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Côte d'Ivoire : contrôler les milices, faire cesser les incitations à la violence

Les soldats de maintien de la paix des Nations unies doivent être déterminés à protéger les civils

(New York, 11 novembre 2004) – Alors que la sécurité en Côte d'Ivoire se détériore, les autorités ivoiriennes doivent garantir que les attaques et les menaces contre les civils lancées par les milices pro-gouvernementales vont cesser, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Le gouvernement doit également stopper la diffusion de programmes radio ou TV dont l’objectif est d’inciter à la violence contre des individus supposés être des opposants au gouvernement, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.

« Jusqu’à leur évacuation, les Français étaient la cible privilégiée des attaques xénophobes lancées par les milices. Nous craignons maintenant que les milices ne s’en prennent à des cibles plus familières – les musulmans, les habitants du Nord et les immigrés d’Afrique de l’Ouest. Compte tenu des abus déjà commis par les milices pendant la crise politique ivoirienne, les Nations unies doivent anticiper de telles attaques et être prêtes à y répondre. »
Peter Takirambudde, directeur exécutif de la division Afrique à Human Rights Watch
  

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Les soldats de maintien de la paix des Nations unies, dans le cadre de la résolution 1528 du Conseil de sécurité des Nations unies, ont la responsabilité de « protéger les civils en danger immédiat de violence physique ». A Abidjan même, dans les zones rurales et de façon plus urgente, dans la zone occidentale productrice de cacao, les soldats de maintien de la paix des Nations unies devraient procéder fréquemment à des patrouilles et donner une importante visibilité à leur présence dans des régions fortement peuplées par des populations vulnérables. Au cours des dernières années, les habitants du Nord du pays, les musulmans et les immigrés originaires d’Afrique de l’Ouest ont fait l’objet d’attaques menées par des milices pro-gouvernementales qui les accusent de soutenir la rébellion basée au Nord du pays.  
 
« Jusqu’à leur évacuation, les Français étaient la cible privilégiée des attaques xénophobes lancées par les milices. Nous craignons maintenant que les milices ne s’en prennent à des cibles plus familières – les musulmans, les habitants du Nord et les immigrés d’Afrique de l’Ouest, » a déclaré Peter Takirambudde, directeur exécutif de la division Afrique à Human Rights Watch. « Compte tenu des abus déjà commis par les milices pendant la crise politique ivoirienne, les Nations unies doivent anticiper de telles attaques et être prêtes à y répondre. »  
 
Au cours des derniers jours, des militants ivoiriens des droits humains qui se cachent sur place ont rapporté à Human Rights Watch de nombreux cas de pillages et d’incendies volontaires perpétrés par les milices pro-gouvernementales contre des habitations et des commerces appartenant à des habitants du Nord du pays ou à des partisans de l’opposition à Abidjan. Mardi, les milices pro-gouvernementales ont attaqué des habitants du Nord et des immigrés ouest-africains dans la ville de Gagnoa, à l’Ouest du pays, tuant au moins cinq personnes.  
 
S’exprimant à la radio et à la télévision d’Etat, les officiels du gouvernement et les responsables des milices ont diffusé des messages continus incitant les milices à attaquer des civils français après la destruction par les forces françaises de la force aérienne ivoirienne. Ces messages ont récemment été relayés par des chaînes de radio privées. Dans un cas au moins, une personne s’exprimant à la radio a incité à la violence en donnant le numéro de la plaque minéralogique d’un véhicule dans lequel apparemment circulaient des Français.  
 
« Les soldats de maintien de la paix doivent également être prêts à stopper les émissions incitant à la violence ou fournissant des indications en ce sens, » a déclaré Takirambudde.  
 
Depuis 2000 et l’accession au pouvoir de Gbagbo après des élections entachées d’irrégularités au cours desquelles environ 200 membres de l’opposition ont été tués, les milices pro-gouvernementales et les forces de sécurité de l’Etat ont largement cessé d’œuvrer à la protection de la population. Elles ont au contraire choisi le camp du parti au pouvoir, le Front Populaire ivoirien ou FPI et de ses intérêts économiques. Le gouvernement s’est de plus en plus appuyé sur ces milices tant pour faire respecter l’ordre que pour combattre la rébellion, à la suite du coup d’état de 2002. Les membres des milices dont la plus importante est celle des Jeunes Patriotes auraient reçu au cours des derniers mois une formation militaire à Abidjan et ailleurs.  
 
Issues essentiellement des groupes de jeunes favorables au parti au pouvoir, les milices ont servi de mécanisme à peine voilé pour intimider et commettre des abus contre des membres de l’opposition politique et des personnes présumées hostiles au gouvernement en vertu de leur religion, leur appartenance ethnique ou leur nationalité. Les personnes originaires du Nord du pays, les musulmans et les immigrés ouest-africains en provenance essentiellement du Burkina Faso, du Niger, du Mali et de Guinée ont été pris pour cibles.  
 
Les milices pro-gouvernementales sont responsables de nombreuses et graves atteintes contre les droits humains. En mars, elles ont participé à une répression violente contre des partisans de l’opposition lors d’une manifestation à Abidjan au cours de laquelle 120 manifestants au moins ont été tués. Le 4 novembre, les milices ont attaqué l’hôtel qui hébergeait les ministres représentant, au sein du gouvernement, le mouvement d’opposition des Forces Nouvelles. Elles ont également pillé et brûlé les bureaux d’au moins deux journaux d’opposition. Tout au long de l’année, les milices rurales ont conduit des attaques meurtrières contre des fermiers immigrés d’Afrique de l’Ouest dans la partie occidentale du pays.  
 
En s’abstenant de demander des comptes aux membres des milices et des forces de sécurité responsables d’exactions, le gouvernement ivoirien n’a fait que renforcer l’impunité dont jouissent ces groupes et a encouragé les auteurs de ces actes, tant à Abidjan que dans les zones rurales. Le Conseil de sécurité doit donc tenir l’engagement qu’il a pris de garantir que les auteurs de graves crimes contre les droits humains, dans chacun des camps au conflit, seront tenus pour responsables de leurs actions. Depuis 1999, toutes les parties au conflit – notamment l’armée ivoirienne, les gendarmes, les forces de police, les milices pro-gouvernementales et les combattants de plusieurs factions rebelles – ont commis de graves violations du droit international humanitaire et des droits humains dans une impunité totale.  
 
Mardi, un rapport de la Commission d’enquête des Nations unies qui a passé deux mois à enquêter sur de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire, devait être présenté au Conseil de sécurité des Nations unies. Le rapport qui a été envoyé aux représentants du gouvernement ivoirien et à ceux du mouvement rebelle en octobre comporte des recommandations relatives à des mesures concrètes que les Nations unies pourraient prendre pour garantir la recherche des responsabilités dans les abus commis.  
 
Human Rights Watch estime que tenir pour responsables de leurs actes les individus ayant commis les crimes les plus graves est un élément crucial pour lutter contre la culture de l’impunité qui prévaut sur place et pour garantir un enracinement effectif de la paix et de la stabilité en Côte d'Ivoire. La recherche de la justice pour les victimes doit jouer un rôle central dans tous les futurs sommets sur la paix, négociations et autres efforts de la communauté internationale pour mettre un terme au conflit.