Table des matières || précédent || suivant L'Article six (1) du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques (P.I.R.D.C.P) stipule que: "Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie." L'Article quatre de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples prévoit une protection similaire: "La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l'intégrité physique et morale de sa personne. Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit." Les soldats de l'A.F.D.L. ont, dans le cadre de leurs fonctions, fait preuve d'une tendance à abuser de la force, provoquant ainsi la mort de plusieurs personnes. Il est vrai que la bataille de Kinshasa, que beaucoup craignaient, dans les derniers jours du conflit, n'eut finalement pas lieu. Il est également vrai, d'après de nombreux témoignages récoltés par Human Rights Watch, que l'insécurité générale qui régnait dans les centres urbains sous Mobutu, insécurité due largement à la conduite répréhensible des soldats des FAZ, a fortement diminué depuis l'arrivée de l'A.F.D.L. Il n'en reste pas moins que le 22 mai, une semaine après la chute de Kinshasa, la Croix-Rouge locale trouva 318 corps dans les rues de la capitale. Les victimes, identifiées par les groupes locaux de défense des droits de l'homme, étaient surtout d'anciens soldats de la Division Présidentielle Spéciale et de la Garde Civile, des prisonniers qui s'étaient échappés et quelques civils qu'on avait apparemment pris en flagrant délit de pillage et exécutés sur le champ. Comme nous l'expliquons plus avant dans le texte, la dispersion brutale de manifestants réunis à Uvira, le 26 mai 1997, se conclut par un bilan éloquent: au moins 38 morts et de très nombreux blessés. D'autres personnes perdirent la vie lorsque des soldats, manquant apparemment de formation, utilisèrent leurs armes pour tenter de contrôler des foules. Le trente août, des soldats tirèrent en l'air afin de tenter de contrôler un nombre important d'adolescents réunis à la piscine municipale de N'Sele, à Kinshasa. La panique qu'ils provoquèrent coûta la vie à 24 de ces jeunes. Des soldats
indisciplinés et mal supervisés ont également eu recours
à une violence aveugle, en toute impunité, dans le cadre
d'actions menées en dehors de leur fonctions. Dans la nuit du six
au sept juillet 1997, une patrouille de soldats A.F.D.L. se livra à
des actes de pillage, après avoir passé la soirée
à se saouler. Quinze personnes furent ainsi tuées sans raison.
L'incapacité du gouvernement à payer à temps la solde
des hommes de troupes a contribué à aggraver le problème
de l'indiscipline. Les soldats ne recevant pas leur solde se sont mis à
extorquer des fonds et à recourir à des actes de banditisme.
Dans un communiqué de presse rendu public le quatorze août
1997, l'Association Zaïroise de Défense des Droits de l'Homme
citait douze attaques à main armée commises par des soldats
entre le 29 juillet et le onze août 1997.
(20)
Dans
certains cas, il semble que le gouvernement ait pris des mesures drastiques
afin de lutter contre l'indiscipline dans l'armée. Le 25 septembre
1997, Konyongo Kisase, un soldat de garde à la résidence
du ministre de la santé, tira en direction d'un groupe d'étudiants,
en tuant deux. La fusillade eut lieu après qu'une altercation ait
éclaté entre le garde du corps et les étudiants. Konyongo
fut jugé immédiatement par un tribunal militaire, sur les
lieux, en présence d'avocats commis par le tribunal, et condamné
à la peine capitale.
(21)
Human
Rights Watch a également reçu plusieurs rapports faisant
état de l'exécution publique, en octobre, de quatre ou cinq
soldats, dans un camp militaire de Lubumbashi. Nous ne savons toujours
pas aujourd'hui si ces soldats avaient été jugés par
un tribunal militaire, mais il est sûr qu'ils ont été
exécutés pour assassinat. Deux d'entre eux avaient en effet
tué leurs commandants respectifs après que ceux-ci les aient
réprimandés.
(22)
Arrestation
et détention arbitraire
L'Article neuf
de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme stipule que
"nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu
ni exilé." L'Article neuf du Pacte International Relatif aux Droits
Civils et Politiques (P.I.R.D.C.P) traite également de la question
de la protection face aux arrestations et détentions arbitraires.
Il stipule que:
2. Tout individu
arrêté sera informé, au moment de son arrestation,
des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus
court délai, de toute accusation portée contre lui; et que
3. Tout individu
arrêté ou détenu du chef d'une infraction pénale
sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre
autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions
judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable
ou libéré.
Les états
parties au Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques
ne peuvent, en vertu du paragraphe (1) de l'Article neuf, priver quiconque
de liberté "si ce n'est pour des motifs, et conformément
à la procédure prévus par la loi."
Cette disposition, selon laquelle les motifs et procédures d'arrestation
et de détention doivent être spécifiés par la
législation, a pour objet d'exclure toute possibilité de
voir un policier ou un fonctionnaire de l'état décider en
toute liberté de qui peut être arrêté et pourquoi.
L'Article six
de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples stipule que:
Tout individu
a droit à la liberté et à la sécurité
de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté
sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés
par la loi; en particulier nul ne peut être arrêté ou
détenu arbitrairement.
La procédure
pénale congolaise limite elle aussi de manière stricte le
pouvoir d'arrestation et de détention des officiels de l'état.
l'Article 27 du code de procédure pénale exige des officiers
ayant arrêté un suspect qu'ils présentent celui-ci
pour inculpation par le Ministère Public dans les 48 heures qui
suivent l'arrestation. Si la mise en détention préventive
est jugée nécessaire, le Ministère Public doit alors
saisir le juge compétent le plus proche dans les cinq jours qui
suivent l'arrestation.
Les autorités
ont arrêté et détenu des dizaines d'individus dans
les mois qui ont suivi la prise de pouvoir de l'A.F.D.L. Parmi les personnes
détenues pour des raisons politiques, on comptait des dignitaires
de l'ère Mobutu (des "mobutistes", selon l'appellation locale),
des leaders et militants de partis politiques d'opposition, ainsi qu'un
grand nombre de militants étudiants, de défenseurs des droits
de l'homme et de journalistes. La plupart de ces individus furent arrêtés
arbitrairement. Les arrestations furent réalisées en violation
des normes internationales, des lois nationales et des procédures
d'arrestation et de détention. Dans la majorité des cas,
elles furent menées à bien sans mandat d'arrestation, par
des soldats qui en vertu des lois congolaises n'étaient pas habilités
à les réaliser. La plupart des individus détenus ne
furent pas inculpés ni jugés. Ils furent souvent détenus
dans des centres de détention non-officiels et privés de
contact avec leurs familles, leur avocat ou un représentant du corps
médical. Ils furent souvent torturés et victimes de mauvais
traitements.
Le Président
Mobutu Sese Seko, sa famille et ses proches fuyèrent Kinshasa peu
de temps avant que la ville ne tombe aux mains des troupes de l'A.F.D.L.
Après ses trois décennies de pouvoir, le dictateur en exil
laissa derrière lui un nombre important d'anciens ministres, d'officiels
du parti et de partenaires d'affaires qui ne purent tous quitter le pays
à temps ou ne se sentirent pas obligés de le faire. L'A.F.D.L.
considéra avec beaucoup de suspicion tous ceux qui avaient été
associés à l'ancien gouvernement. Dans ses discours et déclarations,
le Président Kabila rappela régulièrement le rôle
joué par l'entourage de Mobutu dans le pillage du pays et la destruction
de ses ressources.
Pendant ses
premières semaines d'activité à la tête du pays,
le gouvernement A.F.D.L. saisit les maisons, voitures et autres objets
de valeur de mobutistes de premier plan, et alloua ces biens, étiquetté
voitures ou demeures de fonction, aux membres du nouveau gouvernement et
aux commandants de son armée. De nombreux mobutistes furent arrêtés
et placés en détention préventive.
Le 28 juillet
1997, un groupe d'environ quinze prisonniers, détenus dans les cellules
du Bureau du Ministère Public de la zone de Gombe, Kinshasa, fit
parvenir au président de la république une liste de revendications
et demanda à être inculpés ou remis en liberté.
Ils soulignaient également les irrégularités de leur
détention, notamment le fait que le Ministère Public ne les
avait pas présenté pour inculpation dans les 48 heures ayant
suivi leur arrestation, comme le prévoit la loi, et qu'ils n'avaient
comparu devant un juge que bien après le délai légal
de cinq jours de détention préventive (cinq jours, renouvelable
deux fois). Les individus arrêtés qui avaient occupés
des postes ministériels indiquaient également que, dans leur
cas, les dispositions légales mandatant la seule Cour Suprême
à autoriser leur détention préventive n'avaient pas
été respectées.
Ces violations
semblent être typiques des détentions de mobutistes. Human
Rights Watch a eu l'occasion, lors d'une visite de l'ancien quartier-général
de la gendarmerie nationale réalisée en août, à
Kinshasa, de rencontrer deux anciens ministres, deux officiels du parti,
un ancien gouverneur et le directeur d'une entreprise publique. Ces personnes
étaient détenues avec environ quinze autres mobutistes. Tous
affirmèrent avoir été arrêtés sans mandat
et présentés à un magistrat après la fin du
délai légal de 48 heures. Certains se plaignirent également
de la confiscation sans ordre de justice de leurs maisons et véhicules.
L'un d'entre eux fit même remarquer que deux de ses véhicules
étaient garés dans la cour intérieure du bâtiment
et qu'ils étaient utilisés par la police.
L'"Office des
Biens Mal Acquis", créé spécialement par le gouvernement
afin de retrouver la trace des biens acquis illégalement par d'anciens
responsables de l'état, ajouta encore à la complexité
de la situation lorsque certains de ses dirigeants se servirent de leur
autorité pour forcer des mobutistes à leur céder certains
objets de valeur. Les choses allèrent tellement loin que le Président
lui-même intervint. Ainsi, le onze novembre, Kabila ordonna que les
biens confisqués soient rendus à leurs propriétaires.
Le ministre de l'information expliqua sur les ondes de la radio nationale
que le président "avait interdit à tous les officiels du
gouvernement de profiter de leur position pour spolier d'autres individus
de leurs biens."
(23)
Torture
et traitement cruel, inhumain ou dégradant
Le droit international
interdit la torture, les traitements ou punitions cruels, inhumains ou
dégradants. L'Article 7 du Pacte International Relatif aux Droits
Civils et Politiques stipule que:
Nul ne sera
soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre
une personne sans son libre consentement à une expérience
médicale ou scientifique.
L'Article dix
(1) stipule que "toute personne privée de sa liberté est
traitée avec humanité et avec le respect de la dignité
inhérente à la personne humaine."
L'Article cinq
de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples interdit "toute
forme d'exploitation et d'avilissement de l'homme notamment l'esclavage,
la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou
les traitements cruels inhumains ou dégradants."
Quelques mois
après la prise de Kindu, Lubumbashi, Kinshasa et d'autres villes
et villages, l'euphorie de la victoire commença à s'évaporer,
laissant la place à un sentiment trouble fait d'incertitude et résignation.
La population, en particulier, fut choquée d'assister au retour
en force de séances publiques de flagellations et de punitions corporelles,
une méthode utilisée pendant l'époque coloniale afin
de provoquer chez les populations congolaises un sentiment collectif d'humiliation
et d'infériorité.
Les femmes
furent particulièrement visées. Des soldats de l'A.F.D.L.
se mirent à arrêter des femmes portant des pantalons ou des
jupes courtes, deux tenues jugées culturellement inacceptables,
et leur administrèrent des coups de fouet, en public. Dans de nombreux
cas, ils forcèrent les femmes à se déshabiller et
à se présenter devant la foule en sous-vêtements et
parfois même complètement nues. Lorsque, le neuf avril 1997,
des femmes militant au sein du Centre des Droits de l'Homme et du Droit
Humanitaire de Lubumbashi (C.D.H) tentèrent de couvrir les corps
dénudés de plusieurs femmes qui venaient d'être battues
et déshabillées par des soldats, dans la rue, elles furent
repoussées sous la menace des armes.
(24)
La
vague de réaction que provoquèrent ces actes et les protestations
formelles qu'émirent les groupes de défense des droits de
l'homme, la presse et les parents des jeunes femmes visées poussa
l'A.F.D.L. à nier avoir jamais donné la moindre instruction
officielle relative à la tenue vestimentaire des femmes. Le nombre
d'incidents de ce type chuta rapidement, et les femmes purent recommencer
à s'habiller comme bon leur semblait.
Les chauffeurs
de bus et de taxi furent eux aussi soumis à des bastonnades et flagellations
publiques, les soldats leur reprochant de charger un nombre de passagers
trop élevé par rapport à la capacité de leurs
véhicules. Ils étaient généralement stoppés
et recevaient des coups de bâton ou de fouet, dans l'estomac ou sur
le dos. Les soldats mirent d'ailleurs au point une méthode permettant
de déterminer le nombre de coups à donner lors de telles
séances, méthode basée sur l'âge de la victime.
Les enfants
des rues, petits délinquants et criminels pris en flagrant délit
avaient eux affaire à une "justice" rapide, faite de passages à
tabac et d'exécutions extrajudiciaires. A plusieurs reprises, des
foules ont rendu leur propre justice et brûlé vif des suspects
ou des criminels pris en flagrant délit, en leur attachant de vieux
pneus autour du cou avant d'y mettre le feu. Des soldats ont souvent assisté
à de telles scènes sans intervenir.
Comme le montre
ce rapport, la torture, les passages à tabac et d'autres formes
de traitement cruel, inhumain ou dégradant ont souvent été
utilisés à l'encontre de prisonniers politiques ou de simples
criminels détenus par les services de sécurité.
Au Congo, les
victimes d'abus ne peuvent toujours pas aujourd'hui espérer recevoir
protection et réparation du judiciaire. Dire que les tribunaux fonctionnent
mal au Congo est une affirmation en dessous de la vérité.
Depuis 1960, date à laquelle la colonie belge du Congo devenait
indépendante, les constitutions successives ont toutes affirmé
l'indépendance de la branche judiciaire. Le décret-loi constitutionnel
003/97 réaffirme cette notion. En pratique, certains obstacles ont
depuis toujours empêché que cette indépendance théorique
devienne réalité: manque d'autonomie financière des
institutions judiciaires, tendance des autorités législatives
et exécutives à faire pression sur le judiciaire, dans un
contexte de corruption généralisée, corruption des
juges et magistrats, mal payés ou ne recevant aucun salaire pendant
de longues périodes.
Un magistrat
du Parquet de Grande Instance de la commune de Ndjeli (Kinshasa), a expliqué
à Human Rights Watch, en août 1997, qu'il recevait un salaire
mensuel équivalent à 20 USD, alors que son seul loyer s'élevait
à 120 USD. Il affirma "être obligé de mendier" auprès
des personnes comparaissant face à lui.
Cette situation
rappelle celle, caractérisée par un niveau constant de corruption,
qui régnait pendant l'ère Mobutu. Lors d'une visite dans
la province du Katanga (l'ancien Shaba), au sud du pays, Human Rights Watch
avait demandé à plusieurs juges et avocats comment des tribunaux
fonctionnant sur base de paiements réalisés par les plaignants
pouvait être équitable. Le président d'un tribunal
fit la réponse suivante: "Nous examinons le dossier et déterminons
qui est dans son droit. C'est celui-là que nous ennuyons un peu."
(25)
"Les
juges viennent souvent me voir," dit l'un des avocats, "et me disent, 'Maître,
le dossier de votre client est très solide. Dites-lui de venir me
voir."
(26)
Dans
le jargon légal de la province, on dit qu'un mauvais juge "mange
à tous les râteliers", ou met le jugement aux enchères,
"et rend un jugement favorable à la partie qui l'a le mieux nourri."
(27)
La
corruption, confirma un avocat, est l'un des principaux obstacles à
l'indépendance du judiciaire.
Depuis la prise
de pouvoir de l'A.F.D.L., les responsables militaires et politiques ont
montré une tendance certaine à intervenir directement dans
l'administration de la justice, mettant ainsi l'indépendance théorique
du judiciaire à rude épreuve. Des arrestations ont été
réalisées par des soldats n'ayant pas reçu la formation
dont disposent les officiers de police judiciaire, les seuls légalement
habilités à arrêter et interroger des suspects. Etant
donné cette absence de formation, fit remarquer un avocat, les soldats
ignorèrent les textes légaux et violèrent la loi à
de multiples reprises au cours d'arrestations, d'interrogations et de détentions.
Les passages à tabac et mauvais traitements, courants dans les centres
de détention, vont également à l'encontre des droits
légalement reconnus des personnes détenues.
Le neuf juillet
1997, le ministre de la justice et de l'intérieur prirent une mesure
surprenante en co-signant une lettre ouverte, adressée à
tous les membres de l'appareil militaire et politique de l'A.F.D.L. La
lettre avait pour objet de rappeler une évidence à ses destinataires:
la justice ne peut être rendue que par les magistrats et les juges.
Cette initiative pertinente fut prise après plusieurs incidents
au cours desquels des juges et magistrats furent détenus, et parfois
battus, par des soldats soutenant la cause d'un plaignant ayant à
comparaître face à ces juges.
Une équipe
de Human Rights Watch passa la journée du treize août 1997
dans les bureaux du Parquet de Grande Instance de la commune de Ndjeli
(Kinshasa) et garda des lieux le souvenir du total mépris professé
par les soldats à l'encontre de l'indépendance du judiciaire.
Koko Temissa, un magistrat, nous dit qu'un commandant militaire local,
appelé Shaddar, avait ordonné son arrestation afin de l'empêcher
de rendre une décision de justice concernant une affaire de vol.
Les soldats le kidnappèrent, alors qu'il était dans son bureau,
et le retinrent pendant plusieurs jours. Trois autres magistrats nous parlèrent
du passage à tabac dont ils furent victimes en juillet. Ils se trouvaient
dans un bus lorsqu'une collision avec un véhicule militaire se produisit.
Les soldats emmenèrent tous les hommes voyageant dans le bus jusqu'à
un centre de détention non-officiel, appelé Villa Ma Campagne,
et leur administrèrent une violente série de coups, utilisant
des barres de métal et leurs ceintures. Un colonel assista à
la scène sans intervenir. Les magistrats produisirent leurs cartes
professionnelles, mais n'échappèrent cependant pas aux coups
et humiliations.
Le Magistrat
Cinanca Roger ordonna l'arrestation d'un suspect, un adolescent qui avait
pris un taxi et refusé de payer la course. Il invita la famille
du jeune homme à venir payer sa caution. Celle-ci préféra
se plaindre auprès d'un groupe de soldats de l'A.F.D.L., qui tenta
de trouver le magistrat. Celui-ci n'étant pas dans son bureau, il
demandèrent son adresse privée et promirent de revenir plus
tard pour "lui donner une leçon." Les soldats libérèrent
ensuite le suspect, sans y être le moins du monde habilités.
(28)
La suspension
des partis et l'interdiction des activités politiques imposée
par le gouvernement viole clairement l'Article 22 (1) du Pacte International
Relatif aux Droits Civils et Politiques, qui stipule que: "Toute personne
a le droit de s'associer librement avec d'autres, y compris le droit de
constituer des syndicats et d'y adhérer pour la protection de ses
intérêts."
Le droits à
la libre association est également inscrit dans la Charte Africaine
des Droits de l'Homme et des Peuples, dont l'Article dix (1) stipule que:
"Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec
d'autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées
par la loi."
Ce droit permet
aux citoyens de s'unir avec d'autres pour poursuivre des buts sociaux,
culturels, économiques ou politiques, dans le cadre d'associations
formelles ou informelles. Il prévoit spécifiquement le droit
de s'associer dans le cadre de partis politiques. Ce droit peut faire l'objet
de certaines restrictions, citées dans l'Article 22 (2) du Pacte
International Relatif aux Droits Civils et Politiques. Elles doivent être
prévues par la loi, "nécessaires
dans une société démocratique" et être mises
en oeuvre "dans l'intérêt de la sécurité nationale,
de la sûreté publique, de l'ordre public, ou pour protéger
la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés
d'autrui." Le droit d'organiser des partis politiques dérive également
du droit des citoyens de prendre part à la direction des affaires
publiques et à des élections libres, reconnu par l'Article
25 du P.I.R.D.C.P.
(29)
La
"suspension" des partis politiques et l'interdiction de leurs activités
décrétées par les autorités congolaises ne
peuvent que difficilement être jugées comme "nécessaires
dans une société démocratique", l'exercice de la démocratie
étant historiquement lié à l'existence de partis luttant
pour le pouvoir, dans un contexte de liberté d'association et d'expression.
Pendant sa
campagne de reconquête du pays, l'A.F.D.L. a, dans de nombreuses
régions, décrété le gel de toute activité
politique des partis d'opposition, et ce "jusqu'à la fin du conflit".
Toutes les énergies devaient, selon l'A.F.D.L., se concentrer sur
l'objectif immédiat consistant à libérer le pays de
la dictature mobutiste.
L'alliance
accepta cependant une certaine participation de la population dans le choix
des responsables gouvernementaux locaux. Le maire et six responsables communaux
de Kisangani, la troisième ville du pays, furent ainsi "élus"
en mars par un collège électoral composé de membres
de l'élite intellectuelle et des leaders de la communauté.
Dans d'autres localités, des officiels furent élus lors de
meetings tenus dans des stades, par vote à main levée. A
Kisangani et Mbuji Mayi, capitale de la province du Kasai, riche en ressources
minérales, la population a profité de cette relative liberté
pour élire au gouvernement local des candidats de l'Union pour la
Démocratie et le Progrès Social (U.D.P.S).
L'A.F.D.L.
utilisa une tactique différente à Lubumbashi, conquise au
début du mois d'avril. Apparemment, elle considéra comme
une menace la forte popularité du parti régional, l'Union
des Fédéralistes et Républicains Indépendants
(UFERI), et nomma son propre vice-secrétaire général
au poste de gouverneur.
Après
sa prise du pouvoir, le gouvernement de Kabila étendit jusqu'à
à Kinshasa l'interdiction des activités politiques et des
manifestations publiques. Pendant les premières semaines, la population
de la capitale ignora les injonctions du nouveau gouvernement et organisa
plusieurs manifestations dans les rues de Kinshasa, demandant l'ouverture
du gouvernement aux représentants de l'opposition civile à
Mobutu et exigeant une participation politique plus large. Le 26 mai, le
gouvernement réitérait l'interdiction en publiant un communiqué
en cinq points dans lequel il rappelait à la population que "tous
les partis politiques du territoire de Kinshasa étaient suspendus
jusqu'à nouvel ordre."
(30)
L'A.F.D.L.
affirmait que l'interdiction n'était qu'une mesure temporaire, qu'elle
ne serait maintenue que jusqu'à la stabilisation de la situation,
et que seules les activités politiques étaient interdites,
non les partis politiques eux-mêmes. En même temps, les leaders
de l'A.F.D.L. affirmaient que la lutte populaire qu'ils avaient mené
pour mettre fin à la dictature de Mobutu leur donnait le droit de
déterminer le paysage et le calendrier politiques de l'après-Mobutu.
L'interdiction faite aux partis d'engager des activités politiques
s'explique par le peu de confiance que les dirigeants de l'A.F.D.L. accordent
à la classe politique qui a participé au processus de transition
lancé par Mobutu, processus qu'ils jugent marqués par la
corruption et l'opportunisme. Elle s'explique également par le dédain
que ces mêmes dirigeants ressentent vis-à-vis des vestiges
de l'appareil politique de Mobutu.
Une déclaration
faite par Bizima Karaha, ministre des affaires étrangères,
résume parfaitement la rhétorique de l'A.F.D.L. en ce qui
concerne l'opposition civile:
La démocratie
est impossible sans la paix. Le développement est impossible sans
la paix. Quiconque souhaitant fomenter l'instabilité est donc un
ennemi de la démocratie, un ennemi du développement, un ennemi
des forces de progrès. Ces forces sont des forces réactionnaires,
et nous ne permettrons à personne de provoquer le chaos.
(31)
Le
gouvernement applique l'interdiction de manière sélective.
Celle-ci affecte cependant tous les groupes politiques, qu'ils soient ou
non favorables à Kabila. Les paragraphes qui suivent présentent
un bref aperçu du paysage politique congolais et de la situation
de chacun des principaux partis indépendants.
Quelques partis,
qui s'étaient montré prêts à accepter l'A.F.D.L.
ou avaient exprimé leurs critiques avec beaucoup de discrétion,
furent épargnés par les attaques du gouvernement: le Front
Patriotique, le Parti Démocrate et Social Chrétien, l'Union
des Fédéralistes et Républicains Indépendants
(UFERI). Certains virent leur loyauté récompensée:
le premier gouvernement de Kabila incluait deux membres du Front Patriotique.
Cependant, il semble que le prix de cette relation privilégiée
ait été la dissolution du Front Patriotique dans l'A.F.D.L.
L'opposition
à l'A.F.D.L. se compose des principaux partis qui formaient également
l'opposition sous Mobutu, à savoir l'Union pour la Démocratie
et le Progrès Social (U.D.P.S), le Parti Lumumbiste Unifié
(P.A.L.U) et les Forces Novatrices pour l'Union et la Solidarité
(F.O.N.U.S). Ces partis luttèrent pour préserver leurs identités
spécifiques et continuer à exercer les libertés démocratiques
fondamentales, telles que le droit d'association, de réunion et
d'expression. Ils furent alors pris pour cible par le gouvernement, dont
les mesures de répression furent à ce point efficaces qu'elles
équivalurent rapidement à une véritable mise hors
la loi de ces partis. L'A.F.D.L. a, cependant, collaboré avec certaines
personnalités de ces formations politiques, et a même confié
à quelques leaders de l'U.D.P.S des responsabilités gouvernementales,
sur des bases individuelles. Au moment où nous rédigeons
ce rapport, l'interdiction des activités politiques continue à
peser sur le pays et est même mise en oeuvre avec une vigueur accrue.
A. Le
Front Patriotique
Le Front Patriotique,
un parti progressiste disposant à Kinshasa d'une base solide, bien
que minoritaire, et membre de l'opposition radicale à Mobutu depuis
les années 70, est la seule formation politique à laquelle
l'A.F.D.L. ait proposé deux postes ministériels, en juin.
Il semble qu'en échange de cette position privilégiée
le Front Patriotique devait accepter de s'auto-dissoudre. A la question
de savoir s'il était disposé à abandonner la direction
du F.P. et à dissoudre le parti, Paul Kinkela, président
du F.P. et ministre des postes et télécommunications du gouvernement
Kabila, répondit de la manière suivante:
Je ne le ferais
pas de gaieté de coeur, mais je le ferais tout simplement parce
que cela permettrait au parti et à moi-même de transcender
nos aspirations et nos idéaux, pour ainsi arriver à quelque
chose de plus grand, de plus noble, qui ait un sens plus grand, qui ne
nous divise pas, quelque chose pour lequel nous serions prêts à
fondre nos différences, pour ainsi faire progresser la révolution
dans le pays. Je crois qu'il s'agit d'une raison valable.
(32)
Jean-Baptiste
Sondji, l'un des fondateurs du F.P. et le nouveau ministre de la santé
et des affaires sociales, expliqua comment le Front avait acquis la confiance
de l'A.F.D.L.:
Nous avons
contacté l'A.F.D.L. et offert notre assistance [au début
de la campagne de reconquête]... La veille de la chute de Kinshasa,
les membres du F.P. ont préparé avec beaucoup de soin l'arrivée
de l'A.F.D.L. dans une ville dont la plupart de ses hommes ignoraient la
configuration.
(33)
Sondji,
cependant, parlait de la dissolution du parti en des termes bien différents
de ceux de son président, affirmant que "le F.P. refuse de disparaître
en tant que parti indépendant. Nous fonctionnons de manière
normale, même s'il n'y pas pour le moment de grands rassemblements
publics..."
(34)
B. Le
Parti Démocrate et Social Chrétien (PDSC)
Avec l'U.D.P.S
et l'UFERI, le Parti Démocrate et Social Chrétien fut l'un
des principaux fondateurs et acteurs de l'opposition pendant la transition
manquée lancée par Mobutu. Questionné quant à
l'attitude du PDSC vis-à-vis de la prise de pouvoir de l'A.F.D.L.
et de son monopole en matière d'activités politiques, le
secrétaire du parti la qualifia d'attitude "d'ouverture et de collaboration."
(35)
Il
ajouta que le PDSC observait de plein gré l'interdiction d'entreprendre
des activités politiques en évitant d'organiser des manifestations
de rue mais qu'interdire les partis politiques per se était "hors
de question". Il souligna le fait que l'interdiction avait été
rendue publique par le biais de la radio, non par décret, et que
le PDSC, en tant que parti politique, n'avait reçu aucune communication
formelle du gouvernement à cet égard. Le PDSC considéra
donc que l'interdiction concernait uniquement les activités publiques
et non les partis politiques.
Son discours
se fit cependant contradictoire lorsqu'il entreprit d'expliquer comment
le parti avait été accueilli lorsqu'il tenta de contacter
l'A.F.D.L., après la prise de pouvoir. Le PDSC avait, selon lui,
engagé un double dialogue avec le gouvernement. Ils furent reçus
au Ministère de l'Intérieur, qui supervise les partis politiques,
et prirent part à trois sessions de travail avec le secrétariat
général de l'A.F.D.L. L'attitude de ce dernier, lors de chaque
session, fut une attitude "... de fausse ouverture. Ils nous écoutaient,
affirmaient avoir pris bonne note de nos commentaires, mais ajoutaient
que l'A.F.D.L. ne pouvait travailler qu'avec des individus. L'A.F.D.L.
ne travaille pas avec des organisations."
(36)
Le
PDSC veut que le processus de démocratisation se poursuive et que
la préparation des élections reprenne là où
elle a été stoppée, sous Mobutu. Le parti souhaite
également que tous les partis participent aux nouvelles structures
de la transition, notamment la commission constitutionnelle. Dans l'attente
de la réalisation de ces objectifs, le parti continuera, selon son
secrétaire, à conscientiser la population en distribuant
sa littérature dans les églises et les paroisses et évitera
d'organiser des activités publiques.
A la mi-juillet,
André Bo-Boliko, président du PDSC, appela le Président
Kabila et l'A.F.D.L. à permettre une véritable participation
et leur lança un message d'avertissement: "L'élan d'enthousiasme
généré par ... la libération, qui aurait dû
galvaniser toutes les énergies et contribuer à la reconstruction
du pays, perd progressivement de sa force et cède le pas au scepticisme,
à la démobilisation et parfois même à un sentiment
de révolte vis-à-vis de certaines pratiques peu démocratiques."
(37)
C.
UFERI - Katanga
Lorsque Human
Rights Watch lui demanda ce qu'il pensait de la décision prise par
l'A.F.D.L. d'interdire les activités politiques, Gabriel Kyungu
wa Kumwanza, le populaire ancien gouverneur du Katanga et leader fédéral
de la principale faction de l'UFERI répondit qu'il n'y voyait aucun
inconvénient. L'UFERI, ajouta-t-il, était prête à
accorder "le bénéfice du doute" aux nouvelles autorités
et acceptait l'idée qu'une période de stabilisation du pays
était nécessaire avant de pouvoir revenir sans désordres
au pluripartisme.
(38)
Il
ajouta avoir confiance en la capacité de son parti à rattraper
le temps perdu une fois cette décision prise. L'UFERI remontera
rapidement à la hauteur de l'A.F.D.L., affirma-t-il, puisqu'il aura
été le seul parti habilité à opérer
au niveau du Katanga et du pays tout entier pendant l'interdiction. Il
conclut en disant que l'UFERI était prête à attendre
que soit levée l'interdiction, même si l'A.F.D.L. mettait
trois ans pour le faire, "parce que nous connaissons les aspirations du
peuple."
(39)
Le
gouvernement, en guise de récompense face à la position adoptée
par l'UFERI, autorisa l'ancien gouverneur à tenir une conférence
de presse à Lubumbashi, le 29 septembre. Il apparaît également
qu'il reçut par la suite l'autorisation de se rendre à Kinshasa
pour y rencontrer le président et se joindre à son "entourage".
(40)
Dans
d'autres circonstances, ces deux événements auraient représenté
de graves violations de l'interdiction des activités politiques.
Le traitement préférentiel accordé à l'UFERI
semble avoir été motivé par une question d'opportunisme
politique. L'A.F.D.L. disposait en effet d'une base populaire naturelle
au Katanga mais ne pouvait, pour la consolider et l'étendre, se
passer de l'électorat de l'UFERI. Le temps dira qui des deux formations
obtiendra effectivement la confiance des katangais.
Paralyser
les partis de l'opposition
A. Parti
Lumumbiste Unifié (P.A.L.U.)
Le P.A.L.U
est considéré comme l'un des plus importants partis de l'opposition
et le principal groupement politique à se réclamer de l'enseignement
politique de Patrice Lumumba; premier à avoir été
élu Premier ministre du Congo, celui-ci fut tué dans les
premiers jours qui suivirent l'indépendance du pays. Antoine Gizenga,
le secrétaire général du parti, dirigea l'une des
quatre formations de gauche qui avaient constitué le gouvernement
de Lumumba. Percevant l'opposition du président de droite Kasavubu
et confronté à un tissu de conspirations internationales
orchestrées par la Central Intelligence Agency - qui s'était
servie du soldat Mobutu, dont le pouvoir allait croissant, pour réprimer
ce qu'elle jugeait être une menace communiste en Afrique centrale
- Gizenga nous déclara qu'il avait d'abord suggéré
l'unification des quatre groupes en un seul parti. Lumumba signa un protocole
d'accord en ce sens mais ne survécut pas assez longtemps pour assister
à la proclamation effective du nouveau parti à Stanleyville,
sous la direction de Gizenga. Depuis lors, Gizenga se pose en seul héritier
légitime de Lumumba.
(41)
Dans
le cadre d'une interview avec Human Rights Watch, Gizenga accusa l'A.F.D.L.
d'avoir usurpé les symboles du P.A.L.U afin de s'assurer le soutien
de la population lors de sa campagne à travers le pays, notamment
en utilisant l'étendard lumumbiste et en rétablissant l'ancien
nom du pays. Le jour où Kabila se proclama président, un
tract du P.A.L.U aurait été distribué à Kinshasa.
Ce feuillet l'accusait d'établir un calendrier électoral
fictif de vingt-quatre mois, d'avoir réduit les partis politiques
au silence afin de mettre en place l'A.F.D.L. et d'avoir utilisé
les ressources de l'Etat pour accélérer cette installation.
Le P.A.L.U rejeta également le plan économique triennal,
car ce dernier avait été élaboré par l'A.F.D.L.
seul, sans le moindre consensus démocratique. Lorsque le P.A.L.U
décida d'exprimer ses opinions divergentes dans la rue à
travers une marche de protestation pacifique, les locaux du parti furent
saccagés et ses militants violemment battus, comme nous l'expliquons
ci-après.
B. Autres
factions lumumbistes
Dès
le dernier trimestre de l'année 1997, les observateurs basés
à Kinshasa et les médias avaient identifié les " Lumumbistes
" qui soutenaient le combat du président Kabila depuis les trois
dernières décennies comme son cercle le plus influent de
collaborateurs et de conseillers.
(42)
Malgré
tout -et le cas du P.A.L.U en est la preuve- l'étiquette " lumumbiste
" semble incapable d'offrir une protection suffisante lorsque son détenteur
adopte une position divergente. Ismail Tutw'Emmoto et Dunia Lumingangulu,
deux dirigeants du Mouvement National du Congo-Lumumba (MNC - Lumumba Cohcolico),
auraient été enlevés à Kinshasa et détenus
à l'Agence Nationale de Renseignements (A.N.R) le 1er juillet 1997,
sur l'ordre du président Kabila en personne.
(43)
Tous
deux étaient rentrés au pays deux semaines plus tôt,
après un bref séjour en Belgique où ils avaient vécu
exilés de nombreuses années. Dès le début de
leur exil, ils avaient adhéré au mouvement de rébellion
de l'A.F.D.L. et reprirent la lutte dans ses rangs lors des débuts
difficiles de 1996-1997. Ils se seraient attiré la colère
du président pour avoir émis des critiques à son égard
le trente juin -date anniversaire de l'indépendance du Congo, ancienne
colonie belge- en lui reprochant de nommer un trop grand nombre de parents
et d'amis personnels aux postes à responsabilités, ainsi
que de continuer à faire appel à des soldats d'origine tutsi.
Ismael Tutw'Emmoto aurait été libéré le 24
août 1997. Dunia Lumingangulu resta en détention à
l'Agence Nationale de Renseignements.
(44)
C.
Forces Novatrices Pour l'Union et la Solidarité (F.O.N.U.S.)
Joseph Olenghankoy,
président du F.O.N.U.S et ancien président du groupe parlementaire
de l'opposition, qui est considéré comme un proche allié
d'Etienne Tshisekedi, fut arrêté à maintes reprises
sous Mobutu, en dépit de son immunité parlementaire. Lorsque
l'ancien gouvernement était encore au pouvoir, il fut libéré
le treize décembre 1996 après avoir été détenu
secrètement, grâce à l'intervention du parlement qui
insista pour qu'il soit remis en liberté. Au début du mois
de février 1997, les autorités de Mobutu l'accusèrent
de désobéissance civile pour avoir incité les habitants
de Kinshasa à observer une opération "ville morte " (grève
générale) et écrivirent au parlement en demandant
l'autorisation de l'arrêter. Bien que le parlement ne levât
pas son immunité, les soldats du S.A.R.M, le Service d'Action et
de Renseignements Militaires de Mobutu,
(45)
effectuèrent
une descente à son domicile de Kinshasa, mais Olenghankoy s'était
enfui pour la ville voisine de Brazzaville afin d'échapper à
cette arrestation. Il déclara à un journaliste qu'il avait
fui les soldats qui entouraient le bâtiment du parlement pour l'arrêter:
"Chaque fois que vous défendez les intérêts du peuple,
on envoie les soldats vous chercher. De telles mesures ne font qu'aggraver
la crise qui sévit dans le pays. "
(46)
Ces
"mesures" n'étaient pas prêtes à disparaître,
même après la chute de Mobutu. Le lundi 8 septembre 1997,
les forces de sécurité de l'A.F.D.L. l'arrêtèrent.
Décrivant l'arrestation aux journalistes, un assistant expliqua:
" une vingtaine de soldats armés ont fait irruption dans nos locaux
et emmené notre président " jusqu'à leur quartier
général.
(47)
Il
fut ensuite envoyé dans le camp militaire de Tshatshi. De là,
les soldats le conduisirent à la résidence du commandant
Masasu Nindaga, le dirigeant non-officiel de l'armée congolaise.
Selon le groupe de contrôle La Voix des Sans Voix, le commandant
le soumit à un " interrogatoire musclé " afin de savoir pourquoi
son groupe, le F.O.N.U.S, avait mis son drapeau en berne après l'annonce
de la mort de Mobutu, deux jours plus tôt.
Libéré
après une autre nuit de détention le mois suivant (cfr. ci-dessous),
le leader du F.O.N.U.S. déposa une plainte contre les ministre et
vice-ministre de l'Intérieur, déclarant avoir fait l'objet
" d'attaque et de coups délibérés, d'arrestation arbitraire,
de cambriolage, de dénonciation calomnieuse et de violation des
droits du citoyen garantis par la Constitution. "
(48)
La
plainte pour dénonciation calomnieuse déposée par
Olenghankoy faisait référence à une déclaration
du ministre adjoint des Affaires intérieures à la suite de
sa libération, déclaration dans laquelle ce dernier accusait
le leader du F.O.N.U.S de recruter 40.000 jeunes pour les entraîner
dans un camp de l'UNITA. Le ministre adjoint avait également affirmé
que des armes de guerre avaient été saisies dans les deux
résidences d'Olenghankoy, lors des fouilles menées par la
police. Human Rights Watch n'a pas eu la possibilité d'enquêter
sur l'une ou l'autre affirmation. La plainte du président du F.O.N.U.S
était encore en suspens au moment de rédiger le présent
rapport.
D. L'Union
pour la Démocratie et le Progrès Social (U.D.P.S) - Katanga
S'il faut en
croire ses dirigeants, la branche de l'U.D.P.S à Lubumbashi prépara
la population à la chute de la ville aux mains de l'A.F.D.L. afin
de faciliter la prise du pouvoir et de faire en sorte que les troupes de
l'A.F.D.L. soient accueillies en " libératrices. "
(49)
Les
membres de l'U.D.P.S furent nombreux à assister au rassemblement
organisé par l'A.F.D.L. dans le stade de la ville, le dix-neuf avril
1997, s'attendant à participer à l'élection du gouverneur
de la province. Au lieu de cela, les agents de la sécurité
confisquèrent les bannières de l'U.D.P.S et le vote populaire
attendu n'eut pas lieu.
Le
27 mai 1997, les nouvelles autorités en place ordonnèrent
l'arrestation d'Antoine Kazadi, un ancien maire de la ville et l'une des
figures de proue de l'U.D.P.S. Les agents de l'ANR, la police politique
qui avait vu le jour peu avant, l'interrogèrent à deux reprises,
le 27 et le 28 mai. Lors du premier interrogatoire, on lui demanda d'expliquer
pourquoi il restait populaire au Katanga, s'il accepterait de collaborer
avec l'A.F.D.L. et quelle était l'opinion du dirigeant national
de l'U.D.P.S, M. Tshisekedi, à propos de la suppression des partis
politiques. Antoine Kazadi fut détenu pendant trois mois.
Lorsque le
Centre des Droits de l'Homme et du Droit Humanitaire (C.D.H), un important
groupe de défense des droits de l'homme implanté à
Lubumbashi, rendit une visite officieuse au centre de détention
où Kazadi était emprisonné et dénonça
publiquement les conditions de détention extrêmement rudes
dans une lettre adressée aux autorités, Kazadi déclara
que d'autres prisonniers politiques furent placés dans sa cellule,
dont Kapapa, l'ancien vice-gouverneur et président du parti de Mobutu,
le Mouvement Populaire pour la Révolution (M.P.R), ainsi que Mujeddo,
le président du M.P.R.
C'est essentiellement
grâce à la campagne menée par les groupes de droite
à Lubumbashi que ceux-ci et d'autres prisonniers politiques -dont
l'ancien gouverneur Kyungu, détenu à domicile depuis le quinze
mai- furent relâchés au début du mois d'août
1997.
Kazadi expliqua
à Human Rights Watch qu'en guise de condition préalable à
sa libération, il avait été contraint de signer un
engagement dans lequel il acceptait de cesser ses activités politiques,
d'apparaître dans des lieux publics et de se trouver dans des endroits
où plus de trois personnes étaient présentes. On lui
enjoignit également l'ordre de ne pas quitter Lubumbashi pendant
un mois. Au début du mois de juin, l'ANR arrêta également
d'autres membres du comité de l'U.D.P.S-Katanga et les retint en
détention pendant une brève période; elle leur ordonna
ensuite de ne pas organiser de réunions à quelque niveau
que ce soit, sous peine de risquer un nouvel emprisonnement. Ces menaces
réussirent à paralyser toutes les activités de l'U.D.P.S
dans la ville.
(50)
E.
Forces du Futur
Le 25 novembre
1997, au début de l'après-midi, une équipe de la Police
de Déploiement Rapide cerna le domicile d'Arthur Z'Ahidi Ngoma à
Kinshasa. Le leader du parti de l'opposition Forces du Futur avait en effet
bravé l'interdiction frappant les activités politiques en
organisant une conférence de presse. Z'Ahidi fut contraint de tenir
cette conférence de presse chez lui, après que les soldats
eurent empêché ce matin-là la conférence annuelle
de son parti, qui devait se dérouler au Memling Hotel du 24 au 28
novembre.
(51)
Les
soldats tirèrent en l'air lorsqu'ils franchirent le mur, afin d'arrêter
l'homme politique et une dizaine de ses partisans. Un groupe de dix journalistes,
qui avaient apparemment assisté à la conférence de
presse, furent eux aussi arrêtés. Au quartier général
de la Police de Déploiement Rapide, les journalistes et les hommes
politiques furent dévêtus, contraints de se coucher à
même le sol et reçurent chacun quarante coups de fouet. Les
soldats piétinèrent les corps étendus et leur donnèrent
des coups de pieds dans la nuque et la tête. Les journalistes et
quelques autres détenus furent relâchés vers vingt
heures. Dix membres des Forces du Futur furent libérés au
cours des jours suivants, mais Ngoma resta en détention -et l'était
toujours au moment de rédiger le présent rapport- alors qu'aucune
charge spécifique n'avait été déposée
à son encontre. Les questions posées par la police aux membres
des Forces du Futur portaient essentiellement sur l'interdiction relative
aux activités politiques et à la suspension des partis politiques,
deux décisions gouvernementales pour l'infraction desquelles ils
étaient manifestement punis.
Défenseurs
et organisations des droits de l'homme
Une puissante
société civile avait émergé pendant le règne
de Mobutu, après que la kleptocratie eut provoqué l'effondrement
de l'économie formelle et des institutions de l'Etat. Les organisations
communautaires, les Eglises, les groupes d'aide au développement
et humanitaire comblèrent ce vide en soutenant les secteurs de l'enseignement
et de la santé et en guidant les efforts de développement
locaux. Les organisations de défense des droits de l'homme sont
apparues au début des années 90 lorsqu'un remarquable mouvement
populaire contraignit Mobutu à mettre en place un programme de transition
vers la démocratie. Elles renforcèrent leur présence
à travers le pays en faisant pression pour protéger la population
contre les militaires de Mobutu, les principaux responsables de la violence,
et pour dénoncer publiquement la corruption et l'inefficacité
du système judiciaire. Les groupes d'éducation civique tentèrent
de préparer la population aux élections que Mobutu promettait
-en mettant tout en œuvre pour les différer- et à renforcer
la connaissance des citoyens à propos de leurs droits.
(52)
Au départ,
aucune véritable animosité ou tension ne marqua les relations
entre les nouvelles autorités et la société civile.
Au contraire, l'A.F.D.L. tenta d'attirer dans ses rangs des membres appartenant
aux groupes de la société civile, et y réussit d'ailleurs
souvent. Par conséquent, lorsque l'alliance lança vers la
mi-mai son ultime manœuvre au départ de Lubumbashi en vue de prendre
le contrôle du gouvernement à Kinshasa, elle invita plusieurs
défenseurs des droits de l'homme de la ville à se joindre
à elle. Le vice-président et le président de l'Association
Zaïroise de Défense des Droits de l'Homme (A.Z.A.D.H.O / Lubumbashi)
furent recrutés pour assumer les fonctions respectives de ministre
des Transports et de président de la principale société
de transports du secteur public. Deux des membres fondateurs du Centre
des Droits de l'Homme et du Droit Humanitaire (C.D.H) devinrent les conseillers
juridiques des ministres des Mines et des Affaires intérieures.
Les deux organisations conservèrent cependant leur autonomie et
continuèrent à surveiller les abus, à les dénoncer
publiquement et à exiger que les soldats et les dirigeants de l'A.F.D.L.
impliqués dans des actes de violation des droits de l'homme soient
amenés à rendre des comptes devant la justice.
(53)
Elles
maintinrent la pression sur le système judiciaire, effacé
et inefficace, afin de préserver les droits (même si l'exercice
de ces droits restait interdit) de la population.
A
la mi-octobre, le ministre de l'Information Raphael Gendha proposa d'interdire
l'acheminement des aides extérieures au Congo via les ONG. Il annonça
à la télévision congolaise l'intention du gouvernement
de ne plus coopérer avec des " intermédiaires " tels que
les ONG. Il déclara ainsi que le gouvernement traiterait directement
avec les autres gouvernements et organisations internationales dans le
cas d'affaires touchant à la coopération économique.
Aucun communiqué officiel ne suivit à ce propos.
André
Kapanga, ambassadeur du Congo auprès des Nations Unies, expliqua
ultérieurement le raisonnement sous-tendant cette orientation. Il
argua que le fait d'octroyer exclusivement des aides aux ONG et à
la société civile délégitimait l'Etat et récusa
l'affirmation des donneurs d'aide selon laquelle les ONG étaient
mieux qualifiées que l'Etat pour servir les citoyens. Il prétendit
que les ONG étaient commandées de l'extérieur et risquaient
de créer un vide politique si elles tentaient de s'approprier les
pouvoirs de l'Etat.
(54)
Cette
déclaration, comme bien d'autres déclarations similaires
faites par des représentants officiels congolais, n'admettait pas
que les organisations d'aide au développement et les groupes de
défense des droits de l'homme étaient apparus dans le pays
lorsque l'Etat était totalement paralysé et incapable d'assumer
son rôle de soutien au développement, tandis qu'il excellait
à opprimer la population. Le besoin des ONG reste aussi fondamental
aujourd'hui que dans le passé récent du Congo.
Un
membre d'une ONG du Sud-Kivu affirma qu'au début du mois de mai,
il fut contraint de rallier le Bureau d'Etude et d'Investigations (B.E.I),
l'un des nouveaux services de sécurité, puisqu'il s'agissait
d'une condition posée par l'A.F.D.L. pour sa libération.
Lors d'un entretien téléphonique, Ambroise Bulambo Katambu,
le président du Collectif d'Action pour le Développement
des Droits de l'Homme (CADDHOM) déclara que sa position au sein
du B.E.I était rapidement devenue intenable.
Il expliqua
que l'une de ses premières tâches faisait suite aux pressions
exercées par une société minière étrangère,
qui voulait obtenir un accès à deux mines d'or situées
à Mabale et Lujushwa dans sa concession du Sud-Kivu et disposer
des garanties de sécurité nécessaires pour les exploiter.
Dans un rapport de mission interne remis à un supérieur à
la mi-juin, il déclara avoir constitué un dossier relatif
à un projet élaboré conjointement par des responsables
militaires et civils de l'A.F.D.L. afin de détourner l'or des deux
mines, pour leur compte personnel ainsi que celui de représentants
officiels de retour à Kinshasa et dont le nom n'a pas été
mentionné. Peu après, il aurait reçu des menaces de
mort émanant de responsables de l'A.F.D.L., rendus furieux par cette
dénonciation. Il expliqua que ces menaces étaient suffisamment
sérieuses pour le contraindre à fuir la ville de Bukavu et
le pays au début du mois de juillet.
(55)
Cet
incident et la publication par le CADDHOM d'un rapport de contrôle
" non-censuré " sur la situation observée dans la province
(56)
en matière
de droits de l'homme furent apparemment à l'origine des problèmes
rencontrés par l'organisation à la fin du mois d'août
1997; celle-ci fut en effet fermée et trois de ses militants furent
arrêtés et maltraités (cfr. ci-dessous).
Les
autorités gouvernementales du Congo perpétrèrent une
série d'actes d'intimidation à l'encontre des défenseurs
et des associations des droits de l'homme à Kinshasa et dans diverses
régions du pays. Lorsque le gouvernement déclencha une vague
d'arrestations concernant les dignitaires de l'ancien régime en
juin 1997, la communauté de défense des droits de l'homme
dans la capitale décida de lutter et mobilisa ses organisations
membres afin de veiller à ce que les droits des prisonniers soient
respectés et à ce que ceux-ci bénéficient d'un
traitement humain. Plusieurs groupes de défense des droits de l'homme
dirigèrent les visites coordonnées des centres de détention
afin d'établir une liste des détenus et d'enquêter
sur la manière dont ils étaient traités, ainsi que
sur les poursuites judiciaires dont ils faisaient l'objet ou sur l'absence
de telles poursuites.
Le 28 juin,
l'activiste William's Kalume de la Voix des Sans Voix pour les Droits de
l'Homme (V.S.V) fut lui-même arrêté alors qu'il rendait
une visite officieuse à un ancien représentant officiel de
l'ère Mobutu, détenu au quartier général de
l'Agence Nationale de Renseignements. Pendant son interrogatoire, les questions
s'orientèrent sur la V.S.V, sa situation financière, sa structure
de direction, son personnel et ses bureaux régionaux.
(57)
Kalume
fut relâché sans être inculpé deux jours plus
tard.
Le
4 juillet 1997, ce fut au tour de l'activiste Laurent Kantu, de l'Association
des Cadres Pénitentiaires, d'être arrêté dans
des circonstances similaires dans le camp militaire de Kokolo à
Kinshasa, où il s'était rendu pour obtenir des nouvelles
des détenus de l'U.D.P.S. Kantu et Kalume furent tous deux soumis
à de pénibles interrogatoires assortis de menaces pour ingérence
dans " les affaires de l'Etat ". Kantu fut questionné pendant douze
heures avant d'être relâché tard dans la soirée.
(58)
Roger
Sala Nzo Badila, secrétaire général du Centre National
pour les Droits de l'Homme (CENADHO), basé à Kinshasa, fut
arrêté le 23 novembre 1997 et était toujours retenu
prisonnier au moment d'écrire ce rapport. Il était suivi
et menacé par des agents de la sécurité depuis la
publication en juillet du bulletin d'information du CENADHO, Le
Messager, qui se penchait sur les actes du gouvernement en matière
de droits de l'homme. Selon la V.S.V, des soldats armés fouillèrent
consciencieusement sa maison à la recherche de " documents séditieux
" avant de l'emmener. Deux autres membres d'une organisation d'éducation
des électeurs furent relâchés le dix novembre après
avoir été détenus pendant deux semaines à Kinshasa,
en raison de leurs activités de défense des droits de l'homme.
(59)
Dans
les régions les plus reculées de l'intérieur du Congo,
des représentants officiels ordonnèrent la fermeture des
organisations de défense des droits de l'homme, l'arrestation des
activistes, qui furent battus et torturés. Le six août, des
soldats en armes arrêtèrent Bertin Lukanda, le président
de l'antenne de Maniema d'une organisation de coordination des ONG nationales,
le Conseil Régional des Organisations Non-Gouvernementales du Développement
(CRONGD), ainsi qu'un de ses collègues, Diomba Ramazani. Tous deux
furent emmenés au camp militaire de Lwama, à Kindu. Après
avoir été violemment battu pendant plusieurs jours, Ramzani
fut conduit à l'hôpital de la ville, dans un état proche
du coma. Les soldats du camp auraient accusé les deux activistes
d'" espionnage " pour le compte d'une mission d'enquête des Nations
Unies sur les massacres de réfugiés dans l'Est du Congo,
ainsi que d'activisme en faveur de l'U.D.P.S, le principal parti de l'opposition.
L'arrestation
de Bertin Lukanda, qui était également l'un des dirigeants
de l'organisation locale de défense des droits de l'homme Haki Za
Binadamu (HZB), semblait faire figure de représailles à la
suite d'une lettre adressée aux autorités par le HZB, qui
dénonçait la détention illégale et les mauvais
traitements infligés au camp militaire de Kindu à nombre
de suspects impliqués dans des affaires civiles et criminelles ordinaires.
Cinq jours avant l'arrestation de Lukanda, le 1er août 1997, le commandant
militaire avait ordonné au HZB de cesser ses activités et
dépêcha des soldats avec l'ordre de fermer le bureau de l'organisation.
(60)
Les
soldats perquisitionnèrent également sans mandat au siège
du CRONGD/Maniema à Kindu et arrêtèrent Asumani Dieudonné,
un secrétaire du CRONGD, le quatorze août. (61)
Ce
dernier était soupçonné d'avoir alerté la communauté
internationale via la radio à propos de la situation critique vécue
par ses deux collègues.
Dans
le cadre d'une série d'événements similaires à
l'arrestation et aux brutalités infligées aux activistes
de défense des droits de l'homme à Kindu, des soldats de
l'A.F.D.L. arrêtèrent le 23 août Didi Mwati Bulambo,
le coordinateur général du groupe de défense local,
le Collectif d'Action pour le Développement des Droits de l'Homme
(CADDHOM) à Kamituga, dans le district de Mwenga (province du Sud-Kivu).
C'était la deuxième fois que l'A.F.D.L. arrêtait Bulambo.
Celui-ci avait été retenu en détention une première
fois en juillet 1997 pour avoir publié toute une série d'articles
dénonçant la corruption de la procuratie locale de Kamitagu;
il reçut des coups de fouet et on lui refusa tout soin médical
lorsqu'il tomba malade.
(62)
Le
26 août, les soldats arrêtèrent Kylosho Kyalondawa,
un autre activiste du CADDHOM, et Donatien Mazombi, le secrétaire
de l'organisation, deux jours plus tard. Ces trois défenseurs des
droits de l'homme furent retenus prisonniers dans le camp militaire et
roués de coups tous les jours dans le cadre de ce que les soldats
appelaient la " Morale ". Celle-ci consistait à administrer 100
à 200 coups de fouets trois fois par jour, jusqu'à ce que
la victime reconnaisse l'autorité de l'A.F.D.L.
(63)
Tous
trois avaient été accusés d'inciter la population
locale à se rebeller contre l'A.F.D.L. Il est cependant clair -et
les menaces dont il a été question précédemment,
proférées à l'encontre du président de l'association,
le prouvent- qu'ils étaient en fait punis pour leur activisme en
faveur des droits de l'homme.
Tous
trois furent ensuite transférés à Bukavu, la capitale
de la province du Sud-Kivu, et bénéficièrent d'une
mise en liberté provisoire le 27 octobre 1997. Ils reçurent
l'ordre de ne pas quitter Bukavu et de se présenter chaque lundi
au siège local de l'A.F.D.L. On les avertit également qu'ils
étaient placés sous la "surveillance " de l'Agence Nationale
de Renseignements.
Les autorités
congolaises ne montrèrent aucune ardeur à intervenir promptement,
comme le leur avaient demandé les associations de défense
locales à Kinshasa et les agences internationales, afin de mettre
un terme à la détention et aux mauvais traitements subis
par les défenseurs des droits de l'homme dans les régions
reculées du pays.
L'Article 21
du P.I.R.D.C.P (Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques)
déclare :
Le droit de
réunion pacifique est reconnu. L'exercice de ce droit ne peut faire
l'objet que des seules restrictions imposées conformément
à la loi et qui sont nécessaires dans une société
démocratique, dans l'intérêt de la sécurité
nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public ou pour
protéger la santé ou la moralité publiques, ou les
droits et les libertés d'autrui.
La Charte Africaine
des Droits de l'Homme et des Peuples, qui reconnaît pareillement
le droit de réunion pacifique dans l'Article 11, déclare
:
Toute personne
a le droit de se réunir librement avec d'autres. Ce droit s'exerce
sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées
par les lois et règlements, notamment dans l'intérêt
de la sécurité nationale, de la sûreté d'autrui,
de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes.
La plupart
des attaques lancées à l'encontre des partis politiques au
Congo visaient à paralyser leur capacité à exercer
leur droit à la liberté de réunion, que ce soit lors
de réunions politiques publiques ou lorsqu'ils organisaient des
manifestations de rue. Contrairement aux obligations du Congo définies
dans le P.I.R.D.C.P et à leur propre décret-loi constitutionnel
qui prévoit une garantie étendue de l'exercice des "droits
individuels et collectifs," les autorités congolaises frappèrent
la liberté de réunion d'une interdiction extrêmement
stricte. Lorsque des réunions et des manifestations pacifiques non-autorisées
avaient lieu, les autorités envoyaient des soldats les disperser.
Les responsables de l'application de la loi firent souvent usage d'armes
à feu contre des manifestants désarmés, causant ainsi
la mort de dizaines de personnes dont le seul crime était d'avoir
tenté d'exercer leur droit à la liberté de réunion
pacifique.
La
manifestation d'Uvira, juin 1997
Le 26 juin
1997, dans la nuit du dimanche au lundi, les forces de sécurité
d'Uvira, une ville située à l'Est du pays dans la province
du Sud-Kivu, auraient enlevé dix individus pour les exécuter
extrajudiciairement. Le lendemain matin, la découverte de leurs
corps dans la rue déclencha une manifestation spontanée de
la population civile, qui envahit les rues afin de protester contre ces
tueries. Les manifestants réclamaient la fin des enlèvements
et des exécutions extrajudiciaires qui rongeaient la ville, la première
à être tombée aux mains de l'A.F.D.L. en septembre
1996.
(64)
Les
manifestants étaient principalement des femmes et des enfants. Les
soldats de l'A.F.D.L. réprimèrent violemment la manifestation,
tuant et blessant plusieurs dizaines de personnes. Trente-huit manifestants
pacifiques, des enfants pour la plupart, tombèrent sous les coups
de feu et une centaine de personnes furent blessées.
(65)
Lorsque
le commissaire civil de la zone d'Uvira tenta d'intervenir pour mettre
un terme au carnage, il fut lui-même grièvement blessé.
Selon un ancien
responsable de l'A.F.D.L. qui accepta de faire des déclarations
à Human Rights Watch à condition de conserver l'anonymat,
les familles ne furent pas autorisées à enterrer leurs morts.
Les soldats de l'A.F.D.L. les jetèrent dans des fosses communes.
Selon cette même source d'information, le nombre de victimes était
nettement supérieur aux trente-huit morts reconnus par le gouvernement.
D'après ce témoin, la crainte des représailles gouvernementales
empêcha nombre de familles de venir déclarer la perte d'un
parent. Une dizaine de victimes auraient été enterrées
dans le cimetière de l'Eglise catholique d'Uvira. De nombreux autres
corps auraient été emmenés en camion dans des zones
rurales éloignées afin d'y être enterrés anonymement.
Les autorités
de Kinshasa promirent d'enquêter sur la violente répression
de la manifestation d'Uvira. Parmi les responsables qui insistèrent
pour qu'une enquête ait lieu figurait le général Anselme
Masasu Ningaba, le chef d'état-major non-officiel de l'armée
de l'A.F.D.L.; lui-même natif d'Uvira, il connaissait paraît-il
personnellement un grand nombre des familles touchées par le deuil.
Il n'y eut finalement aucune enquête et les commandants militaires
responsables de l'incident ne furent ni interrogés ni mutés.
Manifestations
d'étudiants, Lubumbashi, août 1997
Dans
l'après-midi du lundi onze août, une fusillade éclata
à proximité du campus de l'université de Lubumbashi
entre deux groupes de soldats de l'A.F.D.L. Le premier était composé
de " Kadogos " recrutés dans l'Est du Congo, l'autre comptant parmi
ses rangs d'anciens " gendarmes katangais ". Outre les soldats blessés
et tués lors de cet incident, un groupe de civils qui attendaient
le bus fut pris dans les tirs croisés. Sylvie Tshibola, une étudiante,
fut grièvement blessée et dut plus tard être amputée
d'un bras faute d'avoir reçu les soins adéquats. Martine
Punga Nkuba décéda sur-le-champ des suites de ses blessures.
Bien qu'elle ne fût pas étudiante, elle se rendait régulièrement
à l'université où étudiait son fiancé.
(66)
Saisis
de colère face à cette tuerie, les étudiants commencèrent
à scander des slogans anti-A.F.D.L., brûlèrent son
drapeau et chantèrent la " Zaïroise ", l'hymne national officiel
sous Mobutu. Les autorités envoyèrent des soldats afin de
réprimer la manifestation. Les étudiants leur jetèrent
des pierres et refusèrent de rendre le corps de la victime avant
le matin du douze août.
Le douze août
à cinq heures du matin, les soldats encerclèrent le campus
et firent irruption dans les résidences d'étudiants, tirant
en l'air alors qu'ils se frayaient un chemin jusqu'aux chambres. Après
avoir fouillé les chambres l'une après l'autre, ils arrêtèrent
neuf étudiants et les emmenèrent à l'Agence Nationale
de Renseignements pour les interroger. Ils furent relâchés
tard le treize août, après avoir été violemment
battus. Des contrôleurs appartenant aux groupes de défense
des droits de l'homme de Lubumbashi visitèrent les chambres et relevèrent
minutieusement les impacts des munitions non-explosées tirées
le matin dans les murs et les châssis de fenêtre. Un étudiant
déclara que les soldats l'avaient immobilisé et avaient tiré
dans un seau d'eau, à moins de dix centimètres de sa tête.
(67)
D'autres
fouilles se déroulèrent dans la nuit du mercredi et la nuit
du seize au dix-sept août. Les soldats se tinrent en retrait lorsque
les administrateurs de l'université vérifièrent les
reçus fournis par les étudiants afin de prouver leur identité
et leur droit à disposer des chambres. Un contrôle physique
eut lieu dans les bâtiments de la faculté le lundi dix-huit
août sur des milliers d'étudiants, y compris les étudiants
qui effectuaient la navette.
Ces fouilles
systématiques engendrèrent un climat de crainte qui aurait
incité des dizaines d'étudiants à quitter le campus
et la région. Dans une lettre adressée au gouverneur et datée
du dix-huit août, les associations locales et leur organisation de
coordination, la Concertation des Associations des Droits de l'Homme du
Katanga (CADHOK), dénonçaient l'élaboration d'une
liste d'étudiants suspects par les membres d'une "Chembe Chembe
", une cellule de l'A.F.D.L. implantée depuis peu sur le campus.
La CADHOK lui rappelait que la suppression des activités politiques
sur les campus, sous Mobutu, avait atteint son paroxysme en 1990 avec le
fameux massacre d'étudiants, qui avait fortement contribué
à catalyser la résistance opposée à son régime.
Ce désastre faisait suite à une opération militaire
menée sur ce même campus de Lubumbashi et ordonnée
par un gouverneur.
(68)
Chaque
étudiant reçut l'ordre de se présenter à l'Agence
Nationale de Renseignements peu après l'imposition des contrôles.
Parfois, les administrateurs des universités interrompirent les
cours pour distribuer des convocations aux étudiants. Seize étudiants
furent ainsi arrêtés et accusés d'avoir fomenté
les troubles. Contrairement au premier groupe, ils furent détenus
pendant plusieurs semaines dans les cellules de l'Agence Nationale de Renseignements.
Les pressions continues exercées par la CADHOK, sous forme de lettres
de protestation et de délégations auprès de l'Agence
Nationale de Renseignements, parvinrent finalement à les faire libérer
le dix octobre.
La nuit où
ils furent relâchés, les étudiants furent emmenés
directement de leur cellule jusqu'aux stations de radio et de télévision
locales pour être interrogés à l'antenne par des inspecteurs
de l'Agence Nationale de Renseignements. Ils reconnurent avoir provoqué
l'agitation anti-A.F.D.L., demandèrent le pardon et promirent de
ne plus s'engager à l'avenir dans de telles activités. Il
s'agissait vraisemblablement des conditions à satisfaire pour leur
libération. Plus tard, certains révélèrent
à des organisations membres de la CADHOK qu'ils avaient également
été contraints de devenir les " ambassadeurs de l'A.F.D.L.
" sur le campus, un rôle pour lequel on leur avait promis une rémunération
mensuelle de 100 USD.
(69)
Manifestations
de l'U.D.P.S, Kinshasa
Au
cours des sept mois que dura la guerre civile, l'U.D.P.S avait organisé
d'immenses manifestations et des opérations " ville morte " à
Kinshasa, Kisangani, et d'autres villes, afin d'exprimer leur soutien à
la cause rebelle et d'exiger des négociations visant à régler
le conflit. Les gardes civils de Mobutu réprimèrent violemment
ces manifestations. A la mi-février, son dernier gouvernement interdit
les manifestations et les grèves générales et menaça
d'appliquer la " loi avec une rigueur implacable " pour toute personne
prenant part à ces manifestations.
(70)
Durant
les jours qui précédèrent la chute de Kinshasa, la
capitale fut paralysée par une grève de l'opposition orchestrée
par l'U.D.P.S afin d'accélérer la chute de Mobutu. Un reporter
cita un militant de l'U.D.P.S qui mobilisait les partisans en vue d'une
manifestation en mars et criait, " Hello Kabila. Tu as pris Tingi Tingi.
Tu es en train de prendre Kisangani. Nous t'attendons à Kinshasa.
"
(71)
Les
militants de l'U.D.P.S ne durent pas attendre longtemps. L'A.F.D.L. s'empara
de Kinshasa en mai; l'un de ses premiers actes fut d'interdire les partis
et les activités politiques. Avides d'exercer leur liberté
de s'associer et de se réunir pacifiquement, les membres de l'U.D.P.S
et d'autres groupes de l'opposition découvrirent très rapidement
que les militaires de l'A.F.D.L. et la police anti-émeute n'avaient
rien à envier aux gardes civils en ce qui concernait la répression
violente des manifestations. Les listes de personnes arrêtées,
emprisonnées et violentées après la période
de libération ressemblaient étrangement à celles de
l'ère Mobutu.
Dans les jours
qui suivirent la proclamation du nouveau gouvernement, Etienne Tshisekedi,
le chef de l'U.D.P.S et ancien Premier ministre symbolisant l'opposition
à la dictature de Mobutu aux yeux d'un grand nombre, déclara
lors d'une conférence de presse qu'il ne reconnaissait pas les nouvelles
autorités, ajoutant: " Ce nouveau gouvernement n'existe pas pour
moi. Je demande à tous de rassembler leur ultime énergie
pour résister aux tentatives visant à imposer un gouvernement
sans légitimité populaire. " (72)
Son
appel fut entendu. Indignés par l'exclusion de leur parti et de
son leader du gouvernement de transition, les partisans de l'U.D.P.S organisèrent
plusieurs manifestations au cours des jours qui suivirent l'avènement
de Kabila. Les soldats dispersèrent les marches de protestation,
parfois violemment, et procédèrent à des arrestations.
Les protestataires arrêtés furent généralement
emmenés dans des camps militaires, où ils firent souvent
l'objet de brutalités et furent libérés après
quelques jours.
Il
faut reconnaître que l'U.D.P.S cherchait, à travers ses protestations,
à canaliser les profonds ressentiments ethniques à l'encontre
de l'A.F.D.L. en affirmant que le pays était dirigé par des
"étrangers "; cet appel au chauvinisme ethnique était déjà
apparu précédemment dans le soutien manifesté par
l'U.D.P.S aux efforts du gouvernement de Mobutu afin de priver de la nationalité
zaïroise les Zaïrois d'origine tutsi. Un militant de l'U.D.P.S
déclara à des journalistes: " [Nous] marchons en signe de
protestation contre les Rwandais. Tshisekedi sait que le peuple zaïrois
ne veut pas être gouverné par des étrangers. "
(73)
Peu
après que Tshisekedi eut participé à un rassemblement
politique à l'université de Kinshasa le 26 juin, au cours
duquel il s'était adressé à plusieurs milliers de
partisans étudiants, cinquante soldats fortement armés étaient
descendus à son domicile et l'avaient arrêté, ainsi
que sa femme, pendant la nuit. Les observateurs s'interrogèrent
quant aux motifs réels sous-tendant son arrestation puisque selon
eux, son discours était " extrêmement conciliant " vis-à-vis
des nouvelles autorités. Tshisekedi avait en effet déclaré
aux étudiants qu'il avait noué des contacts avec le président
Kabila pour " harmoniser " leurs points de vue sur les institutions politiques
du pays.
(74)
La
libération de Tshisekedi n'empêcha pas une petite centaine
de partisans de manifester violemment à proximité de son
domicile, dans la commune de Limete à Kinshasa: ceux-ci mirent le
feu à de vieux pneus ainsi qu'à cinq véhicules qui
passaient par là, et pillèrent une station-service. Lors
des affrontements qui s'ensuivirent avec la police anti-émeute,
au moins un des manifestants fut grièvement blessé.
Le vendredi
quinze août 1997, des éléments paramilitaires de la
Police d'Intervention Rapide dispersèrent violemment des militants
de la branche jeunes de l'U.D.P.S au terme d'un rassemblement politique
organisé en face du quartier général du parti à
Limete, Kinshasa. Human Rights Watch observa de loin la violence perpétrée
car les Bérets Rouges, -comme les a surnommés la population
locale- armés de fusils automatiques, repoussèrent d'abord
la masse des spectateurs: une petite centaine de militants resta alors
au centre, juste à l'extérieur du siège de leur parti.
Ces derniers poursuivirent leur réunion, ignorant la présence
menaçante qui les encerclait. Alors que l'assemblée touchait
à sa fin, les soldats prirent d'assaut le bâtiment, rouèrent
de coups les personnes présentes et arrêtèrent quinze
jeunes gens et jeunes femmes, ainsi que le principal orateur, Raymond Kahungu
Mbemba. Kahungu, l'un des cofondateurs d'un parti et secrétaire
général en charge de la branche jeunes, fut emmené
avec les autres vers une destination inconnue. Ils furent libérés
le quatorze octobre, après avoir passé un examen de santé
à l'hôpital Stella de Kinshasa.
(75)
Les
observateurs de Human Rights Watch présents furent témoins
d'une scène de violence non-provoquée, au cours de laquelle
les soldats tirèrent en l'air et frappèrent aveuglément
les militants et les spectateurs à coups de crosse de fusil. L'U.D.P.S
affirma que lors de la fouille systématique des locaux qui s'ensuivit,
les soldats emportèrent un coffre-fort contenant 3.000 USD.
(76)
La
branche jeunes de l'U.D.P.S avait déclaré à la fin
du mois de juillet 1997 qu'elle organiserait un rassemblement public tous
les vendredis afin de " combattre la mise en place d'une nouvelle dictature,
par l'A.F.D.L., au Congo. "
(77)
La
réunion du vendredi quinze août revêtait une importance
particulière: elle coïncidait en effet avec le cinquième
anniversaire de l'élection du président du parti, Etienne
Tshisekedi, au poste de Premier ministre par la Conférence Nationale
Souveraine. Les relations entre l'U.D.P.S et l'A.F.D.L. au pouvoir avaient
atteint un point critique au moment de la réunion. Les contacts
officiels établis entre les deux partis afin d'organiser une rencontre
entre Tshisekedi et Kabila furent gelés par le président,
qui estimait que Tshisekedi posait des conditions inacceptables pour la
réconciliation de leurs partis. Au même moment, l'A.F.D.L.
continuait à attirer dans ses rangs d'importants membres de l'U.D.P.S
en leur proposant des fonctions ministérielles et d'autres postes
à responsabilités.
La
dégradation des relations entre l'A.F.D.L. et l'U.D.P.S marqua l'évolution
récente de la branche jeunes de l'U.D.P.S. Ses membres auraient
été les premiers à créer des comités
d'accueil populaires à la mi-mai afin d'accueillir les soldats victorieux
de l'A.F.D.L. dans la capitale. Dégrisés par les signes annonciateurs
de la mise en place d'un nouveau gouvernement autoritaire sous le contrôle
de l'A.F.D.L. -ce qui impliquait l'exclusion de Tshisekedi- la branche
jeunes forma un comité de crise pour surveiller le déroulement
des événements et trouver des moyens de ramener l'A.F.D.L.
sur la voie du processus de démocratisation. Le meeting du quinze
août visait également à définir le rôle
de la branche jeunes dans les contacts officiels U.D.P.S/A.F.D.L. en cours
à ce moment.
(78)
Le
22 août, Human Rights Watch rendit visite aux quinze détenus
de l'U.D.P.S qui avaient été arrêtés pendant
le meeting du quinze août et étaient retenus prisonniers au
quartier général de la Direction Spéciale d'Investigations
et de Renseignements (DSIR). Nous pûmes avoir un entretien privé
avec trois d'entre eux. Ils confirmèrent les récits parus
dans la presse locale, selon lesquels ils avaient été violemment
battus au poste de police où ils avaient été conduits
après leur arrestation. Le samedi matin (le seize août), ils
expliquèrent avoir été emmenés au Ministère
des Affaires intérieures, où ils subirent à nouveau
toute une série de brutalités, dont des coups donnés
au moyen de bâtons produisant des décharges électriques,
dans la cour du bâtiment principal. Ils affirmèrent que le
ministre-adjoint des Affaires intérieures se trouvait alors dans
son bureau et pouvait entendre leurs cris.
Les membres
du groupe ne furent pas relâchés avant la fin du mois d'octobre.
Ils ne furent pas autorisés à être entendus par une
autorité judiciaire compétente afin de déterminer
les motifs de leur arrestation et ne furent jamais inculpés d'un
crime identifiable. Fin septembre, l'AZHADO publia un communiqué
dans lequel elle exprimait ses craintes de voir " disparaître " deux
des partisans de l'U.D.P.S et son inquiétude quant au bien-être
des deux autres, qui étaient paraît-il " gravement malades
" à ce moment. Comme ce fut le cas dans nombre d'emprisonnements
politiques, les détenus de l'U.D.P.S firent l'objet de pressions
les contraignant à abandonner leurs activités politiques
en guise de condition préalable à leur libération.
Attaque
contre la marche du P.A.L.U et mise à sac du domicile de son leader
Quelque deux
mille membres du P.A.L.U organisèrent une marche pacifique le vendredi
25 juillet 1997, afin de remettre une pétition à la présidence,
au Palais de la Nation (Kinshasa). Le document présentait les exigences
politiques du parti :
1. Le respect
total des droits de l'homme et des libertés y afférentes
par les nouvelles autorités.
2. Des consultations
nationales à propos de la période de transition, en vue d'organiser
des élections présidentielles, législatives et locales
dans les douze mois.
3. Une nette
séparation entre les fonctions présidentielles, assumées
par le président de l'A.F.D.L. s'il le souhaite, et les fonctions
gouvernementales, qui doivent être placées sous l'égide
d'un membre éminent du Parti Lumumbiste Unifié (P.A.L.U);
la formation rapide d'un gouvernement véritablement national, composé
exclusivement d'autochtones et ouvert à toutes les forces vives
de la nation congolaise ayant véritablement lutté contre
la dictature de Mobutu dans le pays.
(79)
La
police dispersa certains marcheurs, dans la zone du cimetière de
Gombe, mais ceux-ci parvinrent à rejoindre le groupe principal devant
le palais présidentiel. Une fois la marche terminée, un groupe
de participants fut intercepté par des sentinelles militaires postées
en face du Ministère des Affaires étrangères, qui
ouvrirent le feu sur les militants désarmés.
Quelques heures
après la fin de la manifestation, les soldats effectuèrent
une descente au domicile d'Antoine Gizenga dans la commune de Limete, tirant
sur les militants et en l'air afin de disperser le rassemblement. Des travailleurs
permanents du parti furent violemment battus à coups de crosse,
de fouet et de barres de fer et contraints de se déshabiller. Les
soldats enfermèrent Gizenga et son épouse dans la salle de
bains pendant qu'ils mettaient la maison à sac. Ils auraient ainsi
emporté tous les biens de valeur, y compris les vêtements
des enfants et les ustensiles de cuisine.
(80)
Selon
le P.A.L.U, le nombre de victimes recensées ce jour-là se
présentait comme suit: un militant décédé de
ses blessures par balles, six membres du parti grièvement blessés
par balles et une centaine d'autres présentant des blessures plus
légères.
(81)
Dans
une pétition adressée au président, Gizenga fournit
une liste détaillée des biens personnels et des biens appartenant
au parti emportés par les soldats hors de son domicile, qui faisait
également office de siège du parti, et réclama la
restitution de ces biens. Il estima leur valeur totale à quelque
300.000 USD.
(82)
M.
Gizenga expliqua à Human Rights Watch qu'il était particulièrement
affecté par la disparition de manuscrits et de documents relatifs
à ses mémoires personnelles, qui se trouvaient parmi les
objets emportés par les soldats. Il s'agissait à ses yeux
d'une tentative délibérée de priver le parti de sa
mémoire institutionnelle et il compara l'incident à un événement
similaire survenu pendant le règne de Mobutu: lors d'une descente
organisée dans son ancien domicile, celui-ci avait été
détruit et des manuscrits relatant ses mémoires avaient été
brûlés. Un grand nombre de militants furent tués et
battus, tandis que des effets personnels - y compris les sièges
des toilettes et les prises murales - furent emmenés au cours de
l'attaque.
(83)
L'Article
12 du P.I.R.D.C.P définit la liberté de mouvement comme un
des droit fondamentaux de la personne humaine, essentiel pour jouir véritablement
des autres droits de l'homme :
1. Quiconque
se trouve légalement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y
circuler librement et d'y choisir librement sa résidence.
2. Toute personne
est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien.
3. Les droits
mentionnés ci-dessus ne peuvent être l'objet de restrictions
que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour
protéger la sécurité nationale, l'ordre public, la
santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés
d'autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent
Pacte.
4. Nul ne peut
être arbitrairement privé du droit d'entrer dans son propre
pays.
Le droit à
la liberté de mouvement se voit octroyer une protection similaire
dans la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, ainsi que
dans l'Article treize de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme.
Le
nouveau gouvernement limita fortement les déplacements des personnalités
politiques et des activistes de la société civile, qui étaient
retenus en détention pendant un certain temps puis relâchés
sans être inculpés ni jugés: on leur demandait alors
de signer un engagement écrit par lequel ils se soumettaient aux
restrictions imposées quant à leur lieu de résidence
et leurs déplacements internes. Le gouvernement enjoignit également
aux anciens prisonniers politiques l'ordre de se présenter régulièrement
à la police ou aux agences de sécurité locales. Dans
au moins deux affaires, relatées ci-dessous, des leaders de l'opposition
furent empêchés de se rendre à l'étranger pour
assister à des conférences internationales.
Joseph
Olenghankoy, président du F.O.N.U.S, et son adjoint Jean-Pierre
Tchimanga, furent arrêtés le dix octobre 1997, alors qu'ils
attendaient un vol pour les Etats-Unis à l'aéroport de Kinshasa.
Tous deux devaient participer à une conférence organisée
par la diaspora congolaise sur le thème de la reconstruction du
Congo. Ils furent emmenés brutalement, ainsi que le garde du corps
d'Olenghankoy, et retenus toute la nuit.
A sa libération,
Olenghankoy déclara aux reporters qu'on ne lui avait pas fait connaître
les raisons de leur arrestation, qu'il avait été " torturé
" et souffrait d'une blessure au bras. Son passeport et ses documents de
voyage avaient été confisqués. Le secrétaire
général du F.O.N.U.S, John Kwet, expliqua également
aux journalistes que le domicile d'Olenghankoy dans l'ouest du pays et
son appartement de Kinshasa avaient été vidés la nuit
par des soldats en uniforme, en présence de hauts responsables du
Ministère des Affaires intérieures.
(84)
Olenghankoy
avait déjà été arrêté au début
du mois de septembre et gardé peu de temps en détention dans
les quartiers généraux du service de renseignements militaires.
A
la mi-novembre, les autorités interdirent au leader de l'opposition
chrétienne-démocrate de prendre l'avion pour Paris afin d'assister
à une réunion de la Christian Democrat International.
(85)
Les
restrictions de mouvement imposées aux anciens prisonniers politiques
semblent être la règle. Antoine Kazadi, le leader de l'U.D.P.S
libéré en août après trois mois de détention
à Lubumbashi, avait en effet reçu l'ordre de ne pas quitter
la ville pendant un mois et de se présenter tous les jours au siège
de l'Agence Nationale de Renseignements. De la même manière,
des activistes de défense des droits de l'homme relâchés
après avoir été détenus à Kindu et Bukavu
virent leur liberté de mouvement limitée par des contraintes
semblables à celles susmentionnées.
Liberté
d'expression et de la presse
L'Article 19
du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques protège
la liberté d'expression. Il affirme:
1. Nul ne peut
être inquiété pour ses opinions.
2. Toute personne
a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté
de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des
idées de toute espèce, sans considération de frontières,
sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou
par tout autre moyen de son choix.
Les critiques
pacifiques émises à l'encontre du gouvernement ne peuvent
justifier la limitation de la liberté d'expression garantie par
l'Article 19 (2). L'Article 19 (3) pose les restrictions admissibles à
la liberté d'expression,
(86)
exigeant
notamment que chacune d'elles soit définie légalement, qu'elle
serve l'un des objectifs légitimes expressément cités
dans le P.I.R.D.C.P et qu'elle soit "nécessaire." La liberté
de la presse se trouve au cœur même du concept de diffusion de l'information
et doit dès lors bénéficier d'une protection spécifique.
L'Article neuf
de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples déclare
simplement:
1. Toute personne
a droit à l'information.
2. Toute personne
a le droit d'exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois
et règlements.
L'un des progrès
majeurs réalisés par le mouvement démocratique dans
l'ancien Zaïre fut la liberté relative que le secteur de la
presse et de la radiodiffusion privées arracha au pouvoir répressif
du gouvernement de Mobutu Sese Seko, au cours des dernières années
d'une transition imparfaite vers la démocratie. Ainsi, on assista
à l'émergence d'un réseau de radiodiffusion privé
extrêmement populaire, qui comptait cinq radios et cinq stations
de télévision privées dans la capitale, Kinshasa.
Les principales villes de l'intérieur du pays, dont Lubumbashi,
Kisangani et Goma, possédaient chacune leurs stations de radiodiffusion
privées. Les nouvelles autorités tentèrent de limiter
la liberté de la presse, notamment par des manœuvres d'intimidation
contre les journalistes de la presse orale et les journaux émettant
des critiques à leur égard. En outre, le gouvernement essaya
de préserver le contrôle très strict exercé
par son prédécesseur dans le secteur de la radiodiffusion
publique.
La pratique
du journalisme fut de plus entravée par l'effondrement de l'économie
formelle et de l'infrastructure du pays. Par conséquent, la grande
majorité des journaux de Kinshasa, qui sont publiés sous
la forme de tabloïdes et ne comptent généralement que
huit pages, ne disposent pas de téléphone ou de fax en état
de fonctionnement, ni de matériel informatique leur appartenant.
Ils comptent sur les revenus générés par la distribution
directe au public, via leur réseau étendu de vendeurs de
rues. Peu d'entreprises placent des publicités dans les tabloïds.
Le prix de vente moyen -un dollar par numéro- est hors de portée
du grand public. Une scène familière dans les rues du centre
de Kinshasa: des petits groupes d'individus se réunissent autour
des stands de journaux et lisent à distance les titres des journaux
qu'ils ne peuvent se permettre d'acheter.
Peu
après avoir pris Kinshasa, le gouvernement de l'A.F.D.L. annonça
une purge massive parmi les journalistes et les travailleurs employés
par la société publique de radio et de télévision
connue sous le nom d'Office Zaïrois de Radio et de Télévision
(OZRT). Le 4 juin, le gouvernement fit savoir que l'OZRT était devenu
la " propriété du peuple congolais " et le rebaptisa Radio-Télévision
Nationales Congolaises (RTNC).
(87)
Les
nouvelles autorités fermèrent et remplacèrent également
la seule et unique agence de presse du pays, l'Agence Zaïroise de
Presse.
L'une
des premières décisions du nouveau ministre de l'Information,
Raphael Ghenda, fut d'interdire la diffusion de publicités commerciales
par les stations de radio et de télévision privées.
(88)
Le
ministre justifia sa décision par la nécessité de
" mettre un terme, sans plus attendre, au désordre et à l'anarchie
régnant dans le secteur commercial. "
(89)
Le
coordinateur de l'information de l'A.F.D.L., Leyka Moussa Nyembo, tenta
de justifier cette mesure en soulignant que les stations de radio et de
télévision privées appartenaient aux partisans de
l'ancien président Mobutu Sese Seko et ne payaient aucune redevance.
Il ajouta qu'" une taxe équivalente à 30 % de leur chiffre
d'affaires pourrait être introduite et que cet argent servirait à
financer les chaînes publiques. "
(90)
En
juin, les autorités décidèrent de nationaliser Télé
Kin Malebo, une station de télévision privée populaire
appartenant à Ngongo Luwowo, un ancien responsable de l'ère
Mobutu. Elles prétendirent que Luwowo abusait de ses fonctions de
ministre de l'Information sous Mobutu pour détourner du matériel
destiné à la station de télévision nationale.
Les responsables de TKM démentirent en affirmant qu'ils possédaient
les documents attestant qu'ils s'étaient procuré ce matériel
légalement, mais cette objection ne fléchit en rien la détermination
du gouvernement.
(91)
Dès
les débuts de la République Démocratique du Congo,
la presse privée très active à Kinshasa garda un ton
critique vis-à-vis du nouveau gouvernement, restant ainsi fidèle
à l'indépendance héritée de ses luttes passées
pendant le règne de Mobutu. Dans un premier temps, les nouvelles
autorité affichèrent une certaine tolérance. Celle-ci
disparut cependant rapidement lorsque la presse couvrit des affaires jugées
"sensibles," telles que les questions relatives à la sécurité
et à la corruption dans les rangs du gouvernement.
La presse écrite
fut la cible privilégiée d'une répression implacable.
Le dix-sept mai 1997, le jour où Kabila se proclama président,
les soldats mirent à sac les locaux du groupe de presse Le
Soft, qui appartenait à un ancien ministre de l'Information.
Le mercredi seize juillet, La
Référence Plus, le premier quotidien à Kinshasa,
publia un article alléguant l'existence d'un conflit entre deux
candidats pour le poste de conseiller de la présidence en matière
de sécurité. André Ipakala, le rédacteur en
chef de La
Référence Plus, expliqua à Human Rights Watch
que le lundi suivant, cinq agents de le police politique (l'ANR) vinrent
l'arrêter au bureau. Ils n'avaient pu produire de mandat d'arrêt
lorsqu'il le leur avait demandé avant de les suivre.
Quatre agents,
qui déclarèrent être des hommes de loi, l'interrogèrent
dans le bureau du directeur du Département des Affaires intérieures
de l'ANR. Ils voulaient connaître l'origine de l'histoire et le menacèrent
de représailles s'il refusait de révéler sa source
d'information. Ipakala répliqua que juste avant la chute de Mobutu,
une nouvelle loi sur la presse avait été promulguée
et exigeait que les journalistes dévoilent leurs sources lorsque
des " autorités compétentes " le leur demandaient, mais cette
loi ne spécifiait pas quelles étaient ces autorités.
Ipakala fut relâché tard dans la nuit. Les agents de l'ANR
qui l'interrogèrent lui demandèrent de rencontrer le responsable
de la publication ainsi que l'auteur de l'article. Ce dernier finit par
dévoiler sa source qui, selon Ipakala, était relativement
haut placée, de sorte que l'enquête fut bloquée.
(92)
Ali
Kalonga, le directeur de l'Agence de Presse Congolaise officielle, resta
en détention pendant plusieurs semaines du mois d'août 1997,
pour avoir autorisé la publication d'un article relatant la suspension
et la détention à domicile du ministre des Finances, à
la suite d'accusations de corruption.
Moise Musangana,
le directeur des publications du quotidien Le
Potentiel, raconta à Human Rights Watch que l'agence avait reçu
régulièrement des visites de personnes prétendant
être des agents de la sécurité ou des membres de l'A.F.D.L.
au pouvoir. Ils posèrent des questions sur la couverture assurée
par le journal à propos de l'A.F.D.L. et donnèrent des avertissements
aux journalistes. Musangana était convaincu que ces visites avaient
pour but de donner aux articles une orientation pro-A.F.D.L.
(93)
La
conséquence attendue de ces attaques et de ces visites d'intimidation
sembla être une autocensure dans la presse privée.
Les
autorités arrêtèrent Polydor Muboyayi Mubanga le 8
septembre 1997, après que Le
Phare, un quotidien indépendant dont il était le rédacteur
en chef, eut publié un article affirmant que le président
Kabila était en train de recruter sa propre garde présidentielle.
Il déclara avoir été battu lors de son arrestation.
Polydor fut ensuite détenu dans une cellule au Tribunal de Première
Instance, la principale cour criminelle de Kinshasa, où les conditions
de détention sont réputées extrêmement dures.
Le dix-sept septembre, il fut officiellement inculpé de " propager
de fausses rumeurs et d'incitation à la haine ethnique, "; il risquait
une peine d'emprisonnement maximale de deux ans s'il était déclaré
coupable.
(94)
L'arrestation
de Polydor Mubanga déclencha une gigantesque campagne de solidarité
et de pressions diverses exigeant sa libération. Le neuf septembre,
l'Union des Journalistes et des Travailleurs du secteur des médias,
protestèrent contre la détention du journaliste. Le douze
septembre, l'AZADHO réclama la libération immédiate
de Polydor et insista pour que les autorités abandonnent leurs "stratégies
d'intimidation ". Le dix-huit septembre, l'association locale des journalistes
Média Libre-Média pour Tous lança une" journée
sans journaux ", qui fut respectée par l'ensemble de la presse congolaise.
L'organisation déclara que son arrestation constituait une " violation
flagrante de la loi, qui garantit la liberté de la presse " en République
Démocratique du Congo. Les organismes de surveillance des médias
internationaux lancèrent également des appels similaires.
Il fallut cependant attendre la mi-novembre avant que le président
Kabila ordonne sa libération, en "conseillant" au ministre de la
Justice de le relâcher.
(95)
Alors
que Polydor était libéré, les autorités arrêtèrent
Bonsange Yema le dix-huit novembre à Kisangani. Rédacteur
en chef duMambenga,
de L'Essor
Africain et de L'Alarme,
il était soupçonné "d'espionnage" pour le compte de
la Mission d'enquête des Nations Unies. Il fut relâché
le 27 novembre. L'arrestation de Bonsange illustrait parfaitement la réaction
du gouvernement face à la couverture donnée à ses
agissements en matière de droits de l'homme. Tandis que les Nations
Unies s'apprêtaient à entamer leurs investigations (fin novembre-début
décembre), le gouvernement intensifia les mesures de répression
contre les médias, visiblement soucieux d'empêcher ces derniers
de prendre part à la recherche de la vérité. Cette
censure visait aussi bien les médias nationaux qu'internationaux,
comme le prouvent les incidents relatés ci-après.
A la fin du
mois de novembre, le réseau de radiodiffusion de l'Etat licencia
quatre journalistes travaillant pour des médias locaux et étrangers.
Selon les comptes rendus, le chef suppléant du réseau les
avait accusés de " n'avoir pas tenu compte des instructions… relatives
à la diffusion des nouvelles. "
(96)
L'AFP
déclara que les quatre journalistes étaient accusés
d'avoir "déformé" les faits ultérieurs aux affrontements
survenus à Kinshasa entre deux factions rivales de l'armée
et l'arrestation du commandant Masasu Nindaga, le chef d'état-major
suppléant de l'armée. Le trente novembre, les autorités
bloquèrent les émissions des médias internationaux
dans le pays. Le ministre de l'Information, Raphael Gendha, déclara
que toutes les émissions radiodiffusées sur la bande FM seraient
suspendues "pour une période indéterminée"; il précisa
que cette décision était motivée par la "campagne
de désinformation" menée par "certains médias étrangers"
qui tentaient de miner son gouvernement. La décision toucha la BBC,
Radio France Internationale et la Voix d'Amérique, dont les bulletins
d'information étaient relayés par des stations de radio privées.
Cette décision aurait toutefois été annulée
quelques jours plus tard à la suite de pressions diplomatiques discrètes.
Le
gouvernement prit également toute une série de mesures qui,
si elles venaient à être appliquées intégralement,
menaceraient l'existence même de la presse privée. Le dix-huit
août par exemple, la police nationale ordonna l'interdiction de la
vente de journaux dans les rues principales de Kinshasa. La presse privée
y vit une " déclaration de guerre " étant donné que
son réseau de distribution repose entièrement sur les vendeurs
de rues.
Enfin, le président
Kabila enjoignit aux journalistes du pays de faire leur travail de manière
"responsable" sous peine d'encourir des sanctions disciplinaires. Lors
d'une conférence de presse à Kinshasa, il déclara
que l'Etat " était contraint de se défendre contre une section
des médias qui était toujours prête à réclamer
ses droits mais qui ne se souciait guère d'accomplir ses devoirs.
"
(97)
Le
président ne précisa pas quelle "sanction disciplinaire "
son gouvernement réserverait aux journalistes dont les écrits
seraient jugés "irresponsables." C'est d'ailleurs sans importance.
Peu après que Kabila eut lancé cette menace, des soldats
battirent violemment dix journalistes et confisquèrent leur matériel,
parce qu'ils avaient tout simplement assisté à la conférence
de presse organisée le 27 novembre 1997 par les Forces du Futur,
un parti de l'opposition.
(98)
20.
"Kinshasa:
Recrudescence des Vols à Main Armée," Communiqué de
Presse N° 13/97, AZAHDO, Kinshasa, 14 août 1997.
21.
"Minister's
Bodyguard Kills Two, Sentenced to Death," A.F.P., Kinshasa, 25 septembre
1997.
22.
Interview
téléphonqiue de Human Rights Watch, New York - Lubumbashi,
3 novembre 1997.
23.
"Kabila
Orders Return of Property Seized From Mobutu Officials," A.F.P., Kinshasa,
12 novembre 1997.
24.
Interview
de Human Rights Watch, Lubumbashi, août 1997.
25.
Interview
de Human Rights Watch, Likasi, décembre 1996
26.
Interview
de Human Rights Watch, Lubumbashi, décembre 1996.
28.
Interview
de Human Rights Watch, Kinshasa, 13 août 1997.
29.
L'Aticle
25 du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques stipule
que tout citoyen a le droit: "(a) de prendre part à la direction
des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire
de représentants librement choisis; (b) de voter et d'être
élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes,
au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression
libre de la volonté des électeurs..."
30.
"Zaire:
Zaire Government Reiterates Ban on Parties, Demonstrations," A.F.P., Kinshasa,
26 mai 1997, dans FBIS-AFR-97-147, 27 mai 1997.
31.
Lynne
Duke, "Protesters in Kinshasa Defy Kabila's Ban, Troops Disperse Demonstrators,
but Tensions Persist Between New Order, Old Opposition," Washington
Post, 29 mai 1997, p. A25. 32.
"Zaire:
Patriotic Front Says Ready to Work With Kabila," Radio France International,
20 mai 1997, dans FBIS-AFR-97-140, 22 mai 1997.
33.
Colette
Braeckman, "Health Minister Views Political, Social Situation," Le
Soir, 23 juillet 1997.
35.
Interview
de Human Rights Watch, Kinshasa, 15 août 1997.
37.
Marie-France
Cros, "The Democratic and Social Christian Party Wants to Avoid a Crisis,"
Bruxelles, La
Libre Belgique, 14 juillet 1997.
38.
Interview
de Human Rights Watch, Lubumbashi, 19 août 1997.
40.
Interview
téléphonique de Human Rights Watch, 3 novembre 1997.
41.
Interview
d'Antoine Gizenga par Human Rights Watch, 16 août 1997.
42.
Colette
Braeckman, "Congo : un Homme et Trois Cercles de Pouvoir, " Le
Soir, 7 novembre 1997.
43.
Colette
Braeckman, "Criticize Kabila in Kinshasa and Disappear, " Le
Soir, 15 juillet 1997.
44.
"Congo
- Kinshasa : Enlèvements Comme Signes Inquiétants de Manque
de Maîtrise des Rênes du Pouvoir, " Communiqué de Presse
N° 019/C/V.S.V/CD/97, V.S.V., Kinshasa, 15 septembre 1997.
45.
Service
d'Action et de Renseignements Militaires, S.A.R.M.
46.
"Parliamentary
Leader Escapes Arrest, Takes Refuge in Congo," Radio Africa N° 1, Libreville,
16 février 1997, dans FBIS-AFR-97-032, 19 février 1997.
47.
"DR
Congo Authorities detain Opposition Figure : Claim …," AFP, Kinshasa, 8
septembre 1997.
48.
"Congo-Kinshasa
: DRCongo - Opposition Leader Sues Ministers for Assault," AFP, Kinshasa,
17 octobre 1997.
49.
Interviews
de Human Rights Watch avec la direction de l'U.D.P.S à Lubumbashi,
19 août 1997.
50.
Interviews
de Human Rights Watch, Lubumbashi, 19 août 1997.
51.
"
Bastonnade Contre Forces du Futur et Journalistes, " Voix des Sans Voix,
Communiqué de Presse N° 024/C/V.S.V/CD/97, Kinshasa, 27 novembre
1997. 52.
Pour
plus d'informations, cfr. : Human Rights Watch, " Zaire : Transition, War
and Human Rights, " A
Human Rights Watch Short Report, vol. 9, n° 2 (A), avril 1997.
53.
Cfr.
: " La Voix du C.D.H., " N° 13 Spécial, juin 1997, et " Violations
et Insécurité, " Supplément au Périodique des
droits de l'Homme, A.Z.A.D.H.O/Katanga, avril-juillet 1997, et
54.
Discours
de l'ambassadeur Kapanga à la Carnegie Foundation, Washington, 20
novembre 1997.
55.
Entretien
téléphonique avec Human Rights Watch, New York - Lausanne,
13/11/97.
56.
fr.
également : " Déclaration du CADDHOM à la Suite du
Scellage de ses Bureaux et de l'Arrestation de ses Activistes dans l'Est
de la R.D. du Congo Depuis le 23/08/1997, "
CADDHOM,
10 septembre 1997.
57.
Interview
par Human Rights Watch, Kinshasa, 8 août 1997.
58.
Interview
par Human Rights Watch, Kinshasa, 7 août 1997.
59.
Cfr.
" A la Recherche de 'Documents Séditieux' au Sein des ONG des Droits
de l'Homme, " V.S.V, Communiqué de presse N° 23/C/V.S.V/CD/97,
Kinshasa, 24 novembre 1997.
60.
Interview
de Human Rights Watch avec un responsable du HZB, Kinshasa, 11 août
1997. Cfr. également : Amnesty International, " Torture / Fear of
Torture, Democratic Republic of Congo (DRC), " Urgent Action, 13 août
1997, AI Index : AFR 62/24/97.
61.
Cfr.
" Human Rights Defenders in Congo (Zaire), " the Observatory for the Protection
of Human Rights Defenders, Urgent Action, RDC / 001 / 9708 / OBS 007, Paris,
28 août 1997.
62.
Cfr.
l'action urgente d'AI dans cette affaire, en date du 9 septembre 1997,
AI Index : AFR 62/27/97.
63.
"
Déclaration du CADDHOM à la suite du Scellage de ses Bureaux
et de l'Arrestation de ses Activistes dans l'Est de la R.D. du Congo Depuis
le 23/08/1997, " CADDHOM, 10 septembre 1997.
64.
Les
tensions ethniques avaient opposé les habitants, qui sont essentiellement
issus des groupes ethniques Bavira, Bambebe et Bafulero, à la nouvelle
administration, placée sous le contrôle des Banyamulenge.
Ceux-ci n'apprécièrent pas d'être considérés
comme des étrangers dans cette province où ils avaient aussi
leurs racines.
65.
"
Zaire : Zaire Soldiers Reportedly Kill Thirty in Uvira Demonstration, "
AFP, Paris, 2 juin 1997.
66.
Interviews
de Human Rights Watch, Lubumbashi, 18 août 1997.
67.
Pour
plus d'informations, cfr. : Communiqué de presse N° 001/CADHOC/97
(Concertation des Associations de droits de l'Homme du Katanga (CADHOK).
68.
Pour
plus d'informations à propos de ce massacre, cfr. " Zaire : Repression
as Policy, " The Lawyers Committee for Human Rights, New York, 1990, pp.
80-91.
69.
Entretien
téléphonique avec Human Rights Watch, New York - Lubumbashi,
30 octobre 1997.
70.
"
Zaire : Cabinet Meets, Bans Demonstrations, Ghost City Operations, " Kinshasa,
Voix du Zaïre, 15 février 1997, dans FBIS-AFR-97-032, 19 février
1997.
71.
"
Troops disperse Zaire March to Back Rebels Talks, " Reuter, Kinshasa, 7
mars 1997.
72.
"
Congo Troops Break up Anti-Governement Protest, " Reuter, Kinshasa, 23
mai 1997. 73.
William
Wallis, Reuter, Kinshasa, 28 mai 1997.
74.
"
Zaire : Zaire-Opposition Supporters Stage Violent Protests, " AFP, Kinshasa,
27 juin 1997.
75.
Communiqué
de presse N° 019/BIS/C/V.S.V/CD/97, V.S.V., Kinshasa, 22 octobre 1997.
76.
"
Hier à Limete : la Permanence de l'U.D.P.S mise à sac…, "
La Référence Plus, Kinshasa, 16 août 1997.
77.
"
Principaux Titres de l'Actualité, Vendredi 25 juillet 1997, " CNONGD,
Kinshasa.
78.
Cfr.
le résumé du discours de Raymond Kahungu lors de la réunion
dans " Le Meeting de la J.U.D.P.S se Termine par une Rafle…, " Le
Potentiel, 16 août 1997.
79.
"
Motion Politique : A L'Attention du Président de L'A.F.D.L. et Président
de la République M. Laurent Désiré Kabila, " PALU,
24 juillet 1997.
80.
Interview
de Human Rights Watch avec Antoine Gizenga et son épouse, Kinshasa,
16 août 1997. 81.
"
Communiqué de presse N° 0015/Z/V.S.V/CD/97, " V.S.V, Kinshasa,
27 juillet 1997.
82.
Document
du PALU PL/SG/LEO/N°237/97, copie à Human Rights Watch.
83.
Interview
par Human Rights Watch, Kinshasa, 16 août 1997.
84.
"
Kinshasa Police Release Opposition Leaders, " AFP, Kinshasa, 11 octobre
1997 et " Opposition Party Leaders Arrested at Kinshasa Airport, " AFP,
10 octobre 1997.
85.
"
Democratic Republic of Congo : Pointers - Political Trip Barre, " Janes
Information Group, Foreign Report, 11 novembre 1997.
86. L'Article
19 (3) du P.I.R.D.C.P : " L'exercice des libertés prévues
au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux
et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence
être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois
être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires: a) Au respect
des droits ou de la réputation d'autrui; b) A la sauvegarde
de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé
ou de la moralité publiques. "
87.
"
Zaire : Zaire-Radio, Television Stations Made Property of People, " Kinshasa,
Voix du Zaïre, 4 juin, FBIS-AFR-97-157, 6 juin 1997.
88.
"
Zaire : Zaire Governement Bans Private Radio, TV Commercials, " Kinshasa,
Voix du Zaïre, 26 mai, FBIS-AFR-97-147, 27 mai 1997.
90.
"
Democratic Republic of Congo : Media Purge, " The Reporters Sans Frontières
Newsletter, juillet/août 1997 - N° 18, p. 1.
91.
"
Zaire : Zairian Authorities To Nationalize Private TV Station, " Libreville,
Africa N° 1 Radio, 18 juin, FBIS-AFR-97-170, 19 juin 1997.
92.
Interview
par Human Rights Watch, Kinshasa, 13 août 1997.
93.
Interview
par Human Rights Watch, Kinshasa, 15 août 1997.
94.
"
Request for Action on Behalf of Polydor Muboyayi Mubanga, " Amnesty International
Urgent Action, 25 septembre 1997.
95.
Cfr.
"Democratic Republic of Congo : Kabila Demands Congo Editor be Set Free,
" Reuter, Kinshasa, 18 novembre 1997.
96.
Mise
à jour N° 307 IRIN pour l'Afrique centrale et de l'Est, vendredi
5 décembre 1997, Nations Unies, Département des Affaires
Humanitaires, Integrated Regional Information Network for Central and Eastern
Africa.
97.
Cfr.
Mise à jour N° 297 IRIN pour l'Afrique centrale et de l'Est,
vendredi 21 novembre 1997, Nations Unies, Département des Affaires
Humanitaires, Integrated Regional Information Network for Central and Eastern
Africa.
98.
Cfr.
ci-dessus. Les personnes qui firent l'objet de violences étaient
: Kamanda wa Kamanda (correspondant d'Africa N°1), Paulin Tuluma, Musangu
Fidele (Le Phare), Kota Jonas (Le Potentiel), Beke Eric, Kasongo Denis
(Le Défi Africain), Lubunga (correspondant de la BBC-Swahili), Wamwana
Baudoin (La Semaine du Rapporteur), Bonane Ya Nganzi Xavie (La Semaine
du Rapporteur), Mosi Mosi (correspondant de la BBC et de la Voix d'Allemagne).
Cfr. " Bastonnade Contre Forces du Futur et Journalistes, "V.S.V.
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