Résumé
En Guinée, l’un des pays les plus pauvres du monde, l’exploitation de la bauxite est en plein essor. Depuis 2015, le gouvernement du président Alpha Condé a fait de la Guinée l’un des principaux exportateurs mondiaux, et le plus grand exportateur de ce minerai vers la Chine, le premier producteur mondial d’aluminium. La bauxite de Guinée représente désormais une large part de l’aluminium produit à l’échelle internationale et destiné aux pièces automobiles et aéronautiques ainsi qu’aux produits de consommation comme les canettes et le papier d’aluminium. Plusieurs autres entreprises se préparent à exporter et la Guinée, qui possède les plus importants gisements au monde, pourrait bientôt devenir le plus gros producteur mondial de bauxite.
La région de Boké, au nord-ouest de la Guinée, est le point central de la récente croissance du secteur minier. La région compte aujourd’hui des dizaines de carrières de bauxite à ciel ouvert, qui se démarquent facilement des paysages guinéens verdoyants par leur terre de couleur rouge. Les sociétés minières retirent la terre recouvrant la bauxite au moyen d’une machinerie lourde, puis elles dynamitent le minerai pour le décomposer en fragments.Un réseau de routes minières et de chemins de fer, utilisé pour acheminer le minerai jusqu’aux ports, traverse des localités rurales jusque-là isolées. Les ports industriels, où la bauxite est chargée sur des barges ou des navires pour être exportée, côtoient les mangroves, les champs de riz et les petits ports de pêche sur lesquels les communautés locales fondaient leurs moyens de subsistance.
Bien que le développement florissant du secteur de la bauxite apporte au gouvernement un revenu fiscal dont il a grand besoin, des milliers d’emplois et des bénéfices aux sociétés minières et à leurs actionnaires, il a également de lourdes conséquences sur les droits humains des communautés rurales vivant à proximité des activités liées à l’exploitation du minerai. Les sociétés minières profitent de la protection ambiguë des droits fonciers ruraux par la législation guinéenne pour exproprier des terres agricoles ancestrales sans offrir d’indemnisation adéquate, ou en versant des paiements financiers qui ne compensent pas le profit que les communautés en tiraient. Les dégâts causés aux sources d’eau et attribués par les populations locales à l’exploitation minière, ainsi que la demande provoquée par l’afflux de migrants vers les zones minières, réduisent l’accès à l’eau dont les communautés dépendent pour boire, se laver ou cuisiner. La pénurie d’eau fait que les femmes, qui sont le plus souvent responsables de la collecte d’eau, doivent marcher sur de plus grandes distances ou d’attendre de longues périodes pour avoir accès à des sources alternatives. La poussière produite par l’exploitation et le transport de la bauxite envahit les maisons et les champs, suscitant des inquiétudes chez les familles et les professionnels de la santé qui craignent qu’une détérioration de la qualité de l’air menace leur santé et leur environnement.
Des émeutes ont éclaté à Boké en avril et en septembre 2017, provoquées par la colère de la population face à l’insuffisance des services à l’échelle locale, en particulier le manque d’eau et d’électricité, un ressentiment envers l’expansion rapide de l’exploitation minière, et des inquiétudes plus vastes en lien avec les répercussions de celle-ci sur les communautés locales. Des milliers de jeunes ont saccagé des bâtiments publics et ont érigé des checkpoints officieux afin d’empêcher les sociétés minières de mener leurs activités. « Lorsque les frustrations s’accumulent, il suffit d’un rien pour que cela explose », a confié un haut fonctionnaire du ministère des Mines à Human Rights Watch. « La population voit les investissements financiers réalisés par une société, les taxes et les impôts perçus, les camions transportant la bauxite de leurs terres agricoles vers les pays étrangers, ils respirent la poussière et s’interrogent, “Quels bénéfices en tirons-nous ? ” ».
Le gouvernement de Guinée a garanti à Human Rights Watch que, étant donné les questions de droits humains que peut soulever l’extraction minière, il assume « pleinement ses fonctions de puissance publique notamment pour faire respecter sa réglementation et de contrôler les activités des entreprises ». Cependant, il semble que l’accroissement du secteur de la bauxite a parfois pris le pas sur la protection des questions sociales et environnementales dans les priorités du gouvernement. « Nous voulions donner la priorité aux activités minières afin de profiter de l’offre insuffisante [de la part des autres pays] sur le marché, tout en garantissant le respect d’un socle minimal de droits dès le départ », a expliqué Saadou Nimaga, Secrétaire général du ministère des Mines. « Notre objectif est d’intégrer la question de la protection sociale et environnementale progressivement. »
Le présent rapport s’appuie sur plus de 300 entretiens menés dans 30 villages touchés par l’exploitation minière dans la région de Boké, ainsi que sur les dizaines d’entretiens avec des représentants du gouvernement et des autorités locales, des groupes de la société civile, des scientifiques spécialistes de l’environnement, des fonctionnaires de la santé publique et des représentants d’entreprise, pour montrer comment les pratiques des sociétés minières, quand elles sont soumises à une surveillance par l’État inadéquate, bouleversent les vies et les modes de subsistance des communautés rurales. Les recherches et les conclusions de ce rapport portent sur les pratiques de deux projets miniers qui ont été choisies car elles étaient, au moment de la rédaction du présent rapport, les deux plus grandes sociétés productrices de bauxite en Guinée.
Le premier projet, celui de la Société Minière de Boké (SMB), est un projet de consortium qui intègre une entreprise chinoise qui est le plus gros producteur d’aluminium du monde. Le consortium SMB a connu une croissance fulgurante depuis sa création en 2015 ; elle est aujourd’hui le principal exportateur du pays. À la deuxième place se trouve la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG), une société créée il y a plusieurs décennies, codétenue par le gouvernement et des multinationales du secteur minier, dont Alcoa et Rio Tinto. Ce rapport examine l’impact de ces deux projets sur les terres des communautés ainsi que sur leurs moyens de subsistance, leur accès à l’eau, la qualité de l’air qu’elles respirent, et leur santé.
Perte des terres et des moyens de subsistance
Des dizaines d’agriculteurs originaires de 16 villages situés à proximité des sites d’extraction, des routes et des ports des sociétés minières ont décrit la façon dont ces dernières ont exproprié des terres agricoles ancestrales sans proposer une indemnisation adéquate ou en versant des sommes d’argent qui ne remplacent pas les bénéfices que les familles et les communautés tiraient de la terre. « La société a détruit nos moyens de subsistance », a déclaré un leader communautaire d’un village entouré par cinq mines de la CBG.
En Guinée, les terres rurales sont organisées conformément au droit coutumier (ou traditionnel). Celui-ci reconnaît les droits d’une famille, d’un lignage ou d’une communauté sur la terre en fonction de son lien historique avec celle-ci. Même si le code foncier guinéen peut être interprété comme reconnaissant les droits coutumiers, dans la pratique les communautés ou les individus qui occupent une terre au titre du droit coutumier doivent immatriculer leur propriété ou veiller à ce qu’elle soit enregistrée dans les plans fonciers pour pouvoir bénéficier d’une protection juridique. Très peu d’agriculteurs ruraux ont suivi ces procédures, en grande partie à cause de l’absence de mise en œuvre par le gouvernement de sa politique foncière rurale de 2001 visant à faciliter la délimitation, l’immatriculation et la protection des terres dans les zones rurales. Depuis l’adoption du Code minier de 2011, le gouvernement guinéen n’a adopté aucune réglementation qui établisse des normes d’indemnisation uniformes pour l’acquisition de terres dans le secteur minier, une occasion manquée de protéger plus explicitement les droits fonciers coutumiers d’agriculteurs et communautés ruraux.
En l’absence de protection claire pour les droits fonciers coutumiers, les sociétés minières affirment souvent que les terres rurales restent, en termes juridiques, « la propriété de l’État », qui leur a donné le droit de les exploiter. Cette interprétation permet aux sociétés minières d’acquérir des terres sans le consentement informé des agriculteurs ou sans les indemniser de manière adéquate. Dans le cas de la CBG, par exemple, les responsables locaux et les leaders communautaires ont déclaré que jusqu’à 2015, la société n’avait procédé à aucune indemnisation pour les terres utilisées dans le cadre de l’exploitation minière. « Lorsque la CBG avait besoin de terrains, ils les prenaient, tout simplement », a affirmé un leader communautaire. La CBG a indiqué qu’elle versait une indemnisation dans la plupart des cas et montré à Human Rights Watch des exemples documentés de processus d’indemnisation. Mais pour indemniser, la CBG utilisait les standards dépassés qui sous-évaluait souvent grandement les revenus des récoltes des agriculteurs et indemnisait trop peu ces derniers pour la valeur de la terre elle-même, ce qui compliquait la recherche de terres de remplacement ou de nouvelles sources de revenus. « Au fur et à mesure que nous perdons nos terres, nous devons cultiver certaines zones à une fréquence plus élevée, ce qui rend nos champs moins productifs », a expliqué un agriculteur de Hamdallaye, un village où les images satellite démontrent que la communauté a perdu presque 40 pour cent de ses terres ancestrales grâce aux activités de la CBG. En 2018, la CBG s’est engagée à adopter une nouvelle approche en matière d’indemnisation, par laquelle les agriculteurs qui perdent les terres seront en mesure de recevoir des terres de remplacement sur des sites miniers réhabilités.
Même si les indemnisations payées par les sociétés minières – parfois à la communauté dans son ensemble, et parfois de manière individuelle, à chaque agriculteur – peuvent représenter une aubaine sur le court terme, il est difficile pour ceux qui pratiquent une agriculture de subsistance d’utiliser cet argent pour accéder à des sources de revenus durables. La SMB, par exemple, pratique une approche argent contre terrains qui permet aux agriculteurs de percevoir une somme d’argent forfaitaire qui reflète la valeur des terres, mais aussi celle des plants et des récoltes qui y poussent. Cette approche a permis au consortium d’acquérir rapidement les terres dont il avait besoin pour son expansion rapide. Le résultat, c’est que les agriculteurs sont désormais privés des ressources, du soutien ou de la formation nécessaires pour trouver de nouvelles terres ou de nouveaux moyens de subsistance. « L’indemnisation arrive une fois, alors que vos récoltes et vos champs restent pendant de nombreuses années, voire même plusieurs décennies », a résumé un agriculteur.
D’après des représentants de sociétés minières, les agriculteurs refusent souvent d’accepter des alternatives à l’indemnisation financière. Mais les sociétés minières sont toutefois conscientes de la nécessité d’associer le versement d’une indemnisation à d’autres formes de soutien, comme des formations visant à apprendre comment gérer les montants reçus ou une aide pour développer de nouvelles sources de nourriture et de revenus. En l’état actuel des choses, les organisations de la société civile ont déclaré que, plutôt que de réinvestir l’indemnisation reçue des sociétés minières, les agriculteurs le partagent avec des membres de leur famille, construisent de nouveaux logements et parfois envoient leurs enfants en Europe par la route migratoire de l’Afrique du Nord. « J’ai utilisé l’argent de l’indemnisation pour envoyer mes deux fils en Europe », a expliqué un père à Human Rights Watch. « Mais depuis qu’ils sont arrivés en Libye, il y a environ deux mois, je n’ai eu aucune nouvelle. J’ai peur qu’ils soient en prison ou morts ».
Des dizaines d’agriculteurs ont expliqué que l’impact de la perte de terres a été aggravé par les dégâts causés par l’exploitation minière sur les terres agricoles restantes et les autres sources de nourriture, comme la pêche. « Depuis l’ouverture de la mine, nos champs sont couverts de poussière », a dénoncé un agriculteur qui a montré aux chercheurs de Human Rights Watch des arbres et des cultures recouverts d’une poussière rouge. « Lorsqu’on coupe une branche, la poussière s’envole, et on la respire. Pourquoi devrait-on travailler dans ces conditions ? ». Selon des leaders communautaires, il est rare que les sociétés minières acceptent de reconnaître qu’elles sont responsables de la baisse de productivité des terres agricoles ou de la baisse des revenus tirés de la pêche, et elles ne versent des indemnisations que de manière sporadique.
Bien que les femmes participent à l’agriculture, la plus grande part de l’indemnisation payée pour les parcelles qui appartiennent à une famille ou une communauté est versée aux hommes qui jouent un rôle dirigeant au sein de la famille ou de la communauté. Les terres dont les hommes et les femmes dépendent et qu’ils et elles exploitent sont donc remplacées par des sommes d’argent versées à une poignée de leaders communautaires et de chefs de familles qui sont essentiellement des hommes. « Quand il s’agit de donner, nos maris font comme bon leur semble, même si ce que la terre produisait était utilisé par chacune et chacune d’entre nous », a déclaré une femme à Human Rights Watch. Si certains hommes peuvent obtenir des emplois dans les sociétés minières en remplacement des revenus qu’ils ont perdus, il est rare que les femmes soient employées par ces sociétés, alors même qu’elles sont souvent chargées de trouver d’autres sources de nourriture en raison du manque à gagner dû à l’exploitation minière.
Accès réduit aux ressources en eau
Des études montrent qu’à moins d’une gestion adaptée, l’extraction de la bauxite peut avoir des impacts significatifs sur l’hydrologie du paysage alentour. Des dizaines de résidents ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils pensaient que l’exploitation minière avait réduit le niveau et la qualité des eaux des rivières, ruisseaux et puits dont ils dépendent pour se laver, cuisiner ou boire, et qu’elle menaçait l’accès à l’eau de milliers de personnes. Dans plusieurs villages adjacents aux mines de la SMB, les leaders communautaires disent aujourd’hui compter sur la compagnie minière pour leur apport en eau par camions-citernes. « Certains jours, les camions-citernes apportent de l’eau sale », a déclaré un leader communautaire. « Nous devons conserver l’eau propre que nous avons et attendre la livraison suivante ».
Plusieurs communautés ont également déclaré à Human Rights Watch qu’en raison de l’expropriation des terres pour permettre l’exploitation minière ou la construction d’infrastructures minières, les communautés avaient été privées d’accès aux cours d’eau et aux sources naturelles d’eau potable, alors même que la pression sur les ressources en eau augmente en raison de l’afflux de personnes à la recherche d’un travail à la mine. La pénurie d’eau signifie que les femmes et les jeunes filles, qui sont souvent chargées du ravitaillement en eau, sont obligées de parcourir de plus grandes distances, ou d’attendre plus longtemps pour se servir à des points d’eau déjà saturés, comme les forages ou les puits. Une femme d’un village situé à proximité d’un port de la SMB a ainsi déclaré qu’elle se réveillait à 4 ou 5 heures du matin pour faire la queue pour de l’eau. « J’emmène mes enfants avec moi pour que, une fois que c’est fini, ils puissent aller à l’école », a-t-elle expliqué.
Les sociétés minières soulignent que l’accès réduit aux ressources en eau dans la région de Boké s’explique par plusieurs facteurs, notamment les mouvements de populations, les facteurs liés au changement climatique et l’aridité de la région, en particulier pendant la saison sèche. Les sociétés insistent aussi sur leur travail en matière de construction de forages et de puits dans les communautés touchées par l’exploitation minière. Toutefois, l’absence de données fournies publiquement par le gouvernement ou par les entreprises concernant l’impact de l’exploitation minière sur les niveaux et la qualité de l’eau rend difficile une évaluation de l’assertion de sociétés minières qu’elles mitigent, de manière adéquate, l’impact des activités minières sur les ressources d’eau locales.
Dans le cas de la SMB, les recherches de Human Rights Watch suggèrent que la société n’a pas pris les mesures adéquates pour prévenir les impacts négatifs sur les ressources d’eau, avec des conséquences importantes pour les communautés locales. « La rivière où nous puisons l’eau a été polluée par la boue rouge qui s’écoule de la mine », a déclaré le leader communautaire d’un village situé dans les environs d’une mine de la Société minière de Boké (SMB). En avril 2017, une inspection du gouvernement concluait que « la SMB n'a pris aucune mesure efficace pour atténuer la pollution des eaux de surface qui se traduit par le transport des sédiments dans les cours d'eau qui les rendent turbides et les contamine davantage. » Un audit commandé par le ministère des Mines en 2018 a constaté que « les routes minières [de la SMB] montrent d’importantes contraintes environnementales », pointant notamment des insuffisances techniques qui pourraient entraîner le déversement de sédiments dans les rivières et les cours d’eau. La SMB a affirmé d’avoir construit ou réparé 120 forages dans les communautés locales, et a déclaré ne connaître qu’un endroit où l’exploitation minière a endommagé les sources d’eau locales, et que la société s’était employée à remédier au plus vite à cette situation. Mais la SMB, qui n’a pas surveillé la qualité de l’eau ou sa disponibilité pendant les trois premières années de ses opérations, ou l’a fait de façon minimale, manque des données nécessaires pour appuyer l’affirmation que ses activités n’ont pas impacté l’accès à l’eau. Le consortium SMB a indiqué à Human Rights Watch qu’il a commencé son premier programme de surveillance de qualité et de l’accès à l’eau en 2018.
La Compagnie des bauxites de Guinée (CBG) a construit, exploité et entretenu pendant des décennies un système de traitement des eaux et un réseau de canalisations qui alimentent en eau courante plusieurs grandes zones de la ville de Sangarédi, où ses mines sont situées, et des quartiers où vivent ses travailleurs dans la ville portuaire de Kamsar. Mais dans six des villages ruraux qui entourent les mines de la CBG à Sangarédi, les habitants ont déclaré que les rivières et les cours d’eau avaient été endommagés par des années d’exploitation minière. « Nous utilisions la rivière pour nos besoins en eau potable, pour nous laver et pour pêcher – c’était de l’eau propre, » a déclaré un leader communautaire de Boundou Waadé. « Mais la CBG s’est mise à exploiter à côté de la source de la rivière, en réduisant son débit et en provoquant des coulées de boue rouge en provenance des mines pendant la saison des pluies ». La CBG a déclaré qu’elle suivait les meilleures pratiques internationales pour prévenir les dommages causés aux ressources en eau et Halco (Mining) Inc., la société holding à laquelle appartiennent les actionnaires privés de la CBG, a déclaré à Human Rights Watch que « la CBG n’est pas en mesure de répondre à des accusations non étayées [relatives aux impacts sur les ressources de l’eau] remontant à l’année 1973 ».
Toutefois, la responsabilité du suivi de l’impact de l’exploitation minière sur les sources d’eau au niveau local revient aux sociétés minières et non aux communautés locales. Jusqu’en 2017, la CBG ne disposait pas des outils de suivi nécessaires, comme par exemple un modèle qui permettrait de suivre l’impact de l’exploitation minière sur le débit des fleuves, cours d’eau et eaux souterraines, afin d’évaluer l’impact de l’exploitation minière sur le niveau des eaux. La CBG a indiqué qu’elle développait désormais des outils de suivi qui lui permettraient de comprendre l’impact de l’exploitation minière sur les sources d’eau au niveau local.
Menaces pour la santé liées à la détérioration de la qualité de l’air
De nombreux habitants de la région de Boké ont décrit comment leurs vies avaient été durement affectées par la poussière rouge produite par l’extraction et le transport de la bauxite, qui recouvre les villages et les récoltes et pénètre dans les maisons. « Elle s’introduit partout, jusqu’aux repas que nous cuisinons », a expliqué l’habitante d’un village proche d’une mine de la SMB située au sommet d’une colline. Les habitants des villages, dont beaucoup se sont dit persuadés que l’exploitation minière contribuait déjà aux maladies respiratoires, s’inquiètent des répercussions à plus long terme sur la santé. « Quand vous revenez de vos champs sales et couverts de poussière, même si une maladie ne se manifeste pas immédiatement, elle peut certainement se déclarer plus tard », a déclaré un leader communautaire.
Les médecins et responsables sanitaires qui ont parlé à Human Rights Watch ont déclaré qu’en l’absence d’indicateurs de surveillance officiels de la qualité de l’air fournis par les sociétés minières ou de statistiques sanitaires fiables, il était impossible de tirer des conclusions définitives sur les liens entre l’exploitation des mines et les maladies respiratoires. Beaucoup s’inquiètent cependant qu’une détérioration de la qualité de l’air liée aux activités minières pourrait contribuer à des effets délétères sur la santé. « Je ne pense pas que les êtres humains et la mine puissent coexister », a ainsi déclaré un agent de santé communautaire qui travaille dans les villages proches des opérations de la SMB. Le gouvernement guinéen n’effectue qu’un nombre très limité de mesures de la qualité de l’air chaque année, mais dans certains cas, y compris celui de la SMB, les contrôles du gouvernement indiquent dans le pire des cas qu’il existe un risque potentiellement grave pour la santé publique, et dans le meilleur cas qu’il est urgent pour les sociétés minières, mais aussi pour le gouvernement, de renforcer leur surveillance.
La poussière qui émane des mines de bauxite à ciel ouvert ainsi que des zones de stockage, avant d’être dispersée lors du transport routier du minerai, n’est normalement pas plus toxique que d’autres formes de poussière. Mais l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que l’exposition à toutes particules fines, qui constituent une partie de la poussière produite par les activités minières, peut causer, déclencher ou exacerber les maladies respiratoires et cardiovasculaires. Les émissions de gaz d’échappement des véhicules sont également une cause avérée de maladie respiratoire.
Les occupants des dizaines de villages ou maisons situés le long des routes minières non revêtues du consortium SMB, sur lesquelles circulent chaque jour les centaines de camions transportant la bauxite, sont les plus préoccupés par les émissions de poussière, sans compter celles des véhicules. « Même notre salive a changé de couleur à cause de la poussière », a déclaré une habitante d’un village proche d’une route minière. Un audit commandé par le ministère des Mines en 2018 estimait la circulation des camions sur les routes de la SMB « à 4 000 ou 5 000 véhicules [par jour] ». La CBG transporte le minerai destiné à l’exportation par train, mais les villageois proches des mines exploitées par la CBG et la SMB restent préoccupés par la qualité de l’air, une inquiétude partagée dans les quartiers résidentiels qui jouxtent une usine de traitement de la CBG, où la bauxite est broyée et séchée.
La SMB assure que ses activités n’ont pas d’impact négatif sur la qualité de l’air et sur la santé. Après avoir initialement fait fonctionner ses installations avec des mesures d’atténuation d’émission de poussière qui étaient loin d’être adéquates, la SMB a réduit de manière significative les niveaux d’émission de poussière sur ses routes minières pendant la saison sèche de 2018, en procédant plus fréquemment à l’arrosage de ses routes. Les communautés restent toutefois préoccupées par l’impact sur la qualité de l’air des émissions de gaz d’échappement et de la poussière, même si, dans une certaine mesure, les niveaux de poussière ont baissé. En février 2018, en pleine saison sèche, une inspection conjointe du ministère des Mines et du ministère de l’Environnement conduite dans quatre villages proches des zones d’opération de la SMB a enregistré des niveaux de particules fines qui se situaient bien au-delà des niveaux recommandés par l’OMS. L’équipe dirigeante de la SMB conteste la validité de ces conclusions, en faisant valoir que, dans chaque lieu testé, les mesures ont été réalisées pendant seulement quelques minutes. La SMB a effectué ses premières mesures de la qualité de l’air en 2018, mais a fait savoir que les résultats de celles-ci ne seront pas rendus publics avant la fin de 2018. La CBG n’a commencé qu’en 2017 une surveillance exhaustive de la qualité de l’air et n’a pas encore rendu publiques des données actualisées, bien que la société ait déclaré en juillet 2018 à Human Rights Watch que selon ses propres contrôles, la qualité de l’air, y compris les particules fines, se situe dans la tranche supérieure des niveaux recommandés par l’OMS.
Accès aux recours
Des responsables communautaires ont déclaré à Human Rights Watch que les sociétés minières souvent ne réagissaient pas assez vite ou de manière adaptée aux griefs qu’ils exprimaient s’agissant de l’impact de l’extraction de la bauxite sur leurs terres, leurs moyens de subsistance, leur santé ou encore leurs sources d’eau potable. Selon une étude commandée par la CBG en décembre 2014, « de nombreux [membres de la communauté] ont témoigné que toutes les plaintes adressées directement ou indirectement à la CBG se sont perdues et n’ont abouti à aucune mesure corrective ». Depuis, la CBG a mis en place un nouveau mécanisme de règlement des griefs où les plaintes de moindre importance sont traitées par le personnel des relations communautaires, mais les problèmes plus graves ou récurrents par les cadres supérieurs de l’entreprise. Les représentants locaux ont déclaré penser que, malgré la lenteur de ce mécanisme, la CBG faisait un effort de bonne foi pour résoudre les griefs.
Les communautés où opère le consortium SMB ont déclaré que, bien que le personnel chargé des relations avec les communautés a rencontré souvent les habitants, ces rencontres ont entrainé rarement une action pour répondre aux plaintes soulevées. « J’en ai assez de rencontrer les représentants de l’entreprise », a ainsi déclaré un dirigeant communautaire. « Nous avons toujours les rencontres, mais rien ne change après. » SMB n’a pas transmis à Human Rights Watch sa politique de gestion des griefs, mais a fait savoir que neuf plaintes avaient été présentées par des communautés ou des personnes en 2017 – aucune par des femmes – et que six d’entre elles ont été résolues. Étant donné le nombre limité de griefs exprimés, et l’ampleur de la frustration manifestée par les communautés face à l’absence de solutions apportées par le consortium à leurs plaintes, la SMB devrait sans délai élaborer et rendre public un processus effectif de résolution des griefs et veiller à ce qu’il soit compris et utilisé par les communautés.
De nombreux habitants ont déclaré que lorsque les communautés se tournaient vers les autorités locales pour qu’elles interviennent auprès des sociétés minières, les problèmes étaient rarement résolus. « Ce sont chaque fois les mêmes discours », a déclaré un dirigeant de la communauté. « Il n’y a pas de suivi et nous n’avons pas le sentiment que les autorités se battent vraiment à nos côtés ». Plusieurs responsables communautaires ont déclaré qu’en l’absence d’approches constructives pour résoudre les griefs, ils n’avaient pas d’autre choix que d’organiser des manifestations pour perturber les activités minières et forcer les compagnies et le gouvernement à écouter leurs revendications.
« Nous avons organisé une manifestation en 2015 pour empêcher la CBG de détruire l’une des sources qui alimentent la rivière où nous puisons notre eau », a déclaré un responsable de la jeunesse d’un village près de Sangarédi. « Mais les autorités locales nous ont prévenu que si nous poursuivions notre mouvement, nous serions arrêtés. Bien entendu, dès que nous sommes partis, la CBG a continué son travail ». La SMB a accordé des primes, sous forme de riz et autres rations alimentaires, aux communautés qui ne perturbaient pas les activités minières de la compagnie sur une période de trois mois. « Nous n’avons pas besoin de leur riz », a déclaré un habitant d’un village à Human Rights Watch. « Ils doivent juste accepter de réparer ce que nous leur avons demandé de réparer ».
Si les femmes sont durement touchées par la perte de terres, la limitation de l’accès à l’eau et les problèmes de santé dus aux activités minières, les règles sociales très strictes qui découragent les femmes de participer à la gouvernance des villages créent des obstacles pour celles qui veulent déposer des plaintes. Les compagnies minières disent s’assurer que les femmes sont présentes et que leur avis est pris en compte lors des réunions communautaires, mais les femmes affirment qu’il est difficile pour elles de parler franchement en présence de leurs maris ou d’aînés de sexe masculin et que les solutions qui sont trouvées ne vont pas assez souvent dans le sens de leurs besoins.
Supervision gouvernementale
La capacité et les ressources des organismes gouvernementaux qui supervisent l’industrie minière se sont améliorées au cours des dernières années, en partie grâce aux formations et à l’équipement des donateurs internationaux. Néanmoins, les institutions gouvernementales sont toujours loin du compte en matière de personnel, de ressources et souvent aussi, de volonté politique quand il faut superviser de manière effective des projets qui se multiplient, avec la focalisation du gouvernement sur la croissance du secteur minier parfois surpassant la protection environnementale et sociale. « Il nous faut faire très attention », a déclaré un haut responsable du ministère des Mines. « Nous avons souscrit à tout ce concept "d’exploitation minière responsable", mais nous ne pouvons pas nous contenter de simples mots sur une page ».
Dans le cas de la SMB, le gouvernement a pris des raccourcis pendant le processus de validation pour les nouveaux projets, afin de s’assurer que l’exploitation minière démarre rapidement, en donnant la priorité à son désir d’investissement sur la pleine prise en compte des risques sociaux et environnementaux encourus. Ainsi, malgré certaines insuffisances des études d’impact environnemental et social initialement fournies par la SMB, le gouvernement a permis au projet d’avancer rapidement, entraînant des conséquences environnementales et sociales tangibles pour les communautés. « Il fallait prendre une décision », a affirmé Saadou Nimaga, Secrétaire général du ministère des Mines, interrogé par Human Rights Watch. « Nous pouvions attendre les conclusions de toutes ces études, mais le marché, lui, n’attendrait pas. Nous étions déjà bien conscients de l’impact de l’exploitation minière ». Lorsque Human Rights Watch a interrogé le consortium SMB sur les problèmes concernant ses études d’impact environnemental et social, celui-ci a répondu que l’ensemble des documents a été validé par le gouvernement guinéen. La SMB a cependant fait savoir que la société minière menait actuellement « différentes actions pour pallier aux faiblesses de son premier ensemble d’EIES et PGES », notamment pour aborder les sujets de l’émission de poussières et des conséquences sur les eaux de surface. En février 2018, la SMB a demandé à un cabinet de conseil international de mettre à jour ses études d’impact et de revoir son plan de gestion.
D’après les fonctionnaires du ministère de l’Environnement, il leur est en théorie possible, une fois l’exploitation minière commencée, de refuser à une société minière le renouvellement de son certificat environnemental, qui lui est nécessaire pour mener ses activités en Guinée, si ses pratiques présentent des anomalies. « Si le certificat n’est pas renouvelé, l’entreprise est en situation d’illégalité au regard des lois environnementales de la Guinée », a expliqué Seydou Barry Sidibé, Secrétaire général du ministère guinéen de l’Environnement. Cependant, le ministère de l’Environnement a reconnu qu’il est difficile pour le gouvernement de fermer des projets rentables à grande échelle. « Nous sommes un pays pauvre, un pays en développement, et nous avons donc besoin d’emplois pour nos jeunes, et d’écoles pour nos enfants », a encore expliqué Sidibé. « Dès lors, même si certaines sociétés minières ne respectent pas les normes environnementales et sociales, il est difficile pour nous de fermer ces entreprises ». Bien que le gouvernement puisse imposer des pénalités aux entreprises qui violent les obligations environnementales, des responsables au niveau national et local ont déclaré que la contribution de l’exploitation minière à l’économie guinéenne protégeait les entreprises contre les sanctions gouvernementales. « Au sein du gouvernement, c’est devenu un tabou de critiquer la SMB », a fait remarquer un haut fonctionnaire du ministère des mines. « Les pressions politiques sont fortes pour que le projet aille vite car avec eux les choses avancent, et leurs revenus profitent au gouvernement et à l’État. Le gouvernement guinéen a peu de chance de contrôler ce qui se passe sur le terrain ».
Le manque de transparence de la part des sociétés minières et du gouvernement guinéen sur les impacts sociaux et environnementaux de l’exploitation minière aggrave encore l’absence d’une véritable supervision étatique. Les organisations de la société civile et même les responsables locaux ont souvent du mal à obtenir les exemplaires des études d’impact, des plans de gestion sociale environnementale, des rapports d’inspection, des audits et des données de suivi.
L’Assemblée nationale guinéenne dispose de commissions sur l’exploitation minière et les ressources naturelles chargées de superviser la réglementation du secteur minier par le gouvernement, notamment par des visites sur le terrain. Mais la coalition au pouvoir du président Condé détient la majorité des sièges au parlement et peut donc bloquer les débats en assemblée plénière ou la mise en place de commissions d’enquête parlementaires sur les allégations de mauvaise conduite de la part des entreprises, ou sur les manquements du gouvernement dans la supervision des opérations minières.
Ce qu’il faut faire
Le boom de la bauxite en Guinée étant appelé à se poursuivre, il est impératif que le gouvernement continue à renforcer ses capacités de supervision du secteur minier et à protéger les droits des communautés concernées. Le gouvernement devrait commencer par adopter une réglementation – qui a trop tardé depuis l’arrivée du code minier de 2011 – avec un système uniforme d’indemnisation et des normes pour les acquisitions foncières dans le secteur minier. Le gouvernement devrait également, avec le soutien des bailleurs de fonds internationaux, renforcer les institutions gouvernementales aux niveaux national et local afin qu’elles puissent assurer un contrôle efficace et plus régulier sur les sociétés minières. Pour permettre aux organisations de la société civile de compléter ce contrôle, le gouvernement devrait s’assurer que le secteur fonctionne avec plus de transparence, notamment en exigeant la publication des études d’impact environnemental et social (EIES), des plans de gestions environnementales et sociales, des rapports de suivi périodiques du gouvernement et des entreprises, et des données publiques sur l’impact sanitaire et environnemental de l’exploitation minière – que ces données viennent du gouvernement ou des compagnies minières.
Bien que la responsabilité de protéger les communautés incombe principalement au gouvernement guinéen, les entreprises ont aussi l’obligation de veiller à ce que leurs activités n’aient pas d’impacts environnementaux, sociaux et humains négatifs. Les entreprises devraient fournir aux ménages qui perdent leurs terres en raison de l’exploitation minière une aide au remplacement des terres ou au maintien des moyens de subsistance, en veillant à ce que toute indemnisation financière permette une autosuffisance économique. Compte tenu de l’impact particulier de l’exploitation minière sur les femmes et des obstacles que celles-ci rencontrent quand elles déposent des plaintes, les entreprises devraient régulièrement consulter les femmes et prévoir dans les recours des solutions spécifiques les concernant. Les entreprises devraient également contrôler la qualité de l’air et de l’eau, publier les résultats de ces études et expliquer au grand public les risques potentiels d’une dégradation de la qualité de l’air ou de l’eau pour la santé. Elles devraient enfin veiller à ce que leur personnel dispose de ressources et de formations adaptées pour contrôler efficacement l’impact de l’exploitation minière et mettre en place des mécanismes de règlement des griefs efficaces pour remédier aux conséquences négatives de cette exploitation. Les institutions financières internationales, dont la SFI, devraient veiller à ce que les entreprises respectent les normes exigées par les accords de prêt, notamment en effectuant des contrôles de conformité réguliers et, le cas échéant, en décidant de sanctions appropriées.
Lorsque les sociétés minières ne respectent pas leurs obligations, le gouvernement et le parlement guinéens devraient exiger qu’elles rendent des comptes. Même si le gouvernement privilégie le développement en cherchant à attirer des investissements dans le secteur, il devrait également limiter, suspendre ou stopper les projets miniers quand les entreprises bafouent de façon flagrante ou persistante les protections environnementales, sociales et humaines inscrites dans la loi guinéenne. Si le gouvernement ne parvient pas à faire respecter ces règles, l’exploitation minière, loin de devenir une force pour le développement de la Guinée, pourrait continuer à menacer gravement les moyens de subsistance et les modes de vie des communautés concernées.
Recommandations
Au gouvernement de Guinée
- Renforcer le processus d’approbation des nouveaux projets miniers : n’approuver que les projets d’industries extractives dont les entreprises ont évalué correctement les risques en matière de droits humains, ainsi que les risques sociaux et environnementaux, et démontré leur capacité à protéger les communautés des impacts négatifs liés au projet.
- Exiger que les communautés touchées aient accès à des conseils juridiques indépendants lorsque des études d’impact environnemental et social (EIES) sont menées par des entreprises et examinées par le gouvernement guinéen. Ces conseils juridiques devraient aborder : les obligations du gouvernement et des sociétés minières pendant le processus d’EIES ; les contributions de la communauté au processus d’EIES, ainsi que la manière dont les communautés peuvent contester l’arrivée dans leur localité d’opérations minières ; les mesures que les communautés ou les individus détenteurs de droits fonciers coutumiers peuvent prendre pour protéger leurs droits de propriété.
- Publier et mettre en ligne les décisions d’approbation d’une EIES dans les préfectures et les sous-préfectures, y compris les obligations autres imposées aux entreprises si cette approbation était soumise à conditions.
- Veiller à ce que deux représentants de la société civile participent aux réunions de suivi pour déterminer si l’entreprise a rempli les conditions qui lui ont été imposées lors de l’approbation initiale de l’EIES.
- Améliorer le suivi des sociétés minières : Renforcer la capacité des institutions gouvernementales à tous les niveaux, notamment celles du ministère de l’Environnement et du Bureau Guinéen d’Etudes et d’Evaluation Environnementale (BGEEE), afin de leur permettre de faire un suivi effectif de l’impact social et environnemental des activités minières.
- Fournir au BGEEE des ressources adaptées et du personnel pour mener des missions d’inspection d’une semaine dans chaque société minière en activité d’ici la fin de l’année 2019, puis tous les six mois d’ici la fin de l’année 2020.
- Augmenter le nombre et les capacités du personnel du ministère de l’environnement et du BGEEE formé pour analyser les EIES, assurer le suivi des rapports de conformité et former des équipes d’inspection pour vérifier que les entreprises respectent pleinement leurs obligations environnementales et sociales. Renforcer la capacité du personnel à analyser les impacts actuellement négligés de l’exploitation minière, comme les conséquences des réinstallations ou celles des expropriations foncières.
- Rendre les Comités Préfectoraux de Suivi Environnemental et Social (CPSES) opérationnels en leur donnant les équipements et le financement nécessaires, le cas échéant payés par les sociétés minières, pour que les membres de ces comités puissent tous les trimestres effectuer des visites de sites dans chaque entreprise qui a des activités dans leurs localités. S’assurer que les rapports des missions des CPSES sont rendus publics.
- S’assurer que toutes les activités de suivi prévoient un examen détaillé des impacts sur les femmes.
- Surveiller l’impact des projets miniers individuels et les impacts cumulés de l’exploitation minière sur l’environnement et les moyens de subsistance, notamment des impacts aggravés par le changement climatique, et en rendre compte publiquement.
- Sanctions des entreprises défaillantes : Développer et déployer un éventail plus large de sanctions à prendre contre les entreprises qui agissent en violation des lois guinéennes en matière de gestion sociale et environnementale. Ces sanctions potentielles devraient comprendre des pénalités financières significatives, une suspension temporaire des activités pour une période définie et pour finir, si besoin, la résiliation du projet.
- Publier un document d’orientation décrivant l’approche du gouvernement en matière de sanctions des sociétés minières et les circonstances dans lesquelles chacune de ces sanctions sera imposée.
- S’assurer que toutes les sanctions et les raisons pour lesquelles elles ont été imposées sont rendues publiques.
- Améliorer la transparence : améliorer l’accès des communautés concernées et des organisations de la société civile aux documents clés du gouvernement et des sociétés minières concernant les droits humains et les impacts sociaux et environnementaux de l’extraction de la bauxite.
- Les documents clés comprennent les études d’impact environnemental et social ; les décisions gouvernementales validant les études d’impact, y compris les conditions imposées quand l’étude est validée avec conditions ; les plans de réinstallation ou compensation ; les rapports de suivi ou audits réalisés par le gouvernement et les entreprises ; les décisions concernant le renouvellement ou non des permis d’exploitation des entreprises, ainsi que les décisions listant les sanctions imposées aux entreprises.
- Des résumés de ces documents clés doivent être traduits en langues locales, mis en ligne et affichés dans les bâtiments publics, notamment dans les communautés affectées par les mines. Les autorités devraient non seulement rendre l’information accessible sur demande, mais également diffuser de façon proactive les informations qui concernent la protection des droits des communautés concernées.
- Veiller à ce que les organisations de la société civile, les communautés touchées par l’exploitation minière et les groupes vulnérables, notamment les femmes, puissent participer de manière significative aux consultations concernant les réglementations proposées ou les nouvelles politiques prises dans le secteur minier.
- Mettre en œuvre une réforme foncière pour protéger les droits fonciers coutumiers : dans le cadre d’un processus plus large de réforme foncière, prendre des mesures d’urgence pour identifier, protéger et délimiter les droits fonciers coutumiers, en particulier dans les régions où des opérations d’exploitation minière sont envisagées. S’assurer qu’il existe un mécanisme juridique pour protéger ces droits fonciers.
- Élaborer des réglementations sur l’acquisition de terres dans le secteur minier : Rédiger et adopter des règlementations décrivant le processus à suivre pour réinstaller et indemniser les communautés qui perdent des terres au profit de l’exploitation minière, qu’il s’agisse des terrains où elles ont élu domicile ou de terres agricoles. Ces textes, qui devraient être élaborés en lien avec la société civile et les communautés concernées, devraient :
- Préciser clairement que l’expropriation forcée ne devrait être envisagée qu’en dernier recours, lorsque cela est nécessaire et proportionné et seulement dans la limite du minimum indispensable.
- Préciser si le gouvernement guinéen et les entreprises guinéennes doivent respecter le processus d’utilité publique d’expropriation des terres en vigueur en Guinée, notamment pour les terres occupées par des agriculteurs en vertu d’un régime foncier coutumier. Si gouvernement et entreprises ne sont pas tenus au respect de ce processus, les garanties liées aux expropriations de terres et à la réinstallation involontaire devraient refléter celles contenues dans le droit relatif aux droits de l’homme.
- Veiller à ce que les individus qui dépendent d’un régime de droit foncier coutumier et les occupants de terres ayant planté des cultures ou construit des infrastructures sur des terrains soient correctement indemnisés lorsque ces terres sont acquises, et s’assurer que l’impact sur le niveau de vie de ces personnes n’est pas négatif.
- Aborder la question du rôle qu’une réhabilitation rapide des terres peut jouer dans la restitution de terres. Quand les terres sont restituées, trouver les moyens de sécuriser les droits fonciers des communautés ou foyers.
- S’il est impossible trouver des terres de remplacement, obliger les entreprises à indemniser financièrement pour la valeur des terres et des biens et à fournir une aide financière à la restauration ou l’amélioration du niveau de vie des communautés locales.
- Assurer que les femmes puissent participer aux processus d’indemnisation, être indemnisées de manière équitable et recevoir des terres de remplacement et/ou une aide financière.
- Exiger des entreprises qu’elles fassent un suivi et rendent compte publiquement des effets des acquisitions de terres sur le niveau de vie des populations, en intégrant notamment des données spécifiques sur les femmes.
- Surveiller et protéger l’accès à l’eau potable : surveiller l’efficacité des mesures prises par les entreprises pour protéger l’accès à l’eau, notamment par un suivi des niveaux et de la qualité de l’eau en rendant publiques les données de suivi et en expliquant les risques pour la santé.
- Approuver uniquement les EIES et les plans de gestion environnementale et sociale (PGES) qui contiennent de vraies mesures pour protéger des ressources d’eau naturelle et/ou fournir aux communautés des sources d’eau alternatives.
- Exiger des entreprises qu’elles effectuent un suivi des niveaux et de la qualité de l’eau répondant aux meilleures pratiques du secteur et qu’elles publient les données qu’elles collectent.
- Lorsque le suivi du gouvernement ou de l’entreprise indique que l’exploitation minière a un impact sur l’accès à l’eau potable, s’assurer que les entreprises prennent des mesures immédiates pour remédier aux causes. Si nécessaire pour la santé publique ou pour protéger l’accès à l’eau, suspendre les activités minières jusqu’à ce que le problème ait été résolu.
- Surveiller et protéger la qualité de l’air : surveiller la qualité de l’air dans les zones résidentielles affectées par l’exploitation minière, publier les résultats de ce suivi et expliquer publiquement les risques de santé publique.
- Collaborer avec des experts internationaux en santé publique pour améliorer la capacité du BGEEE à effectuer un suivi de la qualité de l’air, notamment en améliorant l’équipement utilisé pour ce suivi et en augmentant de manière significative la fréquence des contrôles.
- Ne pas approuver les EIES qui ne proposent pas des estimations quantitatives de l’impact des opérations minières, notamment du transport de la bauxite, sur la qualité de l’air.
- Exiger des entreprises qu’elles effectuent un suivi de la qualité de l’air qui réponde aux meilleures pratiques du secteur et publient des données sur la qualité de l’air.
- Lorsque le suivi effectué par le gouvernement ou l’entreprise montre que les niveaux de particules fines ou d’autres émissions dépassent les niveaux recommandés par l’Organisation mondiale de la santé, s’assurer que les entreprises prennent des mesures immédiates pour remédier à la source des émissions. Si nécessaire pour la santé publique, suspendre les activités minières jusqu’à ce que la source de ces émissions ait été identifiée.
- En coordination avec le ministère de la santé, évaluer si des services de santé adaptés ont été mis en place pour faire face aux effets sur la santé d’une dégradation de la qualité de l’air, en particulier pour les enfants et les personnes âgées.
- Adopter les Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l’homme : Adopter et appliquer l’intégralité des normes figurant dans les Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l’homme, une initiative multipartite des gouvernements, des grandes multinationales extractives et des ONG qui traite des risques de violation des droits humains résultant des mesures de sécurité mises en place dans les industries pétrolière, gazière et minière.
Aux compagnies minières
- Rectifier les faiblesses révélées par les précédentes EIES : Refaire les études d’impact qui ne prévoyaient pas de consultation effective des communautés locales ou n’ayant pas correctement évalué ou proposé des mesures d’atténuation des conséquences environnementales et sociales de l’exploitation minière. S’assurer que le processus de consultation prend en compte les femmes et les autres membres marginalisés de la communauté.
- Améliorer le suivi interne des impacts sociaux et environnementaux : Veiller à ce que les équipes chargées des relations communautaires et le personnel de santé, sécurité et environnement soient dotés du personnel, des ressources et de la formation nécessaires pour faire un suivi efficace des impacts environnementaux, sociaux et en matière de droits humains de l’exploitation minière.
- Effectuer des suivis indépendants : Engager des contrôleurs indépendants, payés par l’entreprise mais fonctionnant comme une entité distincte, pour évaluer périodiquement (tous les six mois) l’impact environnemental, social et en matière de droits de l’homme des opérations minières, et publier les rapports périodiques de ces contrôleurs.
- Améliorer la transparence : publier des études d’impact environnemental et social, des plans de gestion environnementale et sociale et des rapports périodiques de suivi de l’environnement. Les résumés et rapports complets devraient être traduits en langues locales, disponibles en ligne et affichés dans les bâtiments publics, notamment dans les préfectures et sous-préfectures dont dépendent les communautés directement concernées.
- Respecter les droits fonciers en milieu rural : Veiller à ce que, lorsque des terres sont acquises pour l’exploitation minière, les individus et communautés détenteurs de droits fonciers coutumiers soient indemnisés de manière équitable, et s’assurer que les acquisitions foncières n’affectent pas les moyens de subsistance des communautés locales.
- Envisager les alternatives aux paiements d’indemnisations financières forfaitaires, afin de privilégier l’autosuffisance économique à long terme.
- Combiner indemnités financières avec l’offre de terrains de remplacement ou d’une aide à la restauration des moyens de subsistance.
- Accorder une attention particulière aux impacts des acquisitions de terres sur les femmes et veiller à ce qu’elles soient indemnisées de manière appropriée pour les pertes occasionnées.
- Faire un suivi de l’impact des acquisitions de terres sur les moyens de subsistance et sur le niveau de vie des communautés et fournir une aide supplémentaire si, au fil du temps, ce suivi montre que l’impact sur les communautés s’est révélé négatif.
- Avant toute expropriation de terres, prévoir un accord de restitution des terres aux individus ou aux communautés auprès desquels elles ont été acquises, qui détaille notamment l’état dans lequel les terres doivent être restituées. S’assurer que les terres sont réhabilitées de manière à pouvoir être cultivées et utilisées par les communautés locales.
- Développer une approche pour traiter le problème des acquisitions foncières passées qui n’ont pas été faites dans le respect de la loi guinéenne ou du droit international des droits de l’homme, en adoptant notamment des programmes de réhabilitation des terres et d’autres formes d’indemnisation.
- Surveiller et protéger l’accès à l’eau potable : suivre les meilleures pratiques internationales pour prévenir ou atténuer l’impact de l’exploitation minière sur l’accès à l’eau et suivre l’impact de l’exploitation minière sur les niveaux et la qualité de l’eau. Mettre immédiatement fin aux activités qui empêchent les communautés d’accéder à une eau adaptée à leurs besoins, et ce jusqu’à ce que l’accès à l’eau soit assuré. Toutes les EIES et tous les PGES doivent prévoir :
- Un suivi des données de base sur les niveaux et la qualité de l’eau avant le début d’activités minières, y compris en cartographiant les sources d’eau de surface et souterraines existantes, et un plan de suivi complet une fois que l’exploitation minière commence ;
- Un bilan hydrique des opérations minières, décrivant comment l’exploitation minière aura lieu sans altérer localement les niveaux et la qualité de l’eau ;
- Un plan de franchissement des cours d’eau qui décrit comment l’impact sur les niveaux d’eau et la qualité sera minimisé quand les infrastructures minières traversent des cours d’eau ;
- Un plan d’approvisionnement en eau comme l’exige le code minier, détaillant des mesures que prendra la compagnie pour maintenir et améliorer l’approvisionnement en eau des communautés locales ;
- Des mesures adaptées pour empêcher le ruissellement des sédiments miniers et des routes minières.
- Surveiller et protéger la qualité de l’air : faire un suivi de la qualité de l’air dans les zones résidentielles touchées par l’exploitation minière, publier les résultats de ce suivi et expliquer publiquement les risques pour la santé publique.
- Lorsque les émissions de particules fines ou autres émissions dépassent les niveaux recommandés par l’Organisation mondiale de la santé, prendre des mesures immédiates pour remédier à la source de ces émissions.
- Si nécessaire pour la santé publique, suspendre les activités minières jusqu’à ce que la source des émissions ait été traitée. Parmi les mesures d’atténuation qui devraient être immédiatement mises en œuvre figure le revêtement des routes qui passent à proximité des villes, villages et autres zones d’habitation.
- En coordination avec le ministère guinéen de la santé, évaluer si des services de santé adaptés ont été mis en place pour faire face aux effets sur la santé d’une baisse de la qualité de l’air, notamment pour les enfants et les personnes âgées.
- En partenariat avec le gouvernement guinéen, développer une politique de santé publique qui réponde de manière proportionnée aux impacts des opérations minières sur la qualité de l’air.
- Développer des procédures de règlement des griefs : Mettre en place des mécanismes efficaces de règlement des griefs pour que les personnes touchées par les projets miniers puissent porter plainte directement auprès des entreprises et pas seulement auprès du gouvernement.
- S’assurer que les obstacles socio-économiques, notamment l’analphabétisme, n’empêchent pas les populations à risque, notamment les femmes, de déposer plainte.
- Publier régulièrement des données relatives aux plaintes déposées, notamment des données ventilées par sexe et par type de plainte et le nombre de cas ayant été résolus.
- S’assurer qu’aucune mesure de représailles, quelle qu’en soit la forme, n’est prise contre les membres des communautés ou les employés de la compagnie qui portent plainte.
- Adopter les Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l’homme : Adopter et appliquer dans leur intégralité les normes qui figurent dans les Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l’homme, une initiative multipartite des gouvernements, des grandes multinationales extractives et des ONG qui traite des risques de violation des droits humains résultant des mesures de sécurité mises en place dans les industries pétrolière, gazière et minière.
Aux entreprises qui s’approvisionnent en bauxite de Guinée
- Mettre en place un processus complet de diligence raisonnable, y compris un suivi régulier, pour garantir que les exportateurs respectent les droits des communautés qui vivent là où les activités minières ont cours. En cas de violations des droits humains, les entreprises devraient enquêter avec précision sur ces informations. Le processus de diligence raisonnable devrait également prévoir des procédures pour remédier aux impacts négatifs des activités sur les droits humains.
A l’Assemblée Nationale de Guinée
- Lorsque les conventions minières sont soumises à ratification devant l’Assemblée nationale, n’approuver les projets de l’industrie extractive proposés qu’après avoir dûment évalué les risques en matière de droits humains, sociaux et environnementaux.
- Faire des visites régulières des sites dans les communautés touchées par l’exploitation minière et veiller à ce que les rapports qui en résultent soient rendus publics et soient débattus lors de sessions plénières de l’Assemblée nationale.
- Lancer une commission d’enquête parlementaire sur l’impact environnemental, social et en matière de droits humains de l’extraction de la bauxite dans la région de Boké.
Aux institutions financières internationales, notamment la SFI et l’OPIC
- Faire un suivi régulier des normes de performance des entreprises clientes et travailler avec ces dernières pour qu’elles les respectent et, le cas échéant, se mettent en conformité avec ces normes.
- Lorsque des terres sont acquises en vue de l’exploitation minière, collaborer avec les clients pour s’assurer que des indemnisations justes et équitables sont versées aux propriétaires de droits légaux ou coutumiers, eu égard notamment à la valeur de ces terres. Veiller à ce que les clients fournissent des terres de remplacement ou une aide à la restauration des moyens de subsistance aux propriétaires ou occupants qui perdent des terres à exploiter du fait des activités minières.
- Travailler avec les entreprises clientes pour s’assurer qu’elles réexaminent les acquisitions de terrains auquel il a été procédé par le passé, après l’implication de la SFI, et qui ne respectaient pas les normes en vigueur au sein de la SFI, notamment en interrogeant les ménages dans les villages concernés pour déterminer si leur niveau de vie a changé depuis l’acquisition de terres. Veiller à ce que les entreprises prennent des mesures pour améliorer les droits sociaux et économiques des ménages jusqu’à ce que ces droits dépassent leurs niveaux pré-miniers.
Aux partenaires internationaux du gouvernement de Guinée
- Fournir une assistance financière et technique pour s’assurer que le suivi rigoureux des droits environnementaux, sociaux et humains dans les industries extractives est renforcé.
- Renforcer le soutien aux organisations de la société civile qui proposent des services juridiques ou de conseil aux communautés touchées par l’exploitation minière, notamment en conduisant des EIES et des rapports de suivi parallèles au sein de la communauté ou de la société civile ; appuyant les demandes des communautés et des individus qui déposent plainte dans le cadre des mécanismes de règlement des griefs des entreprises, des tribunaux au niveau national ou régional, ou des mécanismes de responsabilisation des institutions financières internationales ; et soutenant des tests de qualité de l’air et de l’eau à l’initiative de la communauté.
Méthodologie
Le présent rapport montre comment les pratiques des sociétés minières, lorsqu’elles ne sont pas suffisamment contrôlées par l’État, bouleversent la vie et les modes de subsistance des communautés rurales. Il s’appuie sur des travaux de recherche réalisés entre mars 2017 et avril 2018, notamment sur des visites de terrain dans le pays, en mars, avril et juillet 2017, et en janvier et avril 2018, ainsi que sur des rencontres de plaidoyer organisées en octobre 2017 et en juillet 2018. Nos travaux se sont concentrés sur les activités minières des deux principaux exportateurs de bauxite en Guinée en 2017, la Société Minière de Boké (SMB) et la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG).
Les recherches ont été menées dans la région de Boké, la capitale de la ceinture de bauxite guinéenne, constituée de cinq préfectures. Human Rights Watch a principalement conduit ses recherches dans la préfecture de Boké, composée de la ville de Boké et de neuf autres sous-préfectures.
Le gouvernement local en Guinée Boké fait partie des huit régions administratives guinéennes qui sont divisées en 33 préfectures. Parmi les représentants locaux du gouvernement figurent les fonctionnaires directement nommés par le pouvoir exécutif et dont le rôle est de représenter le gouvernement central à l’échelon régional (les gouverneurs), dans les préfectures (les préfets) et dans les sous-préfectures (les sous-préfets). Néanmoins, grâce aux efforts mis en œuvre par la Guinée pour décentraliser le gouvernement, il existe également des représentants élus à la tête de collectivités locales. Ces représentants élus, placés soit sous l’autorité hiérarchique d’un maire dans les communes urbaines soit sous celle d’un président dans les communes rurales de développement, sont chargés de gérer le budget et le programme de développement local. La Guinée comprend 38 communes urbaines (dont cinq à Conakry) et 303 communes rurales de développement, soit environ une commune rurale de développement par sous-préfecture. |
Human Rights Watch a mené des entretiens dans plus de 30 villages de la région de Boké et dans la ville de Boké. Dans les zones d’activité du consortium de la SMB, nous avons effectué nos recherches au sein des communautés situées aux alentours des ports du consortium, à Dapilon et à Katougouma ; aux environs de ses mines à Kaboe et à Malapouya, et le long des routes minières reliant le port de Katougouma aux mines de Kaboe et de Dabis ainsi que le port de Dapilon aux mines de Malapouya. Au total, nous avons rencontré 17 communautés résidant à Dapilon, Diakhabia, Djoumayah, Kaboe, Kakissa, Kakoumba, Kandouga, Kanfarandé, Kakoui, Katougouma, Lansanayah, Mamaya, Noumouya, Soleya, Songuebouyni, Tintima et Toukerem. Nous avons également entrepris des recherches à Kolaboui, une ville située sur la route minière qui communique entre le port de Dapilon et Malapouya.
Human Rights Watch a rencontré 12 communautés établies aux environs des mines de la CBG de Sangaredi, y compris dans plusieurs villages proches de la voie ferrée utilisée par la CBG. Par ailleurs, nous avons mené des recherches à Kamsar, où se trouve le port de la CBG. Au total, nous nous sommes rendus dans 12 villages : Boundou Waadé, Danta Fonyé, Fassaly Foutabé, Hafia, Hamdallaye, Kalinkolé, Kankalaré I, Kankalaré II, Kogon Lengue, M’Bororé, N’Koussi et Parawol.
Les visites de Human Rights Watch aux communautés, y compris les visites répétées, débutaient généralement par un entretien collectif avec des leaders communautaires, puis se poursuivaient par des entretiens individuels avec des membres de la communauté, parmi lesquels des femmes, qui subissaient les effets de l’exploitation minière. Les entretiens collectifs ont duré entre une et trois heures et les entretiens individuels entre 30 minutes et deux heures. Les personnes interrogées n’ont perçu aucune rémunération. La plupart des entretiens entre Human Rights Watch et les membres de la communauté ont été conduits dans les langues locales et traduits en français. Les entretiens collectifs ont été réalisés dans les lieux de réunion du village, souvent en plein air, et les entretiens individuels dans différents lieux, tels qu’au domicile des personnes ou en plein air, dans des endroits isolés.
Human Rights Watch a également rencontré des représentants des autorités locales et des responsables locales des secteurs minier, environnemental et agricole, à Boké et à Sangaredi. À Conakry, nous nous sommes réunis avec des représentants du ministère des Mines et de la Géologie, du ministère de l’Environnement, des Eaux et Forêts, du Bureau Guinéen d’Études et d’Évaluation Environnementale, ainsi qu’avec des membres de la commission parlementaire des Ressources Naturelles, de l’Environnement et du Développement Rural. Nous nous sommes aussi entretenus avec des spécialistes indépendants des droits humains, des chercheurs, des scientifiques spécialistes de l’environnement, du personnel médical, des experts en santé publique, des organisations de la société civile, des militants et des juristes qui travaillent sur les questions liées à l’exploitation minière en Guinée. En avril 2018, nous avons également fait parvenir au gouvernement guinéen une série de questions. Ses réponses sont jointes en annexe au présent rapport.
Les personnes interrogées ont consenti, de manière orale, à répondre à nos questions. Elles ont été informées de l’objectif de l’entretien, de son caractère volontaire et de la manière dont les données seraient utilisées. Human Rights Watch leur a indiqué qu’elles pouvaient refuser de répondre à des questions ou mettre fin à l’entrevue à tout moment.
De manière générale, les membres de la communauté interrogés ont tenu à garder l’anonymat, par crainte des représailles de la part du gouvernement ou des sociétés minières. En revanche, ils ont accepté que le nom de leur village soit mentionné, ce que nous avons fait dans le rapport. Certains représentants du gouvernement ont approuvé que leur identité soit dévoilée ; d’autres, en particulier ceux qui ont discuté d’informations sensibles, n’ont pas été nommés afin d’éviter tout acte de représailles.
À plusieurs reprises, nous avons rencontré la direction du consortium SMB, principalement son directeur-général, Fréderic Bouzigues, pour l’entretenir sur des constatations que nous avions effectuées. En octobre 2017, avril 2018 et juillet 2018, nous avons été reçus par le directeur général de la CBG, Souleymane Traoré, ainsi que par les équipes chargées des relations avec les communautés, de la santé, de la sécurité et de l’environnement. Nous avons envoyé une liste de questions à la CBG et à la SMB en mai 2018. Leurs réponses ont été intégrées au sein de ce rapport, et leurs lettres de réponses sont disponibles sur notre site web. Nous avons aussi rencontré la direction de plusieurs autres sociétés minières et des représentants de la Société financière internationale en Guinée et à Washington, D.C. aux États-Unis.
Nous avons veillé à ce que nos recherches reflètent précisément différentes expériences vécues par les femmes relativement aux activités minières. Pour ce faire, nous avons, par exemple, coopéré avec des chercheuses et des interprètes guinéennes, rencontré des femmes de manière individuelle et collective pour leur exposer les objectifs de nos recherches et consulté des experts sur la question du genre et le secteur minier.
Human Rights Watch a également examiné des sources de données secondaires, notamment des lois, des documents officiels, des rapports émis par des organisations non gouvernementales (ONG) ou des instituts de recherche ainsi que des cartes. Nous avons employé des images satellite pour évaluer les incidences de l’exploitation minière sur l’utilisation des terres et pour comprendre à quel moment les phases de construction et d’exploitation des projets miniers ont débuté.
Comme évoqué précédemment, le présent rapport s’intéresse aux pratiques de deux projets miniers, la CBG et la SMB, et à leur contrôle par l’État. Nous nous sommes efforcés de mettre en relief les différences de pratiques existantes entre les deux projets. Bien que parfois, Human Rights Watch se soit appuyé sur des travaux de recherche en lien avec le secteur de la bauxite dans son ensemble, le rapport n’a pas pour objet de tirer des conclusions spécifiques sur d’autres sociétés minières ou projets en activité en Guinée.
Contexte
L’industrie minière en Guinée
La Guinée, située en Afrique de l’Ouest, est un petit pays riche en ressources qui compte environ 12,5 millions d’habitants.[1] Après avoir obtenu son indépendance vis-à-vis de la France en 1958, la Guinée a été dirigée par un pouvoir autoritaire pendant plus de 50 ans. En 2010, elle a organisé ses premières élections démocratiques, à l’issue desquelles Alpha Condé a été élu président.[2] Il a été réélu en 2015.[3]
La Guinée possède les plus grandes réserves mondiales de bauxite, avec plus d’un tiers des gisements connus de cette roche, ainsi que de vastes quantités de minerai de fer, d’or et de diamants.[4] La plupart des grands gisements bauxitiques se situent à proximité de la surface, ce qui en facilite l’extraction. Les sociétés minières retirent la terre recouvrant la bauxite au moyen d’une machinerie lourde, puis elles dynamitent le minerai pour le décomposer en fragments.La bauxite est ensuite chargée sur des camions par des excavatrices, puis entreposée dans un lieu de stockage, après quoi elle est transportée vers les ports via les voies ferrées spécialement construites à cet effet ou les routes minières.La bauxite guinéenne est exportée vers des raffineries à travers le monde, notamment en Chine, en Amérique du Nord et en Europe, où elle est transformée en aluminium, un métal qui sert à la fabrication de pièces détachées d’automobiles et d’avions, ou de biens de consommation, tels que les canettes ou le papier d’aluminium.[5]
Le secteur minier a été un contributeur important à l’économie guinéenne depuis longtemps. En 2014, les recettes minières ont représenté presque 20 % du produit intérieur brut du pays et presque 90 % des exportations nationales.[6] Néanmoins, malgré ses richesses minérales abondantes, la Guinée demeure l’un des pays les plus pauvres du monde, se classant au rang de 183e pays sur 188 selon l’indice de développement humain établi en 2015.[7]
Après sa première victoire aux élections en 2010, Alpha Condé a reconnu la richesse des ressources minérales guinéennes et a entamé un programme de réforme ambitieux dans le secteur minier.[8] En 2011, son gouvernement a adopté un nouveau code minier, qui était déjà en cours d’élaboration lors de son accession à la fonction de président. Celui-ci prévoit le versement d’une plus grande part des recettes minières à l’État guinéen et l’amélioration de la gouvernance du secteur minier, notamment en favorisant la transparence du processus relatif à l’octroi des titres miniers.[9] Le nouveau code introduit aussi de nouvelles exigences visant à rendre les projets miniers plus équitables et plus respectueux des normes sociales et environnementales, entre autres, en énonçant plus clairement l’obligation qui incombe aux sociétés d’effectuer des études détaillées de l’impact environnemental et social de leur activité.[10]
Mais les efforts du gouvernement déployés lors du premier mandat d’Alpha Condé pour développer le secteur minier se sont heurtés à des obstacles. En 2013, le Code minier a été amendé sous l’impulsion des sociétés minières qui étaient opposées au niveau des taxes qui leur était imposé.[11] Les allégations de corruption et les coûts énormes d’exportation du minerai depuis une zone située à plus de 700 kilomètres de la côte guinéenne nuisaient depuis longtemps au développement de vastes gisements de minerai de fer dans le sud-est de la Guinée.[12] En outre, l’épidémie dévastatrice d’Ebola qui a sévi entre 2014 et 2016 et coûté la vie à plus de 2 500 Guinéens a conduit nombre d’investisseurs à geler les projets prévus.[13] Sous le premier mandat d’Alpha Condé, le secteur guinéen de la bauxite n’a affiché qu’une très faible croissance, une situation aussi attribuable à la chute du prix à l’exportation du minerai. Sa production a en effet peu progressé, passant de 17,6 millions de tonnes en 2011 à 18 millions en 2015.[14]
Le boom de la bauxite
Depuis 2015, le secteur de la bauxite en Guinée connaît un essor rapide. Ces dernières années, la demande de bauxite guinéenne s’est accrue sur les marchés mondiaux en raison de l’embargo décrété par d’autres pays sur les exportations du minerai, notamment par l’Indonésie en 2014 et par la Malaisie en 2016.[15] La Guinée faisait en 2017 déjà partie des trois plus grands exportateurs mondiaux de bauxite.[16] Le boom de la bauxite ne montre aucun signe de ralentissement. Au moment de la rédaction du présent rapport, des sociétés australiennes, britanniques, émiraties, russes et chinoises sont sur le point de lancer au moins 10 projets supplémentaires visant l’exportation du minerai à diverses échéances.[17] D’après le ministère guinéen des Mines et de la Géologie, le pays entend éventuellement exporter 100 millions de tonnes de bauxite par an.[18]
La demande chinoise est un facteur clé de cette nouvelle croissance dans le secteur de la bauxite. La Chine, premier producteur mondial d’aluminium, assure plus de 50 % de l’offre à l’échelle internationale et, début 2018, son principal fournisseur de bauxite était la Guinée.[19] Cette récente augmentation des exportations vers la Chine est largement le fait d’un seul projet minier, celui de la Société Minière de Boké (SMB), un consortium rassemblant une société liée au premier producteur mondial d’aluminium, China Hongqiao Group, ainsi que Winning International Group, une compagnie maritime singapourienne, et United Mining Services International, une entreprise de logistique guinéenne.[20] L’implication de la Chine dans le secteur de la bauxite devrait continuer de s’accroître. En septembre 2017, la Guinée et la Chine ont signé un partenariat d’une valeur de 20 milliards USD, lequel permet à la Guinée de recevoir de la part de la Chine des prêts utilisés pour la réalisation d’importants travaux d’infrastructures, et garantis par la future exploitation de la bauxite par des sociétés chinoises.[21]
À plusieurs égards, le consortium SMB est le projet emblématique de l’essor de la bauxite en Guinée. Il ne lui aura fallu que six mois pour commencer ses activités d’exportation, alors qu’un nouvel exploitant met généralement plusieurs années pour y parvenir. Le 9 janvier 2015, le consortium a obtenu un permis de recherche ; le 7 juillet 2015, un permis d’exploitation lui a été délivré, et le 20 juillet 2015 elle a expédié pour la première fois ses exportations.[22] Comme évoqué plus loin dans le présent rapport, l’État a autorisé le consortium SMB à commencer la construction d’importantes infrastructures plusieurs mois avant qu’il ait obtenu les permis d’exploitation – et avant que le ministère de l’Environnement n’ait examiné et approuvé les études d’impact social et environnemental – un élément qui a joué un rôle clé dans sa croissance rapide. Depuis, la SMB a poursuivi son expansion grâce à l’acquisition des droits sur les nouveaux territoires miniers, faisant main basse sur les permis d’autres sociétés et concluant des marchés avec ses concurrents.[23] La SMB déclare avoir exporté 31 millions de tonnes de bauxite en 2017, soit environ le double de sa production de 2016 ; de sorte qu’en seulement trois ans, elle est devenue le plus grand exportateur de bauxite guinéen et l’un des principaux exportateurs mondiaux de ce minerai.[24] « Nous avons montré qu’il était possible d’exploiter de manière rapide et rentable la bauxite en Guinée », a déclaré Fréderic Bouzigues, le directeur général de la SMB à Human Rights Watch.[25] L’ensemble de la bauxite produite par la SMB est exporté vers la Chine, où elle est achetée par China Hongqiao Group, un des membres du consortium SMB.
Le consortium SMB exploite plusieurs mines à ciel ouvert dans la région de Boké. Une fois excavée, la bauxite est acheminée chaque jour par les centaines de camions qui empruntent des routes minières, pour la plupart non bitumées et spécialement construites à cet effet.[26] Le consortium SMB exploite les ports de Katougouma et de Dapilon. Le premier dessert les mines situées aux alentours de Dabis, à environ 35 kilomètres au nord-ouest de Boké, et le second les mines aux environs de Malapouya, à 20 kilomètres au nord-est de Boké.[27] Les deux ports, aménagés sur le fleuve Rio Nunez, ne peuvent pas accueillir les navires de haute mer. Sur le lieu de stockage, le minerai est donc chargé sur des barges d’une capacité d’environ 8 000 tonnes chacune, puis transbordé sur des navires de transport amarrés dans des ports en eau profonde, au large de la côte guinéenne.[28] Les ports du consortium de la SMB sont principalement gérés par un membre du consortium, une compagnie maritime, la Winning International Group, tandis que le transport routier est dirigé par un autre membre du consortium, la United Mining Services International.
La CBG, l’autre projet qui fait l’objet d’une analyse dans le présent rapport, a été fondée en 1963 et a commencé à exporter de la bauxite en 1973. Bien qu’elle CBG opère comme une société indépendante, elle est codétenue par l’État guinéen, Alcoa (dont le siège social est aux États-Unis), Rio Tinto (Royaume-Uni) et Dadco (îles Anglo-Normandes).[29] La CBG exploite également plusieurs mines à ciel ouvert autour de la ville de Sangaredi, à environ 70 kilomètres de Boké. Elle transporte la bauxite sur une voie ferrée de 125 kilomètres qui relie les mines avoisinant Sangaredi et un port en eau profonde, situé à Kamsar, à l’embouchure du fleuve Rio Nunez.[30]
La CBG a exporté 14,4 millions de tonnes en 2017 et prévoit d’en exporter autant en 2018.[31] CBG concrétise actuellement son projet d’expansion d’un milliard USD, qui lui permettra de porter sa capacité de production à 18,5 millions de tonnes par an puis, à terme, à 27,5 millions de tonnes.[32] Cette expansion est financée grâce à un prêt de 200 millions USD accordé par la Société financière internationale (ci-après dénommée « SFI »), un organisme affilié à la Banque mondiale, ce qui a permis à la CBG de bénéficier de prêts et de garanties de la part d’Overseas Private Investment Corporation (OPIC), une agence du gouvernement américain, de United Loan Guarantees of Germany (UFK), une agence du gouvernement allemand, ainsi que de banques et d’investisseurs étrangers.[33]
Boké : le centre du boom de la bauxite en Guinée
Grâce à l’exploitation minière de la bauxite, la région de Boké, située en Basse-Guinée, le long de la côte ouest du pays, en bordure de la Guinée Bissau, est devenue le pôle de la croissance économique nationale basée sur l’activité extractive. Si, aujourd’hui, seulement un producteur de bauxite transforme la matière première dans le pays, l’industrie reste une manne fiscale pour le gouvernement guinéen.[34] La SMB estime ainsi sa contribution à l’économie guinéenne en 2017 à 400 millions de dollars.[35] La CBG a déclaré avoir payé 90 millions de dollars d’impôts au gouvernement guinéen en 2017 et estime qu’elle contribue à son budget de fonctionnement à hauteur de 10%, impôts et dividendes compris.[36]
Le boom de la bauxite en Guinée a aussi généré la création de milliers d’emplois dans la région de Boké. La SMB a déclaré à Human Rights Watch que le consortium employait 7 663 personnes directement et 10 000 personnes indirectement.[37] En mai 2018, CBG employait 2 284 personnes directement et 2 254 par ses sous-traitants.[38]
Malgré la création d’emplois, l’afflux des sociétés minières dans la région de Boké a provoqué le ressentiment de la population locale. En avril et en septembre 2017, des émeutes ont paralysé la ville de Boké. Des milliers de jeunes gens ont saccagé les bâtiments publics et empêché les sociétés minières de continuer leur activité. Les forces de sécurité se sont heurtées aux manifestants, utilisant parfois des balles réelles et causant la mort d’au moins une personne en avril 2017 et de deux personnes en septembre 2017.[39] « Lorsque les frustrations s’accumulent, il suffit d’un rien pour que cela explose », a confié un haut fonctionnaire du ministère des Mines et de la Géologie à Human Rights Watch.[40] « La population voit les investissements financiers réalisés par une société, les taxes et les impôts perçus, les camions transportant la bauxite de leurs terres agricoles vers les pays étrangers, ils respirent la poussière et s’interrogent “Mais nous, les populations, quels bénéfices en tirons-nous ? ” ».
Par ces manifestations, les habitants de Boké ont exprimé une colère profondément enracinée suscitée par le sentiment que l’exploitation minière ne leur apporte pas assez de bénéfices et qu’en outre, ils subissent des répercussions négatives sur leurs moyens de subsistance, leur santé et leur environnement. Dans un mémorandum adressé au gouvernement guinéen en avril 2017, les représentants locaux, les chefs religieux, les militants de la société civile et les leaders de jeunes de Boké ont énoncé les facteurs à l’origine du mécontentement de la population envers le gouvernement et les sociétés minières. Ce mémorandum évoquait le manque d’eau potable et d’électricité à Boké et faisait état des conséquences de l’exploitation minière sur la santé, les moyens de subsistance et l’environnement, dénonçant « la destruction des forêts, de la biodiversité, des pâturages et des domaines agricoles par décapage et l’exploitation minière [...] ; la pollution de l’environnement qui affecte la santé de la population [...] ; l’insuffisance des infrastructures sociales en rapport avec l’accroissement de la population » et « la mise à l’écart systématique des populations impactées par rapport aux retombées financières de l’exploitation minière ».[41]
Cadre réglementaire
Droit national
Bien que ni le Code minier, datant de 2011, ni le Code sur l’environnement, datant de 1989, ne se réfèrent explicitement aux droits humains, ils imposent des obligations aux sociétés permettant d’éviter ou d’atténuer les impacts sociaux et environnementaux négatifs.[42] Le Code minier exige des sociétés qu’elles « assur[ent] une exploitation rationnelle des ressources minières en harmonie avec la protection de l’environnement et la préservation de la santé » et qu’elles œuvrent pour « la promotion ou [le] maintien du cadre de vie et de la bonne santé générale des populations ».[43] Selon le Code de l’Environnement guinéen, les sociétés sont tenues de « prendre toutes les mesures nécessaires pour parvenir et lutter contre la pollution de l’environnement ».[44]
Avant de recevoir l’autorisation du gouvernement pour un projet minier,[45] les sociétés minières doivent, en vertu du Code minier, soumettre une étude d’impact environnemental et social (EIES) qui examine les possibles répercussions de l’exploitation minière sur les communautés locales.[46] Elles doivent également établir une stratégie, sous la forme d’un plan de gestion environnementale et sociale (PGES), pour empêcher et atténuer l’impact négatif.[47] Une fois l’EIES soumise au gouvernement guinéen, celle-ci est évaluée par un comité interministériel de 23 membres, parmi lesquels se trouvent des représentants d’organisations de la société civile.[48] Seule l’approbation de ce comité peut permettre à la société d’obtenir un certificat délivré par le ministère de l’Environnement (« certificat de conformité environnementale ») qui est requis pour le démarrage du projet.Les sociétés minières doivent demander le renouvellement de ce certificat chaque année auprès du ministère de l’Environnement. Ce renouvellement est subordonné au respect du PGES par la société qui le sollicite.[49]
En vertu du Code minier, lorsque les sociétés minières évaluent les répercussions et préparent des plans de gestion social et environnemental, elles ont pour obligation d’intégrer des normes internationales du secteur de l’exploitation minière. Le Code minier exige ainsi que soit réalisée une EIES « conformément au Code de l’Environnement et ses textes d’application ainsi qu’aux standards internationaux admis en la matière », et que « des techniques et méthodes adaptées doivent être utilisées pour protéger l’environnement, la sécurité des travailleurs et de la Communauté locale conformément au Code de l’Environnement ou aux meilleures pratiques internationales en la matière ».[50] Une directive de 2014 définissant la procédure à utiliser pour les études d’impact social et environnemental dans le secteur minier établit que les sociétés doivent apporter la preuve de leur respect des normes environnementales de leur pays ou, à défaut, des meilleures pratiques internationales.[51]
Lorsqu’elle mentionne les meilleures pratiques internationales, la réglementation guinéenne relative à l’EIES fait référence aux politiques et aux normes de performance établies par la Société Financière Internationale (SFI).[52] Ceci suggère que, même si les normes de la SFI ne sont pas obligatoires sous la loi guinéenne, elles peuvent être utiles dans l’énonciation des meilleures pratiques que les sociétés minières devraient respecter. Les entreprises qui acceptent les prêts de la SFI, comme la CBG, doivent plus clairement se conformer aux normes de performance de la SFI pour pouvoir souscrire à un emprunt auprès d’elle.[53] La Banque mondiale, dont fait partie la SFI, a également rédigé des directives relatives à l’environnement, la santé et la sécurité pour plusieurs secteurs industriels, ainsi que des lignes directrices spécifiques au secteur de l’exploitation minière.[54] Ces directives visent à servir de bonnes pratiques d’ordre général, et constituent des mesures « considérées comme réalisables dans les nouvelles installations à coût raisonnable au moyen de la technologie existante ».[55]
Le ministère de l’Environnement, des Eaux et des Forêts est le principal organe chargé de superviser la conformité des sociétés avec la législation environnementale de la Guinée. Une agence du ministère de l’Environnement, le Bureau Guinéen d’Études et d’Évaluation Environnementale ou BGEEE, est responsable de l’analyse de la qualité des EIES et de la coordination de leur examen pour approbation par le gouvernement.[56] À partir du moment où débute l’exploitation minière, le BGEEE réalise aussi des inspections annuelles des sociétés minières. Ces inspections aident le ministère de l’Environnement à décider du renouvellement, chaque année, du certificat de conformité environnementale de la société, qui est en théorie nécessaire à la poursuite de ses activités.[57] Depuis 2017, le ministère des Mines et de la Géologie joue un rôle actif dans l’audit des pratiques sociales et environnementales des sociétés, même s’il n’a aucune fonction officielle dans l’examen du respect par les sociétés de leurs obligations environnementales.[58]
Même si les activités de surveillance du ministère des Mines et du ministère de l’Environnement sont menées à bien par des fonctionnaires basés à Conakry, les deux ministères disposent également de représentants dans les préfectures, dans les bureaux administratifs de la ville de Boké, et dans certaines sous-préfectures, notamment à Sangaredi, où les mines de la CBG sont situées. Les représentants locaux des deux ministères sont censés superviser plus en détail les activités des sociétés et réaliser régulièrement des rapports qu’ils soumettent à leurs supérieurs basés à Conakry.
Normes internationales relatives aux droits humains
Afin de remplir ses obligations en matière de droits humains, le gouvernement guinéen doit protéger les droits des personnes contre toute violation commise par des entreprises, comme les sociétés minières, notamment en appliquant la législation exigeant des entreprises qu’elles respectent les droits humains.[59]
La Guinée a ratifié plusieurs traités africains et des Nations Unies relatifs aux droits humains qui protègent les droits applicables dans le cadre des questions évoquées dans le présent rapport. Par exemple, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ci-après le « Pacte ») protège le droit à un environnement naturel sain dans le cadre du droit à la santé.[60] Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (CESCR), un groupe d’experts qui contrôle la mise en œuvre du Pacte, a établi que celle-ci exigeait la prise de mesures de lutte contre la pollution causée par des tierces parties, notamment les sociétés minières.[61] En conséquence, pour un État, « le fait de ne pas adopter de lois ou de ne pas assurer l’application de lois destinées à empêcher la pollution de l’eau, de l’atmosphère et des sols par les industries extractives et manufacturières » peut constituer une violation.[62] La Charte africaine des droits humains et des peuples établit que « Tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement ».[63] La Commission Africaine des droits humains et des peuples a interprété cette disposition en exigeant que les États prennent « des mesures raisonnables et d’autres mesures pour prévenir la pollution et la dégradation écologique, favoriser la préservation de l’environnement et garantir un développement écologiquement durable et l’utilisation des ressources naturelles ».[64]
Les normes internationales relatives aux droits humains exigent que les corporations, dont celles du secteur minier, respectent les droits humains. Les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies établissent que « Les entreprises devraient respecter les droits de l’homme. Cela signifie qu’elles devraient éviter de porter atteinte aux droits de l’homme d’autrui et remédier aux incidences négatives sur les droits de l’homme dans lesquelles elles ont une part ».[65] Les Principes directeurs encouragent également les entreprises à s’assurer qu’elles s’acquittent de leurs responsabilités en matière de respect des droits humains à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement.[66]
La nécessité de faire preuve de diligence raisonnable envers les droits humains a également été intégrée dans les directives régionales et nationales. En 2009, dans le cadre de la directive visant à harmoniser les normes réglementaires de l’exploitation minière en Afrique de l’Ouest, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), un organe régional ouest-africain, a déclaré que les États et les sociétés minières ont l’« obligation de respecter et de promouvoir les droits humains reconnus, notamment des femmes, des enfants et des travailleurs, qui découlent de l’exploitation minière ».[67] La politique guinéenne de responsabilité sociétale des entreprises encourage les sociétés à « s’engage à respecter les droits humains individuels et collectifs dans le cadre de sa sphère d’influence ».[68]
Des organisations présentes dans les pays où des multinationales sont basées ont également élaboré des normes non contraignantes qui recommandent à ces entités, dont font partie les sociétés minières, de respecter les droits humains dans les pays où elles mènent leurs activités. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a par exemple défini des principes directeurs, à l’intention des multinationales, qui reflètent le contenu des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies.[69] Parmi les membres de l’OCDE figurent le Royaume-Uni et les États-Unis, où sont basées les sociétés copropriétaires de la CBG, Rio Tinto et Alcoa.[70] La Chambre de commerce chinoise des importateurs et exportateurs de métaux, de minéraux et de produits chimiques a publié des directives volontaires relatives à la responsabilité sociale en termes d’investissements étrangers dans l’exploitation minière, qui visent les projets miniers dans lesquels investissent les sociétés chinoises. Les directives volontaires établissent que les sociétés devraient « s’assurer que toutes les opérations soient conformes aux Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies pendant toute la durée du cycle de vie du projet minier ».[71]
Lorsqu’elles sont interrogées au sujet de l’impact social, environnemental, et sur les droits humains de leurs activités, le gouvernement de la Guinée et les sociétés minières mettent généralement en avant la création de milliers d’emplois dans la région de Boké et insistent sur le temps et l’argent investis dans les projets de développement des communautés, que ce soit pour construire ou rénover des écoles locales ou pour établir des partenariats avec des coopératives de femmes locales. Ces efforts, bien que louables, n’exemptent toutefois pas les sociétés minières des responsabilités qui leur incombent en matière de diligence raisonnable, pour veiller à ce que les opérations d’extraction minière, qui sont au cœur de leurs activités, ne violent pas les droits des communautés locales. Les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies établissent que « les entreprises peuvent contracter d’autres engagements ou entreprendre d’autres activités pour appuyer et promouvoir les droits de l’homme, qui peuvent favoriser l’exercice de ces droits. Mais cela ne les dispense en rien de respecter les droits de l’homme dans l’ensemble de leurs activités ».[72]
Perte des terres et des moyens de subsistance
Des dizaines d’agriculteurs originaires de 16 villages situés à proximité des sites d’extraction, des routes et des ports des sociétés minières ont décrit la façon dont ces dernières ont exproprié des terres agricoles ancestrales sans adresser l’impact sur la capacité des agriculteurs à subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Ces pratiques sont favorisées par la protection inadaptée qu’offre la loi guinéenne en matière de droits fonciers coutumiers, notamment dans les zones rurales où l’impact de l’exploitation minière est le plus important. Depuis l’adoption du Code minier de 2011, le gouvernement guinéen n’a adopté aucune réglementation qui établisse des normes d’indemnisation uniformes pour l’acquisition de terres dans le secteur minier, une occasion manquée de protéger plus explicitement les droits fonciers coutumiers d’agriculteurs et communautés ruraux.
Des leaders communautaires de plusieurs villages voisins de mines de bauxite ont fait visiter aux chercheurs de Human Rights Watch des sites où la terre rouge mise à nu indique que la société minière a retiré la couche arable et extrait le minerai situé au-dessous. « Ils exploitent maintenant la terre de nos champs, dont nous étions dépendants pour pouvoir manger. Aujourd’hui, une grande partie de nos terres fertiles nous a été prise » a déclaré un leader communautaire de Boundou Waadé, un village entouré par cinq sites miniers de la CBG.[73] « La société a détruit nos moyens de subsistance ».
Les mines de la SMB se sont élargies encore plus rapidement et, à plusieurs reprises, les chercheurs de Human Rights Watch qui se sont rendus dans des villages à quelques mois d’intervalle ont pu constater l’apparition de nouvelles mines de cette société à côté de celles existantes. Les communautés pas encore touchées par les activités minières craignent que leurs terres soient également en danger. « Nous ne connaissons pas les futures limites de la mine », a expliqué un agriculteur.[74] « La SMB fait des études partout, sans qu’on ne sache vraiment où ils vont lancer l’exploitation ».
Même si l’indemnisation versée par les sociétés minières (parfois à la communauté tout entière, parfois à un agriculteur ou famille uniquement) représente une manne sur le court terme, en l’absence de formation ou autre assistance il est difficile pour les agriculteurs de l’investir dans le développement de nouvelles sources durables de nourriture ou de revenus sur le plus long terme. « Ma priorité a toujours été de trouver de la nourriture pour ma famille », a déclaré un agriculteur de Dapilon.[75] « Vous pouvez utiliser l’indemnisation pour améliorer votre maison, mais, maintenant que vos terres agricoles ont disparu, vous devez encore trouver de quoi manger ».
Des représentants de communautés ont déclaré que l’impact de la perte de terres a été aggravé par l’impact des activités minières sur d’autres sources de revenus, comme la pêche, ainsi que par les répercussions de la poussière issue des activités de la SMB sur la rentabilité des parcelles restantes. « Au moins une centaine d’adultes du village exploitaient des terres ici », a expliqué un leader communautaire de Lansanayah, un village situé près de la mine de Malapouya, qui appartient à la SMB.[76] « Mais nous avons perdu nos terres au profit de la mine et l’année dernière nous ne pouvions pas vraiment exploiter ce qui nous reste, car la poussière rendait les arbres improductifs, et travailler ici est dangereux ». Le droit guinéen n’exige pas des sociétés qu’elles fournissent aux communautés une assistance relative à leurs moyens de subsistance, pour leur permettre de préserver ou d’améliorer leurs revenus et leur niveau de vie. Les droits des membres des communautés à l’alimentation et au développement, protégés par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, s’en trouvent menacés.[77]
Même si l’exploitation minière a créé des milliers d’emplois dans la région de Boké, les habitants de villages ruraux ont affirmé que ceux-ci ne compensent pas la nourriture et les revenus que les communautés tiraient de la terre. Des leaders communautaires ont déclaré que trop peu de villageois sont employés par les sociétés minières et que, dans tous les cas, le salaire individuel reçu par les employés ne compense pas les bénéfices que les ménages, les familles et les communautés auraient pu dégager de l’exploitation de la terre. « Avant, tous les habitants du village, jeunes ou âgés, pouvaient exploiter la terre et en tirer de la nourriture et des revenus », a expliqué un ancien du village de Dapilon, un port de la SMB.[78] « Les jeunes hommes employés par les sociétés minières se concentrent sur leurs propres besoins, ou sur ceux de leur femme ou de leurs enfants, c’est donc différent ». Des personnes qui travaillent actuellement où qui ont travaillé dans les mines ont également souligné que les habitants des villages ruraux manquent souvent de la formation nécessaire pour obtenir autre chose que des emplois non qualifiés (comme des postes de vigile ou d’ouvrier), souvent auprès de sous-traitants, et généralement sans sécurité de l’emploi.[79]
Bien que les femmes participent à l’agriculture, la plus grande part de l’indemnisation payée pour les parcelles qui appartiennent à une famille ou une communauté est versée aux hommes qui jouent un rôle dirigeant au sein de la famille ou de la communauté. Des terres que des hommes et des femmes exploitaient et dont ils étaient dépendants sont donc remplacées par une indemnisation financière distribuée uniquement à une poignée de leaders communautaires et de chefs de foyer, en grande majorité des hommes. Les hommes peuvent trouver du travail auprès de sociétés minières pour compenser leur perte de revenus. En revanche, les femmes n’ont que très rarement cette possibilité, même si elles sont souvent chargées de trouver des sources d’alimentation alternatives en cas de perte de terres au profit de l’exploitation minière.
Protection des droits humains dans le cadre des droits fonciers coutumiers
En Guinée, les terres rurales sont administrées conformément au droit coutumier (ou traditionnel).[80] Le droit coutumier guinéen, de manière générale, reconnaît la famille, le lignage ou la communauté fondatrice du village qui a exploité en première les terres environnantes comme propriétaire d’origine des terres agricoles.[81] Au fil du temps, les terres du village sont divisées et de nouvelles familles sont autorisées à exploiter des parcelles spécifiques, et à céder ce droit à leurs enfants.[82] Les terres du village qui ne sont pas exploitées par une famille ou foyer particulière peuvent être utilisées par tous les membres de la communauté à des fins de chasse et de cueillette de fruits sauvages, de feuilles et d’écorces, ou pour y faire pousser des récoltes.[83]
Les instruments africains et internationaux de défense des droits humains protègent les individus et les communautés, notamment les personnes qui occupent une terre au titre du droit coutumier, de toute atteinte arbitraire à leurs droits à la propriété et à la terre.[84] En vertu des Principes de base et des directives des Nations Unies concernant les expulsions et les déplacements liés au développement, les États peuvent, en dernier recours, procéder à des expulsions forcées si celles-ci sont « autorisée[s] par la loi », et dans ce cas « assurer une indemnisation (...) complèt[e] et équitable », et éviter toute régression de la situation de la communauté au regard des droits humains, notamment pour ce qui est de la santé, de la nourriture et de l’accès à l’eau.[85] Les Principes directeurs des Nations Unies sur les expulsions établissent que, indépendamment de la possession ou non par les personnes d’un titre foncier, ces dernières ont droit à une indemnisation pour la perte de leurs terres, ainsi que pour tout dommage matériel ou toute perte de revenus subis.[86]
Protection inadéquate des droits fonciers coutumiers en Guinée
Le code foncier de Guinée de 1992 peut être interprété comme reconnaissant les droits coutumiers dans une disposition selon laquelle les propriétaires fonciers peuvent être les personnes occupant les terres et « justifiant d’une occupation paisible, personnelle, continue et de bonne foi ».[87] Dans la pratique, cependant, l’obtention d’une protection juridique exige de la part des communautés ou des individus qui occupent une terre au titre du droit coutumier l’immatriculation de leur propriété auprès du registre foncier ou son archivage dans les plans fonciers.[88] Très peu d’agriculteurs ruraux ont suivi ces procédures, ce qui s’explique en grande partie par l’absence de mise en œuvre par le gouvernement de sa politique rurale de 2001 visant à faciliter l’immatriculation et la protection des terres dans les zones rurales.[89]
Pour les personnes ou communautés qui possèdent les droits fonciers reconnus par la loi, la législation guinéenne protège en principes ces droits dans les zones où les sociétés minières réalisent leurs activités. La Constitution de Guinée établit que les terres peuvent uniquement faire l’objet d’une expropriation si celle-ci est dans l’intérêt public et en échange d’une indemnisation financière juste versée à l’avance.[90] Le Code minier établit que l’arrivée d’un projet minier n’éteint pas les droits de propriété et qu’« aucun droit de recherche ou d’exploitation ne vaut sans le consentement du propriétaire foncier, de ses ayants droit, en ce qui concerne les activités impliquant la surface ou ayant un effet sur celle-ci ».[91] Lorsqu’une société minière n’est pas en mesure d’obtenir ce consentement, le Code minier autorise l’État à exiger que ceux avec droits fonciers sur la propriété permettent l’exploitation minière sur la parcelle, mais uniquement moyennant le paiement d’une indemnisation adéquate.[92] Le Code établit que l’indemnisation due « est fixée comme en matière d’expropriation »,[93] ce qui suggère que les sociétés peuvent avoir pour obligation de suivre le même mécanisme juridique que celui pouvant mener à l’expropriation de terres pour cause d’utilité publique, un processus en principe supervisé par les autorités judiciaires.[94] En 2017, un comité interministériel dirigé par le Ministère de la Ville et de l’Aménagement du territoire a élaboré et validé avec plusieurs organisations internationales un ensemble détaillé de lignes directrices sur la manière dont ces expropriations pour cause d’utilité publique devaient avoir lieu, mais elles n’ont pas encore été approuvées ou adoptées par le gouvernement guinéen.[95]
Mais même si ces lignes directrices étaient déjà incorporées dans la loi guinéenne, il est peu probable que les sociétés minières suivent le processus qu’elles établissent pour les expropriations à cause d’utilité publique. Comme très peu d’agriculteurs ruraux ont pu faire reconnaître leurs titres fonciers, les sociétés minières peuvent souvent soutenir que, en termes strictement juridiques, les terres rurales restent « la propriété de l’État », tout en minimisant les droits fonciers coutumiers de communautés.[96] En adoptant cette interprétation, les sociétés peuvent acquérir des terres sans le consentement informé des personnes titulaires de droits d’occupation coutumiers ou sans suivant un processus d’expropriation pour cause d’utilité publique. Les sociétés minières se sont trop souvent contentées de reconnaître la responsabilité qui leur incombe d’indemniser les occupants des terres pour la perte des cultures et des arbres qui y ont poussé, et non pour la valeur réelle de ces terres perdues ou pour la possible perte à venir de revenus, comme l’exige le droit relatif aux droits humains.
La protection ambiguë des droits coutumiers par le droit foncier serait moins problématique si le gouvernement guinéen avait établi une réglementation fixant des normes uniformes concernant la réinstallation et l’acquisition de terres dans le secteur minier, qui pourraient régir plus clairement le calcul de l’indemnisation versée à une personne occupant des terres ou qui possède un titre foncier coutumier. Même si le Code minier établit que l’occupant légitime de la terre doit recevoir une « indemnité destinée à couvrir le trouble de jouissance subi », elle ne prévoit pas de détails supplémentaires et dispose que « [l]e montant, la périodicité, le mode de règlement et l’ensemble des autres modalités relatives aux indemnités » sont fixés conformément aux dispositions du Code Minier et de ses textes d’application.[97] Même si le Code minier a été institué pour la première fois en 2011, le gouvernement guinéen n’a toujours pas adopté ces textes d’application. En juillet 2018, le ministère des Mines et de la Géologie rédigeait les textes d’application relatifs à ce problème, mais il est possible qu’ils ne soient pas adoptés pour plusieurs mois.[98]
En l’absence de directives plus détaillées, la seule ligne directrice existante du gouvernement guinéen au sujet des normes d’indemnisation est une politique du ministère de l’Agriculture rédigée en 1987 et mise à jour partiellement en 2008. Cette politique, qui s’inscrit dans la droite ligne de la protection ambiguë des droits coutumiers par la législation guinéenne, semble prévoir que les sociétés minières ont pour seule obligation de payer aux agriculteurs la valeur des arbres et des récoltes ayant poussé sur les parcelles.[99] Cependant, cette politique est si obsolète que les sociétés établissent leur propre cadre d’indemnisation, et jouissent ainsi d’une plus grande liberté pour décider sur quoi porte l’indemnisation et quel doit être son montant. « Chaque société dispose de sa propre méthode de calcul d’indemnisation », a déclaré Nestor Fara Leone, directeur du service de développement rural à Sangaredi, qui supervise le paiement d’indemnisations par les sociétés lors d’acquisitions de terres.[100] « Nous aimerions que les autorités présentes à Conakry proposent une approche uniformisée. »
Politiques foncières de la CBG
Depuis les débuts de son exportation de bauxite en 1973, la CBG a progressivement excavé et exploité de vastes parcelles de terrain situées dans les environs de la ville de Sangaredi, où ses activités minières se concentrent, se déplaçant entre les différentes carrières pour trouver la bauxite de la qualité qui réponde aux exigences de ses fournisseurs.[101] Si une grande partie de l’infrastructure de la CBG, dont une ligne de chemin de fer et le port de Kamsar, a été construite dans les années 60, son projet d’expansion actuel fait qu’elle est en train d’acquérir les nouvelles terres pour les infrastructures nouvelles.[102]
Des images satellite examinées par Human Rights Watch montrent les terres expropriées par la CBG à des fins d’exploitation minière. Human Rights Watch s’est rendu dans quatre villages autour de Sangaredi – Hamdallaye, Boundou Waadé, Danta Fonye et Kogon Lengue – où des leaders communautaires ont déclaré avoir perdu une part considérable de leurs terres ancestrales au profit du secteur minier ; deux autres, Kankalaré I et II, qui ont été relocalisés en 2017 et début 2018 ; et trois villages, Parawol, Fassaly Foutabé et M’Bororé, qui risquent de perdre des terres en raison de l’expansion de l’activité de la CBG.
Des leaders communautaires ont décrit l’impact de la perte des terres sur l’agriculture. « Avant la mine, chaque membre de la famille avait une parcelle de terrain qu’il pouvait cultiver », a expliqué un ancien de Hamdallaye. « À présent, nous devons décider qui peut avoir une parcelle et qui ne peut pas ».[103] Des images satellite examinées par Human Rights Watch montrent que, depuis 2005, la CBG a exproprié quelques 10 kilomètres carrés des terres agricoles ancestrales de Hamdallaye, ou vers 40 pour cent de ses terres, les utilisant pour y creuser des mines à ciel ouvert et, depuis 2016, pour construire un zone de stockage de bauxite et de nouvelles sections de chemin de fer et de routes dans le cadre de l’expansion de son activité.[104] « Il n’y a personne dans cette communauté qui n’ait pas perdu de terres », a déclaré un leader communautaire.[105] En 2019, l’exploitation minière va obliger les membres de la communauté à déplacer leurs logements, même s’ils espèrent continuer à exploiter les terres qui, jusqu’à présent, ont été épargnées par le secteur minier.
Des images satellite montrent comment Boundou Waadé, un village voisin de Hamdallaye qui a été aussi établi avant l’arrivée de la CBG, s’est progressivement retrouvé entouré par les mines de la CBG depuis 2000. Des agriculteurs ont déclaré que le manque de terres disponibles menace de détruire leur système de rotation des cultures, dans lequel les champs sont uniquement cultivés tous les sept ans ou plus, et qui est nécessaire pour que les sols restent fertiles. « Au fur et à mesure que nous perdons nos terres, nous devons cultiver certaines zones à une fréquence plus élevée, ce qui rend nos champs moins productifs », a expliqué l’un d’eux.[106] « Dans moins de dix ans, les terres seront épuisées ». Des habitants qui risquent de perdre des terres du fait de l’expansion des activités de la CBG ont partagé leurs craintes quant à l’impact sur leurs propres moyens de subsistance. « J’ai peur de ce qui peut arriver si mes terres sont détruites, car on ne peut pas vivre sans », a confié un villageois de M’Bororé.[107]
Pratiques suivies par la CBG dans le passé en matière d’indemnisation
Des leaders communautaires, des agriculteurs et même des fonctionnaires locaux ont affirmé à Human Rights Watch que, jusqu’à environ 2015, la CBG expropriait des terres sans aucune indemnisation.[108] « Quand la CBG avait besoin de terres, elle les prenait, tout simplement », a raconté un leader communautaire de Kogon Lengué.[109] « La CBG a réellement commencé à payer des indemnisations en 2015 », a expliqué Nestor Fara Leone, directeur du service de développement rural de Sangaredi.[110] Une concertation des parties prenantes commissionnée par la CBG en 2014 a constaté :
Dans la zone de la mine, les villageois et les autorités locales rencontrés ont insisté sur le fait que la CBG a saisi leurs terres pendant des décennies sans les n’informer ni les consulter au préalable, et il était encore moins question d’indemnisation financière ou matérielle.[111]
Le personnel de la CBG a déclaré que la société avait versé une indemnisation pour un grand nombre d’acquisitions foncières survenues avant 2015. La société a déclaré ne pas être en mesure de garantir qu’une indemnisation avait été payée dans tous les cas, mais elle a montré à Human Rights Watch des documents indiquant que des indemnisations avaient été payées pour plusieurs acquisitions de terrains entre 2003 et 2014.[112] La société dit avoir indemnisé pour les récoltes et les plants cultivés sur ces terres en majorant leur valeur de 10% pour tenir compte du coût de l’acquisition des nouveaux terrains pour les agriculteurs et de 10% supplémentaires pour les dommages subis et pour d’éventuelles erreurs dans l’évaluation.[113]
Même quand appliqué, cependant, cette approche de l’indemnisation se heurte à plusieurs problèmes. En premier lieu, jusqu’en 2016, quand la CBG a développé et actualisé sa propre grille d’indemnisation, la société a souvent appliqué les tarifs fixés par la politique du ministère guinéen de l’Agriculture de 1987, alors même que ces derniers étaient clairement dépassés.[114] Cela signifiait que la valeur des récoltes et des plants n’était pas ajustée pour tenir compte de l’inflation ou de la valeur marchande actuelle des récoltes et des plants. Dans un cas documenté par Human Rights Watch, un agriculteur indemnisé en 2003 a reçu 576 000 francs guinéens pour 16 manguiers adultes.[115] La valeur aurait été de 1 404 dollars en 1987, mais grâce à l’inflation elle n’était plus que de 291 dollars en 2003.[116] La grille d’indemnisation de la CBG pour 2017 proposait de payer 1 319 819 francs guinéens (127 dollars) pour un manguier adulte.[117]
Deuxièmement, limiter l’indemnisation aux prix des plants et des récoltes a signifié également que les agriculteurs ne reçoivent aucune compensation pour les terres placées en jachère, qui jouent pourtant un rôle clé dans le système de rotation des cultures de leur village. « Après sept années de jachère, nous étions sur le point de préparer la terre pour l’exploiter à nouveau. Chaque habitant du village ou presque possédait une parcelle ici », a expliqué un agriculteur de Hamdallaye, en décrivant les terres expropriées par la CBG en 2015.[118] « Nous avons demandé à la société de nous indemniser, mais ils ont refusé. Cela a entièrement gâché notre processus de rotation ». Des membres de l’équipe de la CBG chargée des relations avec les communautés a déclaré à Human Rights Watch, lors d’un entretien en octobre 2017, que la CBG ne compense pas les terres en jachères.[119]
Enfin, la majoration de dix pour cent de la valeur des récoltes et des plants pour refléter la valeur des terres a vraisemblablement sous-estimé la valeur réelle des terres pour les agriculteurs, en particulier si des grilles d’indemnisation dépassées ont été utilisées pour calculer la valeur des récoltes et des plants. La CBG a déclaré à Human Rights Watch que la valeur marchande des terres à Sangarédi, où se trouvent les mines de la société, est « difficile à déterminer », car les terres de la région sont souvent prêtées ou données d’une communauté ou d’une famille à une autre.[120] Les normes de droits humains précisent toutefois que lorsque la terre est expropriée, « la personne expulsée devrait être indemnisée avec des terres de qualité, de taille et de valeur équivalentes, ou meilleure ». La CBG aurait donc dû trouver des solutions pour procurer des terres aux communautés, par exemple en réhabilitant des zones déjà exploitées ou en convertissant des zones de terres improductives en terres agricoles.[121]
La CBG a déclaré à Human Rights Watch qu’elle avait réhabilité près de 16 kilomètres carrés de terres où sont souvent plantés des anacardiers (pommiers-cajou).[122] L’analyse de l’imagerie satellitaire réalisée par Human Rights Watch montre toutefois qu’au moins 30 kilomètres carrés de terres restent en exploitation ou n’ont pas été réhabilités.[123] D’ailleurs, quand la CBG réhabilite les terres une fois les activités minières terminées, généralement en remplaçant la couche arable et en replantant des arbres, des leaders communautaires ont souligné que celles-ci n’étaient pas rendues à leurs propriétaires d’origine. Les villageois ont ainsi affirmé que la CBG revenait régulièrement sur des terres réhabilitées pour exploiter à nouveau le sol.[124] « Nous avons demandé à la société pourquoi ils ne pouvaient pas rendre les terres [réhabilitées] aux familles à qui elles appartiennent », a raconté un leader communautaire de Kogon Lengué.[125] « Ils nous ont répondu : “Parce qu’alors les terres appartiendront à la communauté, et nous aurons peut-être besoin de les exploiter à nouveau dans le futur.” »
Historiquement, l’inaptitude de la CBG à indemniser et à restituer correctement les terres a trouvé ses racines dans l’absence de protection claire accordée aux droits fonciers coutumiers dans la loi guinéenne. Lorsque Human Rights Watch a interrogé pourquoi la CBG ne fournissait pas de terres de remplacement ni ne versait aux agriculteurs une indemnisation correspondant à la valeur de la terre, un membre du personnel a dit, « Ce n’est pas comme si les habitants de ces localités détenaient des titres légalement ».[126] Un leader communautaire a rappelé que, lorsqu’il s’était plaint en 2016 de la saisie des terres, un haut responsable de la CBG lui avait dit : « Cette terre nous a été donnée par l’État dans les années 70 [lorsque la CBG a débuté ses activités minières] ».[127] Le leader communautaire avait répondu : « Non, nous vivons ici depuis plus de cent ans, depuis les années 1800, et cette terre est à nous ».[128] Un audit environnemental et social de février 2018 a révélé que « la CBG n’a jamais directement indemnisé les usagers et occupants des terres, arguant du fait que toutes les terres appartiennent à l’État. Ainsi, aucun usager ou occupant de ces terres ne dispose d’un droit de “propriété” identifiable, sauf à détenir un titre foncier délivré par l’autorité compétente (c’est-à-dire l’État) ».[129]
Pratiques révisées par la CBG en matière d’indemnisation
En 2015, la CBG a publié une nouvelle politique de compensation (Cadre de réinstallation et de restauration des moyens de subsistance) afin de définir une nouvelle approche conforme aux normes de la SFI régissant le versement d’indemnisations pour la perte ou la dégradation de terres du fait de l’exploitation minière.[130] Conformément à la Norme de performance 5, qui reconnaît les droits fonciers coutumiers,[131] ce document-cadre établit que la société devrait fournir aux personnes occupant des terres au titre du droit coutumier une « indemnisation sous la forme de terres équivalentes, lorsque c’est possible », ou une « indemnisation financière lorsqu’une indemnisation sous la forme de terres équivalentes n’est pas possible ».[132] Il exige également, de manière claire, que les terres mises en jachère et même les sols incultivables fassent l’objet d’une indemnisation.[133]
Malgré l’adoption de cette nouvelle stratégie en 2015, les recherches de Human Rights Watch montrent que la CBG n’a commencé à en appliquer les éléments clés qu’à la fin de 2017 ou début 2018. En octobre 2017, le personnel de la CBG a décrit une approche de l’indemnisation en contradiction avec le cadre de 2015 : « La CBG n’indemnise pas les terres ; ces terres sont sur la concession de la CBG, et nous nous contentons d’indemniser les projets. Nous n’indemnisons pas les terres en jachère, ou celles qui viennent juste d’être défrichées… Nous n’avons pas de système de remplacement des terres ».[134] Selon un audit environnemental et social de février 2018, « le cadre stratégique de réinstallation (Resettlement Policy Framework, RPF) affirme que des indemnisations en espèces seront versées pour les terrains acquis par la CBG. Cependant, dans la pratique, la CBG n’a pas indemnisé la perte de terres et il existe une contradiction entre les engagements “stratégiques” de la CBG et la pratique ».[135]
Début 2018, la CBG a annoncé qu’elle modifiait ses pratiques d’indemnisations et que, lorsque des terres sont définitivement acquises auprès des communautés ou des familles qui en sont propriétaires en vertu de droits fonciers coutumiers, des terres de remplacement seront offertes sur des terrains réhabilités d’anciens sites miniers.[136] « Les terres agricoles sont échangées contre des terres du même type et disposant du même potentiel, voire meilleur », a déclaré la CBG à Human Rights Watch.[137] Ce n’est que lorsque cette option n’existe pas que des indemnisations financières seront versées pour les terrains.[138] Les indemnisations financières et foncières seront accompagnées d’initiatives visant à aider les communautés à développer d’autres moyens de subsistance afin d’améliorer à long terme le bien-être des personnes ou des groupes concernés.[139] Bien que cette approche puisse, si mise en œuvre efficacement, constituer une amélioration, Rio Tinto, Alcoa et Dadco, actionnaires privés de la CBG, l’ont présentée comme la stratégie foncière actuelle de la CBG.[140] En réalité, cette approche n’a été adoptée par la CBG que depuis le début de l’année 2018 et la société n’a pas encore démontré qu’elle était en mesure de mettre en œuvre un programme viable d’indemnisation foncière.
Les organismes qui prêtent à la CBG, notamment la SFI, ont affirmé à Human Rights Watch que la nouvelle stratégie d’indemnisation par des terres de remplacement devrait s’appliquer rétrospectivement à toutes les acquisitions de terrains réalisées depuis l’adoption du cadre stratégique de réinstallation et de restauration des moyens de subsistance de la CBG en 2015.[141] Les dirigeants de CBG soutiennent, cependant, que la seule acquisition foncière importante réalisée depuis 2015 concerne des terres agricoles expropriées dans le cadre du projet d’expansion de la société, en particulier sur les terres ancestrales du village de Hamdallaye.[142] Une comparaison d’images satellite de la région de Sangarédi entre décembre 2015 et avril 2018 suggère, toutefois, que les opérations de la CBG se sont peut-être développées considérablement dans plusieurs autres régions (en dehors d’Hamdallaye) depuis 2015.[143] Human Rights Watch recommande que la CBG et ses organismes de prêt assurent que le cadre stratégique est appliqué à toutes les zones où la CBG a acquis les terres depuis son adoption en 2015.
Réponse de la CBG à l’impact de ses acquisitions de terres
Au-delà d’assurer que ses nouvelles politiques d’indemnisations sont correctement appliquées, la CBG devrait aussi aborder la question des conséquences depuis quelques décennies de ses précédentes acquisitions de terres, et de leur impact potentiel sur les moyens de subsistance des villages autour de ses mines à Sangaredi.
Dans le cadre de ses engagements auprès de la SFI, la CBG a promis de veiller à ce que les expropriations de terres de 2010 à 2015 n’ait pas pour résultat une réduction du niveau de vie des foyers et des communautés ayant perdu leurs terres.[144] Le personnel de la CBG et la SFI ont admis qu’il était difficile d’examiner les acquisitions de terres réalisées avant 2010 dans la mesure où ni la CBG, ni les représentants locaux du gouvernement, ni les leaders communautaires n’ont tenu de registre adéquat répertoriant les terres saisies, leurs propriétaires et les indemnisations versées, le cas échéant.[145] La direction de la CBG a également déclaré que, en ce qui concerne les acquisitions passées, il était difficile d’évaluer le véritable impact de l’exploitation minière sur les moyens de subsistance, en particulier au vu des changements démographiques et environnementaux survenus dans la zone.[146] Des membres du personnel de la CBG ont également fait part de leur inquiétude quant au fait que toute tentative d’indemniser un individu ou une communauté dans le cadre d’une acquisition de terres survenue avant 2010 pourrait encourager beaucoup d’autres communautés à demander une indemnisation ou une autre forme d’assistance.[147]
La direction de la CBG a déclaré à Human Rights Watch que toute plainte concernant des acquisitions passées de terrains, même celles datant d’avant 2010, serait examinée dans le cadre du mécanisme de règlement des griefs de la CBG. Ce mécanisme, comme indiqué plus loin dans ce rapport, a été considérablement renforcé ces dernières années. La CBG a déclaré qu’en 2015, sept plaintes avaient été déposées pour indemnisation inadéquate suite à des acquisitions de terrains et que toutes avaient été traitées. La CBG a par ailleurs déclaré qu’aucune autre plainte n’avait été déposée, bien que le mécanisme de dépôt de plainte ait fait l’objet « d’une large diffusion dans toutes les communautés concernées ».[148]
Etant donné le nombre de familles et de communautés ayant exprimé leur mécontentement à Human Rights Watch vis-à-vis du processus d’indemnisation de la CBG, et le nombre limité de plaintes déposées jusqu’à présent, la CBG devrait prendre des mesures supplémentaires pour que les communautés comprennent que le mécanisme de règlement des griefs traitera aussi les plaintes relatives aux acquisitions historiques de terrains. La CBG devrait publier un document décrivant comment l’entreprise résoudra ces plaintes, qui liste les preuves à fournir par les communautés pour justifier leurs réclamations, et explique comment la réclamation sera jugée et quelle indemnisation elles recevront en cas de réussite. Les organisations de la société civile devraient aider les communautés à déposer leurs plaintes. La CBG devrait traiter les nouvelles plaintes relatives aux acquisitions de terres antérieures à 2015 selon une grille d’indemnisation actualisée, qui respecte les droits coutumiers des agriculteurs en accordant une indemnisation foncière ou en procédant à des paiements équivalents à la valeur des terres.
Compte tenu des grandes quantités de terrains non réhabilités sur la concession de la CBG, la compagnie devrait également élaborer, en lien avec les communautés concernées, un programme de réhabilitation des terres pour les restituer aux communautés. Les communautés ou les familles qui reçoivent des terres réhabilitées, notamment les femmes, devraient obtenir une documentation sur leurs droits fonciers. Si les sociétés minières, et notamment la CBG, soulignent que le développement de programmes de restitution des terres se heurte à des problèmes importants comme la résolution de demandes concurrentes, la CBG devrait établir un partenariat avec la société civile et des organisations du secteur privé qui ont une expertise en la matière pour développer une approche réaliste.
Finalement, la CBG a déclaré à Human Rights Watch que la société mettait en œuvre un programme de 1,9 million de dollars par an dans 10 communes touchées par ses opérations, pour aider à développer de nouvelles sources de revenus dans les communautés touchées par l’exploitation minière.[149] La CBG devrait envisager d’élargir ce programme et d’en consacrer une partie importante aux communautés qui ont perdu de grandes quantités de terres à exploiter.
Politiques foncières de la SMB
Human Rights Watch s’est entretenu avec des dizaines d’habitants de 13 villages qui ont perdu des terres du fait de la construction de ports, de mines ou de routes minières par le consortium SMB lorsque les activités de celle-ci ont rapidement gagné en ampleur à partir de 2015. « Ces terres ont été cultivées par mon père, et par le père de mon père », a déclaré un leader communautaire de Katougouma, où un port de la SMB est situé sur les dizaines d’hectares de sols extrêmement fertiles sur les rives du fleuve Rio Nunez.[150]
Des images satellite au site de l’autre port du consortium, à Dapilon, démontrent qu’avant la construction du port les terres riches accueillaient des cultures près de la rivière, avec des sentiers desservant Dapilon et Diakhabia, autre village situé à proximité. Le site portuaire a, par mai 2018, récupéré environ 2.25 kilomètres carrés de ces terres et coupé l’accès des villageois à leurs parcelles agricoles. « Ces terres permettaient à plus de 200 familles issues de trois villages de subvenir à leurs besoins », a déclaré un leader communautaire de Dapilon, en accompagnant Human Rights Watch le long d’un mur marquant la limite du port.[151] « Même s’il nous reste des terres, celles prises par la SMB pour son port étaient les plus fertiles ; nous y cultivions du riz près de la rivière, et des noix de cajou et des mangues près du village. Nous craignons pour le reste de nos terres en cas d’élargissement du port ».
Caractère inadapté des indemnisations financières pour les terres perdues
Les indemnisations que le consortium SMB a payé aux agriculteurs pendant son expansion rapide ont été souvent plus généreuses que celles d’autres entreprises, dont la CBG. La SMB, par exemple, a payé pour la valeur marchande de la terre,[152] ainsi que les cultures et les arbres qui y poussent.[153] Mais si l’approche « argent pour terrains »[154] pratiquée par la SMB a permis au consortium d’acquérir rapidement les terres, le résultat est que les agriculteurs sont désormais privés des ressources, du soutien ou de la formation nécessaires pour obtenir de nouvelles terres ou de nouveaux moyens de subsistance.
Des leaders communautaires ont déclaré que les versements uniques de la SMB reçus par les agriculteurs représentaient souvent des sommes conséquentes par rapport au revenu habituel des communautés rurales qui vivent depuis plusieurs générations d’une agriculture de subsistance. « On a cru qu’on était devenus riches », a dit un agriculteur, en montrant à Human Rights Watch la nouvelle maison qu’il a fait construire grâce à l’argent de l’indemnisation.[155] Le contraste avec son domicile précédent situé quelques mètres plus loin, décrépit, incarnait l’argent rapide que l’exploitation minière a apporté à certaines communautés.
Des dizaines d’agriculteurs ont néanmoins déclaré que les versements uniques ne peuvent pas compenser la perte de terres qui étaient le fondement du mode de vie et des moyens de subsistance des communautés. Des fonctionnaires et des leaders communautaires ont fait savoir que, pour la majorité des villageois, il était difficile de comprendre comment utiliser l’indemnisation pour générer de nouvelles sources de revenus. « Les gens ne sont pas habitués à gérer de tels montants, et il en résulte une mauvaise gestion », a conclu Seydou Barry Sidibé, secrétaire général du ministère de l’Environnement de Guinée.[156]
Des leaders communautaires ont déclaré que les agriculteurs ont généralement partagé les sommes avec des membres de leur famille, ont construit de nouveaux logements, ont acheté des biens matériels et ont parfois envoyé leurs enfants en Europe par la route migratoire de l’Afrique du Nord. « Tous ceux qui ont reçu des compensations en numéraire, c’est le voyage d’un fils vers l’Europe par les chemins de l’immigration clandestine (ceux qui ont eu au-dessus de 100 millions), soit la construction, les mariages ou les motos », a déclaré un leader de la société civile à des consultants qui ont rédigé un rapport sur les procédures d’indemnisation dans la région de Boké.[157] Un père dont les terres ont été prises afin de construire une route minière pour la SMB a dit à Human Rights Watch que, parce qu’il n’avait pas réussi à trouver d’emploi pour deux de ses fils auprès du consortium ou de ses filiales, il avait utilisé son indemnisation pour les envoyer en Europe par la Libye :
J’espérais que mes enfants soient employés par la mine ; ils étaient sur une liste de 25 personnes environ que notre village a envoyée à la SMB. Malheureusement, une seule personne a été recrutée, et j’ai donc utilisé environ 40 000 000 GF (4 390 USD) de l’indemnisation afin d’envoyer mes fils en Libye. Ils sont partis il y a presque 10 mois, et j’ai pu avoir des nouvelles tout au long de leur voyage. Mais depuis qu’ils sont arrivés en Libye, il y a environ deux mois, je n’ai eu aucune nouvelle. J’ai peur qu’ils soient en prison ou morts.[158]
Parmi les propriétaires et les agriculteurs avec lesquels Human Rights Watch s’est entretenu, aucun n’a déclaré avoir bénéficié d’une formation de la SMB ou du gouvernement guinéen sur la bonne manière d’utiliser l’indemnisation reçue afin de garantir sa sécurité financière sur le long terme.
Dans le cas du versement par le consortium SMB d’une indemnisation à des leaders communautaires pour des terres utilisées par l’ensemble d’une communauté, les sommes ont, dans certains cas, été utilisées pour construire des infrastructures à l’échelle locale, comme des routes, des écoles ou des mosquées. Parfois, l’argent a été réparti entre les foyers de la communauté. Plusieurs villageois se sont plaints, néanmoins, que l’argent n’avait pas été distribué équitablement, ou qu’il avait été gaspillé dans des projets qui n’ont pas remplacé de manière adéquate les revenus ou les ressources perdues par la communauté au profit de l’exploitation minière. « On m’a donné seulement 250 000 GF ($27), mais je ne sais pas qui a touché l’argent, ni comment la répartition s’est faite », a raconté un agriculteur.[159] « Tout a été tenu secret ». En 2018, un rapport financé par le gouvernement allemand sur les expropriations de terres dans le secteur de la bauxite a conclu ce qui suit :
Lorsqu’elles sont versées en argent (chèque ou cash) à un seul individu représentant de la communauté génèrent : de fortes tensions sociales au sein de la communauté ; des risques importants de détournements ; la perte de légitimité des autorités locales lorsqu’elles tentent de gérer les tensions ; et un usage finalement très peu productif des sommes perçues.[160]
Les normes internationales établissent clairement qu’une indemnisation en espèces ne constitue pas un dédommagement adéquat de la perte de terres. Les Principes de base et directives concernant les expulsions et les déplacements liés au développement des Nations Unies établissent ce qui suit : « L’indemnisation en espèces ne doit en aucune circonstance remplacer l’indemnisation réelle sous forme de terres ou de ressources foncières communes. »[161] Dans sa Note d’orientation correspondant à la Norme de performance 5, la SFI établit qu’« il est courant pour les foyers dans une économie de subsistance, ainsi que pour les foyers plus démunis dans une économie fondée sur les transactions en espèces d’utiliser les indemnités en numéraire issues des investissements à long terme pour leurs besoins de consommation à court terme ».[162] Le consortium SMB a lui-même déclaré à Human Rights Watch en septembre 2018 :
Nous sommes conscients que ces sommes d’argents représentent des montants très importants et peuvent déstabiliser soudainement l’équilibre budgétaire de certains foyers et villages. L’expérience nous a appris que les personnes recevant ces sommes peuvent les dépenser d’une manière que certains pourraient considérer comme déraisonnable (pas de vision budgétaire à moyen et long terme ; pas d’investissements dans des activités potentiellement créatrices de revenus).[163]
Le consortium SMB a noté que, bien que la majorité de personnes utilisent leurs indemnisations dans une manière qui ne crée pas de nouvelles sources de revenus, il y a un nombre « non négligeable » d’initiatives qui fournissent des rendements financiers à plus long terme, tel que l’achat d’équipement agricole.[164]
Plusieurs leaders communautaires ont déclaré qu’ils avaient demandé à la SMB d’aménager des parcelles appartenant à leurs villages et actuellement non cultivées afin de remplacer les terres perdues du fait de l’exploitation minière, mais que le consortium n’a rien fait. « Nous avons demandé à la société de trouver un nouvel endroit et de l’aménager pour nous permettre de l’exploiter », a déclaré un ancien du village de Dapilon.[165] « Mais rien n’a jamais été fait ». La SMB s’est par ailleurs engagée à réhabiliter les zones où plus aucune activité minière n’a lieu. Elle a commencé à tenir son engagement, notamment à la mine désaffectée de Kaboe.[166] Néanmoins, les habitants ne sont pas convaincus que les sols remplacés seront assez fertiles pour permettre le bon développement d’arbres, et ils redoutent que la SMB n’ait pas de système permettant le retour des terres aux personnes ou aux familles qui les cultivaient avant le début de l’exploitation minière.[167]
En septembre 2018, la SMB a communiqué à Human Rights Watch un cadre de compensation que la société minière utilise afin de « garantir » le respect des droits fonciers coutumiers des personnes et des communautés.[168] Ce cadre établit l’engagement de procéder, pour les agriculteurs titulaires de droits d’occupation coutumiers, au « remplacement des parcelles agricoles par des terres de potentielles valeurs agricoles équivalentes situées à une distance acceptable de la résidence de la personne concernée ».[169] Il prévoit également que les agriculteurs jouissant de droits d’occupation coutumiers bénéficient de « mesures d’accompagnement telles que (…) la formation/le renforcement des capacités dans l’optique d’améliorer les conditions de vie ».[170]
Cependant, au moment de la rédaction du présent rapport, Human Rights Watch n’a pas connaissance de la fourniture régulière par le consortium SMB de terres de remplacement ou d’assistance relative aux moyens de subsistance aux personnes ou aux communautés qui ont perdu des terres du fait de l’exploitation minière. Human Rights Watch peut seulement citer un village, Katougouma, où la SMB a donné à la communauté des terres agricoles comme alternative lorsque le village a perdu des terres au profit de l’exploitation minière. Dans ce cas, la SMB n’a pas pu trouver d’accord avec la communauté sur la manière dont les terres devraient être employées et celles-ci, au moment de la rédaction du présent rapport, restent inoccupées. La SMB elle-même a déclaré à Human Rights Watch : « Nous sommes prêts à fournir une assistance technique, et le signalons toujours, mais à ce jour, toutes les communautés ont refusé notre aide technique à la création d’activités créatrices de revenus ».[171]
Nonobstant les pratiques passées du consortium SMB, si le cadre de compensation communiqué en septembre 2018 constitue un engagement sincère du consortium à fournir des terres de remplacement ou une assistance relative aux moyens de subsistance lorsque des terres sont acquises pour l’exploitation minière, la société civile et les communautés guinéennes devraient envisager de collaborer avec la SMB pour trouver un modèle réalisable permettant la mise en œuvre de cette mesure. De façon plus générale, le gouvernement guinéen, les sociétés minières et les groupes de la société civile devraient consacrer des ressources importantes à l’examen de solutions alternatives au versement d’indemnités financières, comme le remplacement ou la réhabilitation des terres en tenant compte des meilleures pratiques d’autres pays, à tester sur le terrain de nouvelles approches, ou encore à partager les données de suivi sur leurs forces et leurs faiblesses.
Dégradation des terres restantes et des sources de revenus
Des dizaines d’agriculteurs ont expliqué que depuis 2015, date du début des activités du consortium SMB, l’impact de la perte de terres a été aggravé par les dégâts causés par l’exploitation minière sur les terres agricoles restantes et les autres sources de nourriture, comme la pêche. Selon des leaders communautaires, le consortium SMB ne verse pas systématiquement d’indemnisation pour la baisse de productivité des terres agricoles ou des revenus tirés de la pêche.
Les communautés ont souvent indiqué que la poussière produite par les routes minières de la SMB pendant la saison sèche, longue de plusieurs mois, avait un impact particulier sur la productivité de leurs plants. Des habitants de plusieurs villages ont montré aux chercheurs de Human Rights Watch des plantations de noix de cajou situées près d’une route minière de la SMB, où presque chaque feuille était couverte d’une poussière rouge sombre.[172] « Tous les arbres fruitiers ont été endommagés par la poussière », a déclaré un agriculteur. Cette plainte fait écho à celle entendue par Human Rights Watch dans au moins dix villages proches des routes, des mines et des ports de la SMB. « Notre village existe depuis deux siècles, et nous n’avons jamais rien connu de tel ».[173] Des images satellite de février 2017, pendant la saison sèche, examinées par Human Rights Watch montrent une couche de poussière qui recouvre la végétation en bordure des routes minières de la SMB. Des études prouvent que la poussière, lorsqu’elle se dépose sur les végétaux, peut entraver leur productivité, notamment parce qu’elle prive de lumière les cellules responsables de la photosynthèse.[174] Selon l’équipe dirigeante de la SMB, lorsque les terres acquises se trouvent près d’une route minière, une indemnisation est versée pour une portion de terre située aux abords d’une route ou d’une mine, dédommageant ainsi les agriculteurs directement touchés par la poussière.[175] Cependant, des leaders communautaires ont déclaré que les dégâts s’étendent bien au-delà de la zone tampon, et qu’ils n’ont reçu aucune indemnisation pour les terres concernées.
Les images satellite examinées par Human Rights Watch montrent également que les terres agricoles et les arbres situés à proximité des ports du consortium de SMB de Katougouma et de Dapilon sont couverts de poussière, et que dans chaque port la bauxite est stockée en immenses tas laissés à l’air libre. Lors d’une mission d’inspection gouvernementale en février 2018, un leader communautaire de Katougouma a déclaré : « Cette localité vit aujourd’hui avec un niveau de pollution dû aux particules de poussière déposées sur les feuilles des plantes. Ces impacts auraient dû nous être expliqués avant le lancement des activités de cette société ».[176] Les habitants de Dapilon ont expliqué que, bien qu’ils aient reçu une indemnisation pour les terres achetées aux fins de la construction du port, ils n’ont touché aucun dédommagement pour ce qu’ils considèrent être une baisse de la productivité des terres environnantes.[177]
Des agriculteurs venant de plusieurs autres villages ont dit que les travaux de construction de l’infrastructure de consortium de SMB, notamment le dragage du Rio Nunez, ont entraîné la contamination des champs par de la boue, de l’huile et des hydrocarbures.[178] « Les parcelles d’au moins six familles ont été inondées par de la boue formée par le ruissellement des eaux de pluie, qui passe dans les tuyaux se trouvant sous la route minière », a expliqué un agriculteur de Katougouma, un village voisin d’un port du consortium SMB.[179] « Avant, mon propre champ produisait 50 sacs de riz. Aujourd’hui, je ne peux même pas en tirer un sac ». Il a déclaré n’avoir reçu aucune indemnisation de la SMB ni du gouvernement.
Les leaders communautaires des villages situés sur les rives du Rio Nunez ont expliqué que les activités de la SMB ont eu des conséquences néfastes sur la pêche, qui est un complément vital à la nourriture et aux revenus tirés de l’exploitation agricole. « Les pêcheurs étaient des dizaines auparavant. Maintenant, plus personne ne gaspille d’argent pour ça », a résumé un leader communautaire de Mamaya, un village au bord du fleuve.[180] « À cause du bruit des barges, les poissons se réfugient au plus profond du fleuve, et les filets sont abîmés par les allers-retours des barges de la SMB. Nos pirogues n’ont pas de moteur, c’est pourquoi il est difficile de naviguer en toute sécurité dans le chenal en évitant les barges ». Un rapport de 2018 sur l’impact social et environnemental du secteur minier en Guinée commandé par le gouvernement guinéen a estimé que lorsque le port d’un autre projet minier s’ajoutera aux deux ports fluviaux existants appartenant à la SMB, plus de 50 barges de 8 000 tonnes chacune feront chaque jour l’aller-retour sur le Rio Nunez. Le rapport poursuit : « L’impact sur la zone est à la fois statique (destruction de la mangrove [les arbres qui poussent sur les berges]) et dynamique (vibrations liées au chargement et au déplacement des barges et des remorqueurs). Cela aura probablement une influence sur les prises des pêcheurs du Rio Nunez, qui se plaignent déjà du problème ».[181]
Plusieurs pêcheurs, dont le responsable d’un port qui représente les pêcheurs d’un village, ont déclaré que le consortium SMB ne les avait pas contactés pour discuter de l’impact de l’exploitation minière sur la pêche.[182] À l’autre port du consortium, Dapilon, un pêcheur local a dit que, en 2016, le personnel du consortium était venu discuter des conséquences pour la pêche, mais n’avait pas répondu aux inquiétudes des communautés. « Nous n’avons eu aucun suivi de la SMB : pas de matériel, par exemple, pour nous permettre de pêcher plus loin ».[183] Un autre leader de jeunes a expliqué que les champs de riz de son village et la pêche locale avaient été affectés par l’arrivée du consortium.[184] « Nous avons rencontré les représentants de la société à plusieurs reprises », a-t-il résumé.[185] « On nous fait des promesses, par exemple nous aider à acquérir des moteurs pour nos bateaux, afin d’aller pêcher dans les eaux plus profondes ; mais elles ne sont jamais tenues ». D’après la SMB, deux pêcheurs ont été dédommagés de l’impact de l’exploitation minière sur la pêche, recevant à eux deux 20 millions de francs guinéens (soit 2 220 dollars). Quatre barges motorisées ont par ailleurs été offertes aux pêcheurs pour leur permettre d’atteindre les eaux plus profondes.[186] Des centaines de pêcheurs locaux sont potentiellement touchés par le projet de la SMB dans la région de Boké.
Impact de la dépossession de terres sur les femmes
Les Principes de base et des directives des Nations Unies concernant les expulsions et les déplacements liés au développement reconnaissent que la perte de terres peut avoir des effets marqués sur les femmes et soulignent l’importance de garantir à ces dernières la délivrance de titres de propriétés et la sécurité d’occupation.[187] En cas d’expulsion, les Principes de base de l’ONU précisent que « les femmes et les hommes doivent être cobénéficiaires de toutes les mesures d’indemnisation. Les femmes célibataires et les veuves doivent avoir droit à leur propre indemnisation ».[188]
Bien que les femmes travaillent régulièrement aux côtés des hommes pour exploiter les terres de la famille ou de la communauté, la structure patriarcale des communautés de la région de Boké, que l’on retrouve partout en Guinée, fait qu’elles sont rarement détentrices de titres fonciers (au titre du droit coutumier ou autre) et qu’elles accèdent à la propriété foncière par l’intermédiaire de leur mari ou de proches de sexe masculin.[189] Néanmoins, les femmes qui exploitaient leurs propres parcelles de terre, comme les jardins où elles font pousser des légumes qu’elles vendent sur les marchés locaux, disaient souvent être directement indemnisées par les sociétés minières, même si elles n’étaient pas satisfaites du montant qu’on leur donnait.
Toutefois, lorsque les indemnités sont payées pour des terres cultivées par toute une famille ou par un foyer avec des hommes et des femmes, l’indemnisation est généralement versée aux hommes qui sont chefs de famille ou du foyer. Un bien communal ou familial est donc remplacé par une indemnité financière utilisée à discrétion par l’homme qui dirige cette famille. « Nous profitions tous des fruits de ces terres, mais la société a versé l’argent à nos maris », a déclaré une femme d’un village situé à proximité d’une mine de la SMB.[190] « Seuls les hommes touchent des indemnisations », a précisé une autre femme.[191] « Même nos maris nous disent que nous n’avons pas à prendre part à la procédure d’indemnisation ».
Pour un grand nombre de femmes, la perte d’accès à la terre a entraîné la disparition d’une source de revenus qui leur appartenait, les rendant dépendantes de leur mari et de leur famille. « Si je m’en sors aujourd’hui, c’est parce que certains de mes petits-enfants, qui sont gardiens dans la mine, me donnent un peu d’argent », a confié une femme ayant perdu des terres utilisées afin de construire un port du consortium SMB.[192]
Une veuve a déclaré que l’indemnisation pour les terres appartenant à son ménage a été versée à la famille de son mari, la privant ainsi d’un revenu qu’elle utilisait pour aider ses enfants. « Avant, je faisais pousser du riz et du maïs sur les terres où se trouve le port aujourd’hui », a-t-elle expliqué.[193] « L’indemnisation a été versée après la mort de mon mari. C’est donc sa famille qui a participé au recensement mené par la SMB et qui a reçu l’argent donné par la société. Je sais qui a cet argent, mais je ne peux pas aller le réclamer ». Des femmes plus âgées ont indiqué que d’autres veuves du village avaient vécu la même chose.[194]
Les femmes ont également dénoncé le manque d’égalité dans la distribution des indemnisations ayant été versées à des leaders communautaires en dédommagement de terres possédées et exploitées par toute la communauté. « Les femmes n’ont presque rien touché ; notre leader communautaire m’a offert 10 000 GF ($1.11), mais cette somme était si ridicule que je l’ai refusée », a dit une femme dont le village a reçu une indemnisation forfaitaire de la part de la SMB pour des terres utilisées afin de construire une route minière.[195] « Au moment de décider comment cet argent allait être utilisé, les hommes du village l’ont réparti entre eux, et nous n’avons rien pu dire ».
De nombreuses femmes ont indiqué qu’elles sont fréquemment exclues des réunions portant sur l’achat de terres et organisées par les sociétés avec les leaders communautaires, et que les informations ne sont transmises que par les leaders locaux de sexe masculin. « L’ensemble de la procédure a été décidée par les hommes des environs », a déclaré une femme d’un village dont les terres ont été récupérées par la SMB pour une nouvelle carrière.[196] « Parce que nous sommes des femmes, nous n’avons eu aucune information sur le montant de l’indemnisation versée au village par la société ».
Un grand nombre de femmes ont aussi noté que, alors qu’au moins quelques hommes dans chaque village peuvent trouver un emploi auprès des sociétés minières en compensation des terres perdues, rares sont les opportunités de ce type proposées aux femmes. En mai 2018, seules 10% des personnes employées directement par le CBG étaient des femmes.[197] En septembre 2018, on ne comptait parmi les plus de 7 600 employés directs de la SMB que 274 femmes.[198]
La CBG a déclaré à Human Rights Watch que la société « s’assure que l’indemnisation est versée à la bonne personne, quel que soit son sexe ».[199] Des membres du personnel de la CBG ont reconnu que la structure patriarcale des communautés rurales avait pour conséquence que l’indemnisation des terres qui appartiennent à des foyers ou à des familles était souvent versée aux hommes qui se trouvaient à leur tête. Ils ont toutefois déclaré qu’il était difficile pour les sociétés minières de contourner les structures traditionnelles existantes.[200] La compagnie a affirmé que ses programmes de développement communautaire à l’échelle de la concession sont axés sur les femmes et les jeunes et a assuré que les futurs programmes de soutien aux moyens de subsistance des communautés qui perdent des terres du fait de l’exploitation minière cibleraient également les femmes.[201]
Le consortium SMB a expliqué à Human Rights Watch que la compensation est versée à l’utilisateur effectif de la terre concernée, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme.[202] Le consortium a également souligné que sa fondation est très active dans la mise en œuvre de projets visant à garantir la réelle participation des femmes aux activités économiques de la région de Boké.[203]
Accès réduit aux ressources en eau
Les leaders communautaires de 19 villages ont déclaré que l’extraction de la bauxite avait réduit le niveau et la qualité des eaux des rivières, des cours d’eau et des puits qu’ils utilisent pour se laver, cuisiner et boire, menaçant l’accès aux ressources en eau de milliers de personnes.[204] D’après les habitants, la construction des routes minières et d’autres infrastructures ont obstrué les rivières et les ruisseaux, et les sédiments formés par le ruissellement de la terre exposée dans les mines à ciel ouvert et des routes poussiéreuses finissent dans les cours d’eau. Les habitants des villages ont également déclaré à Human Rights Watch que les expropriations de terres par les entreprises minières avaient empêché les communautés d’accéder aux cours d’eau et aux sources naturelles où d’ordinaire elles s’approvisionnaient en eau, alors même que l’afflux de personnes à la recherche d’un emploi dans les mines augmentait encore la pression sur les ressources en eau.[205]
La pénurie d’eau signifie que les femmes et les jeunes filles, qui sont souvent chargées du ravitaillement en eau, sont obligées de parcourir de plus grandes distances, ou d’attendre plus longtemps pour se servir à des points d’eau déjà saturés. Une femme d’un village proche du port de Dapilon du consortium SMB a ainsi déclaré qu’elle se levait à 4 ou 5 heures du matin pour faire la queue pour avoir de l’eau. « J’emmène mes enfants avec moi pour que, une fois que c’est fini, ils puissent aller à l’école », a-t-elle expliqué.[206]
Les sociétés minières affirment que le mauvais accès à l’eau dans la région de Boké a de multiples explications : mouvements migratoires, dérèglement climatique, aridité de la région, en particulier pendant la saison sèche. Elles mettent également en avant leurs actions en faveur de la construction de forages et de puits au sein des communautés touchées par l’exploitation minière. L’absence, cependant, de données publiques fournies par le gouvernement ou par les entreprises sur l’impact de l’exploitation minière sur les niveaux ou la qualité de l’eau fait qu’il est très difficile pour les communautés et les groupes de la société civile d’évaluer si les mesures de mitigation employées par les sociétés sont adéquates.[207] Ce n’est qu’en 2017 que la CBG, qui mène pourtant des activités dans la région de Boké depuis plusieurs décennies, a élaboré un mécanisme de suivi de l’impact de l’exploitation minière sur l’eau. Pendant plusieurs années, les contrôles de la qualité et de la disponibilité de l’eau menés par la SMB ont été très rares voire inexistants, même si la société a lancé un programme de suivi en 2018. Le gouvernement guinéen a commandé en 2017 une étude sur l’incidence cumulée de l’extraction de la bauxite autour de Boké, qui devrait fournir des informations utiles sur l’impact de l’exploitation minière sur les niveaux, la disponibilité et la qualité des eaux dans cette région.[208]
Risque de dégradation des sources d’eau potable lié à l’extraction de la bauxite
À moins d’une gestion attentive, les études montrent que l’extraction de la bauxite peut impacter de manière significative l’hydrologie du paysage environnant et menacer l’accès à l’eau.[209] La construction de mines et de routes minières peut modifier le cours des rivières et des cours d’eau.[210] L’extraction à ciel ouvert supprime la végétation et la terre pour atteindre les gisements et peut augmenter le volume et la vitesse de drainage des eaux de surface, ce qui peut réduire la quantité d’eau qui s’infiltre dans les aquifères souterrains.[211] Ces facteurs, à leur tour, peuvent aggraver l’érosion des sols, alimenter les rivières et les cours d’eau environnants en sédiments, y produire de la turbidité (les rendre troubles) et bloquer ou entraver progressivement leur écoulement.[212] Bien que l’extraction de la bauxite n’utilise pas de produits chimiques ou de métaux toxiques, les flux de sédiments dans les rivières peuvent convoyer des composés d’aluminium et de fer et des métaux lourds naturels qui deviennent dangereux à des concentrations élevées.[213]
Les sociétés minières ont aussi souvent besoin d’eau pour leur propre usage, par exemple pour arroser les routes minières afin de réduire les niveaux de poussière. Le code de l’eau guinéen donne un droit inaliénable à l’accès à l’eau et à son utilisation à des fins domestiques, pour boire et cuisiner, à des fins d’hygiène, pour la lessive et dans le cadre de l’agriculture de subsistance.[214] Si en vertu de ce code les sociétés minières peuvent demander au gouvernement un permis pour utiliser les ressources locales en eau, l’utilisation de l’eau par une entreprise ne doit pas interférer avec l’accès à l’eau des communautés locales.[215] Le code minier guinéen impose aussi aux sociétés minières de prendre des mesures pour éviter « la pollution de l’eau (...) et la dégradation des écosystèmes ».[216] Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’eau potable et à l’assainissement a également noté que les violations du droit à l’eau potable peuvent résulter de l’absence de « réglementation visant à prévenir l’exploitation excessive des ressources en eau par des tiers [tels que les entreprises] qui pourrait provoquer une pénurie d’eau pour les usages personnels et domestiques ; et l’incapacité d’élaborer et de faire appliquer une réglementation visant à protéger les ressources en eau contre le risque de contamination ».[217]
Meilleures pratiques pour prévenir ou atténuer l’impact sur les ressources en eau
La directive 2014 du gouvernement guinéen sur la réalisation des études d’impact environnemental et social exige des sociétés qui demandent l’autorisation de commencer l’exploitation qu’elles cartographient les sources d’eau de surface et souterraines et qu’elles prennent des mesures de référence sur les débits, les sédiments et la qualité de l’eau.[218] La directive stipule aussi que les entreprises devraient étudier la quantité disponible actuelle de l’eau à usage domestique et le nombre de ses utilisateurs.[219] Cette information devrait être utilisée pour évaluer l’impact probable de l’exploitation minière sur l’accès à l’eau et proposer des méthodes pour y remédier.[220]
Les meilleures pratiques de l’industrie, et notamment les directives environnementales, sanitaires et sécuritaires pour l’exploitation minière du Groupe de la Banque mondiale, mettent elles aussi plusieurs mesures à la disposition des entreprises pour prévenir et atténuer les dommages causés aux sources d’eau potable.[221] Avant de construire une mine, par exemple, ces directives stipulent que les sociétés minières doivent établir un bilan hydrologique de la mine qui décrit comment la mine sera exploitée sans modifier les niveaux et la qualité de l’eau dans la région.[222] Des spécialistes de l’environnement ont déclaré à Human Rights Watch que l’établissement d’un bilan hydrologique nécessitait que les entreprises produisent un modèle qui illustre comment les rivières, cours d’eau et eaux souterraines alimentent la région en eau et décrive l’impact probable de l’exploitation sur ces flux, à l’entrée comme à la sortie.[223]
Une fois que les entreprises ont réussi à mieux comprendre les ressources en eau au niveau local et qu’elles ont établi un bilan hydrologique de la mine, elles doivent utiliser cette information pour mettre en place des infrastructures adaptées (les routes minières, par exemple) qui minimise les impacts de l’exploitation minière sur les eaux de surface et les eaux souterraines.[224] Les directives environnementales, sanitaires et sécuritaires pour l’exploitation minière du Groupe de la Banque mondiale recommandent également, qu’aux endroits où les infrastructures minières traversent les cours d’eau, des procédures soient adoptées pour minimiser les impacts sur les eaux de surface, notamment en réduisant l’érosion et l’afflux de sédiments.[225] Toute utilisation de l’eau par l’entreprise – par exemple pour se débarrasser de la poussière – devrait tenir compte de l’impact sur les ressources en eau.[226]
Une fois que l’exploitation minière commence, les directives de la Banque Mondiale stipulent que les compagnies minières doivent créer un système de canaux et de drainage pour s’assurer que l’eau de pluie qui transporte les sédiments ou les polluants ne coule pas dans les rivières et cours d’eau avoisinants.[227] Des bassins de décantation devraient être utilisés pour récupérer l’eau de pluie et éliminer les sédiments, afin d’empêcher la contamination des rivières et des cours d’eau.[228] Les directives de la Banque mondiale et la réglementation guinéenne sur les études d’impact environnemental et social soulignent que les entreprises devraient, tout au long de la vie d’un projet minier, surveiller l’impact de l’exploitation minière sur la qualité et la disponibilité des ressources en eau.[229]
Gestion de l’eau par la SMB
Les entretiens avec les membres des communautés qui vivent dans les zones d’opération du consortium SMB, les rapports d’inspection et audits du gouvernement, et les entretiens avec les responsables du ministère de l’Environnement révèlent que le consortium SMB n’a pas pris les mesures qui s’imposaient pour atténuer l’impact de l’exploitation minière sur les cours d’eau, et que cela pouvait avoir un impact sur l’accès et l’utilisation de l’eau pour les milliers d’habitants.
Des dizaines de personnes dans plus de 13 villages ont déclaré que les sources d’eau potable dont ils dépendent pour boire, se laver et cuisiner ont été impactées négativement par l’arrivée des activités minières du consortium SMB. Dans plusieurs villages, les habitants ont affirmé que les itinéraires choisis pour le passage des routes minières ont bloqué ou obstrué les cours d’eau, ou que les eaux de ruissellement ont déversé des sédiments dans les rivières, colorant l’eau et s’accumulant progressivement dans leur lit.[230] « L’entreprise a coupé les rivières où nous puisons notre eau pour faire passer sa route minière, sans prévenir », a déclaré un leader communautaire de Djoumayah, un village proche de la mine de la SMB à Malapouya.[231] « Et maintenant, la source est encombrée par les sédiments et les roches en provenance de la route ». Il a précisé qu’il a fallu près d’un an à la SMB pour construire un forage au village, qui est ensuite tombé en panne. Les leaders communautaires ont déclaré que, s’ils s’inquiétaient des effets sur la santé de l’eau potable mélangée aux eaux de ruissellement en provenance des mines et des routes minières, ils n’avaient pas connaissance d’un suivi de la qualité de l’eau par le consortium SMB.
Les habitants ont également déclaré que si le consortium SMB avait bien construit des canalisations, des tunnels et des ponts pour permettre aux cours d’eau de passer sous la route minière, ces infrastructures étaient parfois trop mal construites pour permettre à l’eau de circuler librement.[232] « La SMB a essayé d’installer des canalisations pour que la rivière puisse passer, mais elle n’y coule pas correctement », a déclaré un agriculteur de Kakoumba.[233] « Cette rivière pourvoie en eau des terres cultivées par plus de 300 personnes. »
Les études d’impact environnemental et social et le plan de gestion du consortium SMB auraient dû être les mécanismes par lesquels le consortium a évalué l’impact probable de ses opérations sur les ressources en eau et a proposé un plan pour y remédier. Cependant, comme nous le verrons ailleurs dans ce rapport, l’imagerie satellitaire montre que le gouvernement guinéen a autorisé le consortium SMB à commencer la construction de son premier port et ses premières routes minières plusieurs mois avant que le gouvernement ait vérifié que les EIES et le PGES contenaient les mesures adéquates pour empêcher que les ressources en eau ne soient endommagées.
Même après avoir été finalisée en avril 2015, l’étude d’impact de la première mine de la SMB à Kaboe donnait peu de détails sur la manière dont le consortium comptait atténuer l’impact de l’exploitation minière sur les eaux de surface ou souterraines.[234] Un PGES de 10 pages reconnaissait un risque de « sédimentation des cours d’eau » sans détailler la manière dont la SMB serait en mesure d’empêcher cette sédimentation de se produire ou au moins d’en atténuer le risque.[235] Au lieu de quoi, le document précisait que « La Société des Mines de Boké compilera des plans de gestion spécifiques complémentaires avant la préparation du site » – même si la préparation du site était déjà bien avancée quand l’EIES a été finalisée – et a noté que « l'un des plans les plus importants concerne la gestion de l'eau. »[236]
Les EIES qui ont suivi, réalisées dans le cadre du projet de la SMB achevé en mai 2016 pour une extension de l’exploitation minière à Malapouya et pour l’ouverture d’un port à Dapilon, contenaient des détails supplémentaires sur la façon dont le consortium atténuerait les impacts potentiels sur les eaux de surface et souterraines. L’EIES de la mine de la SMB à Malapouya a reconnu que la qualité de l’eau pourrait être affectée par « la dispersion des sédiments provenant des zones perturbées par les travaux (...), l’interruption ou la modification du profil hydrologique » et le « ruissellement d’eaux pluviales contaminées ».[237] Pour atténuer de tels impacts, le PGES stipule que « les eaux de surface propres [c.-à-d. les rivières et ruisseaux] doivent être détournées des zones de chantier afin de réduire les quantités d’eau affectées par les activités du projet » et le PGES stipule également que l’eau de pluie sera traitée pour éliminer les sédiments.[238] Elle promet aussi un suivi de la qualité de l’eau pour vérifier l’efficacité des mesures d’atténuation.[239] Le PGES pour le réseau routier de la SMB entre Malapouya et Dapilon prévoit que le consortium installera un réseau de drainage pour l’eau de pluie.[240]
Malgré ces engagements, les inspections du BGEEE en octobre 2016 et en avril 2017, et l’audit des pratiques sociales et environnementales demandé par le ministère des Mines en 2017 et finalisé en 2018, ont révélé que le consortium SMB n’avait toujours pas pris les mesures qui s’imposaient pour éviter ou au moins atténuer l’impact de l’exploitation minière sur les sources d’eau. Les rapports du BGEEE, par exemple, ont révélé qu’à plusieurs endroits, le consortium SMB n’avait pas construit de réservoirs pour recueillir l’eau de pluie boueuse et enlever les sédiments.[241] Selon la conclusion d’un rapport du BGEEE d’avril 2017, « la SMB n'a pris aucune mesure efficace pour atténuer la pollution des eaux de surface qui se traduit par le transport des sédiments dans les cours d'eau qui les rendent turbides et les contamine d'avantage ».[242] Un membre du personnel du BGEEE qui avait visité la concession de la SMB a dit, « Il y a très peu de contrôle des sédiments le long des routes ; les eaux pluviales s’écoulent directement dans les cours d’eau de la région, et la même chose se passe pour les mines ».[243] L’audit réalisé à la demande du ministère de mines en 2018 a conclu que « les routes minières montrent d’importantes contraintes environnementales », notamment des défaillances techniques pouvant entraîner le déversement de sédiments dans les rivières et cours d’eau.[244]
Le directeur général du consortium SMB, Frédéric Bouzigues, a déclaré à Human Rights Watch qu’il ne connaissait qu’un exemple, à la mine de la SMB à Malapouya, où les sédiments en provenance de la mine avaient endommagé les sources d’eau potable et que le consortium avait agi rapidement pour empêcher les écoulements d’eau de pluie dans les rivières.[245] Le consortium SMB, dans sa réponse de septembre 2018 aux questions de Human Rights Watch, a fait savoir que des systèmes de retenue des écoulements d’eaux pluviales en provenance de ses mines, ses routes minières et ses ports existent ou sont en cours de construction.[246] En effet, plusieurs des mesures citées par la SMB comme étant en cours de mise en œuvre afin de combler les lacunes de son premier ensemble d’études d’impact environnemental et social portent sur la réduction du transport de sédiments par le ruissellement, notamment en renforçant les abords des routes minières, en construisant des bassins de décantation pour recueillir les sédiments et en plantant des arbres le long des routes minières.[247]
Le consortium SMB n’a pas, toutefois, effectué de suivi de la qualité et du niveau des eaux qui lui permettrait de justifier son analyse de la portée de l’impact de l’exploitation minière sur les ressources en eau locales. Dans les premières années de ses opérations, le consortium n’a mis en place presque aucune procédure de suivi de la qualité et le niveau de l’eau dans la région. L’audit commandé en 2018 par le gouvernement expose le fait suivant : « Aucun suivi de l’environnement n’est effectué actuellement par la SMB. Les équipes HSSE ne disposent pas encore d’équipements de suivi de la qualité (…) des eaux ».[248] En outre, avant de commencer ses activités, la SMB n’a pas réalisé de mesures de référence de la qualité et du niveau des eaux, y compris les eaux souterrains, afin de pouvoir déterminer plus tard l’impact de l’exploitation minière sur les sources d’eau locales.[249] La SMB a dit en avril 2018 avoir eu recours aux services d’un cabinet de conseil pour examiner l’impact des activités minières sur, entre autres, l’accès à l’eau et la qualité de l’eau dans des villages situés à proximité de l’un de ses principaux sites miniers.[250] Cet examen a compris un contrôle mensuel de la qualité de l’eau des sources utilisées par la population.[251] Un rapport intérimaire devrait être présenté en octobre 2018 et un rapport annuel en avril 2019. D’après la SMB, aucune information n’est disponible concernant les débits des écoulements souterrains de la région et, en raison de contraintes de temps et de budget, il n’a pas été possible d’inclure une analyse des nappes phréatiques dans les études d’impact environnemental et social.[252]
Gestion de l’eau par la CBG
Pendant des décennies, la CBG a construit, fait fonctionner et entretenu un système de traitement de l’eau ainsi qu’un réseau de canalisations qui fournissent de l’eau à plusieurs quartiers de la ville de Sangarédi et à des quartiers de la ville portuaire de Kamsar où sont installés ses travailleurs.[253]
Mais dans les communautés voisines des mines de la CBG à Sangarédi, les habitants d’une demi-douzaine de villages ont déclaré que, depuis que les opérations de la CBG ont commencé en 1973, l’exploitation minière avait endommagé les rivières, les ruisseaux et les puits dont ces communautés dépendent pour leur approvisionnement en eau. Une étude d’impact social mené en 2014 à la demande de la CBG a noté le risque que représente l’exploitation minière pour les ressources en eau et a identifié deux villages pouvant être des exemples de lieux où l’industrie minière a déjà eu un effet néfaste sur l’accès à l’eau :
Étant donné que la plupart des foyers utilisent des puits, des sources, des rivières et des cours d’eau naturels pour y puiser l’eau destinée à leur consommation et à leur vie quotidienne, les activités minières pourraient tout à fait avoir un impact très négatif sur l’accès à l’eau. Les villages de Boundou Wandé et Hamdallaye sont des exemples types de communautés qui ont vu leurs sources et cours d’eau grandement dégradés par l’exploitation minière. L’ouverture de nouvelles zones d’excavation entraînera probablement la détérioration de l’accès à l’eau (…) autour de celles-ci.[254]
Human Rights Watch s’est rendu à Boundou Waadé et à Hamdallaye à plusieurs reprises au cours de ses recherches pour ce rapport. « Notre village porte le nom de la rivière qui traverse cette région », a déclaré un leader communautaire de Boundou Waadé.[255] « Nous utilisions la rivière pour nos besoins en eau potable, pour nous laver et pour pêcher – c’était de l’eau propre. Mais la CBG s’est mise à exploiter à côté de la source de la rivière, en réduisant son débit et en provoquant des coulées de boue rouge en provenance des mines pendant la saison des pluies ». Les habitants des villages de Hamdallaye ont souligné que l’impact de l’exploitation minière sur les rivières et les ruisseaux était un problème ancien, mais déclaré que des dommages avaient été causés aux rivières et aux cours d’eau par l’exploitation minière encore récemment, en 2016 ou 2017.[256]
Outre Boundou Waadé et Hamdallaye, quatre autres villages des environs des mines de la CBG à Sangarédi se sont plaints de l’impact de l’exploitation minière sur l’accès aux sources naturelles d’eau potable.[257] « Depuis l’arrivée de la mine, nous avons vu la rivière se remplir peu à peu de boue rouge et de sédiments venus de la mine », a déclaré un leader communautaire de Kalinkolé, un village proche de la ligne de chemin de fer de la CBG.[258] « Plusieurs grosses canalisations passent sous la voie ferrée et convoient l’eau des collines jusqu’aux mines de la CBG. Nous pensons que cette eau coule dans notre rivière et y déverse les sédiments miniers ».
En réponse aux inquiétudes exprimées par les communautés concernant la difficulté croissante qu’elles rencontrent pour accéder à l’eau à proximité des mines, le personnel de la CBG a fait savoir que la société met en œuvre des bonnes pratiques en essayant de limiter les conséquences de l’exploitation minière sur les eaux de surface et les nappes phréatiques, tout en reconnaissant que celle-ci aura toujours un impact sur les cours d’eau environnants.[259] D’après la CBG, la dégradation des sources d’eau dans la région de Boké, et particulièrement autour de la mine de Sangaredi, est due à de multiples causes, notamment engendrées par l’homme.[260] « L’ensemble de la région de Boké connaît un assèchement qui va en s’empirant depuis environ dix ans. Il est donc difficile de dire si cela est dû à la mine », a déclaré un membre de l’équipe Santé, sécurité et environnement de la CBG à Human Rights Watch.[261] Halco (Mining) Inc., la société portefeuille regroupant les actionnaires du secteur privé de la CBG, a indiqué à Human Rights Watch que « la CBG n’est pas en mesure de répondre aux allégations non fondées et remontant à une date aussi lointaine que 1973. »[262]
Cependant, le suivi de l’impact de l’exploitation minière sur les sources d’eau environnantes est une responsabilité qui incombe aux sociétés minières et au gouvernement guinéen, non aux communautés locales. Avant 2017, la CBG n’avait pas encore mis en place les outils nécessaires, tel qu’un modèle de suivi de l’impact sur le débit des rivières, des cours d’eau et des nappes phréatiques de la région, afin d’analyser de manière adéquate l’efficacité de ses mesures visant à atténuer les dégâts causés aux ressources en eau. En raison de l’absence de données historiques, il est difficile pour les communautés de justifier leurs revendications selon lesquelles l’exploitation minière a des effets sur l’accès à l’eau. En juillet 2018, la CBG a déclaré à Human Rights Watch qu’« il n’existe aucune étude à long-terme qui permette à ce jour d’identifier spécifiquement la source d’une potentielle dégradation de la qualité et de la quantité de l’eau dans la région mentionnée. »[263]
En 2015, dans le cadre de ses efforts pour se conformer aux normes de performance de la SFI,[264] la CBG a développé une nouvelle politique de gestion des ressources en eau qui exige de la compagnie de mettre en place les outils nécessaires au suivi de l’impact de l’exploitation minière sur les sources d’eau.[265] En juillet 2018, un membre du personnel de la CBG a expliqué ce qui suit à Human Rights Watch : « En ce qui concerne la quantité d’eau disponible, un programme de suivi est mis en place, depuis 2017, pour mesurer, au niveau mensuel, les débits et niveaux d’eau à plusieurs endroits de la concession de la CBG ainsi qu’autour des activités minières ».[266] Le personnel de la CBG a expliqué à Human Rights Watch que ce suivi amélioré permet désormais à la CBG de mettre en œuvre ou de renforcer des mesures d’atténuation sur un site donné lorsque les données de suivi indiquent que les activités d’exploitation minière ont un impact sur une ressource en eau.[267]
La CBG élabore également un modèle hydrologique qui, dans les années à venir, permettra à la société de comprendre l’impact de l’exploitation minière sur les sources d’eau locales. La CBG a déclaré en juillet 2018 à Human Rights Watch : « Un modèle permettant d’évaluer le comportement de la nappe phréatique et des eaux de surface suite aux activités minières a également été développé et permet à ce jour de conclure que les impacts [de l’exploitation minière sur les ressources en eau] sont relativement limités, à condition que les mesures d’atténuation préconisées soient mises en place, ce sur quoi travaille activement la CBG ».[268]
Le personnel de la CBG a également déclaré à Human Rights Watch que par le passé la compagnie avait vérifié la qualité de l’eau dans les rivières et les cours d’eau, mais aussi dans les puits, les forages et les eaux souterraines.[269] Cependant, l’EIES réalisé en 2014 par la CBG ne fait aucune référence à des contrôles de la qualité de l’eau antérieurs aux données de référence de 2011 et 2014.[270] De nombreux résidents et responsables de la région ont déclaré que la CBG ne leur avait jamais transmis les résultats des analyses de l’eau.[271] Le personnel de la CBG a déclaré à Human Rights Watch que la compagnie renforçait actuellement son suivi de la qualité de l’eau, et a installé un réseau de 36 puits de suivi des eaux souterraines, mais que les résultats actualisés ne pouvaient pas encore être communiqués au grand public.[272] La CBG a expliqué à Human Rights Watch que « Les premiers résultats qualitatifs en provenance d’un laboratoire homologué n’indiquent pas pour le moment d’impact physico-chimique significatif sur la qualité de l’eau ».[273] Ils ont indiqué que le plan de gestion environnemental et social modifié de la CBG, que la CBG est en passe de finaliser, indiquera si et quand ces données seront rendues publiques.[274] Halco (Mining) Inc. a déclaré à Human Rights Watch le 1er août 2018 que « Halco s’engage à soutenir les initiatives gouvernementales visant à rendre accessibles les informations de suivi environnemental basées sur des faits/scientifiques aux partenaires et communautés à l’échelle locale ».[275]
Mesures face à l’impact de l’exploitation minière sur l’accès à l’eau
Le gouvernement guinéen a la responsabilité principale de garantir à ses citoyens le droit à l’accès aux ressources en eau et de les protéger contre l’interférence par des tiers.[276] Mais lorsque les activités des sociétés minières menacent l’accès aux ressources en eau (ou tout autre droit), les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme stipulent que les entreprises doivent prévoir des mesures de réparation, ou collaborer à leur mise en œuvre.[277] Le code minier guinéen exige également que, lorsqu’elles demandent l’approbation d’un projet par le gouvernement, les sociétés minières, dans le cadre d’un plan plus large de développement communautaire, fournissent des détails sur la façon dont elles développeront l’approvisionnement en eau des communautés locales.[278] Les sociétés minières doivent tenir compte du fait que les mouvements de population vers les sites miniers, souvent en raison d’une augmentation perçue des opportunités d’emploi, peut augmenter la demande en eau.[279]
Toutefois, les habitants de plus d’une douzaine de villages ont déclaré que le gouvernement et les sociétés minières n’offraient pas d’alternatives adéquate s’agissant des sources d’eau, et que, lorsque ces alternatives existaient, elles n’étaient trouvées que plusieurs mois après que les sources d’eau aient été impactées. Une femme de Tintima, un village près du port du consortium SMB à Dapilon, a décrit comment l’augmentation de la population dans les villages des environs, combinée aux zones bloquées par la construction du port, faisait grimper la demande sur les quelques sources d’eau du village. « L’eau a changé de couleur à cause du nombre de personnes qui viennent remplir leurs seaux », a-t-elle expliqué.[280] « Le niveau était beaucoup plus bas que d’habitude ». Des leaders communautaires ont déclaré que le consortium SMB avait construit un nouveau forage à Tintima fin 2017 plus d’un an après le début de l’exploitation du port de Dapilon.
Les communautés ont affirmé qu’elles ont dû développer des mécanismes pour s’adapter au manque d’accès aux ressources en eau.[281] Plusieurs villages ayant dit avoir eu accès à des sources d’eau naturelles par le passé ont déclaré qu’ils devaient désormais compter sur le consortium SMB pour leur approvisionnement en eau par camions-citernes, les obligeant à rationner l’eau qu’ils consommaient, ou à chercher d’autres sources d’eau plus éloignées. « La SMB nous envoie de l’eau par camions-citernes tous les deux ou trois jours, mais c’est insuffisant », a déclaré un leader communautaire de Kandouga.[282] « Nos jeunes doivent donc prendre leurs motos ou leurs scooters et faire 2 kilomètres jusqu’au forage. Là-bas, les habitants du village font payer une petite somme pour chaque conteneur de 20 litres que nous remplissons ».
Les femmes et les jeunes filles, qui sont les premières concernées quand il s’agit d’approvisionner les familles en eau, ont déclaré qu’elles portaient le plus lourd fardeau pour trouver des alternatives. « Trouver de l’eau est une tâche qui incombe principalement aux femmes », a déclaré l’une d’entre elles, dans un village près de Sangarédi.[283] « Nous devons trouver de l’eau pour donner à boire à nos familles, mais aussi pour que les hommes puissent se laver avant de prier ». Plusieurs femmes ont déclaré que la pénurie d’eau menaçait la cohésion sociale. « Avec toutes les femmes qui sont au forage, il y a souvent des disputes pour savoir qui passera en premier », a raconté une habitante.[284] Une autre femme a décrit un affrontement qui s’était produit dans un village, juste devant le puits. « Je m’étais levée à 4 heures du matin pour aller chercher de l’eau au puits du village », a-t-elle expliqué.[285] « Une femme a demandé à une autre de lui laisser au moins un seau d’eau. Quand elle a refusé, elles se sont jeté l’une sur l’autre. Ce genre de chose arrive assez régulièrement – le manque d’eau nous met à toutes les nerfs à vif ».
La CBG a indiqué à Human Rights Watch avoir demandé la réalisation d’une étude d’impact indépendante de manière à évaluer l’effet des activités d’extraction sur l’accès à l’eau potable. D’après la CBG, seuls deux villages ont été identifiés comme étant exposés à un risque et ont depuis obtenu des forages.[286] Cependant, au vu de l’absence de données historiques relatives aux conséquences de l’exploitation minière sur les niveaux et la qualité des eaux, Human Rights Watch ne connaît pas avec certitude la méthodologie employée pour mener cette analyse. La CBG a également fait savoir qu’elle avait financé la construction de 36 puits et forages depuis 2015 dans le cadre de sa politique d’aide au développement des communautés.[287] La CBG devrait, lorsque son système amélioré de suivi du niveau et de la qualité de l’eau identifie une menace pour l’accès à l’eau, garantir la fourniture sans délai d’un accès à des sources d’eau fiables. Les organisations de la société civile devraient travailler avec les communautés qui disent ne pas pouvoir accéder de façon satisfaisante à l’eau potable pour faire part de leurs revendications à la CBG par l’intermédiaire de son mécanisme de règlement des griefs.
Le consortium a également fait savoir qu’il avait fourni 80 trous de forage et huit puits aux communautés locales, et qu’il avait réparé 40 autres trous de forage ; cependant, l’absence de données de suivi relatives à l’impact de l’exploitation minière sur les sources d’eau ne permet pas d’évaluer le caractère adapté de cette réponse. De nombreux habitants ont déclaré à Human Rights Watch que la SMB n’avait pas construit assez de sources alternatives et qu’il leur a fallu attendre plusieurs mois après les dégâts causés aux sources naturelles pour que des sources alternatives soient aménagées.[288] « L’accès aux lieux où nous puisons l’eau a été coupé par le port et par la route minière », a expliqué un leader communautaire de Dapilon, un village proche d’un port du consortium SMB.[289]
« Il a fallu plus d’un an à la société pour construire des forages dans chaque village de la région, mais c’est toujours insuffisant – notamment à cause de tous les gens qui se sont installés ici ». Plusieurs villages ont par ailleurs remis en cause la qualité de l’eau fournie par le consortium SMB, et ont fait savoir que la SMB n’avait pas testé l’eau ou n’avait pas fait connaître les résultats des tests menés.
Menaces à la santé liées à la détérioration de la qualité de l’air
Des dizaines de riverains des mines à ciel ouvert et des routes minières dans la région de Boké ont décrit comment leurs vies avaient été affectées par la poussière produite par l’exploitation et le transport de la bauxite, qui pénètre dans les villages et les maisons et recouvre les cultures d’une couche de terre rouge pendant les mois de saison sèche. « Elle s’infiltre partout, jusque dans la nourriture que nous cuisinons », a déclaré une habitante d’un village proche de la mine de la SMB à Malapouya.[290] Beaucoup de villageois disent craindre que l’exploitation minière contribue déjà aux maladies respiratoires et s’inquiètent des répercussions à plus long terme sur leur santé. « Quand vous revenez des champs sales et couverts de poussière, même si une maladie ne se manifeste pas tout de suite, il est tout à fait possible que cela se produise plus tard », a déclaré un leader communautaire.[291] Une surveillance limitée de la part du gouvernement et l’absence presque complète de données publiques de la part des entreprises minières sur l’impact des activités minières sur la qualité de l’air signifient que les communautés ne sont pas en mesure de vérifier si leurs craintes sont bien fondées.
Des médecins et des agents de santé ont déclaré qu’en l’absence de statistiques fiables, il était impossible de tirer des conclusions sur les associations entre les activités minières et les maladies respiratoires.[292] Ils ont toutefois souligné que la détérioration de la qualité de l’air liée à l’exploitation minière pouvait avoir des effets négatifs. « Les maladies respiratoires ne peuvent qu’augmenter avec la hausse des niveaux d’émissions de poussière et de pollution produit par l’exploitation minière », a déclaré le Dr Soumah N’Fansoumane, le directeur adjoint de l’hôpital régional de Boké.[293] Bien que la poussière des mines de bauxite à ciel ouvert et celle des routes de transport ne soient pas normalement plus toxiques qu’autres substances, l’exposition aux particules fines de poussière peut provoquer, déclencher ou exacerber des maladies respiratoires et cardiovasculaires selon l’Organisation mondiale de la santé.[294] Les gaz d’échappement des véhicules sont aussi une cause avérée de maladies respiratoires.
Les villages et les maisons situés le long des routes minières non asphaltées du consortium SMB, sur lesquelles circulent des centaines de camions chaque jour, sont les plus touchés par la poussière et les émissions des véhicules.[295] Un audit réalisé en 2018 à la demande du ministère des Mines a conclu que le trafic des camions sur les routes de la SMB pouvait être estimé à « 4 000 ou 5 000 véhicules jours ».[296] La SMB a affirmé à Human Rights Watch : « La poussière soulevée par les routes minières est l’une de nos préoccupations prioritaires ».[297] Si, au début, la SMB a mené ses activités avec des mesures d’atténuation loin d’être adéquates, en 2018 elle a réduit de manière significative la production de poussières sur ses routes minières en les arrosant plus fréquemment. Les communautés ont encore des inquiétudes, cependant, relatives à l’impact sur la qualité de l’air des gaz d’échappement et de la poussière, et elles affirment que l’arrosage n’est que partiellement efficace.
Si la CBG utilise le transport ferroviaire pour convoyer le minerai destiné à l’exportation, des leaders communautaires ont indiqué que la mauvaise qualité de l’air restait préoccupante pour les habitants des villages voisins des mines exploitées par la CBG dans les quartiers résidentiels proches d’une usine de traitement où la bauxite est stockée, broyée et séchée. Le personnel de la CBG a expliqué à Human Rights Watch en juillet 2018 que le niveau de qualité de l’air de sa concession correspond actuellement à la plus haute cible définie par l’OMS, mais la société minière n’a mis en place un système étendu de contrôle de la qualité de l’air qu’en 2017 et n’a pas encore publié de données actualisées.[298] La CBG a pour objectif d’atteindre la valeur indicative de qualité de l’air de l’OMS la moins élevée d’ici 2024.[299]
Impact de la poussière sur la vie quotidienne
Les villages qui côtoient le réseau routier du consortium SMB ont décrit l’arrivée de la poussière dans leurs communautés, due au va-et-vient des camions à gros tonnage qui la déplacent des routes non asphaltées. « Pendant quatre ou cinq jours en 2016, l’école a été fermée à cause des grandes quantités de poussière qui y pénétrait », a déclaré un parent d’élève de Kounissa, un village dont l’école se trouve à 200 mètres de la route minière.[300] « La route minière a coupé notre village en deux ». Un leader communautaire de Djoumayah, village situé dans une vallée près de la route minière de la SMB, a déclaré en 2017 que le passage incessant des camions perturbait le sommeil de ses familles : « Les camions roulent toute la journée et toute la nuit. C’est comme ça depuis que la route minière a été construite et ça s’arrête seulement quand il y a une grève, ou un événement similaire ».[301]
Des images satellite examinées par Human Rights Watch montrent que 40 communautés (dont des villages comptant des dizaines d’habitations et des hameaux qui n’en comptent que quelques-unes) se trouvent à moins de 500 mètres de la route minière de la SMB reliant Dapilon à Malapouya, et 28 à moins de 250 mètres. Pour la route reliant Katougouma à Dabis, 12 communautés vivent à moins de 250 mètres de celle-ci, et 17 à moins de 500 mètres. Lorsque Human Rights Watch a pris pour la première fois la route minière de la SMB entre Dapilon et Malapouya en mars 2017, les camions qui passaient soulevaient tellement de poussière que nos chercheurs avaient du mal à voir plus loin que quelques centaines de mètres devant eux. Des images satellite de février 2017, pendant la saison sèche, montrent clairement la poussière qui s’est déplacée de la route sur les arbres, les récoltes et les maisons environnants, un voile rouge s’étalant sur 800 à 900 mètres à partir de la route. Bien que la SMB ait depuis pris des mesures pour réduire les émissions de poussière, notamment en arrosant plus fréquemment les routes, les arbres et les cultures situées au bord des grands tronçons de route restaient, en avril 2018, la fin de la saison sèche, recouverts d’une épaisse couche de poussière rouge.
Les résidents de plusieurs villages autour des sites miniers de la SMB se sont également plaints de la quantité de poussière produite quand les mines sont en cours d’exploitation. En mars 2017, des chercheurs de Human Rights Watch ont observé que d’importantes quantités de poussière provenant de la mine de la SMB à Malapouya, et notamment de gros tas de bauxite non couverts, se déplaçaient vers des douzaines de maisons situées à proximité. La bauxite guinéenne est extraite en surface, si bien que le dynamitage de la roche et l’utilisation de « surface miners », des machines qui découpent le minerai sans avoir à se servir d’explosifs, peuvent produire de grandes quantités de poussière.[302]
Des images satellite examinées par Human Rights Watch ont également révélé de grands tas de minerai de bauxite stockés à ciel ouvert dans l’enceinte des deux ports du consortium SMB, à Dapilon et à Katougouma. Ces images comportent aussi des éléments indiquant que la poussière est transportée par le vent à deux kilomètres des ports, arrivant à cinq villages proches du port de Dapilon, et quatre villages à proximité de Katougouma. « Vous pouvez passer votre doigt le long du mur de n’importe quelle maison ici, et il sera couvert de poussière », a déclaré un leader communautaire de Katougouma.[303] « On nettoie, et ça revient immédiatement ». Un autre leader communautaire du port de Katougouma s’est adressé à une mission d’inspection du gouvernement en février 2018 : « Les poussières ont créé des toux chez les habitants de Katougouma surtout chez les personnes âgées et les nouveau-nés (…). Aidez-nous à atténuer les poussières car le promoteur ne veut rien entendre par rapport à cela ».[304] Le BGEEE, en avril 2017, a conclu, à propos du port de Katougouma : « Le déchargement des camions, le chargement des barges, les stocks de minerai et d'autres activités portuaires ne présentent pas de mesures réelles de lutte contre le soulèvement de poussières ».[305] Le rapport félicite, toutefois, le consortium SMB pour l’arrosage continu des zones du port de Dapilon où des camions et d’autres véhicules circulent.[306]
Dans les communautés voisines des zones d’activité du consortium SMB, des dizaines de personnes ont dit craindre que la poussière produite par ces activités ait déjà eu un impact sur la santé de leurs proches, ou penser qu’elle en aurait un plus tard. « Mes trois enfants ont souvent des quintes de toux la nuit, ils toussent tellement que ça les fait vomir », a déclaré une femme de Lansanayah, un village proche d’une mine de la SMB.[307] « Lorsque la compagnie exploite la mine, elle envoie de grandes quantités de poussière dans notre direction. »
Inquiets de l’impact potentiel de l’exploitation minière sur leur santé, les familles, et surtout les femmes, parfois utilisent une partie de leurs maigres ressources pour engager des frais hospitaliers et payer des médicaments. « Ce sont nous, les femmes, qui conduisent les enfants à l’hôpital », a expliqué une ancienne du village de Lansanayah.[308] « À plusieurs reprises, nous avons demandé à la compagnie de nous fournir du matériel pour mieux équiper le centre de santé local, mais ils n’ont jamais rien donné », a déclaré une femme d’un village voisin.[309] « Il nous faut donc aller à Boké, à 40 kilomètres, pour acheter des médicaments ou faire des tests, ce qui coûte entre 20 000 et 25 000 FG ($2.20) ». En 2015, le consortium SMB a installé un centre médical à Katougouma, mais le gouvernement n’a fourni le personnel médical nécessaire à son fonctionnement qu’en juillet 2017.[310]
Sur la concession de la CBG, où le transport de la bauxite se fait par voie ferroviaire, les communautés se plaignaient beaucoup moins souvent de la poussière que celles qui vivent à proximité des routes minières de la SMB. Mais la mauvaise qualité de l’air reste une source de préoccupation pour les villages proches des mines de la CBG. « Pendant la saison sèche, nous souffrons beaucoup de la poussière des routes qui sillonnent le site minier, de celle qui résulte du dynamitage et de celle que produisent les roches exposées », a déclaré un leader communautaire de Boundou Waadé.[311] « Elle se dépose sur tous les arbres qui sont ici, et certains jours, c’est difficile de voir quoi que ce soit dans le village ».[312] Une étude d’impact socio-économique commandée par la CBG en 2014 a noté que :
Les machines et les appareils miniers qui se déplacent jour et nuit dans les mines à ciel ouvert constituent une nuisance pour la santé lorsque les zones d’exploitation se trouvent à proximité de zones habitées. Ces machines exposent la population locale à des niveaux élevés de poussière (sauf pendant la saison humide) car les routes ne sont ni asphaltées, ni assez arrosées.[313]
Les leaders communautaires de Kamsar, où est situé le port de la CBG, restent préoccupés par l’impact du port de la CBG et de son usine de traitement de la bauxite sur la qualité de l’air, même si selon eux la gestion de la qualité de l’air s’est améliorée au cours des vingt dernières années.[314] La CBG a déclaré qu’en 2005 elle avait dépensé 17 millions de dollars pour moderniser son usine de Kamsar et réduit ses émissions de 80%.[315] « Lorsque la CBG est arrivée ici, il y avait beaucoup de poussière à Kamsar, tellement parfois que le ciel était rouge et obscur », a déclaré Hadja Keita, la présidente d’une coopérative de microcrédit destinée aux femmes à Kamsar.[316] « Dans les années 2000, la CBG a commencé à réduire la poussière et les émissions pour limiter l’impact sur les populations locales, mais les conséquences sanitaire de la présence de l’usine continue de nous inquiéter ».
Risques sanitaires liés à la détérioration de la qualité de l’air
La poussière de bauxite n’est pas en soi toxique.[317] Il a cependant été prouvé que l’exposition à n’importe quel type de poussière de particules fines provoque, déclenche ou exacerbe les maladies respiratoires et cardiovasculaires.[318] Les particules de 10 micromètres ou moins (PM10) peuvent pénétrer dans les poumons ou entrer dans la circulation sanguine et entraîner des maladies cardiaques, le cancer du poumon, de l’asthme et des infections aiguës des voies respiratoires inférieures.[319] Les PM2.5 sont de petites particules fines, de diamètre inférieur ou égal à 2,5 micromètres qui, inhalées, atteignent plus profondément les poumons et créent des risques additionnels pour la santé.[320] Les particules PM2.5 et les PM10 sont portées par l’air ; les PM2.5 peuvent rester en suspension pendant de longues périodes, et les particules PM10 qui ne sont pas transportées aussi loin, sont donc souvent déposées dans le sens du vent de la source d’émission.[321] L’OMS a publié des lignes directrices pour protéger la santé publique, qui définissent des valeurs seuil pour les PM10 et pour les PM2.5.[322] En 2015, le gouvernement de la Guinée a adopté les normes nationales pour la pollution atmosphérique qui comprennent les normes sur la qualité de l’air.[323] Les normes comprennent les standards sur particules de 10 micromètres ou moins (PM10).[324]
Au niveau mondial, il existe très peu de données qui analysent l’incidence de l’extraction de la bauxite ou de son transport sur la qualité de l’air et sur la santé des communautés voisines des gisements.[325] Des études ont cependant montré que l’extraction à ciel ouvert produisait de grandes quantités de particules, à cause de la poussière produite pendant l’extraction, mais aussi pendant le chargement et le transport des matières premières par la route, bien que la plupart (mais pas toutes) les particules de cette poussière soient plus grosses que les PM10 et d’autres particules nocives de taille inférieure.[326] D’ailleurs, plusieurs études montrent que le transport des matières premières extraites des mines, et notamment les routes utilisées pour le transport, sont une source importante de particules fines, notamment les particules suffisamment fines (PM10 ou moins) pour créer des risques pour la santé humaine du fait du frottement des pneus sur les routes.[327]
Les émissions de gaz d’échappement des véhicules diesel et à essence utilisés sur les routes minières peuvent également avoir des effets néfastes sur la santé respiratoire.[328] Les véhicules à moteur diesel constituent la majorité du parc des camions du consortium SMB.[329] Ils émettent du dioxyde de soufre et du dioxyde d’azote, qui ont tous deux été associés à des maladies respiratoires et cardiaques et à des risques de mortalité accrue.[330] Les émissions des véhicules sont aussi une source supplémentaire de particules PM2.5 et PM10.[331] Des études ont montré les liens qui existent entre l’exposition à la pollution de l’air liée à la circulation routière, qui englobe à la fois les particules et les autres émissions de gaz d’échappement, et les effets négatifs sur la santé, notamment l’asthme et d’autres maladies respiratoires.[332] D’autres études ont souligné des associations statistiques plus fortes entre incidences négatives sur la santé et circulation des camions, par rapport à la circulation automobile.[333]
Observations faites par le personnel de santé local
Human Rights Watch a parlé des risques liés à la poussière et aux autres polluants produits par l’exploitation et le transport de la bauxite à des agents de santé communautaires, notamment ceux de trois cliniques dans des villages proches des zones d’exploitation du consortium SMB, et avec du personnel d’encadrement à l’hôpital régional de Boké et au centre médical à Sangarédi, où se trouvent les mines de la CBG.
Plusieurs agents de santé des cliniques rurales qui s’occupent quotidiennement des communautés proches des opérations de la SMB ont déclaré qu’ils pensaient que la réduction dans la qualité de l’air liée à la poussière et émissions avait contribuée à une augmentation des maladies respiratoires.[334] « La poussière provoque beaucoup de maladies – irritations des yeux, toux et autres problèmes respiratoires », a déclaré un agent de santé communautaire de Djoumayah, un village proche de la mine de la SMB à Malapouya.[335] « Nous n’établissons pas de statistiques sur les cas de bronchite, mais je pense qu’il y en a plus qu’avant ».
Les agents de santé sont particulièrement préoccupés par les risques liés à la dégradation de la qualité de l’air chez les enfants, qui sont plus sensibles aux maladies respiratoires dues à l’exposition aux particules fines. « Depuis l’arrivée de la mine, il me semble que la bronchite est un problème chez les enfants », a expliqué un agent de santé de Diakhabia, un village situé à proximité du port du consortium de SMB à Dapilon.[336] « Mais comme nous envoyons les enfants les plus malades se faire soigner à Kamsar ou à Boké, je n’ai pas de dossiers ni de statistiques sur les diagnostics que reçoivent les enfants malades ». Partout dans le monde, les facteurs environnementaux, notamment la pollution de l’air, sont une cause décisive des maladies et de la mortalité infantiles.[337] Les infections des voies respiratoires inférieures sont parmi les plus grandes causes de mortalité chez les enfants.[338]
Meilleures pratiques en matière de suivi et d’atténuation des impacts sur la qualité de l’air
Les Directives environnementales, sanitaires et sécuritaires (directives EHS) du Groupe de la Banque mondiale stipulent que les entreprises doivent estimer l’impact probable de leurs activités sur la qualité de l’air avant le début d’un projet.[339] Cela nécessite de la part des entreprises qu’elles effectuent des « études de référence de la qualité de l’air » - c’est-à-dire des mesures de la qualité de l’air avant le début des opérations minières – et « d’utiliser des modèles de dispersion atmosphériques afin d’établir les concentrations possibles au niveau du sol » – c’est-à-dire des modèles qui fait une estimation quantitative de comment les émissions des activités minières changeront la qualité de l’air dans les zones habitées.[340] La directive 2014 du gouvernement guinéen sur la réalisation des études d’impact environnemental et social dans le secteur minier recommande aux entreprises « d’utiliser des modèles reconnus » comme base pour évaluer les impacts environnementaux probables, notamment en ce qui concerne la qualité de l’air.[341] Des spécialistes internationaux de l’environnement et de la santé respiratoire ont déclaré à Human Rights Watch qu’une fois que l’impact probable de l’exploitation minière sur la qualité de l’air sera connu, les entreprises devraient mener des évaluations des risques sanitaires en utilisant des modèles statistiques qui rendent compte des conséquences d’un changement de la qualité de l’air sur la santé des populations locales.[342]
Pour répondre aux effets potentiels de l’exploitation minière sur la qualité de l’air et la santé, les compagnies devraient imaginer des mesures d’atténuation pour protéger la santé des populations locales. Les directives EHS soulignent que les matières particulaires peuvent être libérées pendant « le transport et le stockage à l’air libre de matériaux solides » et qu’elles « proviennent également des sols exposés (routes non revêtues) ». Elles recommandent donc l’utilisation de techniques de dépoussiérage telles que l’arrosage de routes minières.[343] Les directives reconnaissent toutefois que l’efficacité de l’arrosage est variable et que ses effets sur l’émission de particules varient de 12% à 98%.[344] Elles soulignent la nécessité de veiller à ce que « les programmes de suivi des émissions et de la qualité de l’air donnent des informations permettant d’évaluer l’efficacité des stratégies de gestion des émissions ».[345] Les données de suivi doivent permettre de prendre des mesures correctives efficaces.[346]
Gestion par la SMB de la qualité de l’air
Les entretiens avec des responsables du gouvernement, l’examen des rapports d’inspection de celui-ci, et l’analyse des études d’impact environnemental et social du consortium SMB suggèrent que la SMB n’a pas correctement anticipé l’impact de ses opérations sur la qualité de l’air, ni mis en œuvre les mesures d’atténuation adéquates et suivi leur efficacité.
Les EIES commandées par le consortium SMB n’ont pas suivi les meilleures pratiques internationales qui auraient exigé la modélisation des changements quantitatifs de la qualité de l’air résultant des opérations de la SMB, notamment de l’exploitation minière et du transport routier. Un certain nombre de ces EIES ont réalisé des évaluations très limitées de référence de la qualité de l’air, sans estimer l’impact des opérations de la SMB sur les relevés de référence.[347] Cela signifiait que, quand le projet a démarré, ni la SMB ni le gouvernement guinéen ne connaissaient l’ampleur de ses conséquences pour la qualité de l’air et la santé publique.
Le consortium SMB était, toutefois, connaissant de façon générale que son projet portait des risques pour la qualité de l’air de la région. L’EIES relative à la route minière reliant Dapilon à Malapouya conclut ce qui suit :
Les travaux de construction de la route minière présagent déjà des inconvénients qu’ils pourraient causer aux populations situées dans l’emprise notamment, l’encombrement de la voie, l’augmentation des risques d’accident de la circulation, l’altération de la qualité de l’air (poussières, fumées), bruit et vibrations… la perte des arbres à valeur économique. La situation est d’autant plus préoccupante que sur le long de la voie de traversée actuelle se trouvent certaines plantations, écoles, habitations, points d’eau, etc.[348]
En ce qui concerne la qualité de l’air, l’EIES note plus spécifiquement :
Au total, toutes les émissions et l’intrusion de polluants dans l’air entraînent de facto la pollution de l’air et les risques de maladies oculaires et pulmonaires des populations et des travailleurs situés dans l’environnement immédiat des sites de travaux.[349]
En dépit de ces avertissements, cependant, la SMB a commencé ses activités avec des mesures d’atténuation qui étaient loin d’être adéquates. Au cours des deux premières années d’exploitation de la SMB, de 2015 et jusqu’à avril 2017 au moins, l’arrosage de ses routes minières par la SMB sont restées très inférieures à ce qui était nécessaire pour réduire les niveaux de poussière. « Ils arrosent le tronçon de route qui est le plus proche de leur base, mais l’effet est éphémère », a déclaré un agriculteur en avril 2017.[350] « C’est sec une heure plus tard et il faut tout recommencer ». En avril 2017, le BGEEE a conclu que « La faible fréquence d'arrosage de la piste [entre la mine de la SMB à Malapouya et le port de Dapilon – soit environ 40 kilomètres] fait que ce tronçon est moins arrosé et par conséquent, elle est la source d'envolées de poussières. ».[351] Le rapport a félicité la SMB pour la fréquence de son arrosage sur son autre route minière principale, de Katougouma à Dabis, tout en notant que la SMB n’a pas su limiter de manière adéquate la vitesse de ses camions et couvrir les conteneurs où la bauxite est transportée, contribuant ainsi à l’augmentation des émissions de poussière.[352]
Même si les communautés sont convaincues que les activités des sociétés minières ont des effets sur leur santé, les contrôles par le consortium SMB de la qualité de l’air, y compris dans les zones résidentielles, ont été rares voire inexistants jusqu’en 2018.[353] Un audit réalisé en 2017 à la demande du ministère des Mines a conclu que la SMB n’avait alors effectué aucun suivi de la qualité de l’air, et que la société ne possédait à ce moment pas l’équipement nécessaire pour le faire.[354]
Le Directeur général de la SMB, Fréderic Bouzigues, a reconnu qu’il avait fallu un ou deux ans à la SMB pour intégrer ce qu’il appelait « un programme anti-poussière efficace ».[355] M. Bouzigues a souligné que le consortium avait augmenté la fréquence de l’arrosage sur les routes, et avait fait l’acquisition en 2017 d’une flotte de citernes d’eau chargées de l’arrosage.[356] Bouzigues a aussi affirmé qu’à partir de 2017, le consortium a fait plus d’efforts pour assurer le respect les limitations de vitesse aux chauffeurs de camion et revêtu quelques tronçons de la route minière, notamment à l’approche des ports à Katougouma et à Dapilon. En 2017, la SMB a également asphalté un tronçon de quinze kilomètres de route nationale entre la ville de Boké et le port de Katougouma, suite à des plaintes relatives à la circulation due aux activités du consortium, qui a augmenté les émissions de poussière sur la route. M. Bouzigues a expliqué à Human Rights Watch que la SMB n’avait pas asphalté le reste de ses routes minières en raison des coûts engendrés et parce que, en raison de la densité de circulation des camions, l’état de la chaussée allait se détériorer rapidement.[357]
Pourtant, si les habitants ont déclaré que les mesures d’atténuation de la SMB avaient réduit le niveau des émissions de poussière depuis mi-2017, des dizaines d’entre eux ont affirmé que le consortium ne faisait pas encore assez pour régler le problème de la qualité de l’air. Plusieurs communautés ont montré aux chercheurs de Human Rights Watch comment la végétation des deux côtés des routes minières était toujours recouverte de poussière rouge pendant la saison sèche, et que même les arbres à un ou deux cents mètres de la route étaient clairement rougis par la poussière. « Il est vrai qu’il y a maintenant beaucoup plus d’arrosage, et que cela aide à réduire le niveau des émissions de poussière », a déclaré à Human Rights Watch un agent de santé communautaire de Djoumayah en janvier 2018.[358] « Mais l’arrosage ne suit pas un programme strict et les problèmes respiratoires restent les mêmes ». Un autre leader communautaire de Kakoumba, un village situé au bord de la route, a également reconnu une amélioration limitée de la situation : « L’arrosage a aidé, mais cela ne suffit pas. Nous voulons que la route soit asphaltée ou que la SMB transporte les matériaux par train. Notre santé devrait être prioritaire ».[359]
Afin d’évaluer les avancées de l’atténuation par la SMB des différentes émissions, notamment de poussières, les ministères des Mines et de l’Environnement ont effectué en février 2018 une mission dans les zones d’activité du consortium SMB. Le rapport publié à la suite de cette mission conclut : « L’équipe d’inspection conjointe a constaté des cas avérés d’émission de particules polluantes engendrée par l’extraction, le transport et l’expédition du minerai de bauxite par cette société minière ayant des répercussions sur les activités agricoles et le quotidien des communautés voisines ».[360] Neuf des dix mesures de la qualité de l’air effectuées pendant cette inspection ont dépassé la cible de l’OMS la plus élevée (c’est-à-dire la plus généreuse à l’entreprise) pour le niveau de particules PM10 pour une période de 24 heures. Dans quatre cas, le niveau constaté était de plusieurs fois supérieur à cette cible.[361] Quatre des dix mesures ont été conduites en zone résidentielle, et ont toutes dépassé la cible maximale de l’OMS.[362]
Les résultats de la mission de février 2018 reflètent ceux des inspections de la SMB menées précédemment par le gouvernement par l’intermédiaire du BGEEE en octobre 2016 et avril 2017. Sept des neuf relevés de la qualité de l’air effectuées par le BGEEE en 2016 et 2017 dans les zones d’activité de la SMB dépassent les valeurs cibles les plus élevées fixées par l’OMS pour les particules PM10 par période de 24 heures, même si aucune de ces mesures ont été faites dans les zones résidentielles.[363] Quatre des mesures auraient dépassé la cible plusieurs fois.[364]
Des scientifiques spécialistes de l’environnement, qui ont examiné pour Human Rights Watch les données des inspections menées par le gouvernement, ont constaté que la méthodologie de suivi employée présentait d’importantes limites. Pendant les inspections, les niveaux de poussière n’ont été enregistrés qu’une seule fois sur chaque site testé, et pour une période de temps très courte, souvent de quelques minutes, ce qui signifie que ces relevés ne permettent pas de déterminer les fluctuations des niveaux de poussière au cours d’une journée, ou sur une période plus longue.[365]
Fredéric Bouzigues, Directeur général de la SMB, a déclaré à Human Rights Watch qu’il estime que la rigueur et la fiabilité des mesures de la qualité de l’air effectuées par le BGEEE sont questionnables. Des membres du personnel du BGEEE, tout en reconnaissant que leurs méthodes ont des limites, ont rétorqué que leur rôle consiste uniquement à zones exposées à un risque, et qu’il revient aux sociétés minières de procéder à un suivi continu ou régulier de la qualité de l’air.[366]
M. Bouzigues a déclaré que le consortium développait actuellement un système de suivi de la qualité de l’air intégré à un programme renforcé de gestion environnementale et sociale.[367] Le consortium SMB a dit à Human Rights Watch en septembre 2018 que dans les villages dont des représentants se plaignent du niveau de poussière, le consortium prend maintenant les mesures mensuelles du niveau de particules.[368] Cette surveillance a commencé en décembre 2017, mais la SMB a dit que ses résultats initiaux ne seraient rendus publics que dans un rapport annuel à la fin de 2018.[369] Un programme de suivi efficace exigerait des mesures fréquentes dans les zones résidentielles et autres lieux fréquentés par le public à proximité des mines, des routes et des ports du consortium SMB, et la prise en compte des variations saisonnières ou de la direction des vents dominants.[370] Des spécialistes de l’environnement ont déclaré que le suivi ne devait pas se limiter aux matières particulaires, mais devait aussi tenir compte d’autres substances potentiellement dangereuses, telles que le dioxyde d’azote ou le dioxyde de soufre.[371] Les tests de qualité de l’air devraient également être réalisés conformément à une méthodologie de suivi qui tienne compte des normes internationales.[372] La SMB devrait aussi rendre publics les résultats de ses évaluations de la qualité de l’air.[373]
Gestion par la CBG de la qualité de l’air
Comme on l’a déjà dit plus haut, et même si la CBG transporte la bauxite par voie ferroviaire, les communautés restent préoccupées par les problèmes de qualité de l’air lorsqu’elles sont près de mines de la CBG en cours d’exploitation, des zones de stockage, ou des routes minières qui relient les mines au chemin de fer de la compagnie, ou si les foyers sont proches des usines de traitement de la CBG à Kamsar.
Les études d’impact environnemental et social réalisées en 2014 pour le projet d’extension en cours de la CBG ont fourni des éléments sur la qualité de l’air dans les zones d’activité de la CBG, et sur les impacts futurs à attendre quand les activités minières s’intensifieront. En 2014, des consultants ont effectué une évaluation de référence limitée de la qualité de l’air sur des sites proches d’habitations situées non loin de la zone d’activité de la CBG à Kamsar et dans deux mines en cours d’exploitation (Hamdallaye et Petoun Boundou Waadé).[374] Conformément aux meilleures pratiques internationales, la CBG a également commandé une modélisation scientifique sur la possible production de matière particulaire et autres émissions dues aux activités de la CBG, notamment dans les zones résidentielles, aux niveaux de production actuels, et à mesure que la production augmente pendant le projet d’extension.[375]
Les relevés de référence enregistrés pendant l’EIES de 2014 dans les zones résidentielles situées à proximité de l’usine de Kamsar ont montré que la zone était déjà « chargée en particules fines », avec des niveaux moyens de PM10 supérieurs aux recommandations de l’OMS et des concentrations journalières maximales significativement plus élevées.[376] Les images satellite de mars 2018 examinées par Human Rights Watch montrent que la poussière de l’usine et des zones de stockage de la bauxite a été déplacée sur la ville de Kamsar, en particulier les quartiers se situant à proximité des zones de stockage et de traitement situées dans l’enceinte du port.
Si une évaluation sanitaire de la CBG de 2014 a fait valoir que la compagnie ne contribuait qu’à un faible pourcentage seulement des particules fines identifiées à Kamsar et que le reste de ces particules provenait d’autres sources liées à l’activité humaine, elle conclut néanmoins que :
Quoique modérée, la contribution estimée de la CBG à l’émission des particules collectées est significative au regard des lignes directrices de l’OMS. La qualité de l’air que nous avons observée à Kamsar n’est pas conforme aux lignes directrices de l’OMS et pourrait augmenter le risque d’effets sur la santé du système respiratoire par exemple. Ceux-ci seraient accentués chez les individus les plus vulnérables, tels que les nourrissons ou [les personnes âgées].[377]
Les relevés de référence effectués dans les villages autour de la mine de Sangarédi ont également montré que le niveau des particules fines présentes dans l’air était élevé, même si l’étude a de nouveau en partie attribué cette situation à des sources autres que la CBG.[378] La modélisation par la CBG des niveaux futurs de qualité de l’air a montré que, lorsque les activités minières de CBG se développeront, la qualité de l’air pourrait se dégrader au point d’atteindre des niveaux de sécurité alarmants dans au moins deux villages proches de Sangarédi et dans les zones résidentielles à proximité des routes minières.[379]
Compte tenu des niveaux actuels de particules fines à Kamsar et Sangarédi, et du potentiel de croissance des taux dans certaines zones à mesure que le secteur minier s’élargit, le programme de gestion environnementale et sociale 2014 de la CBG recommandait à la compagnie d’adopter une série de mesures d’atténuation des émissions de poussière,[380] comme l’arrosage des routes minières où la bauxite est transportée des mines vers les zones de stockage et vers le chemin de fer, les limitations de vitesse pour les véhicules, et le revêtement des routes à proximité des villages à haut risque.[381] À la CBG et à la SFI, on reconnaît que l’usine de Kamsar doit améliorer le contrôle de ses émissions. La CBG s’est engagée à faire les changements nécessaires d’ici 2024.[382] L’étude d’impact sanitaire 2014 de la CBG souligne que si des améliorations sont faites pour l’usine de Kamsar, les modélisations sur la qualité de l’air indiquent que Kamsar respectera les normes de l’OMS quand la production augmentera.[383]
L’évaluation de l’efficacité de ces mesures d’atténuation nécessite toutefois un suivi des données relatives à la qualité de l’air. Malgré les préoccupations de longue date des communautés à cet égard, la CBG n’a commencé à effectuer un contrôle systématique et rigoureux de la qualité de l’air qu’en 2017. La compagnie n’avait auparavant effectué qu’un contrôle limité de la qualité de l’air,[384] et un membre du personnel de la SFI a indiqué que lorsque la CBG avait accepté un financement de la SFI en 2016, le suivi de la qualité de l’air mis en œuvre par la CBG « avait besoin d’être renforcé ».[385]
Le personnel de la CBG a déclaré que l’entreprise avait installé en 2017 une station pour mesurer la qualité de l’air 24 heures sur 24, notamment à des endroits proches des zones résidentielles de Kamsar.[386] Le personnel de la CBG a également déclaré que la compagnie réalisait désormais des contrôles plus régulières sur les niveaux de particules fines dans les zones résidentielles près des mines à Sangarédi.[387] En avril 2018, la direction de la CBG a déclaré à Human Rights Watch que les données sur la qualité de l’air résultant de ces contrôles montraient que la compagnie était en «conformité » avec les normes de l’industrie.[388] Toutefois, les habitants de la région ont indiqué que bien qu’ils aient vu des employés de la CBG faire des échantillonnages de la qualité de l’air ces dernières années, ils n’avaient jamais été informés des résultats. « Ils installent des appareils pour mesurer la poussière pendant deux ou trois jours, mais on ne nous communique jamais les résultats », a déclaré un leader communautaire à Human Rights Watch.[389] Le docteur Théodore Monimo, chef du centre médical de Sangarédi, a déclaré à Human Rights Watch qu’à son avis, l’absence d’informations publiques sur la qualité de l’air dans la région de Sangarédi contribuait à renforcer les craintes sur les effets de l’exploitation minière sur la santé.[390] Une EIES de 2014 commanditée par la CBG a souligné que les préoccupations des communautés concernant l’impact sur la santé des émissions de l’usine de Kamsar sont « alimentées par des symptômes récurrents et des maladies et un ensemble de peurs qui n’ont jamais été contestées en raison d’un manque d’information ».[391]
Human Rights Watch a demandé à la CBG de partager les résultats préliminaires de ses tests de qualité de l’air améliorés, mais la société a déclaré ne pas être en mesure de le faire parce qu’elle est encore en train de déterminer quelle méthodologie adopter pour déterminer la part de la contribution de la CBG à la pollution atmosphérique.[392] Le plan d’action environnemental et social modifié de la CBG, que la CBG est en passe de finaliser, décrira si et quand ces données seront rendues publiques.[393]
Voies de recours auprès des entreprises
Les habitants affectés par l’exploitation minière ont déclaré que lorsqu’ils se plaignaient des impacts de cette exploitation sur leurs moyens de subsistance, l’accès à l’eau ou leur santé, les entreprises s’abstenaient souvent de répondre rapidement à leurs préoccupations et d’y remédier. « J’en ai assez de rencontrer des représentants de l’entreprise », a déclaré le leader communautaire d’un village près d’une route minière de la SMB.[394] « Nous faisons tout le temps des réunions avec eux, mais rien ne change ».
Selon de nombreux habitants, les conflits n’ont en général pas été mieux réglés quand les communautés ont fait appel aux autorités locales, préfets ou sous-préfets, pour qu’elles interviennent. « Ce sont toujours les mêmes discours », a déclaré un leader communautaire d’un village près d’une mine de la SMB.[395] « Le gouvernement nous demande de faire preuve de respect pour l’entreprise pour que nos préoccupations soient prises en compte. Mais il n’y a pas de suivi, si bien qu’il nous semble que tout ça, c’est pour la galerie. Au final, les autorités nous donnent le sentiment de ne pas vraiment se battre pour nous ».
Les femmes se heurtent à des obstacles spécifiques pour faire part de leurs griefs contre l’exploitation minière, souvent en raison de normes sociales strictes qui découragent les femmes de participer à la gouvernance du village. « Il est rare que les femmes se plaignent auprès de la compagnie », a déclaré un responsable local.[396] « Je pense que cela s’explique par les barrières sociales, notamment la suprématie des hommes dans la conduite des activités dans la région ». Les compagnies minières disent tout faire pour tenir compte des femmes et de leur avis dans les réunions communautaires, mais les femmes affirment qu’il est difficile pour elles de s’exprimer franchement en présence de leurs maris ou d’aînés et que les solutions trouvées sont rarement en phase avec leurs besoins. « Souvent, nous ne sommes même pas informées qu’une réunion avec l’entreprise est en cours, sans parler de pouvoir faire connaître notre point de vue », a déclaré une femme.[397]
Mécanisme de règlement des griefs mis en place par la SMB
La SMB a expliqué à Human Rights Watch que le consortium a défini un Plan de Consultation et de Dialogue avec les parties prenantes, par l’intermédiaire duquel la société minière conduit « un processus ininterrompu entre le Consortium et les parties prenantes du projet (administrations, communautés, pouvoirs traditionnels…) qui concerne une large gamme d’activités depuis le partage des informations et la consultation jusqu’à la participation, les négociations et les partenariats ».[398] D’après le consortium, l’équipe de la SMB chargée des relations communautaires rend visite à chaque communauté au moins une fois par semaine.[399] Human Rights Watch a demandé à la SMB de lui communiquer la politique ou la procédure de gestion des griefs par le consortium, sans pouvoir l’obtenir. Par ailleurs, aucune référence à une telle politique n’a été faite dans les échanges avec Human Rights Watch.
Les leaders communautaires ont reconnu que l’équipe de la SMB chargée des relations communautaires se rendait fréquemment dans les villages pour écouter leurs doléances. Ils ont toutefois précisé que l’entreprise faisait rarement un suivi des plaintes et que la SMB faisait souvent des promesses qu’elle n’honorait pas ensuite. Comme discuté ailleurs dans ce rapport, l’incapacité de la SMB à trouver des réponses à la question des impacts de ses activités sur les moyens de subsistance des communautés, notamment la pêche et l’agriculture, mais aussi sur les ressources en eau et sur la santé, a été l’un des thèmes centraux des discussions entre Human Rights Watch et les membres de ces communautés.
Le consortium SMB a expliqué à Human Rights Watch que neuf réclamations ont été déposées par des communautés ou des personnes en 2017, sur des questions telles que la dégradation des routes non minières, la pollution d’une source d’eau ou l’emploi.[400] Aucune de ces plaintes n’a été exprimée par une femme. D’après la SMB, six des griefs ont été résolus. Étant donné le nombre limité de griefs exprimés, et l’ampleur de la frustration manifestée par les communautés face à l’absence de solutions apportées par le consortium à leurs plaintes, la SMB devrait sans délai élaborer et rendre public un processus effectif de résolution des griefs et veiller à ce qu’il soit compris et utilisé par les communautés.
Mécanisme de règlement des griefs mis en place par la CBG
Des responsables communautaires ont déclaré que jusqu’ à 2015 environ, la CBG avait très peu fait pour les consulter sur les impacts de l’exploitation minière et remédier aux conséquences négatives de ces derniers.[401] « Nous n’avions pas vraiment de liens avec la CBG, ils ne venaient ici qu’en cas de problème », a déclaré un leader communautaire.[402] Une analyse des parties prenantes commanditée par la CBG et publiée en décembre 2014 a révélé que :
De nombreux [membres de la communauté] ont témoigné que toutes les plaintes adressées directement ou indirectement à la CBG se sont perdues et n’ont donné lieu à aucune mesure corrective. Quand on leur a demandé comment elles procédaient pour adresser des requêtes ou des griefs à la CBG, les personnes consultées admettaient qu’elles ne savaient pas à qui s’adresser. Un mécanisme est censé avoir été mis en place au niveau des communes, où les autorités doivent fournir des formulaires de plainte de la CBG aux membres du public. Quand il n’est pas totalement inconnu, ce mécanisme est mal compris et ne fonctionne pas.[403]
En 2015, dans le cadre de ses efforts pour renforcer sa gestion environnementale et sociale et se mettre en conformité avec les normes de la SFI,[404] la CBG a rendu publique une nouvelle procédure de règlement des griefs où les plaintes de moindre importance sont traitées par le personnel des relations communautaires, tandis que les problèmes plus graves ou récurrents font l’objet d’un suivi spécifique par les cadres supérieurs de l’entreprise.[405] Lorsqu’une plainte reste en suspens, la procédure stipule que les plaignants peuvent porter l’affaire devant les tribunaux, où ils peuvent demander à avoir accès à un avocat, « afin de poursuivre les procédures de règlement de la plainte ».[406] La procédure de réclamation donne le droit de choisir un avocat « parmi 10 avocats dûment reconnus et accrédités par le Ministre de la Justice et par une ONG indépendante accréditée par les parties prenantes lors de la formulation du projet ».[407] Le personnel de la CBG a déclaré à Human Rights Watch qu’un tel mécanisme, permettant de profiter d’une aide juridique, n’existe pas dans les faits, mais que « le mécanisme de grief de la CBG doit être efficace puisque toutes les plaintes reçues à ce jour ont été résolues à l’amiable ».[408]
Des responsables locaux ont déclaré qu’il leur semblait que quand une plainte était envoyée à la CBG, le nouveau mécanisme de règlement des griefs fonctionnait plutôt bien. « La CBG ne règle pas les plaintes rapidement, mais je pense qu’elle essaie au moins d’y répondre », a ainsi déclaré un représentant des autorités communales de Sangarédi.[409] Au moins un responsable local à Sangarédi a attribué directement la nouvelle réactivité de la CBG à ses relations avec la SFI. « La CBG est une vieille entreprise », a-t-il expliqué.[410] « Mais elle est en train de changer ses pratiques car la SFI exerce des pressions externes ».
Bien que la politique de règlement des griefs de la CBG exige une communication la plus large possible de l’entreprise sur le nouveau mécanisme avec les communautés concernées, les responsables locaux interrogés à Sangarédi en juillet 2017 ont exprimé des doutes sur la connaissance que les communautés avaient du mécanisme.[411] La CBG a déclaré à Human Rights Watch que les communautés avaient fait part de 26 griefs en 2016 et 2017, relatifs à des problèmes environnementaux (par exemple la réhabilitation de carrières) et économiques (par exemple la destruction des cultures ou l’absence d’emplois).[412] D’après la société minière, 23 de ces griefs ont été résolus.[413]
Manifestations contre l’absence de mesures adéquates
De nombreux habitants dans plusieurs villages ont déclaré qu’en l’absence de recours efficaces auprès des entreprises ou du gouvernement local, ils étaient forcés à manifester pour exprimer leur frustration. Ces habitants sont souvent des jeunes hommes originaires des villages en question. Ils ont dit avoir utilisé des pierres, des pneus ou du bois pour bloquer les routes minières ou l’accès aux ports ou aux mines. Un responsable local a déclaré en avril 2017 que plus de 30 manifestations s’étaient déroulées dans sa sous-préfecture depuis l’arrivée de la SMB en 2015 : « Avant, nous arrivions à calmer le jeu. Mais à mesure que le projet avance et que les manifestations se multiplient, nous avons plus de mal à maîtriser la situation ».[414] Certaines manifestations se dispersent en quelques heures mais d’autres – comme celles de Boké en avril 2017 et septembre 2017 – peuvent se poursuivre pendant plusieurs jours.
Des leaders communautaires ont expliqué qu’en organisant des manifestations et en faisant cesser le travail des sociétés minières, ils ont souvent réussi à obliger les responsables locaux et les sociétés minières à leur envoyer une délégation pour écouter leurs griefs. « Quand notre seul forage est tombé en panne, nous avons demandé à la SMB de le réparer », a raconté un aîné de la communauté de Djoumayah, en précisant que les autres sources d’eau du village avaient été endommagées par l’exploitation minière.[415] « Mais notre requête est restée sans réponse et nous avons décidé de bloquer la route minière. Cela a au moins conduit les dirigeants de la SMB et les autorités à venir nous voir, même si le problème du forage n’a toujours pas été réglé ».
Dans certains cas, les manifestations ont amené l’entreprise ou le gouvernement à prendre des mesures pour répondre aux préoccupations de la communauté. Mais dans la plupart des cas, les villages ont déclaré qu’une fois les manifestations terminées, le problème de fond restait sans solution. « Nous avons organisé une manifestation en 2015 pour empêcher la CBG de détruire l’une des sources qui alimentent la rivière où nous puisons notre eau », a déclaré un responsable de la jeunesse à Hamdallaye.[416] « Mais les autorités locales nous ont prévenu que si nous poursuivions notre mouvement, nous serions arrêtés. Bien entendu, dès que nous avons tourné le dos, la CBG a continué son travail ». Plusieurs villages ont décrit comment les forces de sécurité intervenaient pour faire pression sur les manifestants afin qu’ils se retirent. « Nous avons bloqué la voie ferrée de la CBG à deux reprises, une fois en 2013, et à nouveau en 2014 », a raconté un aîné dans un village en bordure de la ligne de chemin de fer de la CBG.[417] « La première fois, quand il a été clair que nous n’allions pas reculer, l’armée et la police sont intervenues. Ils ont tiré des coups de semonce et arrêté cinq personnes environ. Ces personnes ont été détenues pendant 15 jours et nous avons dû mettre l’argent du village en commun pour payer pour les faire sortir. La deuxième fois, en 2014, il y a eu une histoire similaire, avec 20 personnes arrêtées mais libérées le lendemain ».
Le consortium SMB a mis en place un système pour récompenser les communautés qui ne perturbent pas leurs activités. Les communautés qui ne font pas la grève ou qui ne manifestent pas pendant trois mois reçoivent ainsi une « prime de développement harmonieux ».[418] Dans la note explicative de ce système de prime reçue par une communauté, on peut lire :
Il n’y a aucun événement comme grève ou barricade de la route dans notre village du 1er avril au 30 juin. Selon la réglementation de la prime du développement harmonieux, la société SMB donnera cette prime aux villages dans lesquels il n’y pas d’évènement négatif. Notre village est approuvé. Nous allons distribuer la prime le 5 juillet 2017. Ce sont 16 sacs de riz pour toute la population de notre village.[419]
Plusieurs habitants ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils considéraient ces mesures comme des tentatives d’ « acheter » une coexistence pacifique, sans s’attaquer aux vrais problèmes. Un audit réalisé à la demande du ministère des Mines en mai 2018 spécifie que « la pratique par la SMB de la prime au développement harmonieux » consistant à remercier par fourniture de riz les villages ne s’opposant pas à l’entreprise est emblématique de l’achat de la paix sociale. »[420] Quand en juillet 2017 la SMB a tenté de distribuer 30 sacs de riz à Dapilon, les anciens du village ont d’abord refusé. « Nous ne voulons pas de leur riz », a déclaré un villageois à Human Rights Watch.[421] « Ils n’ont qu’à réparer ce que nous leur avons demandé de réparer. Ils refusent de résoudre nos problèmes et préfèrent nous donner du riz ? Ils viennent nous insulter ». Des habitants de deux villages ont raconté à Human Rights Watch qu’on avait refusé de leur accorder la prime après qu’ils aient participé à des manifestations contre la SMB.[422]
Réglementation du secteur minier par le gouvernement
La perception répandue parmi les habitants des communautés touchées par l’exploitation minière qui ont été interrogés par Human Rights Watch est celle d’avoir été abandonnés par l’État pour résoudre seuls leurs problèmes avec les sociétés minières, les autorités nationales et locales étant rarement disposées à forcer les entreprises à prendre des mesures correctives pour lutter contre les mauvaises pratiques. « Nous savons que le projet minier est soutenue par le président », a déclaré un habitant.[423] « Comment serions-nous en mesure de défier la compagnie ? »
Des représentants des ministères des Mines et de l’Environnement ont déclaré que la capacité et les ressources des agences gouvernementales qui supervisent l’industrie minière se sont améliorées ces dernières années. Le Bureau Guinéen d’Études et d’Évaluation Environnementale (BGEEE), par exemple, a mené ses premières inspections annuelles des activités minières en 2015. En 2017, il a inspecté six sociétés minières, dont la CBG et la SMB.[424] Cependant, les institutions gouvernementales manquent toujours du personnel et des ressources nécessaires pour superviser efficacement une liste de projets en constante expansion.
La priorité accordée par le gouvernement à l’expansion du secteur de la bauxite semble aussi avoir parfois pris le dessus sur la protection des droits sociaux et de l’environnement. Alors que le gouvernement est habilité à imposer des amendes aux compagnies qui violent leurs obligations environnementales, et à suspendre ou fermer un projet en cas de violations graves, l’importance de l’exploitation minière pour l’économie guinéenne protège les entreprises des sanctions du gouvernement. « Nous devons être attentifs à ce que nous faisons », a déclaré un haut responsable du ministère des Mines.[425] « Nous avons souscrit à tout ce concept "d’exploitation minière responsable", mais nous ne pouvons pas nous contenter de simples mots sur une page. »
Contournements des processus d’approbation des projets
Les études d’impact environnemental et social (EIES), que le Code minier exige des entreprises pour qu’un projet soit approuvé, forment la base d’une approche respectueuse de l’environnement et des droits des communautés locales.[426] En consultant les communautés sur les impacts probables des opérations minières, et en élaborant un plan pour y remédier, les EIES fournissent aux entreprises une feuille de route pour gérer les conséquences sociales et environnementales de l’exploitation minière. Des fonctionnaires du ministère de l’Environnement et des donateurs internationaux ont fait savoir à Human Rights Watch que, depuis 2016, le BGEEE a amélioré sa capacité d’analyse et d’évaluation de la qualité des EIES, notamment grâce à des formations dispensées par des donateurs internationaux.[427]
Cependant, malgré le renforcement des capacités du personnel technique, les recherches de Human Rights Watch indiquent que les efforts du gouvernement guinéen pour attirer les investissements dans le secteur minier l’ont amené à approuver des EIES qui ne respectent pas les meilleures pratiques de l’industrie. Dans le cas du projet de SMB, par exemple, trois responsables gouvernementaux ont déclaré à Human Rights Watch qu’en dépit des inquiétudes sur la qualité des premières EIES du consortium (pour la mine de Kaboe, le port de Katougouma et la route minière qui relie la mine et le port), le désir de la Guinée d’investir dans le secteur de la bauxite était tel que les documents ont été approuvés quand présentés en avril 2015.[428] « Pour moi, ce que la SMB a présenté n’était qu’une étude de préfaisabilité, l’étude environnementale et sociale a été discutée, mais pas avec suffisamment de précision », a affirmé un responsable du ministère des Mines.[429] « Mais à l’époque, un certain nombre de projets miniers avaient échoué, et il y avait Ebola, le FMI prévoyait une croissance économique négative, et avec les interdictions d’exporter en Malaisie et en Indonésie, le gouvernement a vu une opportunité ». Un haut responsable du ministère de l’Environnement a expliqué que son ministère était, à l’époque, sous la pression d’autres parties du gouvernement guinéen pour « accélérer » le projet.[430]
Le gouvernement a aussi permis au consortium de SMB de dévier du processus normal d’approbation en démarrant la construction d’infrastructures majeures, y compris ses deux ports et les routes minières qui les servent, avant que les EIES ne soient achevées et plusieurs mois avant qu’elles aient été examinées et approuvées par le gouvernement.[431] « Il est vrai que la construction d’un projet ne devrait pas commencer avant la fin des EIES, mais pour la SMB, il y avait un contexte politique particulier, à un moment où nous avions besoin des investissements liés au projet », a déclaré un haut responsable du ministère de l’Environnement.[432] Cela signifiait que le projet était bien avancé avant que le gouvernement ait évalué les conséquences environnementales et sociales du modèle de fonctionnement proposé par la SMB. La directive de réalisation d’une étude d’impact environnemental et social des opérations minières publiée en 2014 par le gouvernement guinéen établit ce qui suit : « La réalisation d’une bonne évaluation environnementale nécessite l’examen de toutes les possibilités de variantes réalisables. La prise en compte de diverses variantes de réalisation peut permettre de remettre en question certaines parties du projet en vue de les améliorer ».[433] Un haut responsable du ministère des Mines a ainsi déclaré à Human Rights Watch :
Correctement réalisées, les EIES auraient dû offrir plusieurs alternatives sur la manière de transporter les matériaux ou de penser la construction, pour permettre au gouvernement de réfléchir correctement à ces options. Si la méthode de transport par voie routière utilisée par la SMB avait été choisie par une petite société d’exportation avec un projet limité dans le temps, le choix de cette méthode n’aurait pas été surprenant. Mais si cela va au-delà, ou si d’autres entreprises se mettent elles aussi à utiliser la route, les problèmes commencent à se poser. Vous pouvez procéder de cette façon pendant quelques années, mais au-delà, cela devrait se faire autrement.[434]
Dans une lettre adressée à Human Rights Watch, le gouvernement guinéen a expliqué sa décision d’autoriser le projet SMB à débuter les travaux avant d’achever ses EIES :
Pour des raisons de développement de notre pays et pour le bien-être des populations guinéennes, le gouvernement étant souverain peut prendre des mesures exceptionnelles pour le démarrage d’un projet tout en restant dans l’esprit et les principes de ses engagements internationaux et des lois en vigueur au niveau de la République. En l’espèce, étant donné que [le projet SMB] s’agit de zones déjà connues et étudiées, les éléments environnementaux susceptibles de constituer des préalables au développement d’un projet minier sont connus d’avance et ont été effectivement pris en compte.[435]
Saadou Nimaga, le Secrétaire général du ministère des Mines, a expliqué à Human Rights Watch : « Il fallait prendre une décision. Nous pouvions attendre les conclusions de toutes ces études, mais le marché, lui, n’aurait pas attendu. Nous connaissions déjà largement l’impact de l’exploitation minière ».[436]
La SMB a fait savoir à Human Rights Watch que le consortium « cherche en permanence à améliorer son impact environnemental et social en prenant en compte les problématiques qui se soulèvent au long [du] projet » et qu’elle « mène actuellement différentes actions pour pallier aux faiblesses de son premier ensemble d’EIES et PGES ».[437] En février 2018, la SMB a fait appel à un cabinet de conseil international afin de mettre à jour ses études d’impact et de revoir son plan de gestion, un processus qui devrait s’achever en février 2019.[438] Toutefois, des fonctionnaires du ministère de l’Environnement ont fait savoir qu’il était difficile pour une société minière de rectifier ce qui a été fait quand le projet n’a pas été initié en mettant en œuvre les pratiques adéquates en matière de gestion environnementale et sociale. « Plutôt que de planifier, la SMB essaie aujourd’hui de se rattraper », a conclu un fonctionnaire. « Les choses auraient dû se faire dans l’autre sens ».[439]
Dans leur réponse à la critique que le gouvernement ait approuvé les EIES de mauvaises qualités, les représentants du gouvernement ont également déclaré à Human Rights Watch que la version finale des EIES était discutée en réunion publique, au cours de laquelle les communautés concernées peuvent adresser leurs commentaires sur le contenu du rapport. Le document final de cette réunion est signé par tous les participants : des représentants des zones affectées, des ONG, des représentantes des femmes, des jeunes, des anciens des villages et des chefs religieux.[440]
Cependant, selon Mamady Koivogui, Directeur exécutif de l’Association Mines Sans Pauvreté, une ONG guinéenne qui a réalisé en 2017 une étude sur la participation des communautés aux EIES, il est très difficile pour les communautés touchées de participer aux réunions d’examen des EIES – qui comptent souvent plusieurs centaines de pages – sans aide extérieure ni préparation.[441] « On ne peut pas s’attendre à ce que des villages ruraux discutent de questions environnementales et sociales complexes sans être correctement préparés »,[442] a expliqué M. Koivogui. Il a noté que les participants à la réunion n’avaient peut-être même pas vu un seul exemplaire de l’EIES avant le début de la réunion.[443] Aucun des leaders communautaires interrogés par Human Rights Watch n’a dit avoir reçu d’avis indépendant, de formation ni d’autres formes de soutien pendant les processus d’EIES menés par la CBG ou la SMB.
Les représentants du gouvernement ont également souligné que les organisations de la société civile participaient au comité gouvernemental qui examine les EIES et qu’elles ont donc le pouvoir d’influencer l’approbation des nouveaux projets par le gouvernement. Les activistes de la société civile ont toutefois répondu qu’ils formulaient bien des recommandations pendant ces réunions, mais qu’ils pouvaient difficilement se rendre compte si l’EIES ou le PGES avaient été modifiés pour refléter leurs recommandations.[444] « Au final, c’est le gouvernement qui décide d’approuver une EIES », a rappelé un responsable de la société civile.[445] « Nous donnons notre avis pendant la réunion du comité et nous demandons à la compagnie de faire certains changements, mais nous avons peu de moyens de vérifier si nos contributions ont été intégrées ». Le gouvernement guinéen qu’il forme un comité de sept personnes, placé sous la coordination du BGEEE, pour vérifier si les corrections adaptées sont faites dans l’EIES avant d’autoriser la délivrance d’un certificat de conformité environnementale.[446] Les organisations de la société civile affirment qu’elles participent rarement à ce comité, car le gouvernement choisit généralement ses membres au sein des ministères concernés.
Inadéquation des ressources disponibles pour superviser les opérations minières
En dépit des récents efforts de renforcement des capacités des ministères des Mines et de l’Environnement en matière de supervision des activités minières, des responsables aux niveaux national et local dans les deux ministères ont déclaré à Human Rights Watch que les contraintes de ressources restaient un obstacle majeur quand il s’agissait, pour le gouvernement, de mener un suivi efficace des opérations minières. Ces responsables ont décrit le manque de personnel qualifié, de véhicules, et d’argent pour le carburant et l’hébergement, ainsi que des insuffisances en équipements de surveillance. « Nous sommes censés faire le suivi des impacts d’un projet, mais nos moyens sont limités étant donné le nombre de sociétés minières à superviser », a reconnu un membre de l’encadrement du BGEEE.[447]
Le BGEEE est censé faire une inspection annuelle des sites des entreprises et vérifier leur conformité avec toutes les dispositions de son PGES.[448] Si les inspecteurs du BGEEE ne disposent pas des ressources humaines et matérielles leur permettant d’inspecter toutes les sociétés minières, six d’entre elles ont toutefois été contrôlées en 2016 et 2017, majoritairement grâce au soutien financier de la Banque mondiale.[449] En général, les visites durent un peu moins d’une semaine par entreprise et comprennent des consultations avec les communautés concernées, des réunions avec les responsables de l’entreprise et des tests des niveaux sonores et de la qualité de l’air et de l’eau.[450] Une fois la mission terminée, un rapport est rédigé, résumant les conclusions de la visite. Même si Human Rights Watch s’est vu communiqué plusieurs exemples de rapports d’inspections par un membre du BGEEE, ces rapports ne font actuellement pas l’objet d’une large diffusion.[451] Le Directeur général de la SMB, Fréderic Bouzigues, a affirmé à Human Rights Watch qu’au regard de la brièveté des missions du BGEEE, il était selon lui difficile pour cette agence de faire un suivi adapté de projets miniers de grande échelle. « Sur un site aussi imposant que le nôtre, comment voulez-vous qu’une inspection de seulement deux jours puisse avoir une quelconque efficacité ? » s’est-il interrogé.[452] Le personnel du BGEEE a déclaré que le but de ces inspections n’est pas de remplacer le suivi, qui doit être mené par les sociétés minières, mais de définir les principaux points d’inquiétude. « Nous avons pour but de vérifier si la société applique les grandes lignes de son plan de gestion environnementale et sociale, et d’obtenir une vue d’ensemble des conditions sur le terrain », a expliqué un membre du personnel du BGEEE.[453] « Mais c’est bien la société minière qui devrait effectuer son propre suivi ». Des membres du personnel du BGEEE ont aussi expliqué que, dans le cadre de leur plan de gestion environnementale et sociale, les sociétés minières sont censées fournir le soutien financier pour former et équiper le personnel du BGEEE et du ministère de l’Environnement présent localement.[454]
Si le ministère des Mines ne joue aucun rôle formel dans le renouvellement du certificat environnemental d’une entreprise, il supervise lui aussi les pratiques de gestion environnementale et sociale des entreprises.[455] En 2017, le ministère a ainsi mandaté des consultants externes pour effectuer un audit de la conformité des compagnies à leurs plans de gestion environnementale et sociale.[456] Bien que le rapport n’ait pas encore été rendu public, le ministre des Mines, Abdoulaye Magassouba, a déclaré que son ministère travaillait avec ces compagnies pour trouver des mesures correctives qui permettront de résoudre les problèmes identifiés dans le rapport.[457]
La supervision des autorités centrales de Conakry est en principe complétée par celle des fonctionnaires des ministères de l’Environnement, des Mines et de l’Agriculture au niveau préfectoral et sous-préfectoral. Mais ces fonctionnaires manquent trop souvent eux-mêmes de moyens et des capacités nécessaires pour exercer un contrôle significatif des activités des compagnies. « Les fonctionnaires locaux ont effectivement besoin de davantage de moyens », a confirmé un haut fonctionnaire ministériel.[458] « Les actions de formation et de renforcement des capacités menées ces derniers temps ont été orientées avant tout vers le niveau national ». Le ministère de l’Environnement a adopté en 2012 des arrêtés portant création de Comités Préfectoraux de Suivi Environnemental et Social (CPSES) pour faire le suivi des impacts sociaux et environnementaux des projets miniers.[459] Le ministère des Mines a également mis en place des comités de concertation locaux (Comités de Concertation des Localités Minières, CCLM) dans plus de 100 sous-préfectures en Guinée. Leur but est de faciliter le dialogue entre les communautés et les sociétés minières et, en coopération avec les autorités locales, de contribuer à la résolution des conflits.[460]
Les organisations de la société civile ont toutefois indiqué que de nombreux CPSES et CCLM manquaient des moyens, véhicules, ou argent pour l’achat du carburant pour une supervision régulière et effective des sociétés minières.[461] « Les autorités de Conakry disent avoir donné autorité à la CPSES pour superviser l’impact environnemental et social », a expliqué un responsable local de Sangarédi.[462] « Mais le CPSES de Boké ne fonctionne pas, ils disent qu’on ne leur donne pas les moyens nécessaires. Je suis ici depuis 2015 et ils ne sont jamais venu en mission ici ». Beaucoup de membres du CCLM sont tout aussi inactifs. « Le CCLM d’ici travaille un peu, mais pas de manière régulière », a déclaré un membre du CCLM à Sangarédi.[463]
Un haut responsable du ministère de l’Environnement a affirmé à Human Rights Watch que certains CPSES fonctionnaient « de manière très médiocre » et expliqué que les entreprises étaient censées apporter un soutien financier aux comités de leur localité, mais le faisaient rarement.[464] « Comme les compagnies ne les financent pas, les CPSES ne peuvent vraiment faire de visites sur le terrain qu’en cas de catastrophe », a reconnu un autre responsable du ministère de l’Environnement.[465] Néné Moussa Camara, un responsable du ministère des Mines chargé des CCLM, a déclaré qu’avec le soutien des donateurs internationaux, le ministère envisageait de mieux équiper les CCLM pour qu’ils puissent se déplacer dans les localités dont ils ont la charge.[466] Le ministère installe aussi des CCLM supplémentaires dans la région de Boké, une pour chacune des huit sous-préfectures de la région.[467]
Manque de transparence et d’accès à l’information dans le secteur de l’exploitation minière
Des activistes de la société civile et des leaders communautaires ont déclaré que le manque de transparence dans le secteur minier, illustré par les difficultés d’accès aux EIES et aux PGES, mais aussi aux rapports d’inspection des gouvernements et des entreprises, leur compliquait leur supervision du respect des normes environnementales et sociales par les entreprises.
Les EIES devraient en principe être des documents publics, mais il est fréquent que les entreprises n’en divulguent pas le contenu et expliquent qu’il faut plutôt s’adresser au ministère de l’Environnement, et plus spécifiquement au BGEEE, pour les consulter. Si le BGEEE doit normalement fournir aux membres du public, sur demande, des exemplaires des EIES et PGES, les activistes de la société civile ont souligné que le Bureau ne le faisait pas, ou qu’en échange de tels documents, le personnel du BGEEE exigeait une somme modique pour couvrir les frais d’impression. Ni la SMB, ni le BGEEE n’ont communiqué d’exemplaires des EIES ou du PGES du consortium à Human Rights Watch, même si Human Rights Watch, au final, a pu obtenir des exemplaires de la plupart des EIES du consortium SMB auprès d’activistes de la société civile. La SMB a fait savoir qu’elle prévoit de mettre ses EIES sur son site Internet une fois qu’elles auront été révisées et actualisées.[468] L’EIES 2014 de la CBG, ainsi qu’un projet de PGES sont disponibles en anglais, mais pas en français, sur le site Internet de la compagnie.
La Commission Africaine des Droits de l’Homme et des peuples a interprété la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des peuples dans le sens d’une protection du droit d’accès à l’information environnementale, et impose aux États de publier les études d’impact social et environnemental avant tout développement industriel majeur ; d’informer les communautés exposées aux activités et produits dangereux ; et d’offrir aux individus la possibilité d’être entendus et de participer aux décisions relatives au développement affectant leurs communautés.[469]
Des responsables du ministère de l’Environnement ont déclaré à Human Rights Watch que le gouvernement avait prévu de rendre les EIES et les rapports d’inspection annuels de la BGEEE plus faciles d’accès aux membres du public.[470] En avril 2018, le gouvernement guinéen a annoncé qu’un serveur était en cours d’installation au BGEEE pour stocker les rapports d’EIES et d’inspections environnementales, y compris les relevés sur la qualité de l’air et de l’eau et sur les niveaux sonores.[471] Le gouvernement a également déclaré que le BGEEE recherchait un soutien financier pour créer un site internet où stocker tous ces documents et les rendre accessibles au public.[472] Le gouvernement a par ailleurs indiqué que le BGEEE s’efforçait de communiquer les résultats des EIES et des rapports d’inspection sociale et environnementale aux communautés concernées.[473]
Les organisations de la société civile ont affirmé que, outre le fait de rendre public ses rapports d’inspection, le gouvernement devrait exiger des sociétés minières qu’elles donnent accès à leurs propres rapports sur le respect des normes environnementales et sociales. Les normes de performance de la SFI encouragent les entreprises à publier des rapports périodiques sur la durabilité environnementale et sociale.[474] Les Lignes directrices de la Chambre de commerce chinoise des importateurs et exportateurs de métaux, minéraux et produits chimiques sur la Responsabilité sociale dans les investissements miniers sortants encouragent aussi les entreprises à « divulguer régulièrement des informations environnementales, à publier des systèmes et plans de protection de l’environnement, et à indiquer quelles mesures ont été prises et quels résultats ont été obtenus ».[475]
Manque de responsabilité
Des responsables locaux chargés de l’environnement et des organisations de la société civile ont souligné que l’absence de sanctions quand les pratiques des sociétés violent les droits des communautés était l’un des facteurs clés menant à la poursuite de ces violations.
Des dirigeants communautaires, des activistes de la société civile et des représentants des gouvernements locaux ont noté que, dans d’autres industries, le gouvernement avait suspendu ou condamné à payer des amendes plusieurs entreprises qui violaient systématiquement leurs obligations environnementales et sociales. Mais dans le secteur de la bauxite, les responsables des ministères des Mines et de l’Environnement ont toujours affirmé que l’approche du gouvernement consistait à travailler à huis clos avec les sociétés pour améliorer leurs pratiques. « Nous avons opté pour le principe de conciliation », a ainsi déclaré un haut responsable du ministère de l’Environnement.[476]
Le principal mécanisme de responsabilisation d’une entreprise quand elle manque à ses obligations environnementales et sociales est de lui refuser le renouvellement du certificat de conformité environnementale, un document qui, en théorie, est exigé si elle veut poursuivre ses activités. « Si le certificat n’est pas renouvelé, l’entreprise est en situation d’illégalité au regard des lois environnementales de la Guinée », a expliqué Seydou Barry Sidibé, Secrétaire général du ministère guinéen de l’Environnement.[477] Mais en raison de la réticence du gouvernement à suspendre ou fermer des projets rentables, les menaces de fermeture ou de suspension ont en réalité peu de poids. « Nous sommes un pays pauvre, un pays en développement, et nous avons besoin d’emplois pour nos jeunes et d’écoles pour nos enfants », a encore expliqué M. Sidibé.[478] « Nous constatons que des sociétés minières ne respectent pas les mesures environnementales et sociales qu’il faut [respecter], mais ce n’est pas facile pour nous de fermer d’un trait ces sociétés. »
Un responsable du ministère de l’Environnement a souligné qu’outre la fermeture du projet, le code de l’Environnement conférait au gouvernement d’autres pouvoirs – notamment sous forme de sanctions financières – au cas où une entreprise ne respectait pas ses obligations environnementales. Il a fait remarquer, cependant, que nombre de ces sanctions prévues par le code de l’Environnement de 1989 sont aujourd’hui obsolètes et dérisoires.[479] Des fonctionnaires du ministère de l’Environnement ont déclaré qu’il était nécessaire de revoir le code de l’Environnement et l’application de la législation afin de préciser quel ministère et quels organismes sont habilités à sanctionner les sociétés minières ou à interrompre leurs activités, et quelles circonstances justifient l’imposition de sanctions.[480]
Plusieurs responsables nationaux et locaux ont également souligné qu’en pratique, les recettes fiscales générées par les sociétés minières, et l’importance de leur contribution à l’économie guinéenne, semblaient protéger ces entreprises.[481] « Les problèmes viennent surtout de Conakry », a déclaré un responsable local de l’environnement.[482] « Si un technicien dit quelque chose au niveau préfectoral, mais qu’un politicien dit autre chose, c’est difficile d’avancer ». Un haut fonctionnaire du ministère des Mines a affirmé :
Au sein du gouvernement, c’est devenu un tabou de critiquer la SMB. Les pressions politiques sont fortes pour que le projet aille vite car avec eux les choses avancent, et leurs revenus profitent au gouvernement et à l’État. Le gouvernement guinéen a peu de chance de contrôler ce qui se passe sur le terrain ».[483]
Des responsables des ministères des Mines et de l’Environnement ont déclaré à Human Rights Watch que la Guinée continuait à « chercher le juste milieu » entre l’investissement minier et la protection de l’environnement. « Nous voulons éviter que l’exploitation minière détruise l’environnement, mais nous ne voulons pas non plus que l’environnement stoppe toute forme d’exploitation minière », a reconnu Saadou Nimaga, le Secrétaire général du ministère des Mines.[484]
Toute initiative pour renforcer les lois et la réglementation pour sanctionner les sociétés qui violent les droits des communautés devrait intégrer un ensemble de critères précisant clairement quand ces sanctions sont applicables, et notamment quand les sanctions doivent être financières et quand elles doivent prendre la forme d’une suspension des opérations minières. Ainsi la prise en compte d’autres priorités, comme attirer ou préserver les investissements miniers en contournant les règles de protection environnementale et sociale, serait plus difficile. Si une compagnie interfère gravement avec les droits des communautés, son projet devrait être suspendu, et fermé si la situation persiste. Toute personne dont les droits ont été violés devrait pouvoir exercer son droit de recours devant les tribunaux.
Supervision par l’Assemblée Nationale
Les membres de la législature actuelle à l’Assemblée Nationale guinéenne sont au pouvoir depuis 2013. Des élections législatives sont prévues en 2019.[485] Le parti du président Condé a remporté 53 des 114 sièges parlementaires aux élections de 2013. L’alliance que ce parti a conclu avec sept autres députés donne à la coalition au pouvoir une majorité parlementaire.[486]
Selon le code minier guinéen, l’Assemblée Nationale ratifie toutes les conventions minières entre le gouvernement et les sociétés minières.[487] Mais la négociation d’une convention avec le gouvernement n’est pas toujours une condition préalable au lancement de l’exploitation de mines en Guinée. En effet, le code minier offre également au gouvernement la possibilité d’accorder aux entreprises des permis d’exploitation qui ne nécessitent pas l’approbation de l’Assemblée Nationale. Les parlementaires de l’opposition ont confié à Human Rights Watch que cela permettait au gouvernement d’autoriser l’exploitation minière à grande échelle sans supervision digne de ce nom de la part de l’Assemblée Nationale.[488] Les activités du consortium SMB, par exemple, s’appuient sur plusieurs permis d’exploitation qui ne nécessitent pas l’approbation de l’Assemblée Nationale. Les responsables du ministère des Mines et de la direction de la SMB ont souligné que le projet SMB restait soumise à toutes les dispositions du code minier de 2011, notamment aux règles relatives aux protections environnementale et sociale.[489] Ils ont également rappelé que les sociétés minières qui négocient des conventions minières demandent généralement une réduction du taux d’imposition sur leurs activités.[490]
Une fois que l’exploitation minière commence, la supervision de l’Assemblée Nationale sur le secteur minier s’exerce dans le cadre du travail de deux commissions parlementaires, l’une sur l’exploitation minière, l’autre sur les ressources naturelles, l’environnement et le développement rural.[491] Les deux commissions effectuent des visites dans les régions touchées par l’exploitation minière et font des rapports et des recommandations à l’intention des ministères concernés.
Les membres de la Commission des Ressources naturelles, l’Environnement et du Développement rural ont déclaré à Human Rights Watch que leur capacité à sensibiliser le public aux impacts environnementaux et humains de l’exploitation minière était entravée par la composition politique de l’Assemblée Nationale, la coalition au pouvoir étant peu encline à débattre ou prendre des décisions défavorables au gouvernement Condé.[492]
En juillet 2016, par exemple, la Commission des Ressources naturelles, de l’Environnement et du Développement rural a visité la région de Boké, notamment les opérations de la CBG et de la SMB. Neuf mois avant les émeutes de Boké en avril 2017, le rapport de la commission, dont Human Rights Watch a pris connaissance, exprimait de sérieuses inquiétudes sur la gestion environnementale et sociale du consortium SMB :
Tous les intervenant : hommes, femmes, jeunes, leaders d’opinions, responsables locaux ont dénoncé le manque de collaboration, les comportements liberticides des autorités de la SMB qui agissent selon leur bon vouloir et ne se préoccupent de leur environnement immédiat… Les populations disent qu’elles souffrent énormément de pollution (routes minières poussiéreuses en saison sèche) plantations d’anacarde envahies de poussière ne produisent plus, terres agricoles et de pâturage inaccessibles, dégradées, la Pêche est devenue infructueuse à Katougouma car toute la zone du Rio Nunez est en dégradation avancé.[493]
Suite à cette mission parlementaire, les députés de l’opposition ont dit que le leadership de l’Assemblée Nationale les a empêché de débattre leur rapport en plénière et de mettre en place une commission d’enquête sur l’attitude des compagnies minières dans la ceinture de bauxite.[494] « Nous voulions dénoncer ce dont nous avons été témoins pendant notre mission », a déclaré le Dr Alpha Mamadou Baldé, un parlementaire de l’opposition.[495] « Mais n’étant pas dans la majorité, notre marge de manœuvre est limitée ».
Plusieurs parlementaires ont souligné qu’en ne prenant pas les mesures qui s’imposaient au regard des conclusions de la commission, l’Assemblée Nationale ne remplissait pas son rôle de supervision des décisions du gouvernement dans le secteur minier.[496] « Si nous-mêmes, à l’Assemblée nationale, ne faisons rien sur ces questions, ce n’est peut-être pas de la complicité mais ça s’en rapproche », a déclaré Ibrahima Diallo, un député de l’opposition et membre de la commission.[497]
Remerciements
Les recherches et la rédaction de ce rapport ont été faites par Jim Wormington, chercheur à la Division Afrique de Human Rights Watch.
Corinne Dufka, directrice adjointe à la Division Afrique de l’Afrique de l’Ouest, a relu le rapport. Janet Walsh, directrice adjointe à la Division droits des femmes ; Juliana Nnoko-Mewanu, chercheuse sur les droits des femmes et les droits à la terre, Division droits des femmes ; Arvind Ganesan, directeur, Division entreprises et des droits humains ; Komala Ramachandra, chercheur principal, Division entreprises et des droits humains ; Marcos Orellana, directeur, Division environnement et droits humains ; Katharina Rall, chercheuse, Division environnement et droits humains ; Juliane Kippenberg, directrice adjointe, Division droits de l’enfant ; et Diederik Lohman, directeur, Division Santé et droits humains, ont également apporté leur expertise. Clive Baldwin, conseiller juridique principal, et Babatunde Olugboji, directeur adjoint au bureau des Programmes, ont également participé à la rédaction du rapport. Gavin Millar QC, de Matrix Chambers, a également révisé ce rapport.
Josh Lyons, analyste d’imagerie par satellite, a produit des images satellite et des analyses pour le rapport. Morgan Hollie, associée à la Division Afrique, a fourni une aide supplémentaire pour les recherches et l’administration. La traduction en français a été réalisée par Fanny Mourguet et Virginie Franks, ainsi que par David Boratav. Elle a été révisée par Jim Wormington et Peter Huvos. Fitzroy Hepkins, directeur administratif, a fourni une assistance et un soutien à la production.
Nous sommes également reconnaissants à L’Association Mines Sans Pauvrété (AMSP), le Centre du Commerce International pour le Développement (CECIDE) et Mines et Développement Communautaire (MDC), et autres organisations Guinéennes pour leurs conseils et leur soutien. Nous souhaitons particulièrement remercier Mamady Koivogui, Mariama Barry, Aboubacarr Diallo et Fatoumata Kanté pour leur participation aux missions de recherche, leur soutien et leurs conseils tout au long de nos recherches.
Nous remercions également les représentants du gouvernement guinéen, de la Société Financière Internationale, de la Société Minière de Boké (SMB) et de la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG) pour avoir accepté de bien vouloir discuter du contenu de ce rapport et de ses conclusions.
Enfin, nous remercions les habitants de la région de Boké qui nous ont donné de leur temps et accepté de partager avec nous leurs histoires.