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L’autre visage des îles Canaries -
Violations des droits des migrants et des demandeurs d’asile



RESUME ET RECOMMANDATIONS

Le rapport complet en anglais


RECOMMANDATIONS

Au gouvernement espagnol
Aux Nations Unies
Au Conseil de l'Europe
A l'Union européenne
A l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe


Le traitement réservé aux migrants arrivant clandestinement aux Canaries (Espagne) est épouvantable, tant avant que pendant leur détention dans les anciennes installations aéroportuaires de Fuerteventura et de Lanzarote. Les détenus, parmi lesquels des demandeurs d'asile, qui y sont retenus doivent faire face à une grave surpopulation et sont en outre complètement isolés du monde extérieur. Appels téléphoniques, visites, envoi et réception de courrier leur sont en effet interdits. Ces personnes n'ont pas accès à l'information et n'ont pas droit à un avocat, à un traducteur ou à un médecin. Elles sont par ailleurs privées d'air frais, de lumière et d'exercice physique pendant une période pouvant aller jusqu'à quarante jours. Les membres de leur famille, leurs amis, les organisations non-gouvernementales (ONG) et les organisations humanitaires, à l'exception de la Croix-Rouge espagnole, se voient couramment refuser la possibilité de visiter les installations aéroportuaires, voire de rencontrer des détenus. Les seuls avocats ayant accès aux installations sont ceux du Barreau local qui étaient de service le jour où le migrant en question est arrivé. La police peut téléphoner à l'un de ces avocats à la demande du détenu si celui-ci en fait la demande. Mais en pratique, les avocats visitent rarement ces installations. Les décisions relatives à la détention et à l'expulsion des migrants arrivant aux Canaries sont souvent arbitraires et contraires à la législation espagnole. L'examen juridique de la détention, requise par la législation espagnole et internationale, est superficiel et celle-ci est généralement approuvée sans discussion. L'exercice du droit d'asile des migrants est par ailleurs en danger.

Human Rights Watch s'est rendu en Espagne entre octobre et novembre 2001 pour une mission exploratoire de six semaines. L'objectif de cette mission était d'étudier la situation des migrants sur le plan des droits de l'homme. Ces travaux de recherche se sont concentrés sur l'arrivée, la détention et l'expulsion des migrants. Dans le cadre de cette mission, HRW a également effectué des visites et des interviews approfondies de membres d'organisations non-gouvernementales, de représentants du gouvernement et de migrants à Madrid, Malaga, Murcie, Algeciras, Tarifa et Barbate, à Ceuta et Melilla, les deux villes espagnoles d'Afrique du Nord et dans les Iles Canaries.

Les travaux de recherche effectués dans les Iles Canaries à la fin octobre et au début novembre ont mis en évidence un besoin urgent de mettre en lumière les circonstances entourant la détention des migrants débarquant à Fuerteventura et à Lanzarote ainsi que leurs conditions générales de détention. Human Rights Watch s'est entretenu avec des ONG, des avocats, des travailleurs humanitaires, des membres des forces de la police et des cadres supérieurs de l'administration publique ayant une bonne connaissance de la procédure à l'origine de la détention d'une part, et des conditions actuelles de détention à Fuerteventura et Lanzarote d'autre part. Nous nous sommes également longuement entretenus avec plus de trente personnes détenues dans ces centres depuis leur arrivée en Espagne. Les autorités locales ainsi que les représentants du gouvernement national basés dans les Iles Canaries ont refusé que nos enquêteurs procèdent à une visite des installations aéroportuaires de Fuerteventura, en faisant remarquer que les organisations non-gouvernementales n'y avaient pas accès et qu'ils n'entendaient pas faire une exception pour Human Rights Watch.

Depuis notre enquête, les conditions de détention ne se sont pas améliorées - des informations récentes font au contraire état d'une nouvelle détérioration. Même si le gouvernement espagnol est depuis un moment conscient de la gravité de la situation , il n'envisage pas dans l'immédiat de s'attaquer au problème des violations des droits de l'homme dans ces installations ni d'organiser le transfert immédiat des personnes qui y sont détenues vers des centres appropriés. Human Rights Watch demande instamment que les mesures suivantes soient prises, en urgence, pour remédier aux violations des droits de l'homme dont sont victimes les migrants détenus aux Canaries:

Au gouvernement espagnol :

  • Fournir rapidement aux migrants et aux demandeurs d'asile des brochures d'information les renseignant sur leurs droits en vertu de la législation espagnole et sur leur droit à demander l'asile dans différentes langues qu'ils comprennent, et notamment l'arabe, l'anglais et le français. Le cas échéant, mettre à la disposition des migrants qui ne savent pas lire des interprètes qui les informeront de leurs droits;

  • Autoriser les représentants des groupes de migrants, les organisations humanitaires, les organisations intergouvernementales (par exemple le HCR) et les organisations non-gouvernementales à rendre visite aux migrants détenus dans des centres de détention afin de leur apporter une aide humanitaire et juridique de base et de contrôler les conditions de détention;

  • Rechercher des moyens permettant de remédier à la grave surpopulation des centres, notamment dans les installations aéroportuaires de Fuerteventura, en ce compris l'utilisation d'alternatives à la détention (comme l'obligation de rendre compte ou l'existence d'un garant) et le transfert vers d'autres centres. Le gouvernement ne peut envisager la construction d'un nouveau centre de détention comme une mesure immédiate;

  • Remédier à la privation de contacts avec l'extérieur imposée aux détenus en leur donnant l'accès au téléphone et en autorisant les visites personnelles dans le centre de détention;

  • Afficher, partout dans les centres de détention, des bulletins d'information rédigés dans plusieurs langues, décrivant de manière détaillée les droits des migrants et indiquant le numéro de téléphone d'organisations humanitaires ou d'organisations de migrants susceptibles d'aider ces personnes à trouver un avocat ou à accéder aux services sociaux dont ils ont besoin en Espagne;

  • Offrir rapidement aux illégaux la possibilité de contester la légalité de leur ordre de détention et d'expulsion, en justice ou devant toute autorité compétente. La poursuite de la détention sera réexaminée périodiquement;

  • Permettre aux détenus d'avoir accès à un conseil juridique, y compris aux informations sur la façon de contacter l'avocat mandaté par leur gouvernement, un avocat privé ou des organisations non-gouvernementales offrant des conseils juridiques gratuits et les moyens de contacter lesdits avocats. Les avocats doivent pouvoir rencontrer librement leurs clients dans les centres de détention;

  • Une procédure de plainte quant aux conditions de détention doit être mise au point et mise en application. Tous les détenus doivent être informés de l'existence d'une telle procédure dans une langue qu'ils comprennent. Les détenus doivent avoir accès à des voies de droit pour dénoncer les mauvais traitements qu'ils ont subis en cours de détention, qu'il s'agisse de torture ou d'autres punitions et traitements cruels, inhumains ou dégradants;

  • Permettre aux détenus, grâce à des aménagements adéquats, de faire de l'exercice physique et de respirer l'air frais, et cela tous les jours;

  • Remédier aux conditions d'hygiène désastreuses, notamment à Fuerteventura, où la surpopulation vient encore détériorer les mauvaises conditions de vie, en assurant un nettoyage régulier des installations ainsi qu'un service de blanchisserie pour le nettoyage des draps et en mettant à la disposition des détenus des installations sanitaires adéquates (toilettes et infrastructures pour se laver);

  • Fournir et fixer des directives en vue d'assurer que tous les détenus aient accès aux soins médicaux de routine et d'urgence; les soins médicaux incluront également les examens médicaux (avec le matériel approprié et dans des conditions de respect de la vie privée) et l'administration, si besoin, de vaccins;

  • Mettre en œuvre un système fiable pour l'administration des médicaments aux détenus, y compris la désignation, à cette fin, d'autorités responsables;

  • Eviter, d'une manière générale, la détention de demandeurs d'asile. Il ne pourra être dérogé à ce principe général qu'au cas par cas, et en tout dernier recours. Les demandeurs d'asile devront avoir rapidement l'occasion de contester un ordre de détention devant un organisme juridique ou administratif indépendant des autorités de détention. La nécessité d'une poursuite de la détention devra faire l'objet d'examens périodiques. Les demandeurs d'asile et leurs représentants auront le droit d'y assister;

  • Utiliser les alternatives à la détention (comme l'obligation de rendre compte ou l'existence d'un garant) dans le cas de familles avec enfants;

  • Mettre en œuvre les recommandations du Comité européen pour la Prévention de la Torture (CPT) concernant la détention des migrants et des demandeurs d'asile, y compris dans les installations aéroportuaires des Canaries;

  • Offrir aux autorités et aux juristes espagnols chargés de l'accueil des migrants et des demandeurs d'asile aux Iles Canaries une formation sur le droit des étrangers et le droit d'asile espagnols;

  • Offrir une formation aux autorités judiciaires des Iles Canaries sur le droit des étrangers et les sensibiliser à la nécessité d'assurer une surveillance de la détention administrative sur une base individuelle;

  • Veiller à ce que tous les migrants ou demandeurs d'asile souhaitant demander l'asile disposent des moyens pratiques de le faire et que les autorités locales ne fassent pas obstacle à cette demande;

  • Introduire des mesures de contrôle de la qualité pour l'offre de services d'interprétation et de traduction aux migrants et aux demandeurs d'asile entrants en vue d'assurer l'exercice du droit à un interprète conforme aux normes internationales et régionales;

  • Clarifier, au sein des agences gouvernementales responsables, parmi lesquelles le ministère de la Justice, de l'Intérieur et des Affaires étrangères, les différents types de procédure pour l'expulsion de migrants du territoire espagnol, en vue d'assurer un traitement des migrants et des demandeurs d'asile à la fois équitable et prévisible, notamment en ce qui concerne l'expulsion par retorno ou devolución (les deux formes de rapatriement identifiées dans la législation espagnole);

    Aux Nations Unies :

  • Le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (HCR) doit s'engager à : (1) organiser des visites régulières aux Iles Canaries par les délégués du HCR chargés de la protection afin d'y contrôler les conditions de détention; (2) travailler en collaboration avec les autorités espagnoles en vue de développer des brochures visant à informer les migrants et les demandeurs d'asile de leur droit à demander asile et des procédures à suivre; (3) travailler en collaboration avec les autorités espagnoles en vue de développer et de mettre en œuvre des programmes de formation pour la police, les responsables de l'immigration et les juristes en matière de droit international et national des réfugiés; (4) veiller à ce que le bureau espagnol dispose des ressources nécessaires pour assurer l'information des demandeurs d'asile arrivant aux Iles Canaries sur leur droit d'asile et sur l'exercice de ce droit en assurant un suivi régulier de la situation et en fournissant les ressources de formation et d'information nécessaires aux autorités locales, aux avocats et aux juges; (5) recommander et demander aux donateurs de fournir au bureau espagnol du HCR les ressources nécessaires pour mener à bien ces activités;

  • Le Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention arbitraire devrait envisager une visite en Espagne en 2002, en vue de poursuivre l'expansion de son mandat de 1997 incluant la détention administrative des migrants et des demandeurs d'asile;

  • Le Comité des Nations Unies contre la Torture (CAT) devrait évaluer le prochain rapport de l'Espagne (novembre 2002) à la lumière des inquiétudes formulées par les organisations non-gouvernementales internationales et nationales, ainsi que par les organisations intergouvernementales au niveau régional, relatif aux conditions de détention des étrangers dans les Iles Canaries. Le Comité contre la Torture devrait inviter le gouvernement espagnol, dans ses observations finales, à prendre des mesures à long, moyen et court terme en vue de rapprocher la législation espagnole des normes internationales relatives au traitement des détenus étrangers;

  • Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les Droits de l'Homme des Migrants devrait visiter l'Espagne, et notamment les Iles Canaries;

  • Le Comité des Nations Unies sur les Droits de l'Enfant (CRD) devrait interroger l'Espagne (mai-juin 2002) sur ses politiques et pratiques de détention des enfants de migrants;

    Au Conseil de l'Europe :

  • Le Comité européen pour la Prévention de la Torture (CPT) devrait visiter les centres de détention officiels et non officiels d'Espagne, et notamment les installations aéroportuaires de Fuerteventura et Lanzarote, en vue de contrôler les conditions de détention des migrants et des demandeurs d'asile et de garantir le respect, par le gouvernement espagnol, de la recommandation du CPT formulée suite à une visite en Espagne à la fin 1997;

  • Le Bureau de la Commission européenne contre le Racisme et l'Intolérance (ECRI) devrait enquêter sur le traitement des migrants et des demandeurs d'asile et notamment sur tout progrès constaté dans les conditions de détention aux Canaries faisant l'objet du présent rapport.

    A l'Union européenne :

  • L'Union européenne devrait s'assurer que la politique commune d'asile et d'immigration développée depuis le Conseil européen de Tampere en octobre 1999 soit parfaitement conforme aux normes internationales en matière des droits de l'homme. Toute mesure visant à empêcher l'entrée et la résidence ainsi que l'expulsion d'illégaux hors du territoire européen conformément à l'article 63(3) du Traité CE seront conçues dans le respect de l'obligation de la Communauté et des Etats membres de protéger les droits de l'homme, partie intégrante des principes généraux du droit communautaire;
  • A cet égard, dans sa "Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur une Politique commune en matière d'Immigration clandestine" du 15 novembre 2001, la Commission a entrepris de rédiger des directives soumises à l'examen du Conseil "en vue d'initier une politique de coordination ouverte dans le domaine de l'immigration." Ces directives devraient fixer les normes européennes minimales régissant le statut et les droits des immigrés clandestins - notamment dans des domaines comme les procédures et les conditions de détention - en accord avec le droit international humanitaire. Le Parlement européen et les organisations non-gouvernementales devraient être consultés en temps utile, aux différentes phases de cette procédure.

    A l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) :

  • Le Bureau de l'OSCE pour les Institutions démocratiques et les Droits de l'Homme BIDDH) devrait développer, en collaboration avec son comité consultatif d'experts sur la prévention de la torture, des lignes directrices sur les conditions et la durée de la détention administrative de migrants et de demandeurs d'asile dans les pays membres de l'OSCE;

  • L'OSCE devrait inscrire les conditions de la détention administrative de migrants et de demandeurs d'asile parmi les thèmes à l'ordre du jour de son séminaire de 2002 sur la dimension humaine ou d'autres réunions de mise en œuvre sur la dimension humaine.