(New York, le 15 mars 2006) - Les Tamouls sri-lankais vivant au Canada, au Royaume-Uni et dans d'autres pays occidentaux sont victimes d’intimidation, d’extorsion et même de violence de la part des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE ou Tigres tamouls). Ces derniers se garantissent ainsi un flot d’argent continu pour financer leurs opérations au Sri Lanka et se prémunissent par la violence contre toute critique concernant les violations des droits de l'homme dont ils sont responsables, a déclaré Human Rights Watch dans un nouveau rapport publié aujourd'hui.
Le rapport de 45 pages, « Funding the ‘Final War’: LTTE Intimidation and Extortion in the Tamil Diaspora » (Financer la ‘Guerre Finale’ : intimidation et extorsion de fonds parmi la diaspora tamoule), décrit comment les représentants du LTTE ainsi que ses groupes partisans usent de pressions illégales sur les communautés tamoules vivant en occident afin de sécuriser leur flots de financements. Des membres de la diaspora se sont ainsi vus dire que s’ils ne payaient pas la somme requise, ils ne seraient pas autorisés à rentrer au Sri Lanka afin de rendre visite à leurs familles. D'autres se virent annoncer que l’on s’occuperaient d’elles ou qu’on leur donneraient une leçon s’ils n’obtempéraient pas. Un chef d’entreprise de Toronto a indiqué qu’après avoir refusé de payer plus de 20 000 dollars canadiens, des membres des Tigres tamouls ont menacé sa femme et ses enfants.« Les Tigres tamouls exportent les terreurs de la guerre parmi la communauté tamoule vivant en occident », a précisé Jo Becker, l'auteur du rapport. « De nombreux membres de la diaspora soutiennent activement les Tigres tamouls. Mais la peur est si présente que même les Tamouls qui ne les soutiennent pas pensent toujours qu'ils n'ont d’autre choix que de donner de l'argent ».
Presque un quart de la population tamoule du Sri Lanka a fui le pays au cours des 19 ans de la guerre qui oppose les Tigres tamouls et le gouvernement sri-lankais, débouchant ainsi sur le développement d’une diaspora tamoule forte de 600 000 à 800 000 individus. Presque la moitié de cette diaspora réside au Canada et au Royaume-Uni. D'autres pays occidentaux possèdent une diaspora tamoule sri-lankaise significative, c’est le cas de l’Allemagne, de la Suisse, de la France et de l’Australie. Beaucoup de ses membres ou leurs familles ont été victimes de violations des droits de l'homme de la part du gouvernement sri-lankais dominé par le Sinhala, et soutiennent donc ouvertement les LTTE
Vers la fin 2005, les Tigres tamouls ont lancé une campagne agressive et systématique de recherche de financements au Canada et en Europe, dans le but de forcer les membres et les chefs d’entreprises de la diaspora tamoule à donner de l'argent pour ce qu'ils appellent la « guerre finale » entre les Tigres tamouls et le gouvernement sri-lankais. Cette campagne a coïncidé avec une escalade des attaques du LTTE contre les forces sri-lankaises, mettant en danger le cessez-le-feu qui dure depuis quatre ans au Sri Lanka.
A Toronto, où se trouve la majorité des Tamouls canadiens, il est ainsi monnaie courante que les représentants de LTTE fasse pression sur les familles en leur exigeant des sommes allant de 2 500 à 5 000 dollars canadiens. Certaines entreprises doivent, quant à elles, contribuer jusqu’à 100 000 dollars canadiens. A Londres, il a été demandé à de nombreuses familles de payer 2 000 livres, et, pour les entreprises, le montant varie entre 10 000 et 100 000 livres. Les tamouls de Norvège et de France ont confirmés qu’on avait exigé d’eux des montants identiques.
Les LTTE qui récoltent ces fonds vont jusqu’à suggérer à ceux qui ne peuvent pas payer d’emprunter de l’argent, de payer par carte de crédit ou même de reprendre un emprunt pour leur maison. Un individu, chômeur au moment où les Tigres lui ont demandé une contribution, s’est entendu dire qu’il n’avait qu’à supprimer un repas par jour pour économiser de l’argent et pouvoir le donner ensuite au LTTE.
Les Tigres tamouls cherchent depuis longtemps à contrôler les structures publiques sri-lankaises tamoules dans les pays occidentaux, telles que les media tamouls, les organisations civiques, et les temples hindous. En 2005, le LTTE a gardé prisonnières au Sri Lanka deux familles tamoules britanniques pendant plusieurs semaines jusqu'à ce qu’elles acceptent de céder le contrôle d’un temple à Londres à un groupe affilié au LTTE.
Les journalistes et les militants de la diaspora tamoule qui critiquent ouvertement les Tigres tamouls ou sont considérés comme étant anti-LTTE, font souvent l’objet de graves agressions, de menaces de mort, de campagnes de diffamation, et de fausses accusations criminelles par les Tigres tamouls ou des groupes affiliés à ces derniers.
« Les Tamouls sri-lankais qui vivent en occident n’osent pas parler des abus des Tigres tamouls, de peur de mettre leurs familles et eux-mêmes en danger », a déclaré Becker. « Malgré la taille de la diaspora et son influence potentielle sur les méthodes des LTTE, il est frappant de voir combien leurs menaces, leurs actes d’intimidations, et même leur violence ont étouffé toute velléité de dissidence ».
Les Tigres tamouls identifient aussi les Tamouls installés en occident qui retournent au Sri Lanka pour rendre visite à leurs familles et ils exigent systématiquement une contribution lors de l’arrivée de ces derniers dans un territoire contrôlé par le LTTE au nord du Sri Lanka. Le montant « estimé » est souvent d’un dollar, d’une livre sterling ou d’un euro par jour passé en occident. Ceux qui ont habité à l’étranger pendant des années sont obligés de donner des milliers de dollars et s’ils ne le font pas, on leur dit qu’ils ne pourront pas repartir tant qu’ils n’auront pas payé la somme demandée. Dans certains cas, les LTTE confisquent leurs passeports jusqu'à ce qu’ils aient versé la somme correspondante.
De nombreux Tamouls vivant au Canada ou en Europe craignent pour la sécurité de leurs familles restées au Sri Lanka, et qui vivent dans les territoires sous contrôle du LTTE. Depuis le début du cessez-le-feu en 2002, plus de 200 personnes, principalement des Tamouls, ont été assassinées au Sri Lanka, pour ce qui semble être des raisons politiques. La plupart de ces crimes sont imputés au LTTE. (Voir « Political Killings Escalate » - L’escalade des assassinats politiques)
Human Rights Watch a exhorté les gouvernements canadiens et britanniques de prendre des mesures plus fermes afin de protéger les membres de la diaspora tamoule contre la violence, les intimidations et les manœuvres extorsions dont ils sont victime. Le rapport recommande : la création d’une agence intergouvernementale afin d’enquêter sur les cas d’intimidation et d’extorsion liés aux Tigres tamouls; des campagnes éducatives publiques parmi la communauté tamoule pour informer sur les lois pertinentes et les recours possibles; l’établissement de numéros d’appels d’urgence pour les victimes de menaces ou d’extorsion ; des réunions avec les communautés tamoules pour discuter des problèmes relatifs aux activités du LTTE.
« Il ne s’agit pas seulement de répondre à des actes criminels isolés mais aussi de protéger le droit de vivre paisiblement d’une communauté toute entière », ajoute Becker. « Dans une société multiculturelle, un gouvernement ne peut pas traiter cette question comme un problème spécifiquement tamoul. C’est un problème canadien et un problème britannique ».
Les Tigres tamouls n’ont pas répondu aux demandes écrites de Human Rights Watch concernant ses activités de récolte de fonds dans les pays occidentaux.
Voici des témoignages extraits de « Funding the ‘Final War’: LTTE Intimidation and Extortion in the Tamil Diaspora » ( Financer la « Guerre Finale » : intimidation et extorsion parmi la diaspora tamoule )
« Pendant les quinze dernières années, il y a eu de nombreux incidents comme ceux-là, la plupart contre des gens qui essayaient de critiquer le LTTE... C’est pour cette raison que, régulièrement, des attaques sont organisées pour que la communauté se tienne tranquille».
- V. Loganathan, un Tamoul allemand qui a été agressé physiquement en novembre 2005 après avoir organisé un service commémoratif pour un opposant au LTTE, tué dans le nord du Sri Lanka
« Je disais souvent ce que je pensais, mais maintenant, je fais très attention. Les gens qui disent ce qu’ils pensent deviennent des cibles, leur action n’est ainsi que de très courte durée. Vous commencez quelque chose, vous voulez travaillez pour les droits de l’homme, vous voulez changer les choses, mais votre champ d’action est très limité ».
- Un activiste tamoul à Toronto, Canada
« Les enfants de mon frère sont dans le Vanni [Territoire contrôlé par le LTTE dans le nord du Sri Lanka]. Le LTTE ramasse de l’argent ici et utilise cet argent pour former des enfants à se battre et à mourir pour l’armée des Tigres. Les gens qui récoltent l’argent ici vivent bien et ont de belles voitures. Ils ne semblent pas se soucier des enfants qui sont forcés de se battre et qui meurent ».
- Une femme de Toronto obligée de faire un versement mensuel au LTTE
« Ils vous demandent GPB 2 000. Ils disent, Si tu contribues ici, tu pourras aller au Sri Lanka voir ta famille. On te donnera un numéro d’identification. Ce numéro te permettra de te déplacer librement à Jaffna. Si tu ne fais pas ça, tu auras des problèmes. Si tu ne payes pas ici, tu payeras le double ou le triple quand tu iras au Sri Lanka ».
- Un Tamoul londonien, contacté par les représentants de LTTE en août 2005