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Les informations relatives aux exactions policières sont très difficiles à obtenir. Les unités chargées des affaires internes opèrent sous le voile du secret et elles se montrent peu disposées à révéler ne fût-ce que quelques informations élémentaires sur leurs activités. En 1994, le Congrès a chargé le Ministère de la Justice de rassembler des statistiques et de publier un rapport annuel sur le recours à une force excessive dans tout le pays. Près de quatre ans plus tard, aucun rapport n'a encore été publié. |
Dans un rapport publié aujourd'hui, Human Rights Watch accuse les autorités locales et les responsables fédéraux américains de ne pas s'attaquer à un type courant d'atteinte aux droits de l'homme: les brutalités policières. Ce rapport de 450 pages met en cause les enquêtes internes bâclées qui n'obligent pas les fonctionnaires de police à répondre de leurs exactions et il déplore le fait que les poursuites pénales n'aboutissent que rarement. Les organismes de contrôle civil ne disposent ni des fonds ni des informations nécessaires pour contrôler efficacement la police. Plutôt que de tenter de résoudre les problèmes sous-jacents, certaines villes versent des dizaines de millions de dollars qui proviennent de la poche des contribuables dans des procès civils intentés suite à des plaintes pour brutalités. Le rapport est le fruit de recherches menées dans quatorze villes sur une période de deux ans et il fait ressortir divers problèmes communs à toutes ces villes. Les villes concernées sont Atlanta, Boston, Chicago, Détroit, Indianapolis, Los Angeles, Minneapolis, la Nouvelle-Orléans, New York, Philadelphie, Portland, Providence, San Francisco et Washington. |
"Les services de police se plaisent à déclarer que les exactions qui attirent l'attention des médias ne sont que des actes anormaux commis par quelques policiers dévoyés" explique Kenneth Roth, directeur général de Human Rights Watch à New York. "Mais ces violations des droits de l'homme persistent parce que les systèmes mis en place pour que les responsables rendent compte de leurs actes présentent énormément de lacunes". Coups de feu tirés sans raison valable, passages à tabac, morts par étranglement et autres formes de mauvais traitements corporels, telles sont les exactions qui ont été dénoncées dans de nombreuses villes à travers tous les Etats-Unis. Ces exactions, et le refus des autorités de s'attaquer au problème, sont en violation des traités internationaux sur les droits de l'homme que les Etats-Unis se sont pourtant engagés à respecter. Il s'agit également de violations des règlements de la plupart des services de police, ainsi que des lois des Etats et des lois fédérales. Par ailleurs, elles constituent une trahison envers les citoyens que ces policiers ont juré de servir. Les informations relatives aux exactions policières sont très difficiles à obtenir. Les unités chargées des affaires internes opèrent sous le voile du secret et elles se montrent peu disposées à révéler ne fût-ce que quelques informations élémentaires sur leurs activités. En 1994, le Congrès a chargé le Ministère de la Justice de rassembler des statistiques et de publier un rapport annuel sur le recours à une force excessive dans tout le pays. Près de quatre ans plus tard, aucun rapport n'a encore été publié. Human Rights Watch recommande les réformes suivantes: * que l'aide fédérale octroyée aux services de police soit subordonnée à la publication de rapports réguliers sur l'usage d'une force excessive et sur les améliorations opérées sur le plan de la supervision et de la discipline; * que les responsables politiques et de la police soient amenés à appliquer une politique de tolérance nulle des exactions; * mettre en place des systèmes de détection rapide permettant d'identifier les policiers "à risque" et démettre de leurs fonctions ceux qui ont commis des exactions; * octroyer les financements et le soutien politique nécessaires aux organismes de contrôle civil; * engager des procureurs spéciaux dans chaque Etat pour s'occuper des poursuites pénales à l'encontre des policiers. Dans les villes où des informations sont disponibles, les atteintes aux droits de l'homme perpétrées par la police et dénoncées par les minorités sont plus nombreuses que celles commises à l'encontre des habitants blancs. Ce pourcentage est tout à fait disproportionné par rapport à leur représentation dans ces mêmes villes. Les policiers ont soumis les minorités à des traitements apparemment discriminatoires et ont infligé des mauvais traitements corporels aux personnes appartenant à des minorités tout en proférant des injures racistes. L'affaire Abner Louima à New York l'année dernière, où un immigré haïtien avait accusé des policiers de l'avoir sodomisé avec un bâton et de l'avoir battu, a choqué le monde entier. Les policiers qui savaient ce qui s'était passé n'ont pas voulu dénoncer l'incident immédiatement ou n'ont pas apporté d'informations ultérieurement, et les auteurs présumés ont cru qu'ils s'en tireraient à bon compte bien que leur acte ait été commis de façon flagrante dans un commissariat où il y avait une grande affluence. "Bien que bon nombre de villes américaines, et même des pays étrangers, voient en New York un modèle d'efficacité sur le plan du maintien de l'ordre, cette ville est également un modèle qui illustre bien comment ne pas devoir rendre de comptes pour les actes commis", a déclaré Roth. Généralement, les policiers violents - qui ne représentent habituellement qu'un petit pourcentage des policiers d'un service - peuvent faire l'objet de plaintes répétées mais être protégés par le silence de leurs collègues et par des enquêtes internes de la police fort lacunaires. Leur passé de violents se fait jour et n'est pris en compte que lorsqu'ils commettent une exaction si flagrante, si malencontreusement embarrassante, qu'elle ne peut plus être ignorée. Et même si le policier en question écope finalement de la sanction qu'il mérite, ses supérieurs - qui auraient dû intervenir pour mettre un terme aux abus - échappent généralement à toute enquête ou à toute sanction disciplinaire. Dans la pratique, les procès au civil permettent en fait aux services de police de fermer les yeux sur les exactions commises par les policiers. Les indemnités versées aux victimes ne proviennent pas du budget du service de police ni du policier lui-même: dans pratiquement tous les cas, c'est la ville qui paie les indemnités décidées à l'amiable ou par le jury. Dans la plupart des villes, aucune enquête n'est ouverte suite à une plainte, à un règlement à l'amiable ou à un jugement rendu lors d'un procès contre un policier, quelle que soit la gravité du chef d'accusation. L'évaluation des prestations du policier ne s'en trouve généralement pas affectée. Les poursuites pénales contre des fonctionnaires de police sont rares. Les procureurs locaux sont peu enclins à poursuivre des policiers accusés de violations des droits de l'homme car ils travaillent généralement en étroite collaboration avec la police pour poursuivre les criminels. Remporter de tels procès peut s'avérer difficile étant donné que les victimes peuvent elles-mêmes être des criminels et beaucoup de jurés ont tendance à croire la version de la police. Les poursuites engagées au niveau fédéral contre des policiers en vertu de la législation pénale en matière de droits civils sont également rares. Au cours de l'année budgétaire 1996 par exemple, sur un total de 11.721 plaintes reçues par la Division des Droits Civils du Ministère de la Justice, seuls trente-sept affaires impliquant des membres des forces de l'ordre ont abouti devant un grand jury, et dans vingt-neuf cas, les accusés ont été reconnus coupables ou ont plaidé coupables. "Les procureurs locaux et fédéraux ne s'attachent tout simplement pas à poursuivre des policiers accusés de violations des droits de l'homme", a déclaré Roth. "Il faut que les autorités des Etats nomment des procureurs spéciaux si elles veulent combattre ces crimes ignobles". [haut de la page] [Sommaire][Recherche dans ce site][A propos de HRW] |