<<précédente | index | suivant>> III. Poursuivre les crimes les plus gravesTel quil est conçu, cependant, le programme a manqué dambition dès sa phase de conception. Sa mise en place semble liée davantage à la nécessité de faire face à la petite délinquance qui contrariait les efforts de pacification de lIturi par la MONUC quà la lutte contre limpunité en soi. La possibilité de poursuivre les auteurs des crimes graves commis durant le conflit en Ituri a été expressément écartée. Le gouvernement congolais na doté le procureur de Bunia daucun mandat se rapportant spécifiquement à la poursuite des crimes de guerre et des crimes contre lhumanité commis en Ituri. Le ministre de la Justice a récemment déclaré que la répression des crimes graves qui continuent à être commis en Ituri demeure une de ses priorités.14 Il pourrait en faire la démonstration de diverses manières, notamment en accélérant la procédure dadoption du projet de loi de mise en uvre du statut de la Cour Pénale Internationale ou en utilisant son pouvoir dinjonction pour attirer lattention du procureur de Bunia sur la nécessité dinitier des poursuites pour des crimes graves dans certains cas quil aura déterminés comme présentant un intérêt particulier.15 Cela représenterait une avancée significative par rapport aux six premiers mois au cours desquels le programme nétait pas soutenu par une politique du gouvernement congolais visant la poursuite des auteurs des crimes graves commis pendant le conflit en Ituri. Le projet de loi de mise en uvre du statut de la Cour pénale internationale a lavantage de définir et introduire dans le droit congolais les crimes de guerre et les crimes contre lhumanité.16 Une telle loi aurait permis au procureur de Bunia de poursuivre Matthieu Ngunjolo pour le crime contre lhumanité de disparition forcée17 pour lequel le tribunal naurait pas exigé la preuve de la mort de la victime comme il la fait dans la décision du 3 juin 2004. Mais même en labsence dune loi de mise en uvre du statut de Rome le procureur de Bunia nest pas dépourvu de tout outil légal pour lutter contre limpunité des crimes graves en Ituri. Dabord, la plupart de ces crimes sont qualifiables des infractions existantes dans le droit pénal en vigueur. Ensuite, les juges peuvent de toutes les façons appliquer directement le statut de Rome puisquil fait désormais partie du droit interne congolais en vertu de la constitution de transition.18 Une quinzaine de responsables importants de groupes armés font actuellement lobjet darrestation. Mais ils ne sont ni arrêtés ni poursuivis pour les atrocités que la population les a vu commettre, ordonner ou approuver. La MONUC na pas transmis au procureur des informations quelle détient sur les crimes graves impliquant ces personnes, dont elle avait arrêté certains avant larrivée des nouveaux magistrats.19 Ces personnes ont ainsi été poursuivies pour des infractions moins graves, dont elles ont souvent été acquittées ou condamnées à des peines qui ont pu conduire la population locale à douter du sérieux de la nouvelle justice à Bunia. Ainsi, le 3 juin 2004 le tribunal de grande instance de Bunia na pu condamner Prince Mugabo Taganda à 48 mois de prison que pour « vol simple » dune chaîne stéréo alors que cet important dirigeant de groupe armé était « commandant des opérations de lUPC à Bunia » pendant toute ou une partie de la période daoût 2002 au 6 juin 2003.20 Condamner cette personne pour vol dune chaîne stéréo alors que sous son commandement à Bunia lUPC a notoirement dirigé contre les Lendu et dautres groupes une attaque systématique faite de tortures, darrestations arbitraires, dexécutions sommaires et de disparitions forcées21 ne paraît par répondre au besoin de justice dune population traumatisée par des années de conflits sanglants. Dès la conception du programme loption a été prise de focaliser lattention de la répression criminelle aux seules infractions relevant de la petite délinquance, à lexclusion des crimes graves à caractère international. Cette option devient intenable. La justice en Ituri mine sa propre crédibilité et risque sa légitimité en condamnant pour le vol dun appareil musical une personne qui a notoirement supervisé des chambres de torture et présidé à lexécution sommaire et à la disparition forcée des dizaines de victimes. [14] Entretien téléphonique conduit par Human Rights Watch, 2 juillet 2004. [15] La loi congolaise donne au ministre de la Justice le pouvoir de donner « injonction » au Procureur général de la République pour quune instruction soit initiée et des poursuites exercées pour des crimes déterminés, devant toute juridiction (article 12 du Code de lorganisation et de la compétence judiciaires). Le pouvoir dinjonction est généralement exercé par le ministre de la Justice pour refléter et appliquer la politique pénale du gouvernement. Il a parfois été utilisé négativement, par exemple lorsque sous les régimes précédents les ministres de la Justice ont donné injonction et encouragement aux procureurs de poursuivre des journalistes ou des dirigeants dopposition. Le ministre de la Justice a indiqué à Human Rights Watch quil a lintention dexercer ce pouvoir de manière plus positive pour traduire une politique gouvernementale de fermeté contre limpunité en Ituri. Human Rights Watch pense que ce pouvoir devrait être utilisé de manière à ne pas enfreindre sur les droits des accusés ni porter atteinte à la présomption dinnocence et à dautres principes importants pour un processus pénal équitable. [16] Ce projet de loi, préparé par la Commission permanente de réforme du droit congolais en 2002, a été remis au ministre de la Justice en avril 2003. Il doit être approuvé en Conseil des ministres avant son adoption au parlement, mais il semble que cette étape nait pas encore été entamée. [17] Larticle 17 du projet de loi introduit dans le code pénal congolais un article 222 dont le paragraphe 7 définit le crime contre lhumanité de disparition forcée. [18] Le ministre de la Justice a suggéré que largument de linsuffisance de la législation pénale pourrait être utilisé par les magistrats comme un prétexte pour cacher la peur de sattaquer aux grands criminels de guerre en Ituri. (Entretien téléphonique conduit par Human Rights Watch, 2 juillet 2004) Human Rights Watch pense que ladoption de ce projet de loi est néanmoins toujours nécessaire compte tenu de son importance pour la coopération entre la CPI et les autorités judiciaires congolaises, et compte tenu du fait quelle prévoit des procédures pratiques et des dispositions, telles que celles relatives aux peines, qui ne sont pas contenues dans le Statut de Rome. [19] Depuis le début de lannée 2003 la MONUC a conduit plusieurs missions denquête qui lui ont permis de collecter des quantités dinformation sur les crimes graves commis lors des massacres en Ituri et sur leurs auteurs. Voir notamment, « La MONUC enquête sur les violations des droits de l'Homme en Ituri », Agence France-Presse (AFP), Kinshasa, 10 janvier 2003. [20] Prince Mugabo a lui-même reconnu cette qualité au cours dune audience du Tribunal de grande instance de Bunia en avril 2004. [21] Human Rights Watch, Ituri : Couvert de sang. Violence ciblée sur certaines ethnies dans le Nord-Est de la RDC, juillet 2003, p. 29.
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