Le Tribunal Rwandais avait, au début, fait preuve d'une certaine réticence à l'idée d'inculper Akayesu
de viol. Lorsqu'en 1996, il était mis en examen pour la première fois, les douze chefs d'accusation
n'incluaient pas les violences sexuelles, malgré les nombreuses informations faisant état de viols à
grande échelle, surtout dans sa région, qu'avaient pu recueillir HRW et d'autres groupes de défense
des droits de l'homme. Il semble que cette omission ait été due à la fois à un manque de volonté
politique dans le chef des autorités en charge du tribunal et aux techniques d'enquête défectueuses
mises en oeuvre par les départements du Tribunal Pénal International responsables des enquêtes et
des procédures d'inculpation.
Pendant le génocide rwandais, des milliers de femmes furent violées par des militiens et soldats
hutus membres des anciennes Forces Armées Rwandaises. Des femmes tutsies firent l'objet de viols
individuels et collectifs, de viols commis avec des objets tels que des batons pointus ou des canons
de fusils; d'autres furent maintenues en situation d'esclavage sexuel ou sexuellement mutilées. Ces
crimes étaient généralement commis dans le cadre d'une véritable stratégie et avaient lieu après
qu'elles aient eu à assister à la torture et l'assassinat de leurs proches, et la destruction ou le pillage
de leurs domiciles.
Sous la pression de groupes rwandais et internationaux de défense des droits de l'homme, le Bureau
du procureur décidait finalement, en juin 1997, d'ajouter aux chefs d'accusation déjà établis celui de
violences sexuelles. Lors du procès, des femmes rwandaises ont témoigné et affirmé qu'elles avaient
été soumises à des viols collectifs répétés, commis par des militiens dans et aux alentours de la
mairie, parfois même en présence d'Akayesu. Certaines d'entre elles ont également affirmé avoir
assisté au viol collectif et à l'assassinat d'autres femmes, alors qu'Akayesu était présent, et l'avoir
entendu dire aux violeurs "Ne venez pas vous plaindre maintenant de ne pas savoir quel goût a une
femme tutsie."
Le droit pénal international a toujours contenu des dispositions relatives aux crimes de violences
sexuelles: le viol est un acte qui va à l'encontre des Conventions de Genève de 1949, de la
Convention sur le crime de génocide de 1948; de la Convention contre la torture de 1948, et un crime
contre l'humanité reconnu par la Charte de Nuremberg. Après la seconde guerre mondiale, le
Tribunal Militaire International de Nuremberg stipulait que le viol était un crime contre l'humanité,
mais ne poursuivait pas les individus qui s'en étaient rendus coupables. Le Tribunal Militaire pour
l'Extrême-Orient (Tribunal de Tokyo) condamnait lui des officiers japonais reconnus coupables de
viol.
Malgré ces différents précédents, la notion de viol a pendant longtemps été caractérisée de manière
incorrecte et considérée par les responsables militaires et politiques comme un crime privé, un acte
ignoble commis par quelques rares soldats. Pire encore, le viol a été accepté précisément parce qu'il
s'agissait d'un crime commis relativement couramment. Une série d'attitudes discriminatoires
profondément enracinées ont contribué à ce que les crimes commis à l'encontre de femmes aient été
considérés pendant longtemps comme secondaires ou d'une gravité moindre que d'autres crimes.
Depuis 1990, cependant, les choses ont évolué. Les Tribunaux internationaux pour l'ex-Yougolsavie
et le Rwanda ont inculpé divers individus de viol. Le Tribunal pour l'ex-Yougoslavie a ainsi
poursuivi dans 27 affaires distinctes des personnes dont les chefs d'inculpation incluaient celui de
viol et de violences sexuelles. Des 27 individus inculpés, quinze sont toujours recherchés, six ont
été appréhendés, deux sont morts, trois ont vu le Tribunal abandonner les poursuites les concernant
et un a été condamné pour d'autres crimes. Le Tribunal rwandais a lui poursuivi, dans deux affaires,
des invidus inculpés de violences sexuelles (l'une de ces affaires étant celle d'Akayesu) et a, dans
un autre cas, poursuivi un individu accusé d'avoir recouru à des violences sexuelles afin d'assassiner
plusieurs femmes. En juillet de cette année, le traité établissant un Tribunal Pénal International
permanent était rédigé, le texte reconnaissant nommément les crimes liés à des violences sexuelles
comme faisant partie de ceux que le Tribnal serait habilité à poursuivre.
Human Rights Watch appelle avec insistance le Tribunal rwandais à inculper d'autres individus du
crime de violences sexuelles. Des centaines de milliers de femmes ont été violées pendant le
génocide rwandais de 1994. Le Tribunal doit davantage intégrer cette notion dans ses stratégies
d'enquête et d'inculpation, et améliorer également la qualité des programmes de protection des
témoins, afin de permettre aux femmes concernées de témoigner sans avoir à craindre de représailles.
"La victoire d'aujourd'hui n'a pas été acquise facilement," a déclaré Regan Ralph, "et la tâche qui
attend les tribunaux internationaux est énorme. Des milliers de femmes attendent encore que justice
leur soit rendue."
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