<< précédente | index | suivant>> Conséquences humanitaires au Tchad des violences transfrontalières
Des dizaines de milliers de déplacés au sud de AdréLa conséquence principale et la plus immédiate de linsécurité permanente du côté tchadien de la frontière a été le déplacement de civils tchadiens. La position du gouvernement tchadien est que les personnes déplacées devraient être absorbées et aidées par les villages voisins jusquà ce quelles puissent retourner dans leurs foyers.55 Trois concentrations importantes de personnes déplacées à lintérieur du pays se trouvent dans la région au sud de Adré : à Goungour (entre Adré et Adé), Borota (au sud de Goungour) et Koloy (au sud-est de Adé). Human Rights Watch sest entretenu avec des personnes déplacées Dajo et Masalit dans ces trois zones.
Une organisation humanitaire opérant dans lest du Tchad évalue le nombre total de personnes déplacées à lintérieur du pays dans la région au sud de Adré à 30 000, dont 10 000 qui se sont réfugiées à Goungour. Les personnes déplacées à Goungour se sont plaintes de la précarité des approvisionnements en nourriture et de graves problèmes daccès à de leau propre.
A Borota, les personnes déplacées à lintérieur du pays sont regroupées dans trois zones : le centre de Borota, Koule et Kiranga. Selon une organisation daide humanitaire, 8000 personnes déplacées vivent actuellement aux alentours de Borota, où la population totale est de 47 000 personnes. Les listes locales denregistrement examinées par Human Rights Watch ont montré que la population du centre de Borota avait augmenté de 50 pour cent depuis le début du mois de décembre, avec 3400 personnes déplacées qui sont venues sajouter à la population de 6850 avant le conflit. Les personnes déplacées à Borota se sont plaintes du manque de nourriture, deau et de soins médicaux. Beaucoup se sont plaintes de souffrir du froid pendant la nuit à cause du manque de couvertures et en conséquence certaines personnes souffrent de problèmes respiratoires.
Koloy, avec une population de 1904 personnes antérieurement au conflit, est devenu un site où sont venu se réfugier 10 000 à 12 000 personnes déplacées, Dajo pour la plupart, depuis vingt-six villages frontaliers. La grande majorité de ces personnes déplacées est arrivée en 2005 en trois vagues distinctes : une en juin, une autre en septembre et une troisième en décembre, cette dernière étant de loin la plus importante. Koloy était considéré comme à labri des attaques et une source potentielle daide humanitaire.56
Les dernières récoltes dans lest du Tchad ont été à tous points de vue remarquables, 50 pour cent plus importantes que les trois années précédentes (bien que des résultats médiocres aient été signalés dans certaines zones). Malgré cela, les personnes déplacées à lintérieur du pays peuvent manger seulement la nourriture quelles sont capables de transporter, soit elles-mêmes soit à laide danimaux de trait. Beaucoup de personnes interrogées ont raconté quelles avaient été attaquées quand elles retournaient dans leurs villages pour chercher de la nourriture quelles avaient entreposée chez elles ou laissée dans leurs champs et leurs jardins. Après avoir passé vingt jours à Koloy avec ses trois enfants et ses réserves de nourriture sépuisant, une femme Dajo de cinquante ans raconte comment elle est retournée à son village à la frontière près de Koumou le 19 janvier 2006, pour récupérer de la nourriture.
Je voulais ramasser des tomates dans mon jardin et des poivrons, et jétais en train de les ramasser quand jai vu cinq hommes, qui portaient tous des uniformes de larmée et des turbans, avec les visages cachés. Ils ont dit : Va-t-en. Laisse ces légumes. Tu es venue de loin ; ce ne sont pas tes légumes. Jai dit : Jai faim ; je suis venue les chercher. Ils mont battue avec des briques. Je me suis enfuie et je me suis cachée dans un manguier mais ils mont suivie et ils mont encore battue. Puis ils ont laissé leurs chevaux et leurs chameaux manger mes légumes.57
La sécurité alimentaire pourrait devenir un problème si les personnes déplacées à lintérieur du pays continuent à se voir refuser laccès à la nourriture entreposée dans leurs villages ; en tout état de cause, la nourriture pourrait bien devenir un problème pour ces personnes pendant lhabituel fossé de la faim avant la prochaine récolte, en août. Le problème le plus immédiat cependant, cest leau : un seul puits fonctionnait à Borota, et certains villageois qui en sont venus à boire des eaux de surface ont été atteints de diarrhée sanglante. Lors de la visite de Human Rights Watch, le seul puits de Koloy était presque complètement sec, et seules de petites quantités deau boueuse pouvaient en être tirées. Des personnes qui avaient tiré de leau de surface du lit de la rivière à sec étaient également atteintes de diarrhée.
Impact de linsécurité sur laide humanitaireLa plupart des organisations non gouvernementales locales et internationales ont suspendu leurs activités entre Adré et Modoyna après lattaque du 18 décembre 2005 contre Adré. Du fait de linsécurité, il ny a pas eu de surveillance de la frontière Tchad-Soudan par le personnel du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies (UNHCR) depuis le mois doctobre, mais une mission de contrôle serait programmée pour le mois de février 2006.58
Linsécurité sinstalle aussi le long de la frontière au nord de Adré, qui était jusquà récemment une zone relativement sûre pour les organisations humanitaires (cette zone se trouve au nord de la région où Human Rights Watch a enquêté). Plusieurs véhicules humanitaires ont été volés sous la menace dune arme à feu en janvier 2006. Le 20 janvier, le préfet du département de Dar Tama, un officier de liaison de la sécurité du UNHCR avec qui il avait rendez-vous et deux officiers de larmée tchadienne qui les accompagnaient ont été brièvement kidnappés à Guéréda par plusieurs hommes armés.59 Les responsables de laide humanitaire ont réagi en réduisant de 20 pour cent leurs effectifs dans la région : quatre-vingt-dix personnes des Nations Unies et dautres organisations humanitaires ont été évacuées de Guéréda et quatre-vingt autres de la localité voisine de Iriba.60
Dans léventualité dun engagement militaire majeur entre les forces militaires tchadiennes et lun des groupes rebelles déployés contre elles, les opérations humanitaires internationales dans lest du Tchad pourraient être gravement entravées, aboutissant à une interruption potentiellement massive de lapport de laide à des centaines de milliers de réfugiés et de civils tchadiens dans la région.
[55] Cependant, un comité pour les personnes déplacées composé de responsables tchadiens, de lUNHCR, de Médecins sans Frontières (MSF), de OXFAM et du Comité International de la Croix Rouge (CICR) a été mis en place à Abéché pour contrôler la situation des personnes déplacées et agir selon les besoins. [56] Plusieurs organisations humanitaires ont distribué des abris, de la nourriture et des graines à Koloy in 2005. Entretien de Human Rights Watch, Tchad, 25 janvier et 3 février 2006. [57] Entretien de Human Rights Watch, Tchad, 28 janvier 2006. [58] Entretien de Human Rights Watch, Tchad, 31 janvier 2006. [59] Chad : UN scales back in east after local officals, IRIN, 23 janvier 2006, [online] kidnappedhttp://www.irinnews.org/print.asp?ReportID=51293; Entretien de Human Rights Watch, Tchad, 23 janvier 2006. [60] Chad : With insecurity mounting in the east, are Déby's days numbered?, IRIN, 10 février 2006, [online] http://www.irinnews.org/report.asp?ReportID=51646&SelectRegion=West_Africa.
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