Printer Friendly Version - PDF LA DISCRIMINATION FONDEE SUR LA CASTE Un problème aux dimensions globales Rapport de Human Rights Watch pour la Conférence des Nations Unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. Durban, Afrique du Sud, septembre 2001. I. INTRODUCTIONL'existence des castes est un argument invoqué pour justifier le traitement discriminatoire, cruel, inhumain et dégradant d'une partie importante de la population mondiale. Sur la majeure partie du territoire asiatique ainsi que dans certaines parties de l'Afrique, la caste est le fondement sur lequel reposent la définition et l'exclusion de groupes particuliers de population en raison de leur ascendance. Plus de 250 millions de personnes à travers le monde continuent d'êtres les victimes de ce qui n'est souvent qu'une forme déguisée d'apartheid, de ségrégation, d'esclavage moderne et autres formes extrêmes de discrimination, d'exploitation et de violence. Le système de castes crée d'énormes obstacles au plein exercice des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels de ces personnes. La caste est fondée sur l'ascendance et elle est par nature héréditaire. Il s'agit d'une caractéristique acquise à la naissance par une personne en fonction de la caste dans laquelle elle naît, indépendamment de la foi pratiquée par la personne. Les castes constituent un système de stratification sociale rigide avec des groupes hiérarchisés et définis en fonction de leur ascendance et de leur occupation. Dans divers systèmes de castes existant de par le monde, les divisions entre les castes prévalent également dans le domaine du logement, du mariage et des relations sociales en général, divisions qui se trouvent renforcées par la pratique et la menace d'un ostracisme social, de boycotts économiques, voire de violence physique. Les communautés abordées dans le présent rapport sont les Dalits, également appelés intouchables, d'Asie méridionale - Népal, Bangladesh, Inde, Sri Lanka et Pakistan -, les Burakumin du Japon, les Osu du Nigeria appartenant à l'ethnie ibo ainsi que certains groupes du Sénégal et de Mauritanie. L'importance des castes en tant qu'indicateur social et économique pour la vaste diaspora d'Asie méridionale est également traitée ici. Toutes ces communautés partagent un grand nombre de caractéristiques, lesquelles ont permis que même les pratiques les plus effroyables échappent à l'attention de la communauté internationale. Bien souvent, les systèmes de castes coexistent avec d'autres structures qui, elles, sont démocratiques. Dans des pays tels que l'Inde et le Nigeria, les gouvernements ont également adopté des lois progressistes visant à combattre les discriminations frappant les communautés appartenant aux castes inférieures. En dépit des protections officielles inscrites dans la loi, le traitement discriminatoire reste toutefois endémique et les normes sociétales discriminatoires continuent d'être renforcées par les structures et les pratiques tant gouvernementales que privées, dans certains cas par des moyens violents. Il est presque toujours impossible de distinguer les communautés appartenant aux castes inférieures des communautés appartenant aux castes supérieures sur base de l'apparence physique. Il ne s'agit donc pas, comme le diraient certains, d'une question de peau noire ou blanche. Pour la plupart des personnes extérieures, les signes visuels qui accompagnent normalement la race ou l'ethnicité font ici souvent totalement défaut. Les disparités économiques prononcées qui existent entre castes inférieures et supérieures se fondent également dans un paysage de pauvreté apparemment homogène. Mais la pauvreté peut être fort trompeuse. Elle nous pousse à conclure que tous en souffrent de la même façon. Une analyse plus approfondie met en évidence la discrimination inhérente à la distribution des emplois, des terres, des ressources et équipements de base, et même à la sécurité physique. Si l'on analyse attentivement qui sont les victimes de la violence, du travail en servitude et autres graves violations des droits humains, on remarque également le nombre disproportionné de personnes appartenant à la caste se trouvant tout en bas de la pyramide des castes. Par ailleurs, l'état perpétuel de dépendance économique fait que ces violations restent impunies, la machine étatique partisane fermant les yeux sur ces abus ou, pire encore, s'en faisant la complice. Les mots utilisés dans les exemples qui suivent pour décrire les caractéristiques des communautés appartenant aux castes inférieures et supérieures sont frappants du point de vue de leur similarité, malgré la diversité des origines géographiques. Ils traduisent surtout des idées de souillure et de pureté, de saleté et de propreté. Ces désignations sont utilisées pour justifier la ségrégation physique et sociale des castes inférieures par rapport au reste de la société, leur exclusion de certaines occupations et leur monopole involontaire sur les occupations et les tâches "malpropres". L'exploitation des travailleurs des castes inférieures et le système strict d'affectation à des tâches avilissantes en raison de l'appartenance à une caste maintiennent les populations appartenant aux castes inférieures dans une position de vulnérabilité économique et physique. Le triple fardeau de la caste, de la classe et du sexe fait que les femmes appartenant aux castes inférieures sont les moins susceptibles d'avoir accès aux protections légales. Ce n'est que si l'on met en oeuvre correctement la Convention Internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR) et les législations nationales visant à abolir les vestiges des divers systèmes de castes et à protéger les droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques de tous et toutes que pourra commencer le processus menant à la sécurité économique et physique et au respect de la dignité humaine. En août 2000, la Sous-Commission de l'ONU pour la promotion et la protection des droits de l'homme a adopté la résolution 2000/4 sur la Discrimination fondée sur l'emploi et l'ascendance.1 La résolution, qui vise à aborder le problème des castes, réaffirme que la discrimination fondée sur l'emploi et l'ascendance est interdite en vertu du droit international des droits de l'homme. La Sous-Commission a également décidé d'approfondir l'identification des communautés affectées, d'examiner les mesures constitutionnelles, législatives et administratives mises en oeuvre pour abolir cette discrimination et d'émettre des recommandations concrètes pour l'élimination effective de ces pratiques. En août 2001, un expert de la sous-commission, R.K.W. Goonesekere, a présenté son document de travail sur la discrimination fondée sur l'emploi et l'ascendance à la cinquante-troisième session de la sous-commission. Le document a été présenté conformément à la résolution 2000/4 de la Sous-Commission. Pour des raisons de temps et d'autres contraintes, M. Goonesekere avait limité la portée de son étude aux pays asiatiques - Inde, Népal, Pakistan, Sri Lanka et Japon - mais il a déclaré qu'une étude complémentaire portant en particulier sur les pays africains se justifiait. La présentation du document et le débat qui s'est ensuivi entre experts de la sous-commission ont marqué ce qui était en fait la première discussion, par un organe des droits de l'homme de l'ONU, de la discrimination fondée sur la caste en tant que source majeure de violations des droits humains. La sous-commission a par ailleurs décidé par consensus d'étendre l'étude à d'autres régions du monde où la discrimination fondée sur l'emploi et l'ascendance continue à être appliquée. Cette résolution importante met en évidence la notion selon laquelle le système des castes a des conséquences économiques et sociales qui lui sont inhérentes et que l'exclusion des communautés appartenant aux castes inférieures s'étend à des domaines économiques et sociaux tels que les salaires, l'emploi, l'éducation et la terre. Ce rapport traite des formes sous lesquelles se manifestent la discrimination et les abus fondés sur la caste et l'ascendance dans une douzaine de pays. Il ne se veut pas exhaustif; il s'agit d'une introduction à l'ampleur et aux dimensions globales de ce problème trop peu souvent dénoncé. Il s'agit également d'un appel lancé aux gouvernements afin qu'ils accordent une attention marquée et systématique au problème de la discrimination fondée sur la caste tant lors de la Conférence Mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée (CMCR) qu'après la conférence. En dépit de l'ampleur du problème, comme l'explique le rapport, la discrimination fondée sur la caste avait été systématiquement écartée du processus intergouvernemental de la CMCR en raison des actions menées par une poignée de gouvernements. Pourtant, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale avait affirmé à diverses reprises que la caste, en tant que forme de discrimination fondée sur l'ascendance, répondait à la définition de discrimination raciale prévue à l'article 1 de la CIEDR. L'attention concertée de la communauté internationale et l'engagement de ressources pour appuyer les gouvernements nationaux dans cette importante tâche se font également attendre depuis longtemps. Dans bon nombre de régions du monde, le succès de la Conférence mondiale dépendra de son engagement à aborder effectivement le problème des castes. Pour au moins deux cent cinquante millions de personnes à travers le monde, la fin de l'apartheid en Afrique du Sud n'a pas signifié la fin de la ségrégation et de la servitude dans leur vie. Cette importante conférence peut et devrait nous rapprocher un peu plus de cet objectif global essentiel. II. LES CASTES ET LA CONFERENCE MONDIALE CONTRE LE RACISME, LA DISCRIMINATION RACIALE, LA XENOPHOBIE ET L'INTOLERANCE QUI Y EST ASSOCIEE La place de la discrimination fondée sur la caste dans la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée (CMCR) a été confirmée par de nombreux organes internationaux créés par des traités et par le titre de la conférence elle-même. Dans les observations finales de sa quarante-neuvième session qui s'est tenue en août/septembre 1996 (et a passé en revue les dixième, onzième, douzième, treizième et quatorzième rapports périodiques de l'Inde présentés en vertu de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, 1965), le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale (CEDR) a affirmé que "la situation des castes et tribus défavorisées relève de la Convention".2 Le comité a clairement déclaré que le terme "ascendance" utilisé à l'article 1 de la convention ne se référait pas uniquement à la race mais qu'il recouvrait la situation des castes et tribus énumérées.3 En mars 2001, les "Observations finales" du CEDR sur le rapport du Japon relevaient que la discrimination fondée sur l'ascendance constituait une discrimination raciale et que "le terme 'ascendance' utilisé à l'Art. 1 de la CIEDR a un sens qui lui est propre et ne doit pas être confondu avec la race ou l'origine ethnique ou nationale".4 Au cours du même mois, lors de l'examen du rapport du Bangladesh, le comité a réaffirmé que "le terme 'ascendance' ne se référait pas uniquement à la race ou à l'origine ethnique ou nationale et qu'il estimait que la situation des castes relevait du champ d'application de la Convention".5 Des conclusions similaires ont été émises par le rapporteur spécial de l'ONU sur le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée dans son rapport de janvier 1999. En 1997, le Comité des Droits de l'Homme avait relevé que les membres des castes énumérées subissaient de "graves discriminations sociales" et souffraient "de façon disproportionnée de nombreuses violations de leurs droits énoncés dans le [PIDCP]". Lors de l'examen du rapport du Népal en août 2000, le CEDR demeurait "préoccupé par l'existence d'une discrimination fondée sur la caste et par le déni des droits énoncés dans la Convention à certains groupes de la population par lequel se traduit ce système". En janvier et février 2000, lors de l'examen des rapports périodiques présentés par l'Inde en vertu des conventions relatives aux droits de l'enfant et aux droits de la femme, le Comité des droits de l'enfant et le Comité sur l'élimination de la discrimination contre les femmes ont également exprimé leur grande inquiétude à propos du traitement des enfants et des femmes dalits en Inde.6 En dépit du blocage des discussions relatives au problème des castes au sein des principaux forums intergouvernementaux faisant partie du processus de la CMCR, plusieurs rencontres préparatoires de la CMCR ont mis en lumière le besoin d'aborder la discrimination fondée sur la caste. Ces rencontres étaient notamment le Séminaire des experts d'Asie Pacifique qui s'est tenu à Bangkok, la rencontre des ONG européennes organisée à Strasbourg, le Séminaire des experts africains à Addis Abeba, le forum des ONG à Téhéran, la rencontre des ONG d'Asie Pacifique à Katmandou, la conférence mondiale contre le racisme et la discrimination fondée sur la caste à New Delhi et diverses conférences satellites, notamment la Consultation de Bellagio. III. RECOMMANDATIONSAu niveau national, les gouvernements concernés doivent agir en vue de préserver leurs propres principes constitutionnels et les obligations qui leur incombent en vertu des traités internationaux et ils doivent _uvrer afin que tous les citoyens, indépendamment de leur caste ou ascendance, puissent jouir pleinement de leurs droits. Au niveau international, la communauté internationale doit tirer parti de l'opportunité que représente la Conférence Mondiale pour opérer des progrès en ce qui concerne l'une des injustices les plus graves et les plus oubliées dans le monde. Plus précisément, · Tous les gouvernements, en particulier ceux des pays dont les citoyens sont victimes de discrimination et d'abus basés sur la caste ou l'ascendance, devraient ratifier et mettre pleinement en _uvre la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale; · Tous les gouvernements devraient appuyer les efforts visant à la mise en _uvre de la résolution sur la discrimination basée sur l'emploi et l'ascendance adoptée en août 2000 par la Sous-Commission de l'ONU pour la promotion et la protection des droits de l'homme; · Les gouvernements concernés devraient envoyer des invitations au rapporteur spécial sur le racisme pour qu'il enquête à propos de la discrimination fondée sur la caste et autres formes de discrimination fondée sur l'ascendance dans leurs pays respectifs; · Tous les gouvernements devraient s'assurer que la discrimination fondée sur la caste ou toute autre forme similaire de discrimination à l'encontre de populations marginalisées soit abordée explicitement dans la déclaration et le programme d'action de la CMCR, ainsi que dans tout plan d'action futur; · Les Dalits en Asie méridionale, les Burakumin au Japon et les autres populations se trouvant dans des situations similaires devraient être explicitement reconnus comme des groupes de personnes ayant fait l'objet de formes permanentes et persistantes de discrimination et d'abus en raison de leur ascendance; · Les gouvernements concernés devraient: 1. Etablir un programme et un calendrier pour faire appliquer l'abolition de "l'intouchabilité", de la ségrégation ou de pratiques similaires.
· Les agences de développement des Nations Unies devraient accorder une attention particulière à la violence et à la discrimination fondées sur la caste, évaluer l'impact de leurs programmes actuels par rapport aux castes et mettre en place des programmes et des stratégies destinés à enrayer les abus et à encourager la lutte contre l'impunité. 1 Sous-Commission de l'ONU pour la promotion et la protection des droits de l'homme, "Discrimination fondée sur l'emploi et l'ascendance", E/CN.4/SUB.2/RES/2000/4, 11 août 2000. Voir Annexe A. 2 Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, "Observations finales du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale: Inde", CERD/C/304/Add.13, 17 septembre 1996. 3 Castes énumérées est le terme juridique utilisé pour se référer aux "Dalits". 4 Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, "Observations finales du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale: Japon", CERD/C/58/Misc.17/Rev.3, 20 mars 2001. 5 Ibid. En août 2001, le comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné le neuvième rapport périodique du Sri Lanka. En dépit de la persistance du problème, le rapport ne faisait aucune référence à la discrimination fondée sur la caste dans le pays. Voir Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, "Rapports présentés par les Etats parties en vertu de l'Article 9 de la convention: neuvièmes rapports périodiques des Etats parties prévus en 1999: Sri Lanka", CERD/C/357/Add.3, 20 novembre 2000. Au moment de la rédaction du présent document, le CEDR devait encore émettre ses observations finales sur le rapport du Sri Lanka. 6 Voir annexes pour le texte de ces rapports et autres rapports de l'ONU. |