Prison buildings in a desert

« Pire que l’enfer »

Mort et torture à la prison de Koro Toro au Tchad

Bâtiments de Koro Toro 1, photo prise et sortie clandestinement par un ancien détenu.  © 2022 Privé


 

Résumé

Tout ce que j’ai vu à Koro Toro était terrible. Ma famille a été abandonnée. J’ai été gracié, mais pour quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?


– Ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 9 mai 2023

Encore maintenant, je ne dors plus. Je suis traumatisé par ce qui m’est arrivé. Je ne pouvais pas respirer dans le Sarkozy [camion]... Ça me hante.


– Ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 8 mai 2023

Le 20 octobre 2022, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de N’Djamena, la capitale du Tchad, et de plusieurs autres villes du sud du pays pour protester contre une prolongation de deux ans du mandat du gouvernement de transition. Depuis le décès de l’ancien président Idriss Déby Itno en avril 2021, le gouvernement de transition dirigé par son fils, le général Mahamat Idriss Déby, a à plusieurs reprises réprimé dans la violence des manifestations appelant à un régime démocratique civil. La police, l’armée et les gendarmes ont ciblé les partis d’opposition lors des manifestations, mais la violence déployée contre les manifestants le 20 octobre 2022 a été plus brutale que jamais auparavant.

Les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur les manifestants, tuant et blessant des dizaines d’entre eux, ont passé à tabac des personnes, les ont poursuivies jusque dans les maisons et les ont arrêtées. D’après des proches, des témoins et d’anciens détenus, les personnes arrêtées ont été détenues dans des postes de police et dans au moins une école à Abena, N’Djamena, pendant plusieurs jours. Dans certains cas, les manifestants ont été sévèrement battus en détention par des soldats, des policiers ou des gendarmes. Des centaines de manifestants, dont au moins une fille, ont ensuite été conduits à Koro Toro, une prison de haute sécurité gérée par le gouvernement située à environ 600 kilomètres de N’Djamena, dans le centre du Tchad. La prison de Koro Toro, qui a été conçue pour accueillir des « extrémistes violents », est coupée du monde extérieur, sans réseau de téléphonie mobile et à des centaines de kilomètres des principaux centres urbains. Compte tenu de sa localisation géographique, les membres des familles et les avocats ont indiqué qu’il était pratiquement impossible de se rendre à la prison.

La porte d'entrée de Koro Toro 2 photographiée par un détenu à l'aide d'une caméra cachée. © 2022 Privé

Ce rapport, qui s’appuie sur des recherches menées entre novembre 2022 et juillet 2023 à N’Djamena, documente les violations des droits humains commises dans le cadre du transfert des manifestants arrêtés jusqu’à Koro Toro puis pendant leur détention dans cette prison. Les 21 et 22 octobre, les forces de sécurité ont organisé le transport des détenus vers la prison depuis une base militaire – appelée Camp 27 – à N’Djamena, en les entassant dans des camions à ciel ouvert. La plupart des détenus avaient déjà été placés en détention dans des postes de police avant d’être emmenés au Camp 27. D’anciens détenus ont expliqué qu’il était très difficile de se tourner ou de s’étirer dans ces camions, qui ont ensuite été escortés par les forces de sécurité jusqu’à Koro Toro. Sur le chemin de la prison, les détenus ont été privés de nourriture et – plus important encore – d’eau pendant deux à trois jours, ce qui a provoqué un état de délire chez certains d’entre eux, alors contraints de boire leur urine et celle d’autres détenus. Certains détenus sont morts, apparemment des suites de l’état psychologique dans lequel ils étaient et de faim.

Human Rights Watch a documenté la mort d’au moins quatre personnes lors du trajet vers Koro Toro, de six autres à Koro Toro et d’un homme décédé soit lors du trajet soit à Koro Toro, bien que le nombre réel de morts soit probablement bien plus élevé. Les familles n’ont pas été officiellement informées du décès de leurs proches, même si certaines l’ont été de manière informelle, et les dépouilles de ceux qui sont arrivés morts à Koro Toro – ou de ceux qui sont morts en prison – n’ont pas été restituées aux familles.

Le complexe pénitentiaire de Koro Toro est composé principalement de deux prisons, connues sous les noms de Koro Toro 1 et Koro Toro 2, aussi appelées respectivement Koro Toro Habré et Koro Toro Déby – du nom des anciens présidents Hissène Habré et Idriss Déby Itno, sous le régime duquel les deux ensembles ont été construits –, et situées à environ un kilomètre l’une de l’autre. Koro Toro 1, ou Koro Toro Habré, la prison la plus ancienne, est dans un état délabré. Sont enfermés dans ces prisons des suspects qui n’ont pas encore été mis en examen, des personnes en détention provisoire et des prisonniers condamnés.

Image satellite des deux sites de la prison de Koro Toro au 4 mai 2023. Image © 2024 Planet Labs PBC. Graphique © Human Rights Watch
Un croquis réalisé par un ancien détenu de Koro Toro accompagné de l'imagerie satellite correspondante au 4 mai 2023. Croquis © 2022 Privé. Image © 2024 Planet Labs PBC. Graphique © Human Rights Watch

À Koro Toro, les détenus accusés d’avoir participé aux manifestations du 20 octobre 2022 ont été emprisonnés en violation de la loi, privés de procédure régulière et bénéficient d’un suivi judiciaire très limité. Ils ont été exposés à de graves violations des droits humains, notamment des traitements inhumains et dégradants.

La prison de Koro Toro est administrée par le ministère de la Justice, chargé des Droits humains, tandis que la sécurité est gérée par l’armée, et plus précisément par la Garde nationale et nomade du Tchad, connue sous son sigle : GNNT.

Human Rights Watch a utilisé les caractéristiques géographiques apparaissant sur des images obtenues et vérifiées et les a recoupées avec des images satellite pour géolocaliser le site de Koro Toro. Elle a ensuite utilisé ces documents, ainsi que des croquis fournis par les victimes, pour construire des modèles du site de la prison montrant les cellules, les zones d'isolement, les cellules dans lesquelles les membres de Boko Haram étaient détenus et les bâtiments militaires du complexe (voir pages 42-43).

D’anciens détenus ont expliqué que, tandis que Koro Toro était gardée par des soldats de l’armée nationale, l’administration quotidienne de la prison était assurée par des prisonniers soupçonnés d’avoir des liens avec le groupe armé islamiste Boko Haram. Ces prisonniers étaient particulièrement influents à Koro Toro 1, où ils ont puni et battu d’autres détenus, supervisé la distribution de nourriture et géré un petit marché. D’anciens détenus ont indiqué que les soldats ont accordé à ces prisonniers l’autorité de facto de maltraiter et de frapper les autres.

Plusieurs anciens détenus ont été placés dans des cellules d’isolement, appelées soulou, souvent après des manquements mineurs aux règles de la prison, tels que rater l’appel ou rentrer tardivement dans leurs cellules. Dans certains cas, d’autres détenus – apparemment un mélange de personnes condamnées ou en attente de jugement pour leurs liens avec Boko Haram – décidaient de qui enfermer dans ces cellules d’isolement. Dans d’autres cas, des détenus ont été enfermés dans ces cellules par les agents pénitentiaires. Human Rights Watch a confirmé le cas d’au moins un détenu qui est décédé alors qu’il se trouvait dans une cellule d’isolement en 2022.

Les détenus étaient régulièrement enchaînés, peut-être pour empêcher les évasions, car de nombreuses cellules de Koro Toro 1 sont délabrées et plusieurs n’ont pas de porte. Au moins 10 anciens détenus ont indiqué avoir eu des chaînes autour de leurs chevilles sur des périodes allant de quelques jours à plusieurs semaines, ce qui entravait considérablement leurs déplacements, le changement de vêtements ou l’utilisation des toilettes. Cependant, tous les anciens détenus avec lesquels Human Rights Watch a mené des entretiens ont affirmé que des centaines d’hommes ou de garçons étaient enchainés lors de leur détention à Koro Toro.

Certains détenus ont indiqué qu’ils ont été contraints de fabriquer des briques qui étaient vendues par les forces de sécurité à des fins lucratives, ce qui constitue du travail forcé. La plupart des anciens détenus ont déclaré que les autorités pénitentiaires ne leur fournissaient qu’un accès très limité à la nourriture, à l’eau, à l’hygiène et à des services médicaux. Aucun d’eux n’a été autorisé à contacter sa famille ou ses avocats et n’a eu accès à des services juridiques. Être coupé de sa famille et de ses avocats a été cité comme un problème majeur par de nombreux détenus.

Des enfants âgés de seulement 13 ans conduits à Koro Toro ont été placés dans les mêmes cellules et salles que les adultes au moins pendant les deux premières semaines de détention.

Pendant les deux premières semaines, les détenus ont dormi à même le sol jusqu’à ce que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) leur fournisse des matelas. Les soins médicaux n’étaient disponibles qu’à Koro Toro 2. À Koro Toro 1, la fourniture de soins de santé était sporadique et assurée par un prisonnier qui était considéré comme un infirmier et serait accusé d’être un combattant de Boko Haram du Cameroun. D’anciens détenus ont déclaré que le peu de soins médicaux dispensés à Koro Toro 1 et 2 ne répondait pas à leurs besoins. Un ancien détenu séropositif a décrit à Human Rights Watch un manque persistant de traitements, même après qu’il a expliqué aux autorités qu’il était séropositif. Le CICR lui a fourni un traitement au bout de deux semaines. Human Rights Watch a documenté au moins six cas de détenus qui n’ont reçu aucun soin médical, y compris pour des blessures subies lors de passages à tabac et pendant le trajet jusqu’au centre pénitentiaire, et sont décédés à Koro Toro.

Une loi d’amnistie générale, adoptée par le gouvernement de transition le 23 novembre 2023, empêche actuellement les poursuites contre les forces de sécurité impliquées dans la répression violente des manifestations du 20 octobre 2022. Il incombe cependant au gouvernement de s’assurer que des comptes soient rendus pour les abus subis par les personnes détenues à la suite des manifestations.

La base légale qui justifie la privation de leur liberté aux manifestants du 20 octobre est peu solide. De plus, la procédure judiciaire relative à leur détention était irrégulière et arbitraire.

Au début du mois de décembre 2022, 401 personnes qui auraient été prises en flagrant délit ont été jugées pour différentes charges pénales telles qu’attroupement non autorisé, destruction de biens, incendies criminels et troubles à l’ordre public. Au cours des mois suivants, 150 et 200 personnes supplémentaires ont fait l’objet de procès pour des accusations similaires.

Les procédures judiciaires ont été menées par le Tribunal de N’Djamena qui opérait depuis Koro Toro pour les audiences. D’après les entretiens menés avec d'anciens détenus, les interrogatoires et les procédures judiciaires ont été hâtifs et ont privé les accusés de leur droit à un procès équitable. Dans de nombreux cas, l’agent enquêteur ou le juge s’est uniquement intéressé au quartier d’où venaient les accusés, et ceux vivant dans des quartiers dont les habitants étaient considérés comme des sympathisants de l’opposition auraient été interrogés plus spécifiquement sur leur allégeance politique.

Au cours des procès, différentes armes ont été présentées aux accusés comme preuves contre eux. De plus, ils ont été incités à passer aux aveux. Tous les anciens détenus avec lesquels Human Rights Watch a mené des entretiens ont déclaré qu’ils ont été jugés avec de nombreux autres hommes, généralement entre 20 et 30 à la fois, et qu’ils ont été condamnés aux mêmes peines et sanctions de manière collective. Les procès n’ont duré que quelques minutes et étaient de nature sommaire. Certains accusés ont soulevé la question des détentions illégales et des abus subis pendant le trajet jusqu’à Koro Toro et au sein de la prison de Koro Toro devant le tribunal, mais les juges n’ont prêté aucune attention à ces plaintes.

Les autorités tchadiennes sont tenues, en vertu du droit international relatif aux droits humains, de fournir aux détenus les mêmes soins de santé que ceux dont bénéficient les personnes en liberté et, conformément aux standards internationaux, la détention provisoire ne devrait être utilisée qu’en dernier ressort.

L’article 22 de la constitution tchadienne de 2023 interdit les arrestations illégales et les détentions arbitraires.[1] L’article 19 interdit les sévices ou traitements dégradants et inhumains, ainsi que la torture.[2] L’article 25 énonce la présomption d’innocence et prévoit des garanties pour la défense.[3]

Le Code pénal tchadien, révisé en 2017, définit la torture conformément à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984.[4] En vertu de l’article 176 du Code pénal, un responsable de l’application des lois qui « aura, sans motif légitime, usé ou fait de violences envers les personnes dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions [...] sera puni d’un emprisonnement de six mois à cinq ans ».[5]

Le gouvernement tchadien affirme que les manifestations du 20 octobre constituaient une insurrection et que, compte tenu de la gravité de ce crime, la détention à Koro Toro n’était pas une réponse extrême. Plus d’un an après, les personnes liées aux manifestations qui ont été détenues à Koro Toro ont été graciées et la plupart ont été libérées, puis retransférées à N’Djamena. Dans un courrier adressé à Human Rights Watch en juillet 2023, reproduit à l’annexe II du présent rapport, le ministre de la Justice a indiqué qu’il ne dispose d’ « aucun élément relatif à la violation des droits de l’homme liées à leur transfèrement ou à leur détention à la prison de Koro-Toro ».

Human Rights Watch appelle le gouvernement tchadien à fermer immédiatement la prison de Koro Toro 1, qui s’avère inadaptée pour la détention de prisonniers puisqu’elle ne respecte même pas les normes les plus élémentaires de soin des détenus. Koro Toro 2 devrait être rénovée afin de pouvoir accueillir des prisonniers dans de bonnes conditions. Des moyens permettant aux détenus de communiquer avec leurs familles et les services juridiques devraient être mis en place. Personne ne devrait être détenu à Koro Toro sans être préalablement mis en examen, et toute personne actuellement détenue sans inculpation devrait être libérée immédiatement. Conformément au droit international et au droit tchadien, la détention provisoire ne devrait être utilisée que dans des circonstances exceptionnelles. Les personnes en détention provisoire ne devraient pas être enfermées avec les prisonniers condamnés et leur détention ne devrait pas gêner la préparation d’une défense efficace. En conséquence, les personnes actuellement placées en détention provisoire par un tribunal ne devraient pas être détenues à Koro Toro mais être transférées dans un centre de détention plus accessible, où elles pourront bénéficier d’un procès rapide.

Les autorités tchadiennes devraient également garantir la restitution aux familles des dépouilles des manifestants du 20 octobre qui sont morts soit pendant le trajet jusqu’à Koro Toro, soit à Koro Toro afin qu’ils puissent être enterrés dans la dignité.

Dans les cas documentés dans ce rapport, les forces de sécurité qui ont placé en détention les manifestants appartenaient à la police nationale tchadienne, à la gendarmerie et à l’armée et les détenus ont été transportés à la prison de Koro Toro par des soldats. Human Rights Watch appelle la police nationale tchadienne, les gendarmes et l’armée à enquêter sur tous les cas de mauvais traitements associés au transfert et à la détention à Koro Toro tels que décrits dans le présent rapport, à suspendre de leurs fonctions les responsables de ces abus et à veiller à ce qu’ils soient traduits en justice.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, la Rapporteure spéciale des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et la Rapporteure spéciale de la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples sur les prisons, les conditions de détention et l’action policière en Afrique devraient se rendre au Tchad pour examiner les cas de torture, de mauvais traitements et de décès en détention, y compris ceux décrits dans le présent rapport.

Les Nations Unies et l’Union Africaine, y compris les rapporteurs spéciaux susmentionnés, devraient fournir une assistance, y compris technique, pour soutenir une enquête nationale ou bien mener leurs propres enquêtes en l’absence d’action des autorités tchadiennes.


 

Recommandations

Au président du Tchad

  • Prendre des mesures afin d’assurer la fermeture immédiate de Koro Toro 1 et permettre la rénovation des infrastructures ainsi que la révision du fonctionnement de la prison de Koro Toro 2, y compris via une étude des options possibles pour mettre en place une tour de téléphonie mobile à la prison permettant aux détenus de communiquer avec leurs familles ou leurs avocats.

  • Condamner publiquement et sans équivoque les traitements cruels, inhumains ou dégradants et les actes de torture commis dans ces deux prisons et les autres centres de détention au Tchad.

  • Suspendre l’application de l’amnistie générale pour tous les membres des forces de sécurité impliqués dans des abus contre des personnes ayant participé aux manifestations du 20 octobre 2022.

  • Ordonner rapidement l’ouverture d’une enquête transparente et impartiale sur les allégations de meurtres, de mauvais traitements et de torture concernant des personnes détenues en lien avec les manifestations du 20 octobre 2022, dont certaines ont été transférées à la prison de Koro Toro, et veiller à ce que tous les membres du personnel impliqués dans des violations graves, quel que soit leur grade, soient dûment sanctionnés ou poursuivis. Publier des rapports réguliers détaillant la progression et les résultats des enquêtes, ainsi que toutes les mesures prises à l’encontre des personnes impliquées dans des abus.

Au gouvernement du Tchad

  • Fermer Koro Toro 1 et garantir la rénovation immédiate et la refonte complète des infrastructures et du fonctionnement de la prison de Koro Toro 2 afin de la rendre conforme aux normes internationales relatives aux établissements pénitentiaires.

  • Mener une étude de faisabilité sur la mise en place d’une tour de téléphonie mobile à la prison de Koro Toro 2.

  • En attendant les rénovations, assurer le transfert adéquat des prisonniers actuels vers d’autres prisons, en veillant au respect de leurs droits à une procédure régulière ; libérer immédiatement tous les détenus emprisonnés sans inculpation et veiller à ce que toutes les personnes placées en détention provisoire par un tribunal soient transférées dans des établissements où elles pourront préparer efficacement leur défense en vue d’un procès rapide.

  • Une fois que les infrastructures de Koro Toro 2 auront été rénovées, s’assurer que tous les prisonniers sont traités conformément aux normes énoncées dans l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, connu sous le nom de « Règles Nelson Mandela », y compris en ce qui concerne les services d’alimentation, de logement, de santé et d’hygiène ainsi que les services récréatifs et éducatifs.

  • Mettre fin à tout système ou politique permettant à certains prisonniers d’exercer un contrôle sur d’autres prisonniers ou d’assumer des fonctions dévolues aux autorités pénitentiaires, et tenir pour responsables, y compris par le biais de poursuites pénales, les autorités pénitentiaires qui délèguent des pouvoirs aux prisonniers ou tolèrent l’exercice de pouvoirs de facto par les prisonniers.

  • Mettre en œuvre une politique de tolérance zéro pour toute forme de mauvais traitement des détenus, y compris les passages à tabac et les mauvais traitements infligés par d’autres prisonniers, et informer le personnel et les prisonniers que les abus feront l’objet de mesures disciplinaires et de sanctions.

  • Enquêter sur les cas d’abus et de mauvaise conduite des membres des forces de sécurité, y compris ceux documentés dans le présent rapport, et poursuivre en justice les autorités responsables de mauvais traitements des détenus pendant le trajet jusqu’à Koro Toro et au sein de la prison.

  • Prendre des mesures disciplinaires à l’encontre des agents qui manquent à leurs obligations, y compris les directeurs de Koro Toro et du Camp 27, et poursuivre les personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions pénales, notamment des violations des droits humains telles que des actes de torture et des mauvais traitements.

  • Veiller à ce que les poursuites à l’encontre des membres des forces de sécurité accusés de crimes soient menées rapidement, équitablement et conformément aux normes internationales en matière de procès équitable.

  • Veiller à ce que la conduite de tous les agents de police et de gendarmerie soit conforme aux normes de droits humains relatives aux fonctions de police, notamment celles énoncées dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et respecte les lois tchadiennes qui reflètent ces normes (notamment l’article 292 du Code pénal tchadien).

  • Veiller à ce que tous les policiers, gendarmes et membres de l’armée reçoivent une formation appropriée et suffisante pour comprendre leurs responsabilités en matière de respect des droits humains telles que définies par les traités internationaux auxquels le Tchad est un État partie et pour prévenir les violations.

  • Ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

À la police nationale et aux gendarmes tchadiens

  • Enquêter sur les allégations de détention illégale, de mauvais traitements et de corruption telles que celles documentées dans le présent rapport.

  • Suspendre les agents de police ou les gendarmes responsables de ces abus, prendre des mesures disciplinaires à leur encontre et veiller à ce qu’ils soient traduits en justice.

À l’armée tchadienne

  • Enquêter sur les allégations de détention illégale, de mauvais traitements, de corruption et d’exécutions extrajudiciaires telles que celles documentées dans le présent rapport.

  • Suspendre les officiers ou les soldats responsables de ces abus, prendre des mesures disciplinaires à leur encontre et veiller à ce qu’ils soient traduits en justice.

Aux partenaires bailleurs de fonds

  • Appeler à la fermeture immédiate de Koro Toro 1 et à la rénovation de Koro Toro 2.

  • Pousser le gouvernement tchadien à mener une enquête approfondie et à sanctionner toutes les violations des droits humains commises par des représentants de l’état en lien avec les manifestations du 20 octobre et à la prison de Koro Toro.

  • Encourager vivement les autorités tchadiennes à traduire en justice, dans des procès équitables et crédibles, les membres de l’armée et autres individus responsables de mauvais traitements et d’autres abus commis pendant le trajet jusqu’à Koro Toro et à la prison.

  • Dans tous les programmes d’assistance destinés aux forces de sécurité tchadiennes, inclure une formation aux droits humains en mettant l’accent sur l’application de l’interdiction du recours à la torture et à un usage excessif de la force.  

Aux Rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

  • Se rendre au Tchad pour examiner les cas de torture, de mauvais traitements et de décès en détention, y compris ceux décrits dans le présent rapport.

  • Fournir un compte rendu public de cette visite et de toute suite à donner par le gouvernement du Tchad.

À la Rapporteure spéciale de la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples sur les prisons, les conditions de détention et l’action policière en Afrique

  • Se rendre au Tchad pour examiner les cas de torture, de mauvais traitements et de décès en détention, y compris ceux décrits dans le présent rapport.

  • Fournir un compte rendu public de cette visite et de toute suite à donner par le gouvernement du Tchad.

À la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC)

  • Publier les résultats des enquêtes menées au Tchad au cours de l’année 2023 sur la réponse de l’État aux manifestations du 20 octobre 2022 ainsi que sur le transfert et la détention de manifestants à la prison de Koro Toro.

Méthodologie

Le présent rapport s’appuie sur des recherches effectuées par Human Rights Watch à N’Djamena, la capitale du Tchad, lors de voyages sur place en novembre 2022 et en avril, mai et juin 2023. Des entretiens téléphoniques ont également été réalisés entre novembre 2022 et janvier 2024.

Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 150 personnes pour ce rapport, dont 71 anciens détenus adultes et un garçon de 13 ans qui ont été emprisonnés à Koro Toro. Les noms et d’autres informations permettant d’identifier les personnes ont été retirés de ce rapport afin de protéger leur vie privée et leur sécurité.

Human Rights Watch a mené la majorité des entretiens en français. Dans certains cas, les entretiens se sont déroulés en ngambay, une langue parlée dans le sud du Tchad, avec l’aide d’un interprète. Les anciens détenus ont été interviewés individuellement et dans un cadre privé. Le personnel de Human Rights Watch a expliqué à chaque personne interviewée l’objectif de l’entretien, sa nature volontaire, la manière dont les informations qui en sont tirées seraient utilisées et le fait qu’aucune rémunération ne serait offerte en contrepartie.

En juin 2023, Human Rights Watch a écrit au président de transition de l’époque, au Premier ministre, au ministère de la Justice, au ministère de la Sécurité publique, au ministère de la Défense et au chef de la police nationale pour solliciter des réunions afin de discuter des résultats de ses recherches sur Koro Toro. Human Rights Watch a rencontré le Premier ministre, à deux reprises, ainsi que le ministre de la Sécurité publique. Human Rights Watch a communiqué une synthèse de ses recherches au gouvernement tchadien le 29 juin 2023 (voir l’annexe I du présent rapport). Le ministre de la Justice a répondu aux questions de Human Rights Watch par écrit, dans un courrier daté du 6 juillet 2023 (voir l’annexe II du présent rapport).  

Ce rapport se concentre spécifiquement sur les violations des droits humains commises pendant le transport jusqu’à Koro Toro et lors de la détention au sein de cette prison. Human Rights Watch a reçu des informations relatives à d’autres abus dans plusieurs autres centres de détention au Tchad, mais ce rapport ne couvre pas ces établissements. Human Rights Watch a documenté les violations des droits humains commises dans le cadre de la répression des manifestants dans d'autres publications.[6]


 

Contexte

Intensification de la répression

Les forces de sécurité gouvernementales ont intensifié la répression contre les manifestants et l’opposition politique à l’approche de l’élection présidentielle du 11 avril 2021, lors de laquelle le président en exercice de l’époque, Idriss Déby Itno, qui dirigeait le Tchad depuis décembre 1990 après avoir renversé le dirigeant autocratique Hissène Habré,[7] se présentait pour un sixième mandat.

De février à avril 2021, une coalition de groupes non gouvernementaux, de syndicats et de partis politiques d’opposition a organisé des manifestations pacifiques à N’Djamena et dans d’autres villes du pays pour protester contre la candidature d’Idriss Déby Itno à un sixième mandat, malgré l’interdiction des rassemblements publics prononcée par le gouvernement.[8] Au cours de ces manifestations, la police, les gendarmes et les soldats ont frappé les manifestants à coups de fouets, de bâtons et de matraques et ont arrêté arbitrairement des dizaines de personnes.

Les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes et d’autres formes de force pour disperser les manifestants pacifiques à N’Djamena à plusieurs reprises, notamment le 6 février, le 15 février, le 20 mars[9] et le 27 mars,[10] blessant des dizaines de manifestants et de passants. Elles ont également procédé à l’arrestation arbitraire d’au moins 112 membres et sympathisants de partis d’opposition et activistes de la société civile et ont soumis certains d’entre eux à de graves passages à tabac et d’autres mauvais traitements. Lors d’une attaque contre la maison d’un leader de l’opposition politique et candidat à la présidence, Yaya Dillo, le 28 février, les forces de sécurité ont tué sa mère âgée de 80 ans et blessé cinq autres membres de sa famille.[11]

Les élections présidentielles ont eu lieu le 11 avril 2021. Le 19 avril, la commission électorale du Tchad a annoncé la victoire d’Idriss Déby Itno, remportant un sixième mandat. Le jour du vote, des rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), basé en Libye, ont lancé un assaut contre le Tchad, attaqué un poste militaire dans la province occidentale de Kanem et appelé Idriss Déby Itno à quitter ses fonctions. Les affrontements entre rebelles et forces gouvernementales se sont poursuivis pendant quelques jours dans la province, alors que le président lui-même supervisait les combats. Le 20 avril, un porte-parole de l’armée tchadienne a annoncé à la télévision nationale qu’Idriss Déby Itno, alors âgé de 68 ans, était décédé des suites de blessures subies lors des affrontements.[12] Les circonstances exactes de son décès restent floues.[13]

La constitution du Tchad de 2018, en vigueur à l’époque, prévoyait clairement qu’en cas de décès du président en exercice, le président de l’Assemblée nationale devait provisoirement diriger le pays pendant 45 à 90 jours avant la tenue de nouvelles élections.[14] La constitution n’a pas été respectée puisque le porte-parole de l’armée a déclaré que le gouvernement et le parlement étaient dissous, que toutes les frontières avaient été fermées et qu’un conseil militaire de transition (CMT) dirigé par Mahamat Idriss Déby, l’un des fils d’Idriss Déby Itno, prendrait les rênes du pays.[15]

Le conseil militaire de transition a suspendu la constitution et l’a remplacée par une charte de transition, s’engageant à organiser des élections libres dans un délai de 18 mois, après un dialogue national. À la suite de la suspension de la constitution de 2018, les négociations entre le conseil militaire de transition et l’opposition ont permis le retour d’activistes et chefs de groupes armés au Tchad après plusieurs années d’exil.[16]

Des centaines de membres et de partisans de partis d’opposition et d’organisations de la société civile unis dans une coalition appelée Wakit Tamma (« le temps est venu » en arabe tchadien) ainsi que d’autres personnes ont manifesté à N’Djamena, ainsi qu’à Moundou, Doba et dans d’autres villes à travers le pays les 27 et 28 avril puis les 8 et 19 mai 2021. Les manifestants ont bravé l’interdiction de manifester instaurée par le conseil militaire de transition et ont exigé une transition vers un régime civil. Des forces armées issues de la police, de la gendarmerie et de l’armée ont fait un usage excessif de la force, tirant à balles réelles sans discernement pour disperser les manifestations. Au cours de ces manifestations, au moins sept personnes ont été tuées, des dizaines ont été blessées et les forces de sécurité ont arrêté plus de 700 personnes, dont plusieurs ont signalé des mauvais traitements, y compris des actes de torture, en détention. La plupart a finalement été libérée.[17]

De juin à septembre 2021, les autorités ont adopté certaines mesures positives. Par exemple, le gouvernement a reconnu le mouvement populaire d’opposition appelé « Les Transformateurs » en tant que parti politique[18] et le 10 juin, les autorités ont libéré Baradine Berdei Targuio, un éminent défenseur des droits humains qui avait été injustement placé en détention.[19] Grâce à une pression internationale soutenue, les autorités ont permis la tenue de manifestations organisées par l’opposition dans le pays durant cette période.

Le 2 octobre 2021, lors d’une manifestation autorisée, des centaines d’habitants de N’Djamena se sont joints aux membres et aux partisans de Wakit Tamma pour protester contre le régime du CMT et demander des modifications de la charte de transition. Bien que les autorités aient autorisé cette manifestation, la police anti-émeute – et, dans un cas, des gendarmes – ont tiré des grenades lacrymogènes, des balles en caoutchouc et potentiellement des balles réelles sur les manifestants, blessant environ 40 à 45 personnes et endommageant des biens privés.[20]

Le dialogue national, initialement prévu pour février 2022, a été retardé, suscitant des appels croissants, à la fois au Tchad et à l’extérieur du pays, à une transition dirigée par des civils et à la tenue d’élections crédibles.[21]

À la suite des manifestations du 14 mai 2022, les autorités ont placé six membres et partisans de Wakit Tamma en « détention provisoire » à la prison de Klessoum à N’Djamena sur la base d’allégations d’« attroupement en vue de troubler l’ordre public, atteinte aux biens et agression physique ».[22] Les six personnes ont ensuite été transférées à la prison de Moussoro, à 300 kilomètres de N’Djamena, avant d’être finalement libérées en juin après que leurs peines ont été assorties de sursis.[23]

Le dialogue national s’est ouvert en août 2022 dans un contexte de tensions accrues dans la capitale et de nouvelles manifestations ont été organisées. Les forces gouvernementales ont blessé des dizaines de manifestants à N’Djamena au cours des 10 premiers jours de septembre, notamment avec des gaz lacrymogènes. Les forces de sécurité ont également arrêté plus de 220 personnes, dont de nombreux membres des Transformateurs, et ont pris pour cible le quartier d’Abena, où se trouve le siège du groupe.[24]

Les principaux groupes rebelles, partis d’opposition et organisations de la société civile ont refusé de participer au dialogue national, invoquant la réticence de l’armée à s’engager à rendre le pouvoir aux civils.[25]

Les tensions se sont aggravées lorsque le dialogue national a pris fin au début du mois d’octobre 2022. Celui-ci s’est conclu par la prolongation de la transition (qui devait se terminer ce mois-là) pour deux années supplémentaires et par l’annonce que les membres du CMT, y compris Mahamat Idriss Déby, pourraient se présenter aux prochaines élections nationales.[26] Le dialogue a également recommandé la dissolution du conseil militaire de transition et la nomination de Mahamat Idriss Déby en tant que président de transition.

Manifestations meurtrières du 20 octobre 2022

Le 20 octobre 2022, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de N’Djamena et de plusieurs autres villes du sud du Tchad, dont Moundou, Doba et Sarh.[27]

Les forces armées de la police, de la gendarmerie et de l’armée ont tiré à balles réelles sur les manifestants, tuant et blessant des dizaines d’entre eux, ont passé à tabac des personnes, les ont poursuivies dans des maisons et les ont placées en détention. D’après des proches et des témoins, les personnes arrêtées ont été détenues dans des postes de police et dans au moins une école dans le quartier d’Abena, à N’Djamena, pendant plusieurs jours.[28]

Au cours de ses recherches après les manifestations, Human Rights Watch a recueilli des témoignages fiables concernant plusieurs hommes ou garçons tués ou victimes de disparition forcée.[29] Les personnes disparues de force ont été vues alors qu’elles étaient placées en détention par des policiers ou des militaires, mais lorsque des proches ou des amis ont ensuite voulu prendre de leurs nouvelles, ils ont découvert que ces personnes n’avaient pas été présentées à un tribunal. On ne sait toujours pas où elles se trouvent.

Dans les heures qui ont suivi les manifestations, les autorités tchadiennes ont déclaré que 50 personnes avaient été tuées, dont environ 15 policiers, et 300 autres blessées.[30] Les autorités ont plus tard ajusté le nombre de policiers tués à 13, mais n’ont pas révélé leur identité. Si le bilan total des violences liées aux manifestations du 20 octobre n’est toujours pas connu, la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) a rendu un des rapports nationaux les plus fiables sur le sujet (voir ci-dessous). Dans son rapport, publié en février 2023, la CNDH a recensé 128 personnes tuées et 518 blessées. La CNDH a confirmé que deux policiers avaient été tués,[31] laissant apparaître une divergence avec les chiffres officiels du gouvernement et soulevant ainsi la question de savoir si le gouvernement avait exagéré le nombre de policiers morts pour tenter de justifier le recours à la force.

Une organisation nationale de défense des droits humains, la Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH), et une coalition internationale d’organisations, l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), ont publié un rapport en avril 2023 qui indiquait que 218 manifestants avaient été tués.[32]


 

Le rapport de la CNDH

Le rapport de la CNDH indique que, malgré l’objectif déclaré de certains participants et organisateurs de manifester pacifiquement, d’autres personnes dans la foule portaient des armes blanches et ont attaqué les services de sécurité avec des pierres.[33] Néanmoins, la principale conclusion du rapport est accablante et explique que les forces de sécurité « ont systématiquement violé plusieurs droits fondamentaux de l’Homme... en utilisant des moyens disproportionnés ».[34] La CNDH a en outre attribué « la responsabilité principale de toutes ces violations des droits de l’Homme aux agents investis de l’autorité de l’État, à savoir les [forces de sécurité de l’État] ».[35]

Le rapport note également que des hommes en civil circulant à bord de véhicules privés aux vitres fumées ont fait usage d’armes contre les manifestants.[36] Il appelle à l’ouverture d’une enquête pour déterminer qui étaient ces hommes.

Le rapport a également indiqué que des violations systématiques des droits fondamentaux se sont poursuivies après le 20 octobre par des actes de torture, des perquisitions illégales, des enlèvements ou des détentions arbitraires.[37] Il note aussi que des prisonniers sont morts en détention à la prison de Koro Toro (voir plus loin) et que les procédures judiciaires organisées à la prison n’étaient pas équitables.[38]

En conclusion, la CNDH a soulevé d’importantes questions qui n’ont pas encore été résolues, notamment celle de savoir pourquoi le gouvernement, qui était informé des projets de manifestations majeures, n’a-t-il pris aucune mesure concrète pour éviter la perte de vies humaines ? Qui a donné l’ordre aux forces de sécurité étatiques de tirer sur les manifestants et de les tuer ? Et pourquoi aucune enquête judiciaire n’a-t-elle été ouverte sur les graves violations des droits humains ?[39]

Le rapport a de plus formulé des recommandations au gouvernement, dont celle de traduire en justice les personnes responsables de violations des droits humains.[40]

Dans les jours qui ont suivi les violences, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), l’une des huit communautés économiques régionales de l’Union africaine, a annoncé la mise en place d’une commission d’enquête. Si les membres de la commission se sont entretenus avec certains détenus de la prison de Koro Toro, on ignore si le rapport final, qui n’a pas encore été rendu public, mettra en lumière les abus commis au sein de la prison.

Dans un courrier adressé à Human Rights Watch (voir l’annexe II), daté du 6 juillet 2023, le ministre de la Justice a réitéré la position du gouvernement selon laquelle les événements du 20 octobre n’étaient pas des manifestations, mais bien une insurrection menée dans le but de renverser le gouvernement de transition.

Succès Masra, leader d’opposition et président du parti Les Transformateurs, a quitté le pays quelques jours après les manifestations. Le 9 novembre 2022, les avocats français représentant Succès Masra ont annoncé avoir transmis à la Cour pénale internationale (CPI) un rapport sur des faits qualifiés de crimes contre l’humanité.[41] Le 5 octobre 2023, Succès Masra a informé le ministre de la Sécurité publique du Tchad dans un courrier qu’il prévoyait de rentrer au Tchad le 18 octobre.[42] Ce même jour, un mandat d’arrêt émis par les autorités tchadiennes, daté de juin 2023, est apparu sur les réseaux sociaux.[43] Le mandat indiquait que Succès Masra était recherché pour divers crimes, dont « tentatives d’atteinte à l’ordre constitutionnel, […] incitation à la haine et à un soulèvement insurrectionnel ». Quelques jours plus tard, le 8 octobre 2023, au moins 72 membres et partisans des Transformateurs ont été arrêtés et détenus au siège de l’Agence nationale de sécurité (ANS).[44] Ils ont été libérés quelques semaines plus tard.

Amnistie pour les manifestations du 20 octobre 2022 et constitution de 2023

Le 3 novembre 2023, Succès Masra est rentré au Tchad, quelques jours après avoir signé, le 30 octobre, un accord de réconciliation avec les autorités tchadiennes en République démocratique du Congo, qui lui garantissait la possibilité de participer à des activités politiques. Cet accord faisait partie d’une amnistie générale plus large accordée par le gouvernement de transition à « tous les Tchadiens, civils et militaires » impliqués dans les manifestations du 20 octobre. La loi d’amnistie, adoptée par un conseil national de transition le 23 novembre 2023, empêche la possibilité de poursuites pour les crimes commis pendant et après les manifestations.[45]

La nouvelle constitution du Tchad a été approuvée par référendum le 17 décembre 2023.[46] La constitution a abaissé l’âge minimum pour les candidats à la présidence, permettant ainsi à Mahamat Idriss Déby, qui aurait été disqualifié en vertu de la constitution de 2018, de se présenter à l’élection. La constitution maintient un système de gouvernement central ou unifié malgré la pression de certains opposants en faveur de l’instauration d’une fédération. Succès Masra a fait campagne pour que le « oui » au référendum l’emporte[47] et, le 1er janvier 2024, il a été nommé Premier ministre.[48]
 

Détentions et transferts des manifestants à la prison de Koro Toro

Nous étions comme des sardines dans le véhicule. Nous avions tous des blessures liées aux passages à tabac. Je n’ai pas les mots pour décrire le voyage. C’était tellement difficile. Nous étions tellement entassés dans le véhicule qu’il n’y avait pas de place. Nous avons commencé à nous battre pour avoir un peu d’espace. C’était terrible. Beaucoup n’ont pas reçu d’eau alors qu’ils étaient dans les [postes de police] avant notre départ. Nous avions soif à N’Djamena.


— Ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 14 avril 2023

Sur les 72 anciens détenus avec lesquels Human Rights Watch a mené des entretiens, 15 ont été arrêtés dans la soirée du 19 octobre, avant le début des manifestations, 46 ont été arrêtés le jeudi 20 octobre et 11 ont été arrêtés le vendredi 21 octobre. Human Rights Watch a documenté d’autres cas de personnes arrêtées au cours de ces trois jours.

Quarante-et-un anciens détenus ont expliqué qu’ils ont été rassemblés à N’Djamena et emmenés directement dans des postes de police connus sous le nom de commissariats de sécurité publique (CSP). Quatorze anciens détenus ont été directement conduits au commissariat central et neuf directement à l’ancienne école de police, appelée ex-école de police, située derrière l’ancien hôtel Ledger. Pour de nombreux anciens détenus, les traitements inhumains et dégradants ont commencé dans les CSP, au commissariat central et à l’ex-école de police. Les irrégularités judiciaires ainsi que l’absence de procédure régulière auxquelles les anciens détenus ont fait face une fois arrivés à Koro Toro s’inscrivent dans la continuité du caractère déjà arbitraire des arrestations. Aucun des anciens détenus interviewés par Human Rights Watch n’a été présenté à un juge avant d’être transféré à la prison de Koro Toro.

Human Rights Watch a également confirmé 12 cas où les forces de sécurité ont détenu des personnes dans une école primaire du quartier d’Abena à N’Djamena et ont soumis les détenus à de sévères passages à tabac. Sur ces cas, huit personnes ont été transférées à la prison de Koro Toro, tandis que les autres ont finalement été libérées.

Les détenus ont été conduits à la prison de Koro Toro en deux convois : le premier, le 21 octobre, était composé de trois camions, et le deuxième convoi, le lendemain, était formé par deux camions. Le voyage a duré environ 36 heures, mais le temps de trajet était différent pour chaque camion, car certains sont tombés en panne en cours de route et ont nécessité des réparations.

Passages à tabac et autres mauvais traitements lors de l’arrestation

D’après les personnes interviewées, les manifestants ont été arrêtés en masse, parfois par groupes de 50 à 60 personnes à la fois, puis transportés à travers N’Djamena. Dans la plupart des cas, les services de sécurité ont emmené les hommes dans des camions Toyota mais, dans certains cas, ils les ont fait monter à bord de grands camions servant normalement à transporter du sable. Sur les 72 hommes et garçons avec lesquels Human Rights Watch a mené des entretiens, 53 ont été arrêtés à leur domicile. Un ancien détenu a raconté à Human Rights Watch : « J’ai été arrêté à la maison le jeudi après-midi vers 13 h par les gendarmes. Ils sont simplement entrés et ont dit : “On y va !” Ils m’ont fait monter dans un Toyota et m’ont conduit au CSP 11, à Farcha, où ils m’ont enfermé dans une petite cellule avec 38 autres hommes. »[49]

Des dizaines d’anciens détenus ont déclaré avoir été battus dans les camions lors du trajet menant à un CSP de la ville. Un homme a décrit son arrestation :

J’ai été arrêté par des policiers et des soldats le 21 à mon domicile à Mbata. Il était environ 6 h 30 du matin. Ils passaient de maison en maison. J’ai été arrêté avec mon petit frère. Lorsque nous avons été arrêtés, les policiers ont dit : « Vous êtes des éléments de Masra [Succès Masra, le chef d’opposition], vous avez créé des problèmes ». Ils ont commencé à nous frapper immédiatement avec des bâtons, des fouets en caoutchouc et leurs fusils alors que nous montions dans le Toyota. Il y avait peut-être une douzaine d’autres hommes [arrêtés] dans le Toyota et nous avons été conduits au CSP 11 près de l’aéroport de Farcha. Ils nous ont allongés les uns sur les autres dans le Toyota.[50]

Une fois aux CSP, au commissariat central ou à l’ex-école de police, les passages à tabac semblaient arbitraires. Certains anciens détenus ont déclaré avoir été traités avec humanité ; ils ont notamment été autorisés à utiliser le téléphone d’un gardien pour appeler un proche. D’autres ont précisé qu’ils ont été nourris ou que les membres de leur famille venus leur rendre visite ont été autorisés à leur apporter de la nourriture. Cependant, des dizaines de détenus ont indiqué avoir été battus pendant leur détention à N’Djamena.

Un ancien détenu a décrit son arrestation par des soldats le 20 octobre et comment, après avoir passé la nuit au poste de police de Dembe, il a été emmené le lendemain au commissariat central. « J’ai été sévèrement battu là-bas », a-t-il expliqué. « Les policiers et les soldats m’ont frappé à la poitrine avec leurs fusils. Ils m’ont fait tomber au sol et ont continué à me battre. Ils criaient : “Masra est avec toi ? Masra t’a donné 2 000 CFA [3 dollars des Etats-Unis] pour manifester, tu peux l’appeler maintenant pour qu’il vienne te libérer !” … J’ai vu beaucoup de gens être battus au commissariat central. À 20 h, nous avons été conduits au CSP 4 dans le quartier de Soukala [et] la police a continué à frapper les gens là-bas aussi. »[51]

Human Rights Watch a mené des entretiens avec d’anciens détenus que la police et l’armée avaient détenus sur un terrain de football à Abena, près du siège du parti des Transformateurs et de l’école primaire d’Abena. Les hommes et les garçons emmenés sur ce terrain ont été arrêtés par des soldats tard dans la journée du 19 octobre ou tôt le matin du 20 octobre alors qu’ils tentaient de se rassembler près du siège du parti. Sur ce terrain de football, les soldats ont ligoté et battu les détenus et les ont répartis en petits groupes pour les emmener dans des CSP ou vers des lieux inconnus. Un ancien détenu a raconté : « Il y avait beaucoup de monde là-bas, peut-être 200 personnes. Nous y sommes restés deux heures. Les soldats nous ont frappés avec des barres de fer. Nous étions ligotés pour la plupart. Des camions Toyota venaient et emmenaient des groupes d’hommes vers des lieux inconnus. Ils le faisaient par étapes, nous ne savons pas où certains de ces hommes et garçons ont été emmenés. »[52]

Abus et détention dans l’école primaire d’Abena

Human Rights Watch, la CNDH, ainsi que la LTDH et l’OMCT ont déjà documenté comment les forces de sécurité ont utilisé l’école primaire d’Abena, située dans le quartier du même nom, à N’Djamena, comme centre de détention pendant au moins quatre jours, enfermant des dizaines d’hommes, et peut-être des garçons, dans de petites salles de classe et en les y frappant sévèrement. Le rapport de la CNDH cite plusieurs témoins qui disent avoir vu des hommes mourir à l’école après avoir été battus par les forces de sécurité.[53]

Human Rights Watch a mené des entretiens avec quatre hommes qui ont été détenus dans l’école primaire d’Abena, avant d’être emmenés au lac Tchad, puis transférés à Koro Toro.

Un ancien détenu a expliqué :

J’ai été conduit à l’école d’Abena… où les soldats nous ont battus dans la salle de classe. Ils nous appelaient les « hommes de Masra » et ils m’ont frappé avec des câbles et des bâtons en bois. À 21 h, j’ai été ligoté abatashar [les mains et les pieds attachés derrière le dos] et mis dans un camion. J’ai vu trois camions Toyota. Il y avait peut-être 20 détenus dans chacun d’eux. Ils nous ont traités comme si nous étions des bagages. Si vous parliez, vous aviez des problèmes. Ils nous ont placés les uns sur les autres. Nous sommes partis pour le lac. Nous sommes arrivés vers 6 h du matin [le lendemain] près de Mandi. Je savais où nous étions. Ils nous ont sortis du camion une fois arrivés au lac et nous ont détachés. Il y avait beaucoup de soldats là-bas, mais ils ont reçu un appel de N’Djamena [et on leur a dit de nous ramener]. Deux hommes étaient morts dans le camion.[54]

Un autre homme, qui était dans le même convoi, a raconté :

Des soldats m’ont emmené à l’école d’Abena et j’ai été battu là-bas. J’y suis resté toute la journée et ils m’ont vraiment passé à tabac. Une fois la nuit venue, j’ai été ligoté et emmené avec quelques hommes au lac. Deux ou trois hommes en dessous de nous dans le Toyota sont morts. Ils conduisaient comme des fous. Nous ne savons pas qui est mort, nous étions en état de choc. Tout ce que je savais, c’est qu’ils allaient nous tuer. Nous sommes restés deux heures au lac, et ils nous ont demandé si nous soutenions Succès Masra. Ils nous ont frappés et posé des questions. Mais ensuite, ils ont reçu des appels et ils nous ont refait monter dans le camion pour rentrer à N’Djamena.[55]

Un ancien détenu de l’école d’Abena a fait le récit suivant :

Les soldats m’ont ligoté et m’ont frappé avec un bâton et des fouets. Ils m’ont battu jusqu’à 22 h. Puis, des camions sont arrivés. J’étais toujours ligoté, nous avons été placés dans les Toyota et emmenés dans des directions différentes. J’ai été conduit au lac. Le matin, nous étions à Mandi, j’ai entendu des hommes le dire. J’ai vu des rizières et de l’eau. Nous sommes sortis et j’étais toujours ligoté. Un homme était mort dans notre camion. Les gardes ont demandé : « Qui est avec Masra ? » Nous étions peut-être 50 [détenus] au lac. Ils ont tiré en l’air pour faire fuir les habitants. Ils ont enlevé les cordes qui me retenaient... [Mais] ensuite, ils nous ont conduits au commissariat central. Nous avons emmené le corps du défunt avec nous.[56]

Meurtres présumés au lac Tchad

Un autre ancien détenu, qui n’a pas été enfermé à l’école d’Abena, a lui aussi été emmené au lac, où il a été témoin de l’exécution d’au moins quatre hommes. Ce détenu a été arrêté par des soldats vers 7 heures du matin le 20 octobre et conduit au CSP 7 à Chagoua, N’Djamena. Il a expliqué qu’il a été ligoté avec environ 30 autres hommes au CSP 7 et a poursuivi :

Les soldats ont placé environ 30 d’entre nous dans un Toyota, les uns sur les autres. Trois hommes ont suffoqué et sont morts dans le Toyota. Ils ont été écrasés. Cela s’est produit à environ 21 h ou 22 h. Ils ont pris 3 Toyota, chacun rempli d’environ 30 hommes, et ils nous ont conduits au lac. Une fois au lac, ils nous ont mis en ligne le long de l’eau. Puis, un soldat a demandé : « Pourquoi es-tu allé manifester ? » Un des prisonniers a répondu : « pour la justice et l’égalité ». Il a été tué d’une balle dans la tête, et ils l’ont jeté à l’eau. Ils sont passés à l’homme suivant, qui a dit qu’il n’était pas un manifestant. Mais le soldat a répondu : « Non, tu mens » et il lui a tiré une balle dans la tête. Les autres hommes ont commencé à dire qu’ils n’étaient pas des manifestants, mais les soldats les ont abattus. Quand ils sont arrivés au cinquième homme, les soldats ont reçu un appel et ils ont arrêté. Le chef s’est éloigné, parlant au téléphone en arabe. Nous étions toujours ligotés au lac. À un certain moment… les cordes pour nous ligoter ont été enlevés et les soldats nous ont ramenés au CSP 12. Il était environ 3 h du matin.[57]

Camp 27

Les détenus ont été emmenés de N’Djamena à Koro Toro en deux vagues de camions militaires : un convoi de trois camions a quitté N’Djamena le vendredi 21 octobre et l’autre, composé de deux camions, est parti le samedi 22 octobre. Les camions étaient gros, de la marque Mercedes Benz et appartenaient à l’armée. Les anciens détenus les désignaient presque exclusivement comme des « Sarkozy ».[58] Les détenus ont indiqué que les camions étaient grands et transportaient chacun entre 150 et 250 hommes. Un détenu a déclaré : « Nous étions nombreux dans le Sarkozy. J’étais à l’avant. Pendant que nous montions dans le camion, les soldats comptaient et j’ai entendu l’un d’eux dire que nous étions 216. »[59]

Exemple de camion militaire communément appelé « Sarkozy » et utilisé pour transporter les détenus à Koro Toro.  © 2022 Privé

Les deux convois de camions ont transporté les détenus à Koro Toro depuis une base militaire connue sous le nom de Camp 27 et située dans le quartier de Farcha à N’Djamena. De nombreux anciens détenus ont décrit les 24 premières heures de détention comme chaotiques et ont raconté qu’ils ont été déplacés entre différents CSP dans la ville.

Presque tous ont confirmé qu’entre 22 heures et 23 heures le 21 octobre, un ordre a semblé circuler demandant de les conduire au Camp 27. Un détenu qui a été enfermé au CSP 6 a raconté qu’il a demandé à un garde où ils seraient transférés. Le garde a répondu qu’il ne pouvait rien dire, mais que le détenu devrait essayer de trouver de l’eau à emporter avec lui.[60]

Les anciens détenus ont expliqué que leur arrivée au Camp 27 a été chaotique dans la nuit du 21 octobre. Ils ont décrit comment de nombreux camions militaires Toyota ont convergé vers le camp vers 23 heures à peu près. Des soldats, des policiers et des gendarmes allaient et venaient et poussaient les détenus dans de grands camions ; le climat était tendu et il était difficile de voir dans la nuit.

De nombreux détenus ont raconté qu’ils ont reçu des coups de fouet pour qu’ils montent plus vite dans les camions. Certains ont dit avoir été frappés par des gardes quand ils ont tenté de demander où ils allaient. D’autres, déjà blessés du fait des passages à tabac violents dans les CSP, ont été brutalement poussés dans les camions. Un détenu a expliqué : « J’avais déjà été sévèrement battu lorsque nous avons été conduits au camp militaire derrière la brasserie [Camp 27]. J’ai été jeté dans le Sarkozy comme une pierre. »[61]

Moussa Haroun Tirgo

Il est difficile d’établir la chaîne de commandement et la hiérarchie des dirigeants au Camp 27 les 21 et 22 octobre, mais plus de 24 anciens détenus ont indiqué avoir vu le directeur général de la police de l’époque, le général Moussa Haroun Tirgo.[62]

« Nous n’avons passé que 5 minutes au Camp 27. Le directeur général [de la police] Tirgo était là, je l’ai vu. Il avait toute l’attention des autres. Il nous a dit de monter dans le Sarkozy et nous sommes partis », a expliqué un ancien détenu.[63]

Un autre détenu a décrit son arrivée au camp militaire : « Ensuite, ils nous ont emmenés dans un camion Toyota 200 au Camp 27 près de la brasserie à Farcha. Nous sommes arrivés et ils nous ont forcés à monter dans des Sarkozy à coups de fouet. Ils nous ont tout simplement poussés dans les camions. Le seul policier que j’ai reconnu était Tirgo. Il donnait des ordres. »[64]

Un autre détenu a indiqué qu’il avait été poussé dans le camion par Tirgo lui-même, qui criait alors en arabe : « Monte vite ! ».[65]

Le 10 novembre 2022, le général Tirgo a été nommé conseiller spécial du président, puis il a été mis à la retraite, par décret, le 13 juin 2023.[66]

Human Rights Watch a essayé à plusieurs reprises de contacter Moussa Haroun Tirgo et lui a parlé brièvement par téléphone à une occasion, mais n’a pas pu discuter des éléments ci-dessus avec lui de manière approfondie. Le 29 juin 2023, Human Rights Watch a fait part au gouvernement tchadien des allégations concernant la responsabilité de Moussa Haroun Tirgo dans le transfert abusif de détenus du Camp 27 à la prison de Koro Toro. Le gouvernement n’a pas répondu aux allégations concernant la responsabilité de Moussa Haroun Tirgo.

Trajet vers Koro Toro : « Je n’oublierai jamais la soif. »[67]

Les anciens détenus ont rapporté que les camions étaient tellement bondés qu’il était difficile de bouger. Beaucoup ont affirmé que c’était l’un des aspects les plus pénibles de ce trajet d’au moins 36 heures jusqu’à Koro Toro.

Un ancien détenu a raconté qu’il n’y avait pas de place quand il est monté dans le camion : « Si vous tardiez à monter dans le Sarkozy, ils vous frappaient... Nous avons essayé de nous asseoir, mais c’était trop difficile. Nous étions trop serrés. »[68] Plusieurs détenus ont décrit que les hommes étaient tellement entassés que leurs vêtements se sont déchirés. L’un d’eux a expliqué : « Dans notre Sarkozy, il n’y avait pas de place pour bouger. Nous étions très serrés. Nos vêtements ont été arrachés du fait de nos mouvements si près les uns des autres. »[69] Un autre détenu a raconté qu’il était très difficile de respirer parce qu’ils étaient trop serrés, précisant que les hommes devaient lever le visage et le tourner vers le ciel pour respirer.[70]

Koro Toro est situé à environ 600 kilomètres au nord de N’Djamena. Une grande partie du trajet vers Koro Toro est constituée de chemins de terre accidentés. Le voyage a duré entre 36 et 48 heures ; les camions sont arrivés le dimanche 23 octobre et le lundi 24 octobre. Certains camions sont tombés en panne en cours de route et ont dû être réparés, et l’un d’eux a eu un accident important lors duquel le chauffeur a été blessé. La cloison d’un autre camion est tombée deux fois sur les détenus, infligeant des blessures graves à plusieurs d’entre eux. De nombreux détenus – même certains qui ont passé plusieurs mois à Koro Toro – ont affirmé que le voyage jusqu’à Koro Toro a été le pire moment de leur détention.

Les équipes de seulement trois des cinq camions transportant les détenus à Koro Toro ont fourni de l’eau aux détenus, mais en quantité insuffisante. Beaucoup ont expliqué que la souffrance subie était plus intenable encore du fait qu’ils avaient déjà soif lorsqu’ils sont arrivés au Camp 27 et ont été mis dans les camions.

D’anciens détenus interviewés ont indiqué qu’ils ont supplié les gardes présents dans la cabine du chauffeur pour avoir de l’eau. Les gens étant tellement entassés dans les camions que la soif est devenue insupportable dès que le soleil s'est levé. Un détenu a raconté à Human Rights Watch : « Nous n’avions pas d’eau. Ils ne nous en ont pas donné. Quand nous avons crié aux gardes dans la cabine que nous avions soif, ils ont juste armé leurs fusils et les ont pointés sur nous et nous ont dit en arabe : “Si vous jouez avec nous, nous vous tuerons…” Nous avons fait tout le trajet sans eau. »[71]

Un camion s’est arrêté près de Moussoro, une ville située à 230 kilomètres au nord de N’Djamena, pendant environ 5 minutes, pour permettre aux détenus de sortir boire dans un cours d’eau près de la route.

Un autre camion s’est également arrêté à l’extérieur de Moussoro, mais les détenus n’ont pas été autorisés à descendre. Après que les détenus ont commencé à crier et à supplier pour avoir de l’eau, certains gardes ont jeté de petites bouteilles d’eau de 500 millilitres dans le camion, mais les détenus se sont battus pour saisir les bouteilles et ont dit que ce n’était pas suffisant. Un détenu de ce camion a décrit la situation : « À Moussoro… ils ont donné de l’eau dans de petites [bouteilles], mais il y avait trop de monde dans le camion et la plupart d’entre nous n’en ont pas eu. »[72] Un autre détenu de ce camion a déclaré que les hommes suppliaient pour avoir plus d’eau, « mais les gardes ont dit : “non, ce n’est pas possible.”»[73] Certains gardes de ce même camion ont également tenté de donner aux détenus de l’eau provenant de conteneurs qui avaient transporté du diesel, mais elle n’était pas potable.

Un troisième camion s’est arrêté au nord de Moussoro, près d’une petite localité appelée Kouba, et a permis à certains détenus de sortir du camion pour boire l’eau d’un ruisseau qui, selon les détenus, semblait être une retenue d’eau utilisée par des chèvres. « Nous avons commencé à les supplier pour avoir de l’eau », s’est souvenu un détenu. « Nous avons crié : “Même si vous prévoyez de nous tuer, donnez-nous au moins de l’eau.” Alors, ils nous ont laissés boire de l’eau sale destinée aux animaux. »[74]

Décès par déshydratation

Tous les détenus avec lesquels Human Rights Watch a mené des entretiens ont indiqué que la soif et le manque d’eau étaient leur principale préoccupation pendant le trajet. Un homme a raconté : « Lorsque nous avons continué notre chemin après Moussoro, nous avons demandé de l’eau. Les gardes ont dit : “Là où nous vous amenons, vous mourrez de toute façon. À quoi bon vous donner de l’eau ?” »[75] Un autre détenu a expliqué : « Lorsque nous nous sommes arrêtés à un moment près de Moussoro, nous avons commencé à vraiment supplier pour avoir de l’eau et un homme en uniforme a tiré en l’air. Il a crié : “Arrêtez de faire autant de bruit !” »[76]

D’anciens détenus ont également précisé que la soif s’est aggravée lorsqu’ils avaient passé Moussoro. C’est à partir de ce moment que les premiers décès dus au manque d’eau sont survenus.

Un détenu a fait le récit suivant :

Les gens ont commencé à mourir après Moussoro. Nous avons crié aux gardes : « Les gens meurent ici ! » Ils ont simplement dit : « Laissez-les mourir. » Des personnes sont mortes dans la nuit, nous nous sommes assis sur leurs corps, nous n’avions pas le choix, il n’y avait pas de place. Nous n’avons pas pris la peine de prendre les noms des morts. Nous pensions que nous allions tous mourir, alors ça n’avait pas d’importance. Nous avons jeté deux corps dans le désert.[77]

Un autre homme a raconté : « Après Moussoro, les gens ont commencé à devenir fous et à pleurer à cause du manque d’eau. Nous avons crié pour que les soldats arrêtent le camion, mais ils n’ont rien répondu. Nous avons crié : “Il y a des gens qui meurent et qui ont besoin d’eau.” Mais ils ont juste bu dans leurs propres bouteilles tranquillement. »[78]

Des détenus ont bu de l’urine pour survivre

Plusieurs détenus ont confié qu’ils ont préservé leurs forces parce qu’ils pensaient qu’ils étaient transférés à la prison de Moussoro. Cependant, quand le camion a dépassé Moussoro, la soif est devenue insupportable et au moins 30 détenus ont affirmé avoir bu leur propre urine ou avoir reçu de l’urine à boire de la part d’autres détenus. Dans certains cas, des hommes dans les camions se sont battus pour de petites quantités d’urine. « Après Moussoro, quand nous avons compris que nous ne nous arrêtions pas là, les gens ont commencé à devenir fous », a décrit un détenu. « Ils se sont mis à boire leur propre urine. Nous avions quelques petites bouteilles et nous les avons faites tourner pour partager de l’urine à boire. »[79]

Un autre détenu a expliqué à Human Rights Watch :

Nous avons dû boire notre propre urine. Nous l’avons tous fait. J’ai essayé de voler l’urine d’autres personnes à un moment donné. Plus tard, j’ai trouvé un petit morceau de plastique et j’ai fait pipi dedans, mais quand d’autres hommes l’ont vu, ils ont voulu le prendre, alors j’ai avalé l’urine et le plastique. Les gens avaient besoin de liquide.[80]

Un autre détenu a raconté : « Les gens buvaient leur propre urine. Ils suppliaient leurs propres frères pour avoir leur urine. »[81]

Dans certains cas, les détenus dans les camions se sont mis à frotter de l’urine sur les corps des hommes qui s’étaient évanouis pour tenter de les ranimer.


 

Conditions de détention à la prison de Koro Toro

La prison de Koro Toro est administrée par le ministère de la Justice, chargé des Droits humains, tandis que la sécurité est gérée par l’armée, et plus précisément par la Garde nationale et nomade du Tchad, connue sous son sigle : GNNT.

Les détenus ont d’abord été amenés à Koro Toro 2 (Koro Toro Déby), où ils ont été sortis des camions et comptés avant de recevoir enfin de l’eau. Certains détenus ont indiqué qu’on leur a aussi donné des sels de réhydratation orale.[82] À Koro Toro 2, les corps des hommes décédés (voir plus loin) ont été retirés des camions et les prisonniers ont été transférés à Koro Toro 1 (Koro Toro Habré). Certains détenus étaient dans un état de confusion mentale à leur arrivée et ont expliqué avoir été frappés à cause de cela. « J’étais comme un fou à ce stade pour être honnête », a raconté un détenu.[83] « Nous avons été transférés à Koro Toro 1 où nous avons dormi dehors cette nuit-là et d’autres hommes ont perdu la tête. Ils ont mal parlé aux militaires et on leur a ordonné de s’asseoir et de se taire. Certains appelaient leurs femmes et leurs enfants. Un homme criait pour que ses enfants lui apportent de l’eau. Un autre demandait à ses enfants s’ils partaient pour l’école. Ceux d’entre nous qui criaient ont été battus sévèrement, très sévèrement. »[84]

Un autre détenu a expliqué : « J’étais fou. J’ai frappé un soldat quand nous sommes arrivés et ils m’ont battu sévèrement. Ils m’ont frappé par-derrière pour me faire tomber au sol, puis de nombreux soldats s’en sont pris à moi et m’ont frappé avec leurs fusils. »[85]

Abus commis par d’autres prisonniers

[Les membres de] Boko Haram sont la police de la prison.


– Ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 15 avril 2023

Si nous mangions trop de nourriture, [les membres de] Boko Haram nous frappaient avec des barres de fer.


– Ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 13 avril 2023

Photo clandestine montrant des chèvres et des hommes à Koro Toro 1, prise et sortie clandestinement par un ancien détenu. © 2022 Privé

Alors que les soldats étaient responsables de la sécurité générale de la prison de Koro Toro, à l’intérieur des cellules et dans les deux prisons, les détenus étaient, en pratique, responsables de leurs propres sécurité et organisation. Koro Toro 1 et Koro Toro 2 étaient gérées par d’autres détenus choisis par les soldats, parfois appelés « brigadiers », qui, dans certains cas, désignaient des adjoints pour les aider à gérer les autres détenus. Les brigadiers sont des prisonniers qui seraient enfermés depuis longtemps à Koro Toro, à qui, selon d’anciens détenus, les soldats ont confié l’autorité de facto de maltraiter d’autres détenus. Les anciens détenus ont décrit les brigadiers et leurs adjoints comme des membres supposés ou condamnés du groupe armé islamiste Boko Haram. Human Rights Watch n’a pas pu confirmer si ces détenus attendaient d’être jugés en tant que combattants de Boko Haram présumés ou s’ils avaient été condamnés.[86]

Un ancien détenu décrivant Koro Toro 1 a tenu ces propos : « Les [membres de] Boko Haram dirigent la cour. Ils vivent dans la prison et élèvent des poulets et des chèvres. Ils viennent du Nigeria et certains sont Arabes. D’autres sont Camerounais. Il y a beaucoup de [membres de] Boko Haram là-bas. »[87]

Les soldats ont donné aux brigadiers l’autorité de facto de maltraiter les autres détenus. Au moins 20 anciens détenus ont raconté qu’ils avaient été battus par des brigadiers, tandis que d’autres ont indiqué qu’ils avaient vu des brigadiers frapper d’autres détenus. De nombreux détenus ont déclaré que les passages à tabac par les brigadiers ou leurs adjoints étaient monnaie courante.

Photo clandestine montrant la pompe à eau de Koro Toro 1, prise et sortie clandestinement par un ancien détenu. © 2022 Privé

Un homme a expliqué : « Il y avait peut-être 50 brigadiers à Koro Toro 1, mais ils gèrent aussi [Koro Toro] Déby. Les détenus [membres de] Boko Haram organisaient les prisons. Ils pouvaient vous menotter, vous enchaîner ou vous battre en guise de punition. Ils vous disaient quand travailler et si vous tardiez ou hésitiez, ils vous frappaient. »[88] Un autre a raconté : « Les [membres de] Boko Haram nous surveillaient et ils nous traitaient vraiment mal. Ils nous frappaient à la moindre petite erreur. Si vous buviez de l’eau sans permission, vous étiez battu. Vous ne pouviez pas toucher le robinet d’eau n’importe quand. »[89]

Un autre détenu a expliqué : « Un prisonnier [membre de] Boko Haram m’a frappé très fort avec une barre de fer, j’ai encore la cicatrice. Il m’a frappé parce que je suis allé aux toilettes sans permission. Ils vous frappaient sans raison. Ils vous frappaient et disaient : « Cours ! » mais à cause des chaînes, vous ne pouviez pas vraiment courir. »[90]

La règle 40 de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, ou « Règles Nelson Mandela », prévoit qu’« [a]ucun détenu ne pourra occuper dans la prison un emploi qui lui confère des pouvoirs disciplinaires ».[91]

Conditions de vie rudes à la prison de Koro Toro

Les anciens détenus ont décrit des conditions de vie difficiles à Koro Toro. Située dans le désert, la prison pouvait faire face à des températures extrêmement chaudes pendant la journée, puis froides la nuit, selon les témoignages des détenus.

Plan de Koro Toro 1, réalisé à partir du croquis d'un ancien détenu et d'images satellite au 4 mai 2023. Croquis © 2022 Privé. Image © 2024 Planet Labs PBC. Graphic © Human Rights Watch
Plan de Koro Toro 2, réalisé à partir du croquis d'un ancien détenu et d'images satellite au 4 mai 2023. Croquis © 2022 Privé. Image © 2024 Planet Labs PBC. Graphic © Human Rights Watch

Logements bondés et quantité insuffisante de vivres

Les détenus de Koro Toro 1 étaient entassés dans des cellules et parfois ils n’avaient pas assez d’espace pour bouger ou s’allonger. La prison ne fournissait pas de matelas, de draps ou de couvertures aux nouveaux détenus — ceux-ci ont été fournis seulement quelques semaines plus tard par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). La nourriture à la prison était inappropriée – principalement une combinaison de bouillie de haricot et de maïs – et d’anciens détenus ont mentionné que la ration standard était d’une fois par jour. De nombreux détenus ont déclaré n’avoir jamais pris de douche à la prison de Koro Toro.

Toutes les personnes arrêtées pour participation aux manifestations du 20 octobre 2022 ont indiqué avoir été détenues à Koro Toro 1 à leur arrivée et placées dans des cellules spécifiques, certaines n’ayant pas de porte. La prison de Koro Toro 1 a été généralement décrite comme délabrée. Il n’y avait pas grand-chose à faire pour les détenus à part déambuler dans la cour, quand le vent ne soufflait pas. Un détenu a raconté : « Nous étions 49 dans ma cellule. C’était difficile de dormir, nous étions tous alignés sur le sol. Dans chaque cellule, les gardes choisissaient un chef et un adjoint [pour diriger la cellule]. Le chef était bien, c’était l’un des nôtres. Quand il y avait du vent, nous restions à l’intérieur toute la journée à cause de la poussière. S’il n’y avait pas de poussière, nous sortions dans la cour. La cour est un grand espace. Nous pouvions y marcher. »[92]

Les anciens détenus ont expliqué que les prisonniers issus de Boko Haram géraient de petits marchés dans la prison, où ils vendaient du thé, des cigarettes et des arachides.[93] Ils avaient aussi des animaux, notamment plusieurs chèvres. Certaines des cellules abritaient autrefois des chèvres. Les prisonniers issus de Boko Haram permettaient également à d’autres prisonniers de « louer » des téléphones portables et vendre de petites cartes mémoire de téléphone à d’autres détenus, ce qui a permis à ces derniers de rapporter des photos de Koro Toro à N’Djamena. Certaines de ces photos sont inclues dans ce rapport. Les anciens détenus ont indiqué avoir pu faire entrer clandestinement de petites sommes d’argent dans la prison depuis N’Djamena et d’autres ont affirmé avoir reçu de l’argent envoyé par leurs familles par l’intermédiaire de gardes.

Enchaînement des détenus

Des centaines de personnes au moins parmi celles détenues en lien avec les manifestations du 20 octobre 2022 ont été « enchaînées » à la prison de Koro Toro parfois pendant plusieurs semaines. Ces « chaînes » étaient constituées de tiges de fer qui faisaient le tour des chevilles et étaient attachées à une autre tige de fer. Les raisons pour lesquelles un détenu était enchainé variaient : certains hommes étaient enchaînés parce qu’ils étaient détenus dans des pièces sans porte et qu’on craignait de ce fait qu’ils tentent de s’évader, d’autres étaient considérés comme jeunes et on leur a dit qu’ils étaient par conséquent soupçonnés de tenter de s’échapper, et d’autres ont été enchaînés en guise de punition.

Des détenus ont été enchainés sur des périodes allant d’une semaine à deux mois. Les détenus ont expliqué que les chaînes n’étaient jamais enlevées, ce qui les contraignait à dormir et à utiliser les toilettes alors qu’ils étaient enchaînés.

Un détenu a raconté que les chaînes lui ont blessé le pied : « À Koro Toro 1, nous avions des chaînes autour des chevilles. Je n’ai été enchaîné qu’une semaine parce que mon pied s’est mis à gonfler et qu’ils ont dû retirer les chaînes. C’était très inconfortable avec les chaînes. Elles étaient constamment mises, de jour comme de nuit. À Koro Toro 2, certains étaient enchaînés et d’autres non. »[94]

Un exemple des barres de fer utilisées pour enchaîner les détenus à Koro Toro. Cette photo montre un détenu qui a été transporté à la prison après les manifestations du 20 octobre 2022.  © 2022 Privé

Un détenu qui a été enfermé à Koro Toro 1 pendant deux mois a raconté avoir été enchaîné toute la durée de sa détention : « J’ai été enchaîné à Habré pendant deux mois parce que j’étais près de la porte. Le procureur, Rachid, m’a vu enchaîné, mais il n’a pas demandé que les chaînes soient enlevées.[95] Les chaînes n’ont jamais été retirées. »[96] Un autre détenu, qui a été enchaîné en guise de punition, a raconté : « J’ai passé trois semaines enchaîné. J’avais enfreint une règle : j’étais allé aux toilettes sans permission. »[97] Un autre détenu qui a porté des chaînes pendant deux semaines a expliqué que « les chaînes faisaient très mal. J’en ai encore des cicatrices et c’était difficile de dormir. »[98]

En vertu de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, adopté en 1955 par l’Assemblée générale et élargi en 2015 en tant que « Règles Nelson Mandela », les chaînes et les fers ne doivent jamais être appliqués comme sanction ni utilisés comme moyens de contrainte.[99]

Travail forcé et abusif

D’anciens détenus ont expliqué que beaucoup ont été contraints d’effectuer des travaux difficiles lorsqu’ils sont arrivés à la prison de Koro Toro 2. On leur faisait fabriquer des briques à l’extérieur de la prison. Celles-ci étaient utilisées pour renforcer les murs extérieurs de la prison ou étaient vendues par des soldats à Kouba, à environ 45 kilomètres de là. Les détenus ont raconté qu’ils travaillaient dans d’oppressantes conditions, sous une chaleur extrême, et qu’on les privait de nourriture et d’eau pendant qu’ils travaillaient. Ils étaient battus en guise de sanction s’ils refusaient de travailler.[100]

D’anciens détenus ont expliqué à Human Rights Watch que le travail était tellement difficile en plein soleil que les gardiens de prison faisaient tourner les travailleurs et ne faisaient pas travailler tout le monde en même temps. Un détenu a raconté : « À Koro Toro 2, j’ai dû fabriquer des briques. J’ai fait ça pendant peut-être huit jours. Je n’avais pas le choix. Les soldats nous forçaient… Ils nous emmenaient par groupe de 14 à la fois pour faire des briques… Nous travaillions de 8 h à 14 h. Ils vous choisissaient dans votre cellule. Ils disaient : “Vous n’avez pas le droit de discuter, mettez-vous au travail.” Le travail était difficile et on ne nous donnait rien à manger là-bas. »[101]

Un autre détenu a expliqué : « J’ai fabriqué des briques, puis fait trois jours de construction. Nous devions travailler, nous n’avions pas le choix. Les soldats nous choisissaient et les [membres de] Boko Haram supervisaient. Les briques étaient aussi chargées dans un camion et les soldats les emmenaient à Kouba pour les vendre. Nous regardions les soldats se battre entre eux pour l’argent. Nous n’étions pas payés pour ce travail. Nous travaillions de 8 h à 14 h… Vous ne pouviez pas refuser de travailler – les gens étaient battus tout le temps. »[102]

Le traitement des détenus à la prison de Koro Toro n’est pas conforme aux principes internationaux de droits humains sur le travail pénitentiaire. Selon les Règles Nelson Mandela, le travail pénitentiaire doit être de nature professionnelle et non punitive, et les détenus devraient être autorisés à choisir le type de travail qu’ils souhaitent effectuer.[103] Le travail ne doit pas être motivé par l’intérêt d’un profit financier.[104] De plus, seuls les détenus qui ont été condamnés peuvent travailler, et ils doivent faire l’objet d’une évaluation médicale de leur santé et de leur aptitude au travail au préalable.[105] Les détenus doivent également être traités et rémunérés de façon juste selon des conditions proches de celles des travailleurs libres.[106]

Le « soulou » ou l’isolement cellulaire

Les prisons Koro Toro 1 et Koro Toro 2 comportaient toutes deux de petites cellules – pas assez grandes pour que l’on puisse s’y allonger complètement – sans fenêtres ni autres sources de lumière, que les détenus appelaient « soulou ». Ces cellules, qui étaient utilisées pour punir les détenus, sont décrites comme des espaces confinés où parfois plusieurs personnes étaient enfermées en même temps. La plupart des détenus qui étaient punis au moyen du soulou étaient enfermés dans la pièce pendant 24 heures.

Un détenu a expliqué : « On m’a mis dans le soulou parce que j’étais allé me laver les mains à l’extérieur après avoir mangé et j’ai raté l’appel dans ma cellule. Il n’y a ni nourriture ni eau là-bas. J’ai simplement été poussé à l’intérieur, il n’y avait pas de lumière. »[107]

Un autre détenu a raconté : « J’ai refusé de laver les vêtements d’un soldat et j’ai été enfermé dans le soulou pendant 24 heures. Il n’y a rien dans le soulou. Il fait tout noir, vous restez là et vous urinez sur le sol. Puis vous sortez. On m’y a envoyé une deuxième fois pour avoir posé des questions sur mon procès. Vous n’avez pas le droit de faire ça. »[108]

La règle 43 des Règles Nelson Mandela interdit l’isolement cellulaire pour une durée indéterminée et le placement d’un prisonnier dans une cellule sans lumière ou constamment éclairée. Il qualifie cette pratique de cruelle, inhumaine ou dégradante et interdit son utilisation.[109]

Détention d’enfants à la prison de Koro Toro

D’après une liste interne établie par les autorités de Koro Toro, et consultée par Human Rights Watch, au moins 82 enfants ont été conduits à Koro Toro après le 20 octobre. Les enfants répertoriés ont été libérés sous condition en décembre 2022 et reconduits à N’Djamena. Human Rights Watch s’est entretenu avec un homme qui était enfant lorsqu’il a été emmené à Koro Toro, un autre homme qui a menti sur son âge pour être considéré comme un enfant et donc libéré plus tôt, et un enfant qui avait 13 ans lorsqu’il a été conduit à Koro Toro.

Le garçon qui avait 13 ans lorsqu’il a été emmené à Koro Toro a décrit sa détention et son traitement à la prison selon les termes suivants :

J’ai entendu le bruit des manifestations dans le quartier d’Atron et je suis sorti de chez moi. Des policiers m’ont vu, mִ’ont attrapé et se sont mis à me frapper. Ils m’ont dit : « Tu es têtu. On te frappera en prison. » Il y avait déjà trois détenus à l’arrière du pick-up. Ils nous ont battus, donné des coups de pied et frappés avec leurs fusils alors que nous étions allongés. Ils nous ont emmenés au CSP 15 à Boutalbaka… Le vendredi, tard dans la nuit, nous avons été conduits au Camp 27. Là, j’ai vu 3 Sarkozy et des policiers et des soldats qui géraient les choses… On m’a mis dans le deuxième Sarkozy… Les gardes ont juste dit : « Tu es un enfant têtu, tu as utilisé des lance-pierres contre la police. Nous t’emmènerons quelque part pour te bastonner. »

Il y avait beaucoup de monde dans le Sarkozy. Après Moussoro, un homme d’à peu près l’âge de mon père est mort juste à côté de moi et nous avons dû jeter son corps… Nous étions entassés comme des sardines, il faisait très chaud. J’ai vu des personnes boire leur propre urine. Les hommes ont commencé à se battre… Je pense que nous avons jeté quatre corps hors de notre Sarkozy et quand nous sommes arrivés, il y avait quatre autres cadavres. Des gens ont tenté de sauter du Sarkozy et les gardes leur ont tiré dessus. J’ai vu un gars se faire tuer [alors qu’il essayait de s’échapper]. Quelqu’un est mort à mes pieds dans le camion. J’en fais des cauchemars. Je veux parler à quelqu’un de ce qui m’est arrivé.

À Koro Toro Habré, j’ai été placé dans une salle avec les adultes… Je n’ai pas été battu par [les membres de] Boko Haram, mais ils frappaient d’autres personnes…[110]

Le père du garçon a raconté à Human Rights Watch qu’il criait toutes les nuits pendant des semaines après son retour à la maison à N’Djamena, se plaignait de douleurs au dos et aux jambes et ne voulait pas manger ni sortir du lit.

Les conditions observées à Koro Toro violent la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE),[111] que le Tchad a ratifiée en octobre 1990, ainsi que la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.[112]

La CDE interdit l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant, sauf en conformité avec la loi et uniquement en tant que « mesure de dernier ressort », stipulant que « nul enfant ne [peut être] privé de liberté de façon illégale ou arbitraire ».[113] La convention oblige également les gouvernements à protéger chaque enfant « contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation […] pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié ».[114]

La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant oblige les États à « veiller à ce qu’aucun enfant qui est détenu ou emprisonné, ou qui est autrement dépourvu de sa liberté ne soit soumis à la torture ou à des traitements ou châtiments inhumains ou dégradants ».[115] La CDE contient des dispositions similaires protégeant les enfants.[116]

La détention d’enfants dans les mêmes locaux que les adultes est interdite par les deux traités, sauf dans des cas particuliers.[117]


 

Décès en détention

Human Rights Watch n’est pas en mesure de confirmer le nombre de personnes qui ont été tuées ou sont mortes en détention en lien avec les manifestations du 20 octobre. Plusieurs détenus ont cependant évoqué les décès dont ils ont été témoins au lac Tchad, dans les camions à destination de Koro Toro ou à la prison, et qui représentent un total de 34 à 38 morts. Human Rights Watch a pu corroborer de manière indépendante 11 de ces cas, dont certains ont également été confirmés par la CNDH. Toutefois, d’après des témoignages fiables, ces chiffres sont susceptibles d’être bien plus élevés. Seule une enquête approfondie, qui devrait être menée par les autorités tchadiennes avec un soutien international, permettra de déterminer le nombre de personnes décédées après le 20 octobre sur le trajet jusqu’à Koro Toro puis sur le site de la prison.

Quatorze détenus de Koro Toro avec lesquels Human Rights Watch s’est entretenu ont indiqué avoir aidé à jeter des corps hors des camions sur le chemin de la prison, tandis que des dizaines d’autres ont déclaré avoir été témoins de ces actes.

Plusieurs détenus d’un camion ont mentionné le cas d’une jeune fille, l’une des deux seules femmes qui auraient été transférées à Koro Toro, qui est décédée pendant le trajet. D’après certains détenus, son nom était peut-être Aïcha.

Un détenu qui était près d’elle dans le camion a raconté : « Il y avait une jeune fille dans notre Sarkozy, âgée d’environ 13 ans. Je lui ai demandé quel âge elle avait, elle a dit qu’elle avait 13 ans. Elle est morte après Moussoro. Nous avons crié : “Quelqu’un est mort !” Mais les gardes ont juste crié en réponse, “mourir n’est rien.” Ils n’avaient aucune pitié. Nous n’avions pas d’espace pour nous tourner. Les gardes nous ont dit de jeter son corps, mais les hommes ont refusé de le faire. Les gardes ont chargé leurs fusils et l’un d’eux a crié : “Jetez les morts dehors !” Nous nous sommes dit entre nous : “Ok, si quelqu’un d’autre meurt, ne le dites pas aux gardes parce qu’ils nous feront jeter le corps hors du camion.” Le [corps de la] fille a été jeté dehors. »[118]

Un autre détenu du même camion a expliqué : « Il y avait une toute jeune fille, âgée peut-être de 12 ans, dans le camion. Elle pleurait beaucoup et, à un moment, elle est tombée. Je ne sais pas si elle était déjà morte ou si elle a été piétinée à mort. Les gardes ont dit de jeter son corps. Ils ont chargé leurs armes et ont crié qu’ils nous tireraient dessus. Donc, nous avons jeté son corps [hors du camion] alors que nous roulions. Je ne la connaissais pas. »[119]

Un autre détenu a identifié l’homme mort dont il a jeté le corps hors du camion comme étant François, père d’au moins trois enfants, qui avait déclaré avoir été arrêté à son domicile. Le détenu a indiqué que François avait été placé en détention avec lui à l’ancienne école de police à N’Djamena.[120]

De nombreux détenus ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas confirmer de manière certaine le nombre de personnes mortes sur le chemin de Koro Toro, car leur discernement était altéré par la déshydratation. Un détenu a expliqué : « Je crois que nous avons jeté quatre corps du Sarkozy, mais nous avions trois morts dans notre Sarkozy à notre arrivée, alors peut-être que nous avons eu sept morts. Mais c’est difficile à dire, lorsque nous sommes arrivés, c’était chacun pour soi. »[121]

De nombreux hommes ont également sauté des camions lors de la traversée du désert dans une tentative désespérée de s’échapper, même si les gardes tiraient sur ceux qui tentaient de se sauver. Cependant, Human Rights Watch a identifié au moins deux hommes qui ont réussi à revenir à N’Djamena. Un homme a expliqué pourquoi il a décidé de sauter. « Lorsque j’ai vu cette fille mourir, lorsque les gens ont commencé à mourir, je me suis dit : “Entre la vie et la mort, j’aurai le choix. S’ils me tuent, j’aurais fait un choix.” … Après Moussoro, j’ai grimpé [sur] la paroi du camion et j’ai sauté. Un gars m’a suivi. Les gardes nous ont tiré dessus quand nous avons sauté, mais nous n’avons pas été touchés. »[122] Un autre a indiqué qu’il avait réussi à s’échapper de son camion, mais qu’il avait ensuite été capturé dans le désert par des soldats à bord d’un petit camion servant d’escorte. Des dizaines de détenus ont indiqué que les gardes tiraient sur les hommes qui tentaient de s’échapper, mais ils ne savaient pas si ces hommes avaient survécu.

Plusieurs détenus ont raconté qu’après le premier jour, les gardes dans leurs camions ont cessé de les forcer à jeter les corps. Un détenu s’est souvenu : « La soif était terrible. Nous ne transpirions pas, nous n’avions pas d’eau. Les gardes n’ont rien fait. Quand le premier [détenu] est mort, nous l’avons jeté dehors parce qu’il est mort tôt et les gardes nous ont ordonné de jeter son corps, mais quand les autres sont morts, nous avons gardé les corps, les gardes s’en fichaient. »[123]

Un autre détenu a déclaré : « Après Moussoro, les gens ont commencé à mourir. Mon voisin répétait : “Je vais mourir, je vais mourir.” Il suppliait pour avoir de l’eau. Les soldats ont dit : “S’il meurt, ce n’est pas un problème. Laissez-le mourir.” Il a mis sa tête sur mes genoux... Il ne pouvait garder la tête levée. Peu après, il est mort. Nous avons utilisé nos dernières forces pour déplacer son corps dans le Sarkozy et nous avons fait de la place pour son corps autour de la roue de secours. »[124]

Décès en détention vérifiés de manière indépendante

Human Rights Watch a pu vérifier l’identité de 11 hommes qui sont morts pendant le trajet vers Koro Toro ou à la prison. Dans trois des cas documentés par Human Rights Watch, les hommes ont été sévèrement battus puis sont décédés, soit en chemin soit à Koro Toro. D’après les témoignages, ces hommes pourraient être morts des suites de passages à tabac. Dans un cas, un homme était malade avant le voyage à Koro Toro et est mort sur le trajet, de même qu’un autre homme qui était épuisé d’après les témoignages. Un homme qui paraissait épuisé à son arrivée à Koro Toro est mort peu de temps après. Deux hommes sont décédés dans l’accident qui a provoqué la chute de la cloison de l’un des camions. Dans les trois autres cas, Human Rights Watch n’a pas pu vérifier exactement la façon dont les hommes sont morts, mais a pu confirmer leur décès.

Les récits suivants s’appuient sur des entretiens avec les membres des familles des victimes, des témoins et d’autres sources d’information, comme la CNDH dans certains cas. Cependant, comme indiqué précédemment, seule une enquête complète permettrait de rendre compte avec précision du nombre total et de l’identité des personnes décédées lors du trajet vers Koro Toro puis à la prison. Human Rights Watch a recueilli des témoignages fiables sur les cas de plusieurs autres hommes (et d’une fille) qui sont morts sur le chemin vers Koro Toro, mais n’a pas pu corroborer ces cas de manière indépendante.

À ce jour, les autorités tchadiennes n’ont mené d’enquêtes rapides, impartiales et efficaces sur les circonstances et les causes d’aucun des décès survenus en détention. C’est pourtant la norme requise par le droit international en ce qui concerne les obligations procédurales des États en vertu du respect du droit à la vie, et qui est énoncée dans le Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les décès résultant potentiellement d’actes illégaux, un texte juridique des Nations Unies. Le protocole prévoit également que « les proches devraient immédiatement [...] être informés, et [qu’]un avis de décès devrait ensuite être publié sous une forme facilement accessible. Dans la mesure du possible, il faudrait aussi les consulter avant de réaliser une autopsie et ils devraient pouvoir être accompagnés d’un représentant pendant l’autopsie. [...] [L]a dépouille devrait être restituée aux proches afin qu’ils puissent en disposer selon leurs croyances. »[125]

Blaise Djikossi

Blaise Djikossi. © 2022 Privé

Blaise Djikossi a été tué lors d’un accident de la route survenu pendant le trajet en camion vers Koro Toro le 21 ou le 22 octobre. Il a été arrêté à son domicile à Moursal, N’Djamena, le 20 octobre. Un témoin de son arrestation a raconté que Blaise Djikossi se cachait dans la douche et a été emmené par la police.[126] Il a ensuite été conduit au CSP 6 avant d’être transféré au siège de la police. Un membre de sa famille a raconté : « La famille a essayé de lui rendre visite au siège de la police, mais nous n’avons pas été autorisés à entrer ».[127]

Le 2 novembre, ce même membre de la famille a reçu la visite d’un agent du gouvernement qui lui a annoncé : « Votre [parent] est mort dans un accident de camion [sur la route pour Koro Toro]. D’autres sont morts dans l’accident également, mais cela devrait rester secret. » Cependant, l’agent a insisté sur le fait qu’il s’exprimait à titre officieux et que l’information ne devait pas être communiquée à d’autres.

Cette information a été confirmée par un ancien détenu de Koro Toro qui se trouvait dans le même camion que Blaise Djikossi. Il a raconté : « Le conducteur roulait très vite sur les routes poussiéreuses. Nous étions dans la brousse. Alors que nous montions une colline de sable, la cloison du camion s’est brisée. Elle s’est cassée parce que nous étions trop nombreux dans le camion. Les gardes ont attaché la cloison, mais elle s’est cassée à nouveau, et nous sommes tous tombés du camion alors que celui-ci roulait. Quatre hommes sont morts dans cet accident, mais je connaissais seulement Blaise. Je ne connaissais pas les autres qui sont morts. Nous avons remis les corps dans le camion. »[128]

En avril 2023, un membre de la famille a expliqué : « Nous avons appris que Blaise était mort dans l’accident, mais nous ne savons pas où se trouve son corps. Nous n’avons pas eu de notification officielle de son décès. Personne n’a appelé pour nous dire qu’il était mort. Nous ne pouvons pas tourner la page. »[129] Blaise Djikossi était né en 1992.

L’identité de Blaise Djikossi a possiblement été confirmée par le rapport de la CNDH qui a identifié un certain « Nanta Tchakozi Blaise » parmi les corps sans vie à l’arrivée à Koro Toro le 23 octobre.[130]

Vincent Bakouboup

Vincent Bakouboup. © 2022 Privé

Vincent Bakouboup, âgé de 28 ans environ, a été arrêté à son domicile à Moursal le 20 octobre. Trois amis ont affirmé qu’il était malade et qu’il était alité ce jour-là. Pourtant, les forces de sécurité ont enfoncé sa porte alors qu’elles passaient de maison en maison pour rechercher des manifestants et ont arrêté 10 hommes qui vivaient dans le même complexe que lui. Les hommes ont tous été emmenés au CSP 6 à Moursal. L’un des hommes détenus avec lui a raconté : « La police et les gendarmes nous ont battus au CSP 6. Ils nous ont frappés avec des gourdins, leurs fusils et des barres de fer. J’étais couvert de sang. Alors qu’ils nous battaient, ils nous disaient : “Vous êtes des éléments de Masra, il vous a donné 2 000 CFA [3 dollars des Etats-Unis] pour boire de l’alcool, il peut venir vous libérer maintenant.” Vincent aussi a été passé à tabac. Il avait la malaria et il était malade. »[131]

Le même ancien détenu a expliqué qu’il a été transféré au CSP 12 dans la journée avec Vincent Bakouboup et qu’ils ont tous deux été placés dans le même camion au Camp 27 le 21 octobre. Il a poursuivi : « J’étais dans le même Sarkozy que Vincent. Nous étions avec plus de 200 autres hommes. Nous étions entassés et je l’ai perdu dans la foule. Tout le monde avait soif. On ne pouvait pas parler. Dans le camion, c’était chacun pour soi. Vincent était malade avant de monter, et il est mort dans le camion. C’est son état de santé et les conditions de transport qui l’ont tué. »[132]

Deux autres anciens détenus qui ont voyagé dans le même camion que Vincent Bakouboup ont confirmé que leur camion a eu besoin de réparations mineures environ 50 kilomètres avant Koro Toro. À ce moment, le corps de Vincent Bakouboup a été placé dans une voiture d’escorte Toyota. « Vincent avait du sang qui coulait de sa bouche », a décrit l’un des hommes.[133]

Un autre homme a dit qu’il pensait avoir vu le corps de Vincent Bakouboup dans une rangée de cadavres, mais il n’a pas pu le confirmer. « Ils ne voulaient pas qu’on s’approche des corps à Koro Toro pour les identifier », a-t-il expliqué.[134]

Un membre de la famille de Vincent Bakouboup a indiqué qu’il avait eu confirmation par des voies non officielles que Vincent Bakouboup était mort, mais que « son nom ne figurait sur aucune liste. » « Nous n’avons reçu aucun appel, aucun avis officiel, » a-t-il ajouté.[135]

« Nous avons fait notre deuil, mais c’est difficile à faire sans le corps », a-t-il expliqué. « Nous n’avons pas eu la possibilité d’informer toute la famille. Ça fait mal, il est enterré dans le désert. Nous ne pouvons même pas nous rendre sur sa tombe ; la famille ne peut pas indiquer où se trouve le corps. »[136]

L’identité de Vincent Bakouboup a possiblement été confirmée par le rapport de la CNDH qui a identifié un « Bekemble Vincent » parmi les corps sans vie à l’arrivée à Koro Toro le 23 octobre.[137]

Ngaba Djmadoum

Ngaba Djmadoum. © 2022 Privé

Ngaba Djmadoum, 31 ans, a été arrêté le 20 octobre pour avoir participé aux manifestations. Un homme interpellé avec Ngaba Djmadoum a décrit comment ils ont été arrêtés à Abena, près du siège du parti des Transformateurs. « Nous avons été arrêtés par la police qui nous a demandé si nous étions des manifestants. Nous avons dit que non, mais ils ont vérifié nos téléphones et nous ont demandé ce que nous avions filmé. Mon téléphone était cassé, alors ils m’ont dit que je pouvais y aller. Mais ils ont gardé Ngaba parce que c’était un rasta. Il a été emmené directement à l’école d’Abena. »[138] Des amis et des membres de la famille de Ngaba Djmadoum ont confirmé qu’il portait des dreadlocks.

 Human Rights Watch n’a pas pu confirmer la présence de Ngaba Djmadoum à l’école primaire d’Abena, que les forces de sécurité ont utilisée comme centre de détention pendant au moins quatre jours. Elles y ont détenu des dizaines d’hommes, et possiblement des garçons, dans de petites salles de classe et les ont passés à tabac. Plusieurs hommes ont cependant déclaré avoir vu Ngaba Djmadoum lors du trajet à Koro Toro. Un homme transporté dans le même camion que Ngaba Djmadoum a indiqué : « J’ai vu Ngaba au Camp 27, il était vivant dans le Sarkozy mais il est mort pendant le voyage. Il était en bonne forme quand nous sommes partis. Je pouvais le voir. Après Moussoro, il était très fatigué et il avait peur. Il n’y avait pas de place. Il est tombé et il a été piétiné. »[139]

Un autre ancien détenu qui a fait le trajet avec Ngaba Djmadoum a raconté : « Ngaba est tombé dans le camion. Il criait des choses, il disait qu’il voyait son grand-père. Malheureusement, après sa mort, nous avons dû nous mettre ou nous asseoir sur son corps. Vous devez comprendre, il n’y avait pas d’espace. Ngaba était en bonne santé, c’était un homme jeune, mais c’est le deuxième jour [dans le camion], après Moussoro, qu’il a commencé à perdre la tête. »[140]

Un troisième ancien détenu, qui a également vu Ngaba Djmadoum mourir a expliqué : « Ngaba s’était allongé et demandait de l’eau. Les gens lui marchaient dessus, il criait. Nous avons crié aux gardes : “Il y a des gens qui meurent ici !” Mais ils ont simplement dit : « S’il meurt, jetez-le dehors. »[141]

Le corps de Ngaba Djmadoum a été emmené à Koro Toro où il a été enterré. Un membre de sa famille a expliqué qu’il avait appris sa mort par l’intermédiaire d’autres anciens détenus. Il a indiqué : « Nous n’avons reçu aucun appel du gouvernement, aucun courrier. La famille a fait son deuil, mais nous avons été vraiment blessés. Nous sommes toujours sous le choc. Nous voulons le corps, nous voulons le mettre dans un cimetière. Pour le moment, il est abandonné dans le désert. »[142]

Ngaba Djmadoum était probablement la personne mentionnée dans le rapport de la CNDH sous le nom de « Ngueto (c’est un artiste guitariste) », dans la liste des corps sans vie à l’arrivée à Koro Toro le 23 octobre.[143] « Ngueto » est similaire à « Ngaba » et Ngaba Djmadoum était connu pour être musicien. Plusieurs sources ont cependant indiqué que deux hommes, tous deux connus pour être des musiciens et portant des dreadlocks, étaient morts pendant le trajet jusqu’à Koro Toro et que le corps de l’un des hommes avait peut-être été jeté d’un camion.[144]

Magloire Mbaiadjim

Magloire Mbaiadjim. © 2022 Privé

Quatre témoins distincts ont confirmé que Magloire Mbaiadjim, âgé de 36 ans et également connu sous son surnom de « Joe de la Barbe », se cachait dans des toilettes lorsqu’il a été appréhendé par la police qui effectuait des recherches de maison en maison à Moursal. Un témoin a expliqué : « De nombreux soldats sont entrés dans cette concession. Ils ont tiré sur une porte. Joe de la Barbe a été embarqué, avec beaucoup d’autres hommes. Ils ont tous été mis dans des camions Toyota. »[145]

Selon deux anciens détenus, Magloire Mbaiadjim a été conduit au CSP 7 à Chagoua. Un homme détenu avec lui a raconté : « Il y avait beaucoup d’hommes dans la cour du CSP 7. Les soldats nous ont sévèrement frappés avec des bâtons et des cordes à la fois dans les camions et là-bas. »[146] Magloire Mbaiadjim a ensuite été emmené au CSP 10 avant d’être transféré au Camp 27 pour être mis dans un des camions pour Koro Toro.

Un autre ancien détenu, qui a été passé à tabac avec Magloire Mbaiadjim au CSP a indiqué qu’il avait perdu sa trace jusqu’à ce qu’il le revoie à Koro Toro. « Lorsque je l’ai revu, c’était à Koro Toro et il avait perdu la tête. Il hurlait sur les militaires, alors il a reçu des coups de pied et a été violemment battu avec des barres de fer ce premier jour. »[147]

Plusieurs autres anciens détenus ont confirmé que Magloire Mbaiadjim est arrivé à Koro Toro en état de choc. Il criait des propos incohérents aux soldats, qui se sont mis à le frapper. Un ancien détenu a raconté : « Pauvre Magloire, il en a fait baver aux soldats et ils l’ont roué de coups et torturé à Habré. Il y avait tellement de soldats. Il est tombé et ils lui ont donné des coups de pied et ont utilisé leurs fusils pour le frapper. »[148]

Un ancien détenu qui était dans la même cellule que Magloire Mbaiadjim quand il est mort à Koro Toro 1 a indiqué : « Magloire était enchaîné et il est mort dans notre cellule. Nous n’avions que des grains secs à lui donner. Il criait et il criait, il souffrait beaucoup. Aucun médecin n’est venu le voir. »[149]

Un autre ancien compagnon de cellule a expliqué : « Magloire criait, criait, criait de douleur. Nous avons essayé de lui donner de l’eau et il essayait de la boire. Il est mort plus tard. Quand il est mort, nous avons appelé les soldats pour qu’ils emportent son corps, mais ils ont dit : “Non, un seul n’est pas suffisant, nous en laisserons cinq ou six mourir d’abord.” Le samedi matin, les soldats ont sorti le corps en le traînant et l’ont emmené à Koro Toro 2 pour l’enterrer. Il a simplement été enterré dans le sable. »[150]

Un proche de Magloire Mbaiadjim a raconté : « Il est difficile pour nous d’accepter sa mort parce que nous n’avons pas vu le corps… Il avait un avenir devant lui. Nous voulons le ramener à la maison, ramener son corps et l’enterrer avec dignité afin que nous puissions nous rendre sur sa tombe. »[151]

Le décès de Magloire Mbaiadjim à Koro Toro a été consigné par la CNDH comme ayant eu lieu le 25 octobre.[152]

Joachin Weiyenbal

Joachin Weiyenbal.  © 2022 Privé

Joachin Weiyenbal, âgé de 57 ans et père de cinq enfants, vivait à Paris-Congo, un quartier dans le 6arrondissement de N’Djamena. Selon des personnes proches de lui, Joachin Weiyenbal n’a pas participé aux manifestations, mais a quitté sa maison dans l’après-midi du 20 octobre pour discuter de la situation avec des voisins. Des témoins ont déclaré qu’il se cachait chez un voisin lorsque les forces de sécurité sont arrivées à la porte et qu’il a été passé à tabac avant d’être placé dans un camion Toyota.[153]

Des membres de sa famille ont retrouvé sa trace au siège de la police. Un membre de la famille a raconté : « Je [l’]ai vu, dans la cour du poste de police. Il était là, sous une grande affiche, près de la porte. Je l’ai vu, mais il ne m’a pas vu. Il était assis sur le sol, la tête vers le bas. J’ai demandé à le voir, mais les gardes ont refusé que je lui parle. J’ai reconnu ses vêtements. »[154]

Le 21 octobre, des membres de la famille de Joachin Weiyenbal sont de nouveau allés le voir au siège de la police, mais les gardes leur ont annoncé qu’il avait été transféré dans un CSP de la ville. Les gardes n’ont pas précisé de quel CSP il s’agissait.

À partir de cette date, la famille n’a eu aucune nouvelle jusqu’en février 2023, lorsqu’un ancien détenu leur a donné le numéro de téléphone d’un garde à Moussoro qui a confirmé que Joachin Weiyenbal était décédé peu de temps après son arrivée à Koro Toro.

Un proche a également indiqué avoir parlé avec un ancien détenu qui a déclaré que Joachin Weiyenbal était mort après avoir été torturé et le voyage.[155]

Deux anciens détenus à Koro Toro ont confirmé avoir vu Joachin Weiyenbal mal en point pendant le voyage à Koro Toro et deux autres ont affirmé avoir vu son corps après sa mort à Koro Toro 1.[156]

Un membre de la famille a expliqué : « Nous ne savons pas où il est enterré. Il a simplement été jeté dans le désert. Nous voulons que son corps soit ramené ici pour organiser des funérailles dans la tradition. La justice pour nous, qui sommes sa famille, serait de ramener son corps afin que nous puissions l’enterrer ici. »[157]

Le décès de Joachin Weiyenbal à Koro Toro a été consigné par la CNDH comme ayant eu lieu le 25 octobre.[158]

Hubert Mbaindiguem

Hubert Mbaindiguem. © 2022 Privé

Hubert Mbaindiguem, âgé d’environ 27 ans et également appelé « Firmain », a quitté son domicile à Ambata le 19 octobre pour participer aux manifestations. Un membre de sa famille a raconté que des amis de Hubert Mbaindiguem lui avaient dit qu’il avait passé cette nuit-là au siège du parti des Transformateurs à Abena. Ce proche l’a cherché sans succès le 21 octobre, en se rendant à l’ancienne école de police, à l’école primaire d’Abena et dans plusieurs CSP.

Ce même proche a reçu des nouvelles de Hubert Mbaindiguem en décembre 2022 de la part d’un ancien détenu de Koro Toro. « Le gars a dit que Hubert avait des blessures à la tête et que sa mâchoire était cassée. Il a dit que Hubert était mort le 4 novembre. »[159]

Un homme qui a été détenu avec Hubert Mbaindiguem au CSP 7 a indiqué que ce dernier y avait été sévèrement battu : « Il a été blessé au CSP 7, il a été sérieusement frappé à la tête par des soldats. Au CSP 7, un policier lui a dit : “Tu vas mourir.” [Plus tard], il était avec moi dans le Sarkozy. »[160]

Trois autres anciens détenus ont déclaré que Hubert Mbaindiguem était blessé et qu’il se comportait de manière étrange. L’un d’eux a raconté : « C’était comme s’il était épileptique ou quelque chose comme ça. »[161] Il a été mis dans le soulou où il est mort.[162] Un autre a expliqué : « J’ai été conduit au soulou pour l’identifier. Ils ont écrit son nom et l’ont enregistré. »[163]

Un membre de la famille de Hubert Mbaindiguem a indiqué : « Je veux mon [proche], qu’il soit mort ou vivant, je veux qu’il revienne. Le gouvernement doit ramener son corps. Je veux savoir où mon [proche] est enterré, je veux emmener ma famille sur sa tombe. Ce qui m’affecte le plus, c’est cette incertitude. S’il est mort, il est mort, mais je veux l’enterrer. Mais sans sa tombe, j’aurai toujours des doutes dans la tête et ça fait mal. »[164]

Le décès de Hubert Mbaindiguem à Koro Toro a été consigné par la CNDH comme ayant eu lieu le 3 novembre.[165]

Elias Rebessengar

Elias Rebessengar.  © 2022 Privé

Elias Rebessengar, étudiant à l’université de 22 ans, a été arrêté en début d’après-midi le 20 octobre à Kamada, N’Djamena, où il se cachait dans la maison d’un voisin. Un ancien détenu, qui a été arrêté avec Elias Rebessengar, a décrit l’arrestation : « Les soldats ont frappé à la porte et sont entrés. Ils ont crié “À terre !” et ils ont vérifié les chambres. Après avoir vérifié les chambres, ils ont crié : “Debout !” et ils nous ont dit d’aller sur la route principale. Elias était avec nous alors que nous étions sur le bord de la route avec peut-être 80 personnes… À 13 h 30, nous avons été conduits au siège de la police dans un camion civil servant à transporter du sable. »[166]

Huit anciens détenus qui se trouvaient dans un camion dont la cloison s’est effondrée deux fois sur la route de Koro Toro ont expliqué que les détenus sont tombés du véhicule dans le désert et que certains ont été blessés. Selon quatre anciens détenus, Elias Rebessengar figurait parmi les personnes gravement blessées. Un homme qui était avec Elias Rebessengar a raconté : « J’étais là. Elias est tombé du camion la deuxième fois que la cloison s’est effondrée. Tout le monde était trop faible pour parler… [mais] il était clair qu’il n’allait pas bien. »[167] Un autre témoin a affirmé qu’il était évident qu’Elias Rebessengar était gravement blessé au cou.[168]

Malgré ses blessures, Elias Rebessengar a été conduit à Koro Toro 1 et placé dans une cellule. Cinq anciens détenus ont expliqué que, pendant environ 10 jours après son arrivée à Koro Toro 1, Elias Rebessengar ne pouvait plus parler et bougeait à peine. Un homme a précisé : « Il ne pouvait pas parler, et nous devions le forcer à manger… Il n’a plus parlé [jusqu’à] ce qu’il meurt. »[169] Un autre homme a indiqué : « Elias était dans la salle 21. Il ne pouvait pas parler, il ne pouvait même pas ouvrir les yeux. »[170]

Un travailleur de la prison de Koro Toro qui a vu Elias Rebessengar a raconté : « Pour Elias, il n’y a pas eu d’aide. Nous avons appelé la prison de Moussoro pour lui, mais ils ne sont pas venus le chercher. »[171]

D’anciens détenus ont expliqué que les gardes de Koro Toro n’ont pas fait preuve de beaucoup de volonté pour aider Elias Rebessengar. Un ancien détenu s’est souvenu : « Elias n’a jamais parlé, il est mort avant l’arrivée du procureur [début novembre]. Les gardes ont demandé : “Qui est ce type ?” Mais ils n’ont pas fait grand-chose. »[172]

Le décès d’Elias Rebessengar à Koro Toro a été consigné par la CNDH comme ayant eu lieu le 1er novembre.[173]

Un proche d’Elias Rebessengar qui a indiqué avoir été informé de sa mort par des détenus qui étaient rentrés a exprimé son désespoir : « Nous ne pouvons pas récupérer son corps. La famille est toujours sous le choc de voir qu’un jeune homme avec un avenir puisse mourir si loin de nous. Nous sommes toujours sous le choc parce qu’il était notre avenir… Le choc est réel. »[174]

Maxime Rimtebaye

Maxime Rimtebaye. © 2022 Privé

Maxime Rimtebaye, connu sous le nom de « Rim », était un boucher de 31 ans qui a été arrêté le 20 octobre à son domicile à Walia, N’Djamena.

Un homme qui a été arrêté avec Maxime Rimtebaye a décrit son arrestation et son décès ultérieur :

Rim a été arrêté 15 minutes après moi. Nous avons passé la nuit ensemble au CSP 9 à Walia. Ils nous ont passés à tabac au CSP 9 les 20 et 21 [octobre]. Rim a été frappé partout avec un bâton au CSP 9. Nous avons été emmenés au siège de la police le 21 vers 21 h ou 22 h. Là, nous avons à nouveau été battus. Rim a été violemment frappé à la tête. Il portait un jean noir, je m’en souviens. [À partir de là], nous avons été conduits dans des CSP différents.

J’ai vu Rim quand j’ai été emmené plus tard au Camp 27.

Quand nous sommes arrivés à Koro Toro, un gars a dit : « Un jeune homme en jean noir était gravement blessé à la tête, il est mort dans notre Sarkozy. »

J’ai vu trois corps être extraits d’un Sarkozy, mais je n’ai pas vu si Rim en faisait partie. Ce n’est que plus tard que j’ai appris qu’il était mort. Nous étions tous un peu fous après le voyage.[175]

Un membre de la famille de Maxime Rimtebaye a raconté : « Nous avons organisé [une cérémonie de] deuil. Sa mère a succombé à une crise cardiaque après avoir appris sa mort. Donc nous avons dû faire notre deuil à la fois pour elle et pour Rim. Nous voulons récupérer son corps. C’est notre frère. Pourquoi est-il enterré dans le désert ? Nous voulons l’enterrer avec humanité. »[176]

Le cas de Maxime Rimtebaye ne semble pas avoir été documenté par la CNDH.

Medard Rimbar

Medard Rimbar. © 2022 Privé

Medard Rimbar, âgé de 35 ans, a été arrêté en fin d’après-midi ou en début de soirée le 20 octobre. Selon des membres de sa famille, il a quitté son domicile à Walia, N’Djamena, peu après 17 heures avec un ami mais n’est jamais rentré. Le lendemain, le 21 octobre, un policier a appelé un membre de la famille et lui a annoncé que Medard Rimbar avait été arrêté. Cependant, lorsqu’ils ont rappelé le policier le 22 octobre, on leur a dit que Medard Rimbar avait été « déporté » à Koro Toro.

Le décès de Medard Rimbar à la prison de Koro Toro a été consigné par la CNDH comme ayant eu lieu le 23 octobre.[177]

La famille a déclaré avoir vérifié les morgues de N’Djamena mais n’avoir rien trouvé. Un membre de la famille a indiqué : « Nous n’avons pas encore fait le deuil, mais nous organiserons [une cérémonie]. Nous voulons récupérer son corps. Nous sommes sous le choc pour l’instant. »[178]

Toralbaye Mayadjim

Toralbaye Mayadjim. © 2022 Privé

Selon un membre de sa famille, Toralbaye Mayadjim, père de trois enfants, a été arrêté à la porte de son domicile le 20 octobre alors qu’il discutait avec un voisin. Les membres de sa famille l’ont cherché en vain dans des postes de police de N’Djamena.

Human Rights Watch n’a pas pu confirmer comment Toralbaye Mayadjim est mort à Koro Toro, mais a reçu des informations fiables selon lesquelles il est arrivé à la prison avec une grave blessure au pied.

Le décès de Toralbaye Mayadjim à la prison de Koro Toro a été consigné par la CNDH comme ayant eu lieu le 24 octobre.[179]

Un membre de sa famille a expliqué : « Nous n’avons jamais reçu de message de la part de l’État disant qu’il était à Koro Toro… Nous voulons que son corps soit restitué afin que sa famille puisse lui rendre hommage. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’est plus parmi nous, mais nous sommes mal à l’aise de le savoir enterré dans le désert. »[180]

Moutengar Igneigor

Moutengar Igneigor. © 2022 Privé

D’après les membres de sa famille, Moutengar Igneigor, 33 ans, a probablement été arrêté le 20 octobre alors qu’il rentrait chez lui à Walia, N’Djamena, après le travail. Les membres de sa famille l’ont cherché dans des CSP de la ville, mais n’ont pas pu déterminer où il se trouvait. La famille a indiqué qu’en avril 2023, elle a été informée par le CICR que Moutengar Igneigor était mort pendant le transport ou à la prison de Koro Toro. Son corps est toujours à la prison au moment de la publication.

Les membres de la famille ont déploré le fait que Moutengar Igneigor laisse trois enfants derrière lui et qu’ils ne peuvent pas faire leur deuil décemment sans son corps. « Nous voulons que le corps soit ramené ici », a déclaré un membre de la famille.[181]

Le cas de Moutengar Igneigor ne semble pas avoir été documenté par la CNDH.


 

Procès à la prison de Koro Toro

Il n’y avait aucune stratégie pendant le procès, ils ont juste inventé des choses.


— Ancien détenu de Koro Toro, N'Djamena, 16 avril 2023

La légitimité des motifs convoqués pour justifier la vaste majorité des détentions de manifestants est aisément contestable. Le gouvernement tchadien prétend que les personnes détenues ont été prises en flagrant délit de crimes pendant les manifestations ou qu’elles commettaient le crime d’insurrection.

Aucune des personnes placées en détention en lien avec les manifestations d’octobre n’a été présentée à un juge pour être inculpée d’une infraction crédible et placée en garde à vue avant son transfert et sa détention à Koro Toro. Des centaines d’hommes et de nombreux garçons ont été détenus à Koro Toro en violation des normes de procédure régulière, et donc arbitrairement et en violation du droit international, pendant des semaines. Également en violation du droit international, ils ont été détenus avec des prisonniers condamnés pour des crimes graves, dans les conditions décrites ci-dessus, qui enfreignent l’interdiction absolue du recours à la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants.

Cependant, au début du mois de décembre 2022, 401 détenus ont été jugés à la prison de Koro Toro pour un éventail d’ « infractions » tels qu’attroupement non autorisé, destruction de biens, incendie volontaire et troubles à l’ordre public. Au cours des mois suivants, 150 puis 200 personnes supplémentaires ont fait l’objet de procès pour des infractions similaires. Les personnes jugées étaient celles qui auraient été prises alors qu’elles participaient à la manifestation.

Les procès à Koro Toro ont enfreint les normes les plus élémentaires en matière de procédure régulière et de procès équitable. Les procès se sont déroulés dans cette prison isolée, loin de la capitale, où les accusés étaient détenus, avec pour conséquence qu’ils n’ont pas eu accès aux membres de leur famille ni à leurs avocats, et donc qu’ils n’ont pas eu la possibilité de préparer une défense efficace.

Les enquêtes sur les crimes au Tchad relèvent de la police judiciaire, qui est chargée d’interroger les suspects et de fournir des preuves au procureur (ministère public). Des notes sont prises lors de l’interrogatoire par un officier de police judiciaire (OPJ). La plupart des détenus ont déclaré que l’interrogatoire à Koro Toro n’avait duré que quelques minutes et que les OPJ avaient présenté un éventail d’armes telles que des fusils, des couteaux, des lance-pierres ou de petits sachets en plastique d’alcool et avaient demandé aux détenus de choisir ce qu’ils avaient utilisé et d’admettre qu’ils avaient pris part à une insurrection. Les détenus n’avaient pas de représentant légal lors de ces interrogatoires.

Plusieurs détenus ont décrit une procédure hâtive et arbitraire. Les détenus ont également été incités à passer aux aveux afin d’être relâchés. Un détenu, qui a été arrêté chez lui dans le quartier d’Atron à N’Djamena, a expliqué : « Pendant mon interrogatoire, l’OPJ a déposé des fusils et d’autres armes sur un tapis et a demandé : “Quelles armes avez-vous utilisées ?” J’ai pris un gros bâton et j’ai dit : “D’accord, j’ai utilisé ça.” Nous devions le dire pour pouvoir partir. Ils ont indiqué que seuls ceux qui avoueraient seraient libérés. J’étais fatigué. »[182]

Les procès se sont déroulés dans un petit bâtiment à l’extérieur de Koro Toro 2. Les détenus ont été jugés par groupes de 20 à 30 hommes à la fois. Certains ont indiqué qu’ils n’ont passé que quelques minutes devant un juge. Un détenu a raconté : « Pendant le procès, on m’a montré des armes, mais j’ai dit que je n’en avais pas utilisé. J’ai passé moins de 5 minutes devant un juge. Le juge a dit : “Vous avez été arrêté, et vous êtes un Transformateur, c’est tout.” »[183]

Plusieurs détenus ont affirmé avoir été reconnus coupables sur la base de leur lieu de résidence ou de leur lieu d’arrestation. Un détenu a raconté : « Pendant mon procès, nous étions nombreux dans la salle. L’OPJ a expliqué au juge ce qu’il s’était passé. Le procureur m’a simplement demandé : “D’où venez-vous ?” J’ai répondu que j’étais du 9e arrondissement et le juge a dit : “Vous êtes coupable” et m’a donné 3 ans… La plupart des hommes du 7e arrondissement ont eu 6 mois à 2 ans. Les hommes du 6e arrondissement ont eu 18 mois à 2 ans. Les hommes du 9e arrondissement ont également eu des peines de prison. La plupart des hommes du 1er arrondissement ont été jugés non coupables. »[184]

Plusieurs anciens détenus ont indiqué à Human Rights Watch que la durée de la peine dépendait d’à quel point certains quartiers étaient perçus comme des bastions de l’opposition.

Bien que plusieurs anciens détenus avec lesquels Human Rights Watch s’est entretenu aient déclaré qu’ils avaient soulevé la question des détentions illégales et des abus subis à la fois sur le trajet jusqu’à Koro Toro et à la prison, les juges n’ont prêté aucune attention à ces allégations ou plaintes.

Presque toutes les personnes reconnues coupables ont finalement bénéficié d’une grâce présidentielle et ont été libérées et ramenées à N’Djamena. Cependant, au moins 10 hommes ont été transférés à la prison de Klessoum pour purger leurs peines.


 

Normes juridiques et absence d’obligation de rendre des comptes

Bon nombre des violations graves documentées dans ce rapport – y compris la détention arbitraire prolongée dans des conditions inhumaines, les décès illégaux en détention et les actes de torture et autres mauvais traitements interdits – constituent des crimes graves en vertu du droit international et national, et violent plusieurs traités internationaux et régionaux, dont certains ratifiés par le Tchad. Les traités garantissent le respect des droits fondamentaux, y compris les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité, le droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et le droit à un procès équitable, qui doivent être respectés par le gouvernement. Ces traités incluent le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP),[185] la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,[186] la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant (CDE),[187] la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (charte de Banjul)[188] et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.[189]

Human Rights Watch considère que la détention et le transfert des manifestants à la prison de Koro Toro, leurs conditions de détention et leur traitement pendant la détention violent le droit international relatif aux droits humains et le droit tchadien.

Détention arbitraire et illégale de manifestants

La liberté de réunion, qui comprend le droit de manifester pacifiquement, est protégée par le PIDCP et la Charte de Banjul. Les Rapporteurs spéciaux sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association ainsi que sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ont déclaré que personne « ne devrait être tenu responsable pénalement, civilement ou administrativement pour le simple fait d’organiser un mouvement de protestation pacifique ou d’y participer ».[190]

Le PIDCP et la charte de Banjul interdisent également l’arrestation ou la détention arbitraire et exigent que toutes les privations de liberté aient un fondement légal clair et que toutes les personnes détenues jouissent pleinement de leurs droits à une procédure régulière, y compris l’accès à un avocat et la présentation devant une autorité judiciaire.[191]

D’après le Comité des droits de l’homme de l’ONU, l’organisme expert et indépendant chargé de surveiller le respect du PIDCP, la détention est considérée comme arbitraire si elle n’est pas conforme à la loi ou si elle présente des éléments tels que « le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires ».[192] Le droit international relatif aux droits humains accorde aussi au détenu le droit de contester la légalité de sa détention en demandant à une autorité judiciaire appropriée d’examiner si les motifs de détention sont légaux, raisonnables et nécessaires.[193]

Le Code de procédure pénale tchadien prévoit qu’un agent de police ne peut pas maintenir une personne en garde à vue pendant plus de 48 heures. Au-delà de cette durée, la personne doit être libérée ou présentée au magistrat ou au juge compétent, qui peut autoriser la prolongation de la garde à vue pendant 48 heures s’il existe des preuves sérieuses de la culpabilité de cette personne.[194]

La détention d’enfants à Koro Toro viole la CDE et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant. La CDE exige que toute arrestation, toute détention ou tout emprisonnement d’un enfant soit conforme à la loi et ne soit utilisé que comme « mesure de dernier ressort ».[195] La convention oblige également les gouvernements à protéger chaque enfant « contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation […] pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié ».[196] La détention d’enfants dans les mêmes établissements que les adultes est interdite par les deux traités. L’article 17 de la Charte africaine exige également des États parties qu’ils veillent à ce qu’aucun enfant détenu, emprisonné ou autrement privé de sa liberté ne soit soumis à la torture ou à des traitements ou châtiments inhumains ou dégradants et qu’ils veillent à ce que les enfants soient séparés des adultes sur leur lieu de détention ou d’emprisonnement.[197] La CDE contient des dispositions similaires concernant la séparation des enfants et des adultes en détention.[198]

Interdiction des exécutions extrajudiciaires, de la torture, des traitements cruels, inhumains ou dégradants

L’article 4 de la Charte de Banjul exige le respect du droit à la vie et à l’intégrité de la personne et dispose que nul ne peut être arbitrairement privé de sa vie. [199] L’article 5 prévoit que « [t]out individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment […] la torture […], et les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont interdites. »[200]

L’article 2 de la Convention contre la torture dispose qu’« [a]ucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture. »[201]

En vertu du droit international, les États doivent veiller à ce que, même en l’absence de plainte officielle, les allégations de torture fassent l’objet d’enquêtes rapides, impartiales, indépendantes et approfondies, que les victimes aient accès à une voie de recours efficace et obtiennent réparation, et que les responsables soient traduits en justice.[202]

Le PIDCP exige que les gouvernements adoptent des mesures, notamment via leur système légal, pour protéger les droits fondamentaux.[203] D’après le Comité des droits de l’homme de l’ONU, l’incapacité d’un gouvernement à enquêter et traduire en justice des auteurs d’abus, notamment pour des crimes de meurtres, peut constituer en soi une violation du pacte.[204]

Obligation du gouvernement tchadien de mener des enquêtes et des poursuites

En vertu de traités et du droit international coutumier, le gouvernement a l’obligation de mener des enquêtes efficaces sur les décès en détention et les allégations de torture, et de poursuivre les personnes jugées responsables dans des procès équitables et crédibles conformes aux normes internationales.

La Convention contre la torture exige que ses États membres enquêtent sur toutes les allégations crédibles de torture.[205]

Au-delà des obligations légales du pays de poursuivre les auteurs de violations graves des droits humains, la justice est cruciale pour le bien-être et la sécurité de la population civile dans son ensemble. Les abus non sanctionnés commis par des agents de l'État, y compris des membres des services de sécurité et de l'administration pénitentiaire, pourraient continuer à favoriser un environnement d'impunité et risquent de faire entièrement perdre aux civils l'espoir que le gouvernement peut les protéger efficacement. Les victimes et leurs familles ont souligné qu’elles voulaient que les auteurs d’abus soient traduits en justice. Cependant, plusieurs personnes ont confié qu’elles avaient le sentiment que les auteurs de ces abus n’encourront aucune conséquence pour leurs actes.

Plusieurs victimes et membres de groupes de la société civile ont déclaré à plusieurs reprises que le niveau actuel d’impunité rend les règles sur le comportement des forces de sécurité floues et risque d’alimenter les abus. Comme l’a expliqué un avocat et défenseur des droits humains tchadien : « Nous devons mettre fin à la normalisation des abus. Les personnes ne doivent pas penser que c’est normal ou que c’est la façon de faire respecter l’État de droit. Si nous ne parvenons pas à stopper les abus maintenant, après la détention inutile de tant d’hommes à Koro Toro, je crains pour notre avenir. »[206]

Des poursuites équitables et crédibles contre les responsables d’abus récents fourniraient à ces victimes un début de réparation pour les préjudices qu’elles ont subis et pourraient dissuader de futurs abus. La reddition des comptes pour les crimes les plus graves pourrait également contribuer à rétablir l’ordre dans le pays et à renforcer le respect de l’État de droit, ce qui favoriserait la paix et la stabilité à long terme.


 

Conclusion

Le gouvernement tchadien cherche à justifier la détention et le transfert de centaines d’hommes et de nombreux garçons à Koro Toro en affirmant que les manifestants du 20 octobre étaient des insurgés. Même si tous les manifestants ont été graciés, il semble que leurs détentions n’avaient pas de fondement juridique et rien n’indiquait qu’elles étaient nécessaires. Les détenus n’ont pas été autorisés à bénéficier des services d’un avocat avant d’être interrogés, et les procès ont été hâtifs et arbitraires. La nature massive de la détention à Koro Toro n’a fait que jeter la lumière sur les abus qui y sont commis.

Le gouvernement tchadien devrait mettre fin à ces abus en fermant la prison de Koro Toro 1 et en rénovant la prison de Koro Toro 2, notamment via la mise en place d’infrastructures en conformité avec les normes internationales. Il devrait également garantir la reddition des comptes pour les graves abus commis contre les détenus en suspendant l’amnistie accordée à tous les soldats, gendarmes et policiers impliqués et à d’autres personnes. Les autorités devraient également prendre des mesures publiquement pour confirmer l’identité de ceux qui ont été tués lors de la répression contre les manifestants et restituer les corps aux familles pour permettre un enterrement approprié.

Le 28 février 2024, des membres des forces de sécurité ont tué Yaya Dillo, le président du Parti socialiste sans frontières (PSF), lors d’une attaque contre le siège du parti à N’Djamena. Environ 27 membres du PSF ont été emmenés à Koro Toro à la suite de cet incident.[207]

Les bailleurs de fonds du Tchad qui ont peut-être voulu privilégier la stabilité régionale apportée par le gouvernement de transition devraient condamner publiquement ces graves violations, y compris celles documentées dans le présent rapport. Il leur incombe de faire pression sur le gouvernement tchadien sur la question critique de sa légitimité dès lors que des manifestants non armés ou des opposants politiques – réels ou supposés – continuent de risquer la torture ou la mort à Koro Toro et dans d’autres lieux de détention.


 

Remerciements

Les recherches menées pour le présent rapport ainsi que sa rédaction ont été réalisées par Lewis Mudge, directeur associé au sein de la division Afrique de Human Rights Watch. Il a été revu par Mausi Segun, directrice exécutive de la division Afrique, Aisling Reidy, conseillère juridique principale, Babatunde Olugboji, directeur de programme adjoint de la division Programmes, Hye Jung Han, chercheuse au sein de la division Droits des enfants et Sam Dubberley, directeur de la division Technologie, droits et enquêtes. Ce rapport a également bénéficié de la révision éditoriale de Clémentine De Monyjoye, chercheuse senior au sein de la division Afrique. L'imagerie satellite, l'analyse et la cartographie de la prison ont été produites par Léo Martine, analyste géospatial senior du Digital Investigations Lab, et Martyna Marciniak, ancienne chercheuse senior en visualisation et spatialisation du Digital Investigations Lab. Vincent Sima Olé, coordinateur au sein de la division Afrique, a apporté une assistance à la production et à l'édition de ce rapport. Travis Carr, responsable des publications, et Jose Martinez, agent administratif, ont apporté une assistance à sa préparation et à sa production.

Sarah Leblois a traduit le rapport en français. Vincent Sima Olé et Peter Huvos, rédacteur du site web français, ont revu la traduction française.

Human Rights Watch souhaite remercier les traducteurs et consultants qui ont contribué à cette recherche, à l'assistance logistique et aux traductions. Ce rapport n'aurait pas été possible sans leur courageuse assistance ; pour protéger leur anonymat, leurs noms ont été omis. Human Rights Watch souhaite également remercier les anciens détenus qui ont participé à la rédaction de ce rapport.


 

[1] Constitution du Tchad, République du Tchad, approuvée par référendum le 17 décembre 2023, art. 22.

[2] Ibid, art. 19.

[3] Ibid, art. 25.

[4] Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture), adoptée le 10 décembre 1984, G.A. res. 39/46, annexe, 39 U.N. GAOR Supp. (No. 51) à 197, U.N. Doc. A/39/51 (1984), entrée en vigueur le 26 juin 1987, ratifiée par le Tchad le 9 juin 1995. Le 26 septembre 2012, le Tchad a signé le Protocole facultatif à la Convention contre la torture, mais ne l'a pas encore ratifié.

[5] Code pénal du Tchad, loi n°2017-01 du 8 mai 2017, art. 176.

[6] Voir « Tchad : Exigence de justice pour la répression d’octobre », communiqué de presse de Human Rights Watch, 23 janvier 2023, https://www.hrw.org/fr/news/2023/01/23/tchad-exigence-de-justice-pour-la-repression-doctobre.

[7] Human Rights Watch, Enabling a Dictator, The United States and Chad’s Hissène Habré 1982–1990, (New York: Human Rights Watch, juin 2016), https://www.hrw.org/report/2016/06/28/enabling-dictator/united-states-and-chads-hissene-habre-1982-1990#7246.

[8] « Tchad : le gouvernement interdit les manifestations », Deutsche Welle, 2 février 2021, https://www.dw.com/fr/tchad-le-gouvernement-interdit-les-manifestations-de-lopposition/a-56428794 (consulté le 19 juillet 2024).

[9] « Tchad : des manifestations contre un sixième mandat de Déby dispersées dans la capitale », Radio France Internationale, 20 mars 2021, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210320-tchad-manifestations-dans-la-capitale-et-plusieurs-arrestations (consulté le 19 juillet 2024).

[10] « Tchad : huitième semaine de mobilisation contre un sixième mandat de Idriss Déby », Radio France Internationale, 28 mars 2021, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210328-tchad-huiti%C3%A8me-semaine-de-mobilisation-contre-un-sixi%C3%A8me-mandat-de-idriss-d%C3%A9by (consulté le 19 juillet 2024).

[11] « Tchad : Répression préélectorale contre les opposants », communiqué de presse de Human Rights Watch, 8 avril 2021, https://www.hrw.org/fr/news/2021/04/08/tchad-repression-preelectorale-contre-les-opposants.

[12] « Deby’s death and Chad’s next day: This is what the army announced », Al Jazeera, 20 avril 2021, https://www.aljazeera.com/news/2021/4/20/chads-military-announces-new-interim-government-after-deby-death#:~:text=Chad’s%20military%20has%20said%20President,a%20sixth%20term%20in%20office (consulté le 19 juillet 2024).

[13] « Tchad : Idriss Déby laisse derrière lui un héritage d’abus », communiqué de presse de Human Rights Watch, 20 avril 2021, https://www.hrw.org/fr/news/2021/04/20/tchad-idriss-deby-laisse-derriere-lui-un-heritage-dabus.

[14] Constitution du Tchad, République du Tchad, adoptée en mai 2018, art. 81.

[15] « Deby’s death and Chad’s next day: This is what the army announced », Al Jazeera, 20 avril 2021.

[16] « Tchad : Violente répression d’une manifestation de l’opposition », communiqué de presse de Human Rights Watch, 29 octobre 2021, https://www.hrw.org/fr/news/2021/10/29/tchad-violente-repression-dune-manifestation-de-lopposition.

[17] Ibid.

[18] « Tchad : le parti ‘Les Transformateurs’ est officiellement reconnu par les autorités », Alwihda Info, 8 juin 2021, https://www.alwihdainfo.com/Tchad-le-parti-Les-Transformateurs-est-officiellement-reconnu-par-les-autorites_a104285.html (consulté le 19 juillet 2024).

[19] « Tchad : le défenseur des droits humains Baradine Berdei Targuio libéré de prison », Radio France Internationale, 11 juin 2021, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210611-tchad-le-d%C3%A9fenseur-des-droits-humains-baradine-berdei-targuio-lib%C3%A9r%C3%A9-de-prison (consulté le 19 juillet 2024).

[20] « Tchad : Violente répression d’une manifestation de l’opposition », communiqué de presse de Human Rights Watch, 29 octobre 2021.

[21] « Chad junta postpones post-coup forum to May », Africanews, 28 janvier 2022, https://www.africanews.com/2022/01/28/chad-junta-postpones-post-coup-forum-to-may// (consulté le 19 juillet 2024).

[22] « Tchad : Libérer les membres et partisans de l’opposition détenus », communiqué de presse de Human Rights Watch, 30 mai 2022, https://www.hrw.org/fr/news/2022/05/30/tchad-liberer-les-membres-et-partisans-de-lopposition-detenus.

[23] « Four Human Rights Defenders Sentenced and Released », communiqué de presse de Front Line Defenders, 10 juin 2022, https://www.frontlinedefenders.org/en/case/four-human-rights-defenders-sentenced-and-released-0 (consulté le 19 juillet 2024).

[24] « Tchad : Les forces de sécurité se livrent à des abus en plein dialogue national », communiqué de presse de Human Rights Watch, 23 septembre 2022, https://www.hrw.org/fr/news/2022/09/23/tchad-les-forces-de-securite-se-livrent-des-abus-en-plein-dialogue-national.

[25] International Crisis Group, « Transition au Tchad : apaiser les tensions en ligne », 13 décembre 2022, https://www.crisisgroup.org/fr/africa/central-africa/chad/b183-chads-transition-easing-tensions-online (consulté le 19 juillet 2024).

[26] « Le Dialogue National au Tchad se Termine dans un Contexte d’Incertitudes pour la Transition », United States Institute of Peace, 12 octobre 2022, https://www.usip.org/publications/2022/10/le-dialogue-national-au-tchad-se-termine-dans-un-contexte-dincertitudes-pour (consulté le 19 juillet 2024). Les élections, prévues à l’époque pour octobre 2024, ont finalement eu lieu en mai 2024, et Mahamat Idriss Déby a été désigné vainqueur.

[27] « Tchad : la répression des manifestations doit immédiatement cesser », communiqué de presse d’Amnesty International, 20 octobre 2022, https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/10/tchad-la-repression-des-manifestations-doit-immediatement-cesser/ (consulté le 19 juillet 2024).

[28] « Tchad : Exigence de justice pour la répression d’octobre », communiqué de presse de Human Rights Watch, 23 janvier 2023.

[29] Pour d'autres rapports de Human Rights Watch sur les manifestations du 20 octobre 2022 et les violations des droits humains qui y sont liées, voir « Tchad : Exigence de justice pour la répression d’octobre », communiqué de presse de Human Rights Watch, 23 janvier 2023 ; « Tchad : De nombreux manifestants tués et blessés », communiqué de presse de Human Rights Watch, 26 octobre 2022, https://www.hrw.org/fr/news/2022/10/26/tchad-de-nombreux-manifestants-tues-et-blesses.

[30] « Tchad : Un mois après le ‘jeudi noir’, de nombreuses zones d’ombre demeurent », Radio France Internationale, 20 novembre 2022, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20221119-tchad-un-mois-apr%C3%A8s-le-jeudi-noir-de-nombreuses-zones-d-ombre-demeurent (consulté le 19 juillet 2024).

[31] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, copie conservée dans les dossiers de Human Rights Watch, p. 18.

[32] « Jeudi Noir : Ils ont enlevé trois de mes fils », Rapport d’enquête sur la répression sanglante des manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH), 26 avril 2023, p. 13, https://www.omct.org/fr/ressources/rapports/tchad-un-rapport-dénonce-lexécution-la-disparition-et-la-torture-de-manifestants (consulté le 19 juillet 2024).

[33] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, p. 18.

[34] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, p. 11.

[35] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, p. 12.

[36] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, pp. 28-33.

[37] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, p. 13.

[38] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, p. 67.

[39] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, p. 71.

[40] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, p. 69.

[41] « Tchad : les 2 principaux opposants disent se cacher pour leur sécurité », Africanews, 10 novembre 2022, https://fr.africanews.com/2022/11/10/tchad-les-2-principaux-opposants-disent-se-cacher-pour-leur-securite/ (consulté le 19 juillet 2024).

[42] Courrier conservé dans les dossiers de Human Rights Watch.

[43] Copie conservée dans les dossiers de Human Rights Watch.

[44] « Tchad : L’espace politique se referme avant le référendum », communiqué de presse de Human Rights Watch, 13 octobre 2023, https://www.hrw.org/fr/news/2023/10/13/tchad-lespace-politique-se-referme-avant-le-referendum.

[45] « Tchad : La loi d’amnistie trahit les victimes d’abus », communiqué de presse de Human Rights Watch, 14 décembre 2023, https://www.hrw.org/fr/news/2023/12/14/tchad-la-loi-damnistie-trahit-les-victimes-dabus.

[46] Lewis Mudge, « Le référendum au Tchad mènera-t-il à la démocratie ? », tribune de Human Rights Watch, 16 décembre 2023, https://www.hrw.org/fr/news/2023/12/15/le-referendum-au-tchad-menera-t-il-la-democratie.

[47] « Tchad : la stratégie de Succès Masra vis-à-vis du référendum interroge », Radio France Internationale, 13 décembre 2023, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20231213-tchad-la-stratégie-de-succès-masra-vis-à-vis-du-référendum-interroge (consulté le 19 juillet 2024).

[48] « Tchad : de premier opposant à Premier ministre, retour sur le parcours de Succès Masra », Radio France Internationale, 2 janvier 2024, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20240102-tchad-de-premier-opposant-à-premier-ministre-retour-sur-le-parcours-de-succès-masra (consulté le 19 juillet 2024).

[49] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 11 avril 2023.

[50] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 9 mai 2023.

[51] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 11 avril 2023.

[52] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 9 mai 2023.

[53] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023.

[54] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 11 mai 2023.

[55] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 11 mai 2023.

[56] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 11 mai 2023. 

[57] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 9 mai 2023.

[58] Plusieurs détenus ont expliqué qu’ils pensaient que ce modèle de camion avait peut-être été fourni au Tchad par la France sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Malgré ce nom, Human Rights Watch n’a reçu aucune information à propos d’un quelconque rôle de la France dans le transport des détenus vers Koro Toro.

[59] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 13 avril 2023.

[60] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 11 avril 2023.

[61] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 11 mai 2023.

[62] Selon les médias, Moussa Haroun Tirgo est cité dans la requête de novembre 2022 adressée à la Cour pénale internationale par les avocats français William Bourdon et Vincent Brengarth pour le compte de Succès Masra. Voir : Chief Bisong Etahoben, « Opposition Leader Seeks International Criminal Court Case Against Chad For Protest Killings », Human Angle Media, 10 novembre 2022, https://humanglemedia.com/opposition-leader-seeks-international-criminal-court-case-against-chad-for-protest-killings/ (consulté le 19 juillet 2024).

[63] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 15 avril 2023.

[64] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 6 mai 2023.

[65] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 6 mai 2023.

[66] Décret présidentiel numéro 1602, daté du 13 juin 2023, conservé dans les dossiers de Human Rights Watch.

[67] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 15 avril 2023.

[68] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 12 avril 2023.

[69] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 9 mai 2023.

[70] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 11 mai 2023.

[71] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 11 avril 2023.

[72] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 7 mai 2023.

[73] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 8 mai 2023.

[74] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 13 mai 2023.

[75] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 11 mai 2023.

[76] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 12 avril 2023.

[77] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 14 avril 2023.

[78] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 9 mai 2023.

[79] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 13 avril 2023.

[80] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 14 avril 2023.

[81] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 9 mai 2023.

[82] Entretiens de Human Rights Watch avec d’anciens détenus de Koro Toro, N’Djamena, 11, 12 et 14 avril et 7, 8, 11 et 14 mai 2023.

[83] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 14 avril 2023.

[84] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 14 avril 2023.

[85] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 7 mai 2023.

[86] Les violences du groupe islamiste Boko Haram depuis le début des années 2000 ont provoqué une crise humanitaire majeure, notamment au Nigeria, au Tchad et au Cameroun.

[87] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 11 avril 2023.

[88] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 9 mai 2023.

[89] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 13 avril 2023.

[90] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 9 mai 2023.

[91] Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Ensemble de règles minima), adopté par le premier Congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants, tenu à Genève en 1955, et approuvé par le Conseil économique et social dans ses résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai 1977, règle 40.

[92] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 11 avril 2023.

[93] Entretiens de Human Rights Watch avec plusieurs anciens détenus de Koro Toro, N’Djamena, avril et mai 2023.

[94] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 11 avril 2023.

[95] Il s’agit d’une référence à Mahamat Allamine Al-Rachid, procureur de la République adjoint à l’époque. Human Rights Watch s’est entretenu avec Mahamat Allamine Al-Rachid le 18 novembre 2022, et il a confirmé qu’il gérait la procédure judiciaire à Koro Toro.

[96] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 9 mai 2023.

[97] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 10 mai 2023.

[98] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 13 avril 2023.

[99] Ensemble de règles minima, règle 47.

[100] Entretiens de Human Rights Watch avec d’anciens détenus de Koro Toro, N’Djamena, 16 avril, 8 et 9 mai 2023.

[101] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 8 mai 2023.

[102] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 9 mai 2023.

[103] Ensemble de règles minima, règles 96-98.

[104] Ibid, règles 96-98.

[105] Organisation internationale du travail, « Convention n° 29 concernant le travail forcé », 27 juin 1930, art. 11. Voir également l’Ensemble de règles minima, règle 96 (qui prévoit que le travail pénitentiaire est soumis à l’aptitude physique et mentale des détenus telle que déterminée par un médecin).

[106] Ensemble de règles minima, règle 99.

[107] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 7 mai 2023.

[108] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 13 mai 2023.

[109] Ensemble de règles minima, règle 43.

[110] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 16 avril 2023.

[111] Convention relative aux droits de l'enfant (CDE), adoptée le 20 novembre 1989, G.A. Res. 44/25, annexe, 44 U.N. GAOR Supp. (No. 49) à 167, U.N. Doc. A/44/49 (1989), entrée en vigueur le 2 septembre 1990, ratifiée par le Tchad le 2 octobre 1990.

[112] Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant, Doc. CAB/LEG/24.9/49 (1990), entrée en vigueur le 29 novembre 1999, ratifiée par le Tchad le 20 mars 2000.

[113] CDE, art. 37 (b).

[114] CDE, art. 19 (1).

[115] Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, art. 17 (2).

[116] CDE, art. 37 (a).

[117] CDE, arts. 19 et 37 ; Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, art. 17.

[118] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 12 avril 2023.

[119] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 12 avril 2023.

[120] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 13 avril 2023.

[121] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 15 avril 2023.

[122] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 12 avril 2023.

[123] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 13 avril 2023.

[124] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 17 avril 2023.

[125] Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les décès résultant potentiellement d’actes illégaux des Nations Unies, Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, 2016, https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/MinnesotaProtocol_FR.pdf (consulté le 19 juillet 2024).

[126] Entretien de Human Rights Watch avec un témoin de l’arrestation de Blaise Djikossi, N’Djamena, 20 novembre 2022.

[127] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille de Blaise Djikossi, N’Djamena, 20 novembre 2022.

[128] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 11 avril 2023.

[129] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille de Blaise Djikossi, N’Djamena, 22 avril 2023.

[130] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, p. 74.

[131] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 12 avril 2023.

[132] Ibid.

[133] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 13 avril 2023.

[134] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 12 avril 2023.

[135] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille de Vincent Bakouboup, N’Djamena, 12 avril 2023.

[136] Ibid.

[137] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, p. 74.

[138] Entretien de Human Rights Watch avec un homme arrêté avec Ngaba Djmadoum, N’Djamena, 12 avril 2023.

[139] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 12 avril 2023.

[140] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 13 avril 2023.

[141] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 15 avril 2023.

[142] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille de Ngaba Djmadoum, N’Djamena, 12 avril 2023.

[143] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, p. 74.

[144] Entretiens de Human Rights Watch avec d’anciens détenus de Koro Toro, N’Djamena, 13 et 14 avril et 9 mai 2024.

[145] Entretiens de Human Rights Watch avec des témoins de l’arrestation de Magloire Mbaiadjim, N’Djamena, 19 novembre 2022 et 13 avril 2023.

[146] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 14 avril 2023.

[147] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 14 avril 2023.

[148] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 8 mai 2023.

[149] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 8 mai 2023.

[150] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 14 avril 2023.

[151] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille de Magloire Mbaiadjim, N’Djamena, 13 avril 2023.

[152] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, p. 74.

[153] Entretien de Human Rights Watch avec des témoins de l’arrestation de Joachin Weiyenbal, N’Djamena, 14 avril 2023.

[154] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille de Joachin Weiyenbal, N’Djamena, 14 avril 2023.

[155] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille de Joachin Weiyenbal, N’Djamena, 14 avril 2023.

[156] Entretiens de Human Rights Watch avec d’anciens détenus de Koro Toro, N’Djamena, 14, 15 et 16 avril 2023.

[157] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille de Joachin Weiyenbal, N’Djamena, 14 avril 2023.

[158] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, p. 74.

[159] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille de Hubert Mbaindiguem, N’Djamena, 14 avril 2023.

[160] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 15 avril 2023.

[161] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 15 avril 2023.

[162] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 6 mai 2023.

[163] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 6 mai 2023.

[164] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille de Hubert Mbaindiguem, N’Djamena, 14 avril 2023.

[165] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, p. 74.

[166] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 7 mai 2023.

[167] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 7 mai 2023.

[168] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 7 mai 2023.

[169] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 7 mai 2023.

[170] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 13 mai 2023.

[171] Entretien de Human Rights Watch avec une personne travaillant à Koro Toro, N’Djamena, 13 mai 2023.

[172] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 7 mai 2023.

[173] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, p. 74.

[174] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille d’Elias Rebessengar, N’Djamena, 7 mai 2023.

[175] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 16 avril 2023.

[176] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille de Maxime Rimtebaye, N’Djamena, 16 avril 2023.

[177] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, p. 74.

[178] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille de Medard Rimbar, N’Djamena, 17 avril 2023.

[179] RAPPORT D’ENQUÊTE sur les manifestations du 20 octobre 2022 au Tchad, Commission Nationale des Droits de l’Homme, février 2023, p. 74.

[180] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille de Toralbaye Mayadjim, N’Djamena, 14 avril 2023.

[181] Entretien de Human Rights Watch avec un membre de la famille de Moutengar Igneigor, N’Djamena, 15 avril 2023.

[182] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 15 avril 2023.

[183] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 15 avril 2023.

[184] Entretien de Human Rights Watch avec un ancien détenu de Koro Toro, N’Djamena, 6 mai 2023.

[185] Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), adopté le 16 décembre 1966, G.A. Res. 2200A (XXI), 21 U.N. GAOR Supp. (No. 16) à 52, U.N. Doc. A/6316 (1966), 999 U.N.T.S. 171, entré en vigueur le 23 mars 1976, ratifié par le Tchad le 9 juin 1995.

[186] Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture), adoptée le 10 décembre 1984, G.A. res. 39/46, annexe, 39 U.N. GAOR Supp. (No. 51) à 197, U.N. Doc. A/39/51 (1984), entrée en vigueur le 26 juin 1987.

[187] Convention relative aux droits de l'enfant (CDE).

[188] Charte africaine [de Banjul] des Droits de l’Homme et des Peuples, adoptée le 27 juin 1981, doc. OUA CAB/LEG/67/3 rév. 5, 21 I.L.M. 58 (1982), ratifiée par le Tchad le 9 octobre 1986.

[189] Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.

[190] Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, A/HRC/31/66, 2 février 2016, https://daccess-ods.un.org/access.nsf/Get?OpenAgent&DS=A/HRC/31/66&Lang=F (consulté le 19 juillet 2024).

[191] Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), art. 9, p. 1 et Charte africaine [de Banjul] des Droits de l’Homme et des Peuples, art. 12.

[192] Comité des droits de l’homme de l’ONU, Observation générale n° 35 Article 9 (Liberté et sécurité de la personne), doc. ONU CCPR/C/GC/35, (2014), p. 4, parag. 12.

[193] Ibid.

[194] Code de procédure pénale du Tchad, loi n° 012/PR/ 2017, art. 282.

[195] CDE, arts. 19 et 37.

[196] CDE, art. 19 (1).

[197] Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, art. 17.

[198] CDE, art. 37 (a).

[199] Charte africaine [de Banjul] des Droits de l’Homme et des Peuples, art. 4.

[200] Ibid, art. 5.

[201] Convention contre la torture, art. 2.

[202] Comité des droits de l’homme de l’ONU, Observation générale n° 31, La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, doc. ONU CCPR/C/21/Rev.1/Add. 13 (2004), parags. 15 et 16 ; Comité contre la torture de l’ONU, Observation générale n° 3, Application de l’article 14 par les États parties, doc. ONU CAT/C/GC/3 (2012), parag.27.

[203] PIDCP, arts.2(2) et 2(3).

[204] Comité des droits de l’homme de l’ONU, Observation générale n° 31, La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, CCPR/C/21/Rev.1/Add.13 (2004), arts. 15 et 18.

[205] Convention contre la torture, art. 12.

[206] Entretien de Human Rights Watch avec un avocat, N’Djamena, 29 juin 2023.

[207] « Tchad : Un éminent dirigeant de l’opposition tué », communiqué de presse de Human Rights Watch, 1er mars 2024, https://www.hrw.org/fr/news/2024/03/01/tchad-un-eminent-dirigeant-de-lopposition-tue.