HUMAN RIGHTS WATCH

Guinée : Les forces de sécurité doivent faire preuve de retenue

Le gouvernement devrait enquêter immédiatement sur les coups de feu tirés contre des manifestants

(Dakar, le 5 novembre 2008) – La Guinée devrait exiger de ses forces de sécurité qu’elles fassent preuve de retenue dans leur réponse aux manifestations de rues, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui, après que les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des groupes qui manifestaient pour réclamer une baisse des prix de carburants.

Les manifestations des 3 et 4 novembre 2008 dans la capitale guinéenne de Conakry se sont soldées par quatre morts au moins et une vingtaine de blessés. Selon des témoins interrogés par Human Rights Watch, il y a eu de nombreuses victimes après que les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des groupes de manifestants apparemment dans le but de les disperser. Des membres des forces de sécurité ont aussi arrêté et frappé de nombreux manifestants, et volé des habitants vivant dans les quartiers concernés, selon les témoins. Un homme au moins a été tué par une balle perdue.  
 
« Encore une fois, les forces de sécurité guinéennes ont répondu avec une utilisation excessive de la force, et encore une fois des vies ont été perdues absurdement », a déploré Corinne Dufka, chercheuse senior sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Le nouveau Premier ministre guinéen doit arrêter ces attaques et faire en sorte que les individus responsables fassent l’objet d’enquêtes et soient traduits en justice. »  
 
Les forces de sécurité guinéennes ont un bilan extrêmement médiocre en matière de traitement des manifestants. Début 2007, les forces de sécurité ont tiré directement sur des foules de manifestants non armés au cours d’une grève générale et elles en ont abattu d’autres qui essayaient de se mettre à l’abri, faisant 137 morts au moins et plus de 1700 blessés. Une commission d’enquête sur les violences de 2007 n’a pas encore commencé ses travaux parce que le gouvernement n’a pas débloqué de fonds. En juin 2006, le gouvernement a répondu aux manifestations contre la hausse des prix des denrées de base par une répression brutale, au cours de laquelle les soldats et la police ont tué par balle 13 manifestants non armés au moins.  
 
Les affrontements actuels ont commencé le 3 novembre en réaction à une annonce antérieure du gouvernement selon laquelle il allait baisser les prix de carburants de 20 pour cent ; les manifestants soutenaient que cette réduction était loin de correspondre à la chute des prix du pétrole au niveau mondial. Au cours des manifestations, des jeunes ont brûlé des pneus, élevé des barricades, bloqué la circulation et lancé des pierres contre les policiers et des passants, provoquant des blessures. En réaction, les forces de sécurité, à savoir des policiers et des soldats, ont en plusieurs occasions ouvert directement le feu sur les manifestants, avec des balles réelles.  
 
Les violences ont eu lieu dans plusieurs quartiers, selon les témoins. L’un d’entre eux a indiqué à Human Rights Watch que les policiers et les soldats prenaient « les jeunes pour cible et les poursuivaient jusque dans des maisons particulières, en tirant au hasard. » Un autre témoin a décrit un incident survenu le 4 novembre: « Depuis là où je me cachais, j’ai vu un jeune abattu par un soldat qui lui a tiré dessus avec une carabine. Il saignait beaucoup quand ils l’ont emporté ; je ne sais pas s’il a survécu ou pas. » Un habitant du quartier de Cosa a déclaré que les militaires répondant aux troubles qui s’y déroulaient le 4 novembre avaient tiré sur un groupe de jeunes, tuant l’un d’entre eux et en blessant un autre.  
 
Les sources interrogées par Human Rights Watch ont indiqué que les forces de sécurité avaient fait subir des tabassages et autres mauvais traitements à de nombreux jeunes parmi les dizaines qu’elles avaient arrêtés. Un témoin a raconté qu’il avait vu des détenus incarcérés dans un poste de police à Bellevue être frappés avec des morceaux de tuyaux en caoutchouc. D’autres témoins ont déclaré que les forces de sécurité dépouillaient des habitants et des détenus de leur argent et de leurs téléphones portables, et qu’ils avaient pillé plusieurs boutiques et commerces.  
 
Le gouvernement guinéen a des obligations légales claires au regard de plusieurs traités africains et internationaux relatifs aux droits humains, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, de respecter le droit à la vie et aux libertés d’expression et d’assemblée. Human Rights Watch a appelé le gouvernement à faire en sorte que ses forces de l’ordre respectent pleinement ces droits à tout moment. Lorsqu’il existe des preuves que des personnes sont mortes des suites des actions menées par les forces de sécurité, il devrait y avoir une enquête publique et des poursuites, tant contre ceux qui ont exécuté les meurtres que contre ceux qui ont donné les ordres.  
 
Human Rights Watch a aussi appelé les forces de sécurité guinéennes à se conformer aux Principes de base de l’ONU sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois pour contrôler des manifestations. Ces principes stipulent que les forces de l’ordre, dans l’exercice de leurs fonctions, doivent appliquer des méthodes non violentes dans la mesure du possible avant de faire usage de la force. Lorsque l’usage légitime de la force est inévitable, les forces de l’ordre doivent faire preuve de retenue et à tout moment s’efforcer de ne causer que le minimum de dommages et d’atteintes à l’intégrité physique, et de respecter et de préserver la vie humaine. Les principes de l’ONU stipulent que les pouvoirs publics et les autorités de police doivent faire en sorte que les supérieurs hiérarchiques soient tenus pour responsables si sachant, ou étant censés savoir, que des agents chargés de l'application des lois placés sous leurs ordres ont eu recours à l'emploi illicite de la force ou des armes à feu, ils n'ont pas pris toutes les mesures en leur pouvoir pour empêcher, faire cesser ou signaler cet abus.  



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