L'Annulation des Elections de 1993 et le Coup d'Etat de Novembre 1993 Des élections présidentielles ont eu lieu au Nigéria le 12 juin 1993, suite à un "programme de transition" prolongé visant à rendre le pouvoir aux civils après des années de gouvernement militaire. Officiellement promulguée par le dirigeant militaire, le Général Ibrahim Babangida, en 1987, la transition a été prolongée à maintes reprises et la date des élections présidentielles auquel devait aboutir le programme a été reportée maintes fois. Les conditions d'organisation des élections ont également été modifiées, de façon à ce que finalement seuls deux partis politiques fondés par le gouvernement soient autorisés à y participer: le Parti Social Démocrate de "centre gauche" dirigé par Moshood K.O. Abiola, un Musulman du sud-ouest du pays, et la Convention Nationale Républicaine de "centre droit" dirigée par Bashir Othman Tofa, originaire du nord du pays. Très vite, les résultats ont indiqué que le Chef Abiola avait remporté les élections présidentielles et jouissait d'un solide soutien dans toutes les régions du pays; les résultats non officiels ont plus tard montré qu'il avait remporté 58,4 pour cent des quatorze millions de voix environ, contre 41,6 pour cent pour Alhaji Tofa. Cependant, avant l'annonce des résultats définitifs par la Commission Electorale Nationale (NEC), Radio Nigéria, contrôlée par le gouvernement, annonçait la suspension de toute autre précision concernant les résultats en raison des "développements et des actions en cours dans les tribunaux" - notamment un procès en vue de l'annulation des élections entamé le 10 juin par l'Association pour un Nigéria Meilleur, laquelle avait déjà demandé précédemment que Babangida reste au pouvoir quatre années supplémentaires. Une série complexe d'autres procès et contre-procès concernant les élections ont alors été intentés par des groupes pro-militaires ou anti-militaires dans différents tribunaux à travers tout le pays, aboutissant à un ensemble d'injonctions contraires ordonnant ou interdisant l'annonce de résultats complémentaires. Le 23 juin, le gouvernement fédéral annonçait que les élections étaient annulées et la NEC suspendue. Le 26 juin, le Gén. Babangida justifiait l'annulation dans un message télévisé à la nation, citant la confusion qui régnait parmi les décisions de justice ainsi que les fraudes électorales, mais il déclarait que l'armée s'engageait toujours à quitter le pouvoir le 27 août, date fixée par le programme de transition pour le transfert du pouvoir. Plus tard, il annonçait que de nouvelles élections seraient organisées le 14 août sous le contrôle d'une NEC reconstituée. L'annulation a soulevé des protestations dans tout le pays. Des mesures de répression ont alors été prises à l'encontre des protestataires (1). Le 26 juillet 1993, annonce était faite qu'un "gouvernement national intérimaire" allait être installé, avec pour mandat d'organiser de nouvelles élections présidentielles. Le 27 août, le Gén. Babangida cédait officiellement le pouvoir à Ernest Shonekan, un civil. Le Gén. Sani Abacha était nommé vice-président et le véritable contrôle du gouvernement restait en fait dans les mains de l'armée. Le mécontentement populaire, traduit notamment en grèves nationales, a continué, en dépit de mesures telles que l'interdiction d'un bon nombre de périodiques. Le 10 novembre, au cours d'un jugement mémorable, la Haute Cour de Lagos déclarait illégal le gouvernement intérimaire. Le 17 novembre 1993, Shonekan était destitué par le Gén. Abacha qui devenait alors chef de l'Etat. Un Conseil de Gouvernement Provisoire (PRC - Provisional Ruling Council) remplaçait le Conseil de Gouvernement des Forces Armées (AFRC - Armed Forces Ruling Council; connu sous le nom de Conseil National de Sécurité et de Défense à partir de janvier 1993). Un nouveau Conseil Exécutif Fédéral (FEC - Federal Executive Council), comprenant des hommes politiques civils dociles, était nommé pour assister le PRC. Tout en promettant un retour rapide à la démocratie, Abacha interdisait tous les partis politiques (y compris les deux partis "approuvés" qui avaient contesté les élections); il démantelait les structures démocratiques déjà existantes, notamment les corps législatifs nationaux et fédéraux (élus en 1990 et 1992 respectivement) et remplaçait les gouverneurs d'Etat civils par des administrateurs militaires. (2) Essayant d'affaiblir la position légale du Chef Abiola, le Décret (de Validation) relatif au Gouvernement National Intérimaire annulait la décision de la Haute Cour du 10 novembre selon laquelle le gouvernement Shonekan était illégal. Le Décret 107 de 1993 sur la Suspension et Modification de la Constitution rétablissait la constitution de 1979 tout en suspendant l'application des articles de la constitution qui accordaient une protection aux détenus et en empêchant les tribunaux de statuer sur la validité des décrets militaires. L'opposition au nouveau gouvernement militaire et les appels à la restauration des résultats des élections du 12 juin ont continué. Mai 1994 voyait la formation d'un nouveau groupe en faveur de la démocratie, la Coalition Nationale Démocratique (NADECO - National Democratic Coalition) qui publiait une "Déclaration de Lagos" demandant que les militaires quittent la scène politique dans un délai de deux semaines, qu'Abiola soit déclaré président et forme un gouvernement d'union nationale, et que le nouveau gouvernement convoque enfin la "conférence nationale souveraine" prônée depuis si longtemps afin de déterminer le modèle futur de la fédération nigériane. Peu après, les membres de la Chambre des Représentants et du Sénat, les deux chambres de l'Assemblée Nationale qui avaient été dissoutes, se réunissaient à nouveau et déclaraient illégal le gouvernement Abacha. Le 11 juin 1994, le Chef Abiola se déclarait président lors d'un rassemblement public à Lagos. Un certain nombre de dirigeants de la NADECO et de l'Assemblée Nationale étaient arrêtés et le 23 juin, Abiola lui-même était arrêté dans sa résidence à Lagos, après avoir pris la parole à un autre rassemblement. Les grèves nationales réclamant la restauration du "12 juin" et la libération d'Abiola et conduites par l'Union nationale des travailleurs de l'industrie du pétrole et du gaz naturel (NUPENG) et l'Association des cadres supérieurs de l'industrie du pétrole et du gaz naturel (PENGASSAN) allaient paralyser le pays. La répression s'est alors abattue sur les personnes impliquées dans les manifestations, causant la mort de plusieurs centaines de personnes et l'arrestation de beaucoup d'autres. Frank Ovie Kokori, secrétaire général de la NUPENG, et Abiola lui-même sont toujours emprisonnés depuis 1994. La Conférence Constitutionnelle Nationale Tandis que les protestations continuaient, Abacha prenait des mesures pour mettre en oeuvre son propre "programme de transition". En janvier 1994, faisant écho des appels lancés de longue date par les militants de la cause démocratique pour la convocation d'une conférence nationale souveraine, le gouvernement annonçait qu'une Conférence Constitutionnelle Nationale (NCC - National Constitutional Conference) serait appelée à discuter et rédiger une nouvelle constitution et à préparer la voie pour la tenue d'élections. Mais contrairement à l'instance demandée par le mouvement démocratique, la NCC n'allait avoir qu'un statut consultatif et ses membres n'allaient pas tous être élus. De plus, les candidats aux différents postes allaient être examinés sous tous les angles avant d'être autorisés à poser leur candidature. Les élections organisées en mai 1994 en vertu du Décret No. 3 de 1994 relatif à la Conférence Constitutionnelle allaient être largement boycottées; seuls 300.000 votes auraient été enregistrés dans tout le pays. La conférence constitutionnelle s'est réunie le 27 juin 1994. Parmi ses 369 membres, 273 avaient été élus et quatre-vingt seize nommés par le PRC. Le président et vice-président, exerçant un contrôle sur le processus, ont été nommés par le chef de l'Etat. La règle relative au vote des décisions de la conférence prévoyait une majorité simple: en d'autres termes, les décisions pouvaient être prises par les quatre-vingt seize membres nommés avec le soutien de vingt-sept élus. Par ailleurs, les décisions prises par la conférence n'avaient absolument pas force obligatoire pour le PRC, lequel pouvait amender toute recommandation, déterminant ainsi la forme finale des projets de constitution et de programme de transition. Chose étonnante, en décembre 1994, la conférence constitutionnelle recommandait au gouvernement de rendre le pouvoir à un gouvernement civil élu avant le 1 janvier 1996. Cette recommandation allait cependant être annulée par la conférence en avril 1995 - après l'arrestation de l'instigateur de la date du 1 janvier 1996, le Gén. de division (en retraite) Shehu Musa Yar'Adua, accusé de tentative de coup d'Etat - sous prétexte que la date antérieure n'était "plus possible." (3) La conférence allait préparer un rapport et un projet de constitution qui allait être présenté au Général Abacha le 27 juin 1995. Dans son discours acceptant le projet, Abacha déclarait que le projet de constitution serait mis à l'étude et approuvé par le PRC dans les trois mois. En même temps, il annonçait la levée partielle de l'interdiction des activités politiques, tout en conseillant aux hommes politiques "de se garder de faire des déclarations imprudentes et provocantes, de participer à des rassemblements et des campagnes politiques avant la publication par la Commission Electorale Nationale d'un agenda électoral complet." (4) Le projet de constitution n'a jamais été publié. Ni les journalistes ni les juristes n'ont pu voir ni commenter l'ensemble du document, même si certaines parties allaient être connues. Par exemple, le projet de constitution propose un roulement au niveau des différents postes entre personnes des différentes régions, de façon à ce que la présidence soit occupée à tour de rôle par des représentants du nord et du sud du pays, que les gouverneurs proviennent des différents districts d'un Etat, et ainsi de suite. Human Rights Watch/Africa a obtenu une copie d'un article du projet de constitution relatif au système judiciaire qui perpétue bon nombre des problèmes de la constitution de 1979, prévoyant par exemple que ce soit le président ou le gouverneur d'un Etat qui nomme les juges plutôt qu'une instance indépendante. Le Programme de Transition d'Abacha Le 1 octobre 1995, le Général Sani Abacha s'adressait à la nation à la télévision nigériane à l'occasion du trente-cinquième anniversaire de l'indépendance du Nigéria. Dans son discours, il faisait part d'un calendrier pour le rétablissement d'un régime civil. (5) Le programme de transition exposé dans ce discours envisage le retour progressif au pouvoir d'un gouvernement élu, avec des élections au niveau local et des Etats, avant des élections présidentielles nationales prévues pour le troisième trimestre de 1998. La prestation de serment du nouveau président élu et le "désengagement final" des militaires sont prévus pour le 1 octobre 1998. La création d'un certain nombre d'organes chargés de surveiller le processus de transition a également été annoncée: une nouvelle Commission Electorale Nationale (NECON - National Electoral Commission) allait remplacer l'autre Commission Electorale Nationale (NEC) qui avait présidé les élections de 1993 lors du programme de transition de Babangida; une Federal Character Commission allait examiner les "déséquilibres qui ont désavantagé certains secteurs de notre population", élaborant une formule équitable pour le partage des postes aux niveaux fédéral et des Etats; enfin, un Comité de Mise en Oeuvre de la Transition, un Comité de Réconciliation nationale et un Comité de redécoupage électoral aux niveaux local et des Etats allaient examiner d'autres aspects du programme de transition. En même temps, les arrêtés d'interdiction à l'encontre de deux publications critiques envers le gouvernement, The Punch et The National Concord (publiées par le candidat aux élections présidentielles, M.K.O. Abiola, en détention) allaient être levés. Le calendrier décrit en détail dans le discours, et qui ressemble fort à celui établi pour le programme de transition de Babangida, est le suivant: 1995: 3ème trimestre - d'octobre à décembre Approbation du projet de Constitution; levée de l'interdiction sur les activités politiques, établissement d'une Commission Electorale Nationale du Nigéria (NECON); création du Comité de Mise en Oeuvre de la Transition, du Comité de Réconciliation Nationale et de la Federal Character Commission; désignation d'un comité pour le redécoupage électoral aux niveaux local et des Etats. 1996: 1er trimestre - de janvier à mars Election et investiture des conseils locaux sans partis politiques. 2ème trimestre - d'avril à juin Création de gouvernements locaux et d'Etats; début de l'inscription des partis politiques 3ème trimestre - de juillet à septembre Inscription des partis politiques; présentation des districts électoraux; mise en place de véritables listes élctorales. 4ème trimestre - d'octobre à décembre Election des conseils locaux au niveau des partis; mise sur pied de commissions de supervision des élections locales et organisation d'élections partielles. 1997: 1er trimestre - de janvier à mars Investiture des conseils locaux élus par les partis; renforcement des nouvelles structures des partis politiques. 2ème trimestre - d'avril à juin Elections primaires au niveau des Etats pour désigner les candidats aux élections des assemblées des Etats et aux fonctions de gouverneurs; procédure de sélection et d'approbation des candidats par la NECON. 3ème trimestre - de juillet à septembre Elections pour les assemblées des Etats; mise sur pied de commissions de supervision des élections dans les Etats et organisation d'élections partielles. 4ème trimestre - d'octobre à décembre Election des gouverneurs des Etats; mise sur pied de commissions de supervision des élections au niveau des Etats et organisation d'élections partielles. 1998: 1er trimestre - de janvier à mars Investiture des assemblées des Etats et prestation de serment des gouverneurs des Etats; élections primaires dans les partis pour désigner les candidats aux élections de l'Assemblée nationale; campagnes électorales pour l'Assemblée Nationale. 2ème trimestre - d'avril à juin Elections de l'Assemblée Nationale; mise sur pied de commissions de supervision des élections de l'Assemblée Nationale et organisation d'élections partielles; élections primaires pour désigner les candidats aux élections présidentielles; début de la campagne nationale pour les élections présidentielles. 3ème trimestre - de juillet à septembre Elections présidentielles. 1 octobre 1998 Prestation de serment du nouveau président élu et désengagement final des forces armées. (6) Les membres de la NECON, le Comité de Mise en Oeuvre de la Transition, le Comité de Réconciliation Nationale et le Comité pour le Redécoupage Electoral aux niveaux local et des Etats étaient désignés et prêtaient serment en décembre 1995. En janvier 1996, trois décrets étaient promulgués pour signifier l'entrée en vigueur officielle du programme: le Décret No. 1 de 1996 sur la Transition vers un Régime Civil (Programme Politique), le Décret No. 2 de 1996 sur la Transition vers un Régime Civil (Levée de l'Interdiction de faire de la politique) et le Décret No. 3 de 1996 sur la Commission Electorale Nationale. L'Article 6 du Décret sur la Transition vers un Régime Civil rend passible de cinq ans de prison toute personne qui "organise, planifie, encourage, aide, collabore ou conspire avec toute autre personne en vue de miner, empêcher ou agir de quelque façon que ce soit pour prévenir ou nuire à la réalisation du programme politique"; il en va de même pour toute personne qui "agit ou tente d'agir en vue de recommander, persuader, encourager, organiser, mobiliser, exercer des pressions ou menacer une autre personne pour qu'elle se joigne à elle ou à une ou plusieurs autres personnes en vue de donner une fausse impression, accuser ou déformer les détails, implications ou la teneur de tout article du programme politique." (7) Cet article est suffisamment général pour criminaliser la plupart des activités du mouvement en faveur de la démocratie qui s'efforce d'obtenir le retour plus rapide d'un régime civil. Du 16 au 23 mars, des élections locales ont eu lieu sur tout le territoire nigérian sans aucun parti politique, conformément aux directives de la NECON publiées le 7 février. Le système tortueux de sélection des représentants a été appliqué pour l'élection de trente délégués de chacune des 6.927 sections électorales existant dans les 593 zones. Les délégués ont alors constitué un collège électoral pour choisir dix "super-délégués" et deux conseillers par section, qui à leur tour ont élu les conseillers et les présidents du Conseil. Selon les estimations du président de la NECON, le Chef Summer Dagogo-Jack, 60 pour cent des Nigérians en droit de voter ont participé aux élections, soit vingt-quatre millions, contre 40 pour cent, soit quatorze millions, en 1993: les opposants politiques et les militants de la cause démocratique ont soutenu que ces chiffres étaient largement exagérés. (8) A tous les niveaux des élections locales, les candidats ont été triés sur le volet par la NECON avant d'être autorisés à poser leur candidature. Selon la News Agency of Nigeria (NAN), l'agence de presse officielle nigériane, environ 800 des 2.283 candidats aux postes de président du Conseil dans vingt-deux Etats et dans le territoire de la capitale fédérale ont été jugés inaptes à se présenter lors de la sélection de la NECON, du Service de Sûreté de l'Etat (SSS), des Conseils d'Etats sur le Revenu Interne et l'Agence pour l'Application de la Législation contre la Drogue (NDLEA), soit un taux de refus d'environ 35 pour cent. Dans l'Etat de Lagos, 130 des 185 candidats ont été refusés. (9) Chacun des candidats refusés a perdu son droit d'inscription de 5.000. (10) En outre, le Décret No. 6 de 1996 sur les Elections Locales prévoit en son article 45(1) que le chef de l'Etat "peut suspendre le président ou vice-président d'un gouvernement local de ses fonctions, ou dissoudre un conseil local et nommer un administrateur chargé de gérer les affaires du conseil jusqu'à ce que de nouvelles élections aient lieu." Aucun critère n'a été établi quant aux conditions d'annulation de ces élections. Les élections au niveau des sections électorales ont eu lieu en recourant à un "scrutin ouvert" ou système de file, alors que celles des conseillers et présidents du conseil ont eu lieu selon un "système de scrutin ouvert modifié". Aucune liste électorale n'avait été préparée, ce qui fait qu'il était virtuellement impossible de vérifier les résultats du scrutin. Selon les informations fournies par la NAN, une grande confusion administrative régnait au premier jour du scrutin, (11) tandis que la violence gâchait les élections dans certaines régions: à Kaduna, quatre personnes ont été tuées au cours d'affrontements qui avaient éclaté dans des bureaux de vote. (12) Les militants de la cause démocratique qui s'étaient opposés au scrutin ont été victimes de harcèlements: la maison du président emprisonné de la Campagne pour la Démocratie (CD), le Dr. Beko Ransome-Kuti, a été pillée par des membres du SSS le 14 mars; le bureau voisin de la CD a été saccagé et le président de l'Etat de Lagos, Muyiwa Idwu, ainsi qu'un membre de la CD, Osagie Obayuwana, ont été arrêtés et incarcérés pendant plusieurs jours. Human Rights Watch a été directement informée de plusieurs cas d'exclusion de candidats considérés par le gouvernement comme étant politiquement suspects. Par exemple, en pays ogoni, un étudiant militant du MOSOP, Mmue Kpagane, aurait essayé de poser sa candidature au poste de président du conseil local dans la localité de Tai-Eleme. Après avoir rempli les formulaires nécessaires, il a été convoqué pour une entrevue par le Comité spécial chargé des affaires de sûreté, entrevue à laquelle il ne s'est pas présenté. Lors d'une visite effectuée au bureau de police de Bori pour d'autres raisons, il a été pris à partie et a reçu des coups de poings et des coups de crosse. Ayant été frappé à la tête, il a perdu connaissance et a dû être transporté à l'hôpital par sa famille. (13) Dans la zone électorale d'Ekeremor située en territoire Ijaw dans l'Etat de Rivers, le délégué au "premier niveau" d'une communauté a expliqué à Human Rights Watch qu'il s'était rendu à Ekeremor pour élire les délégués du deuxième niveau. En arrivant à l'endroit prévu où les délégués devaient se mettre en file derrière leur candidat favori, il a constaté que la Police Mobile avait été déployée et s'est entendu dire, tout comme d'autres délégués, que le poste de président avait déjà été choisi et qu'ils pouvaient rentrer chez eux. (14) Directives pour l'Inscription des Partis Politiques Le 17 juin 1996, des directives ont été annoncées par la NECON pour la formation des partis politiques. L'une des dispositions marquantes de ces directives est que les partis voulant s'inscrire doivent avoir au moins 40.000 membres (possédant une carte du parti) dans chacun des trente Etats de la fédération et 15.000 dans le Territoire de la Capitale Fédérale, Abuja (soit un total de 1.215.000 personnes pour chaque parti, chiffre extraordinaire et presque sans aucun doute impossible à atteindre), ils doivent produire une liste de tous leurs membres reprenant leur nom, leur âge et leur lieu de résidence, et ils doivent émettre des cartes de membre individuelles avec photo. Les partis doivent prouver qu'ils sont organisés dans au moins deux tiers des gouvernements locaux de chaque Etat, et ils doivent "accepter le principe du partage de pouvoir et de la rotation des fonctions politiques, comme stipulé au Chapitre VI de la Constitution de la République Fédérale du Nigéria 1995". Chaque parti doit déposer une somme non remboursable de 500.000 auprès de la NECON, ainsi qu'une brève présentation du parti et dix copies de ses statuts et de son manifeste. (15) Les coûts que chaque parti doit assumer pour remplir ces conditions - y compris les frais de bureau et le paiment de personnel administatif plein temps au niveau local et de l'Etat, ainsi que l'octroi d'une carte de membre à chaque membre - sont estimés à 480 millions de . (16) Pendant la période de transition avortée sous le régime du Président Ibrahim Babangida, des directives analogues avaient amené la Commission Electorale Nationale à constater qu'aucun parti ne remplissait les conditions, ce qui avait finalement abouti à la création par le chef de l'Etat de deux partis seulement pour concourir aux élections de 1993 (elles-mêmes annulées). D'aucuns soupçonnent que le même processus est en cours avec la transition actuelle organisée par le Général Abacha. (17) Vingt-trois partis politiques s'étaient procuré les formulaires d'inscription avant l'échéance du 26 juin; dix-huit avaient remis leurs formulaires complétés avant l'échéance suivante du 25 juillet, tous se plaignant de n'avoir pu réunir toutes les conditions, surtout celle relative au nombre de membres (si les dix-huit formations avaient réuni le nombre de membres requis par les directives, un total de 21.870.000 personnes auraient dû avoir payé leur cotisation de membre, soit sept millions de plus que le nombre d'électeurs aux élections de 1993). La date limite pour que les partis soient inscrits par la NECON avait été fixée à l'origine au 29 août 1996. Mais déjà à ce stade, il y a eu un dérapage dans le calendrier de transition. Le 15 août, la NECON a prolongé l'inscription des partis politiques d'un mois, jusqu'à la fin septembre, tout en refusant de reconnaître que cette prolongation posait des problèmes pour le reste du calendrier de transition. (18) Le Comité pour la Création d'Etats et le redécoupage électoral au niveau local n'a remis son rapport au président qu'au cours de la deuxième semaine de juillet 1996, six semaines après la date à laquelle il était censé le faire. Les recommandations du comité n'ont pas encore été publiées. (19) La Commission des Droits de l'Homme Au moment où le programme de transition était annoncé, le gouvernement nigérian établissait une Commission Nationale des Droits de l'Homme en vertu du Décret No. 22 de 1995, "afin de faciliter la mise en oeuvre par le Nigéria de ses diverses obligations conventionnelles, notamment, mais pas exclusivement, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, la Convention Internationale sur l'Elimination de Toutes les Formes de Discrimination Raciale, et la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples." (20) La commission a pour mandat de "gérer toutes les questions relatives à la protection des droits de l'homme tels qu'ils sont garantis par la Constitution de la République Fédérale du Nigéria 1979 et ses amendements, la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, la Charte des Nations Unies et la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et autres Traités internationaux relatifs aux droits de l'homme dont le Nigéria est signataire"; "contrôler et enquêter sur toutes les dénonciations de cas de violations des droits de l'homme au Nigéria et faire les recommandations qui s'imposent au Gouvernement Fédéral Militaire en vue d'entamer les poursuites judiciaires et autres actions qui semblent indiquées selon la circonstance"; et "assister les victimes de violations des droits de l'homme, demander réparation et interjeter appel en leur nom." (21) La commission est présidée par l'ancien chef de la justice, P.K. Nwokedi, et compte en ses rangs des fonctionnaires des ministères de la justice, de l'intérieur et des affaires étrangères, ainsi que des journalistes et des juristes. (22) Un des membres de la commission est le professeur de droit Tom Badey, fils d'Albert Badey, l'une des quatre personnalités ogoni tuées le 21 mai 1994, meurtres pour lesquels Ken Saro-Wiwa et huit autres avaient été exécutés en novembre 1995. Le Décret No. 22 stipule que trois membres de la commission "représenteront les organisations des droits de l'homme officiellement reconnues au Nigéria": en annonçant les membres de la commission, le gouvernement a indiqué que l'un d'eux, Kunle Fadipe, était membre d'une importante organisation des droits de l'homme, la Civil Liberties Organisation (CLO - Organisation pour les Libertés Civiles). La CLO a indiqué ne pas avoir du tout connaissance que M. Fadipe était l'un de ses membres et a déclaré qu'on ne lui avait jamais demandé de participer à la commission ou au processus de nomination des membres. La Commission des Droits de l'Homme a été officiellement investie de ses fonctions le 17 juin 1996 à Abuja. Elle ne dispose pas encore de bureaux et n'est pas encore fonctionnelle. 1. Africa Watch (maintenant Human Rights Watch/Africa), "Threats to a New Democracy: Human Rights Concerns at Election Time," A Human Rights Watch Short Report, vol. 5, no. 9, juin 1993; Africa Watch "Democracy Derailed: Hundreds Arrested and Press Muzzled in Aftermath of Election Annulment," A Human Rights Watch Short Report, vol. 5, no. 11, août 1993. 2. Human Rights Watch/Africa, "'The Dawn of a New Dark Age': Human Rights Abuses Rampant as Nigerian Military Declares Absolute Power," A Human Rights Watch Short Report, vol. 6, no.8, octobre 1994. 3. "Conference decides date set for handover to civil rule 'no longer feasible,'" tiré d'un reportage réalisé par la télévision nigériane le 25 avril 1995 et diffusé dans BBC Summary of World Broadcasts (SWB) AL/2288 A/9 le 27 avril 1995. 4. "Abacha addresses nation on draft constitution, lifting of ban on political activities," tiré d'une émission en direct de la télévision nigériane en date du 27 juin 1995 et diffusé dans SWB AL/2342 A/10 le 29 juin 1995. 5. "Abacha commutes plotters' sentences, sets out political timetable," tiré du discours télévisé retransmis à la télévision nigériane le 1 octobre 1995 et diffusé dans SWB AL/2423 A/1 le 2 octobre 1995. 6. Décret No. 1 de 1996 sur la Transition vers un Régime Civil (Programme Politique), Programme en quatre parties. 7. Ibid., article 6(a) et (b). 8. "Nigeria completes first step on road to democracy," Reuters, 25 mars 1996. 9. "Chairmanship race: 800 dumped in 22 states, Abuja," Reuters, 15 mars 1996. 10. "NECON makes 1.4 million from deposits survey," Reuters, 15 mars 1996. Le taux de change est d'environ quatre-vingts à quatre-vingt trois naira () pour un dollar US. 11. "The local government elections: News from around the country," Reuters, 18 mars 1996. 12. Reuters, 17 mars 1996; témoignages recueillis par Human Rights Watch/Africa, Kaduna, 1 juillet 1996. 13. Témoignages recueillis par Human Rights Watch, Port Harcourt, 19 juin 1996. 14. Témoignage recueilli par Human Rights Watch/Africa, Etat de Rivers, 21 juin 1996. 15. NECON, Directives pour la Formation et l'Inscription des Partis politiques (Abuja: NECON, 17 juin 1996). 16. Yusuph Olaniyonu, "New registration guidelines an old script," The Week (Lagos), 1 juillet 1996. 17. Ibid. 18. Le même jour, vingt-sept des trente administrateurs militaires des Etats étaient démis de leurs fonctions et remplacés et les trois autres restants se voyaient transférés dans de nouveaux Etats. Reuters, 15 août 1996. 19. Wale Oladepo, "Ball in Abacha's Court," Newswatch (Lagos), 15 juillet 1996. 20. Deuxième paragraphe du préambule, Décret No. 22 de 1995 relatif à la Commission Nationale des Droits de l'Homme, 27 septembre 1995. 21. Ibid., article 5(a), (b) et (c). 22. La liste complète des membres est la suivante: Juge P.K. Nwokedi (président); Mohammed Tabih, procureur général de
l'Etat de Jigawa (secrétaire exécutif); Buhari Bello, du Ministère de la Justice; H.O. Suliman, du Ministère des Affaires
Etrangères; Mohammed Bal, du Ministère de l'Intérieur; le Prof. U. Oji Umozurike, professeur de droit à l'Université de
Calabar et membre de la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples; Tom Badey, juriste; Kunle Fadipe,
juriste; Ray Ekpu, éditeur du magazine Newswatch; Garoba Shehu, président de l'Association nigériane des Rédacteurs;
Adamu Augie, homme d'affaires et ancien sénateur; Ibrahim Sada, président de Kano, Réseau pour la Justice; A.D. Sodangi,
juriste; V.J.O. Azinge, juriste; Fatima Kwaku; et Obafemi Adewale, juriste.
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