle fut prise comme esclave sexuelle dans des camps rebelles témoigna de son expérience :  
 
Ils m’ont amenée, et pendant une semaine ils m’ont violée tout le temps, ils m’enfermaient dans une maison… Ils m’avaient attachée avec mes jambes écartées et mes bras derrière, pour me violer. Ils étaient trois ou quatre dans la nuit. Ils mettent les fusils à côté de toi et si tu refuses ils te tuent. Ils ont tué une de mes amies et on a dû l’enterrer. On était peut être dix ou quinze filles là, qui étaient violées.
 
 
Une mère qui fut violée par des rebelles en 2002 avec ses deux filles mineures, qui eurent aussi des morceaux de bois enfoncés dans leurs vagins, décrivit leur agonie :  
 
Franchement, je ne sais pas comment je vais faire… Ils ont pris [des morceaux de] bois pour mettre dans le vagin de mes [deux] filles… Quand ils ont sorti ça ils ont mis leurs mains. Vraiment, ils ont gâté mes enfants. Le sang coulait… ils m’ont dit d’essuyer ça. Du bois, des mains… quand ils ont fini ils ont battu mes filles encore. Ils ont dit ils vont nous tuer. Je devais nettoyer le sang de mes filles.
 
 
Une femme d’origine malienne, vivant dans un quartier d’Abidjan majoritairement musulman, décrivit comment elle fut violée par des corps habillés devant son mari le 25 mars 2004 :  
 
Pendant la crise après la manifestation de l’opposition, j’ai été abusée par les corps habillés … Ils sont rentrés chez nous. Mon mari était dans le salon et mes trois enfants étaient dans leurs chambres. Les corps habillés ont enfermé les enfants dans leurs chambres. Je venais juste de sortir de la douche. Ils ont obligé mon mari à s’asseoir et à regarder pendant qu’ils me violaient sous la menace de leurs fusils. Cette honte m’empêche de regarder mon mari aujourd’hui.
 
 
Une femme musulmane d’origine malienne décrivit le viol collectif de sa sœur par sept corps habillés pro gouvernementaux qui voulaient trouver son frère, un membre actif du parti d’opposition :  
 
Mon grand frère était… au RDR… Ils sont venus le chercher. Nous [mes sœurs et moi] avons dit « Il est sorti. » Ils ont dit alors « Nous vous tuerons toutes les trois si vous ne l’appelez pas pour le faire venir. » Ils ont trouvé un carnet d’adresses avec le numéro de…mon grand frère et ils l’ont appelé… Il a dit « J’arrive, prenez juste de l’argent, pardon, ne leur faites pas mal »… Ils m’ont prise et frappée avec un fusil et ils m’ont cassé le bras… Puis ils ont pris ma sœur aînée qui est si belle et ils l’ont attachée et ils l’ont beaucoup violée.
 
 
Une femme qui fut violée pendant plus d’un an par les rebelles à Bouaké pendant la guerre expliqua sa condition affreuse après qu’elle ait réussi à s’évader:  
 
Je pouvais à peine marcher, je saignais tout le temps. Je n’avais pas d’argent pour acheter des tissus pour arrêter les saignements, ni même pour la nourriture… J’étais si malade…Ils m’ont chassée de l’hôpital. Mes conditions de vie étaient horribles, je sentais mauvais, je ne pouvais pas dormir, je rampais comme un bébé parce que je ne pouvais pas marcher, je me sentais si mal, je n’avais personne pour m’aider.

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