La première vague de massacres, juin-décembre 1999
« Nous avons vu des flammes venir d'un autre village et nous sommes partis subitement. C'était à Gokpa. C'était pendant la journée. Nous sommes partis à l'improviste, sans rien emporter. Nous étions en famille ; nous sommes six mais nous avons perdu trois membres de notre famille. Il nous a fallu deux jours pour arriver ici [Bunia]. C'était en août 1999 » a raconté une personne âgée, victime de la guerre, aux chercheurs de Human Rights Watch.56 Un professeur originaire de Fataki, qui se trouvait aussi au centre ecclésial abritant surtout des Hema déplacés par la guerre, a fondu tout à coup en larmes lorsqu'elle a raconté comment quelqu'un avait eu la gorge tranchée :
J'enseignais à Fataki. Nous avons entendu dire que les maisons des Hema avaient été détruites à Lenga. Nous avons demandé pourquoi les gens étaient déplacés. Nous enseignions avec un frère lendu et il y avait des enfants lendu à l'école. Un beau jour, les enseignants et les étudiants lendu se sont retirés dans les forêts, c'était en juillet 1999. Nous avons continué et terminé l'année scolaire. Ils ne sont pas revenus. Dans les environs de Libi, il y avait des incendies, les gens fuyaient vers Fataki. Puis, le bruit a commencé à se rapprocher pendant la nuit. Il y avait le feu partout autour. [C'est à ce moment qu'elle a fondu en larmes, en décrivant les massacres.] Nous n'avions aucun moyen d'aller ailleurs. Nous étions aller chez les prêtres. Ils ont transporté les mamas qui ne pouvaient pas marcher. Avant l'attaque, notre chef est parti dans la forêt. C'était un Lendu. Il est parti ce jour-là pour dire à ceux qui étaient dans la forêt de ne pas attaquer. Il s'est adressé aux gens dans l'église et nous a dit de rester calmes. Le jour suivant, ils ont attaqué. Les attaquants ont aussi tué un Lendu qui ne voulaient pas prendre parti pour eux. Ils avaient des machettes, des lances et des morceaux de bois pris dans la forêt que quelqu'un avait taillés. Certains de nos étudiants [ceux qui avaient disparu auparavant] se trouvaient parmi les attaquants.57
Le directeur d'une entreprise de transport du village de Rukimo a raconté comment lui et sa famille avaient été attaqués le 1er décembre 1999 :
Ils étaient beaucoup, des centaines, armés d'armes traditionnelles, de lances, de machettes. Nous avons participé - nous avons ramassé des pierres pour nous défendre. A ce moment-là, nous n'avions pas d'armes - maintenant, nous en avons. Il y avait plein de victimes. Certaines ont été jetées dans le fleuve Shari. D'autres ont été décapitées. D'autres encore ont été amenées ici à l'hôpital de Bunia. Cela a duré de 19 à 23 heures. Puis, ils sont repartis dans leur village à Buli.58
Les témoins ont dit que les attaquants étaient parfois des personnes qu'ils connaissaient. Certains étaient des amis et voisins qui avaient partagé leur vie avec eux jusqu'à ce que les affrontements gagnent les nombreux petits villages parsemant les collines et les plaines de la région de Djugu, la plus touchée par le conflit. Un membre d'une organisation humanitaire qui travaillait dans la région au pire moment des massacres a décrit ce qu'il a vu :
J'ai traversé beaucoup de villages incendiés. Il y avait des extrémistes dans les deux camps. Les Lendu se droguaient et attaquaient les villages hema, utilisant au hasard leurs armes traditionnelles contre les civils. En juillet et août, l'UPDF a déployé des unités, surtout dans les villages hema. Les Lendu ont réagi en érigeant des barrages routiers et en attaquant les militaires [ougandais]. Les soldats ont accompagné les extrémistes hema lors d'attaques contre des villages lendu et contre des cachettes utilisées par les Lendu dans les forêts avoisinantes. Leurs convois tiraient sur tout ce qui bougeait.59
Les informations des agences humanitaires et des centres de santé locaux corroborent les récits des témoins. A l'hôpital public de Bunia, par exemple, plusieurs mois après la fin des affrontements, la vaste majorité des victimes soignées pour des blessures provoquées par des machettes et pour des amputations étaient des Hema tandis que bon nombre de Lendu se remettaient de blessures par balles.60
Selon les informations de l'ONU, sept mille personnes auraient été tuées et au moins 150.000 déplacées lors des affrontements qui ont eu lieu entre juin et décembre 1999.61 Un nombre incalculable d'autres personnes issues des deux groupes ethniques ont été violées, torturées ou d'une manière ou d'une autre grièvement blessées au cours de ces mois. Les Lendu se sont réfugiés pour la plupart dans la brousse, souvent hors de portée de l'aide humanitaire ; les Hema ont convergé sur Bunia et d'autres villes et grands villages situés aux abords des routes principales entre Bunia et la frontière ougandaise. Bon nombre des personnes déplacées en 1999 n'étaient pas encore rentrées chez elles lorsque le conflit a repris à la fin 2000, forçant des milliers d'autres personnes à fuir le dernier épisode de ce qui est devenu la plus grande crise humanitaire du Congo déchiré par la guerre. Les discours incendiaires se sont succédé au rythme des massacres, chaque camp accusant l'autre de « nettoyage ethnique » et d'intention génocidaire.
Au cours de leur longue cohabitation plus ou moins harmonieuse dans le nord-est du Congo, les Hema et les Lendu, plus nombreux, ont fini par partager une langue commune, le kilendu, et à se marier régulièrement entre eux. Les membres des deux groupes vivent de l'agriculture mais les Hema, dont certains possèdent des troupeaux de bétail assez grands et des avoirs fonciers importants, passent généralement pour être plus riches que les Lendu. Les Hema ont également été favorisés par les colons belges qui les recrutaient pour gérer leurs fermes et superviser les travailleurs qui étaient généralement des Lendu. Lorsque les Belges ont fui le Congo au moment de l'indépendance au début des années 60, bon nombre de Hema ont repris leurs fermes. Leur richesse permet aux Hema d'avoir plus facilement accès à l'éducation et donc aux postes administratifs et aux fonctions de responsables politiques. Les deux groupes se sont déjà affrontés dans le passé à propos du droit à la terre, notamment en 1972, 1985 et 1996.62 Lors des incidents précédents, les autorités locales étaient intervenues rapidement et avaient coupé court aux violences en faisant appel aux mécanismes coutumiers d'arbitrage et de médiation.
A la mi-juin 1999, certains propriétaires terriens hema de la localité de Walendu/Pitsi auraient cherché à profiter de l'absence d'une autorité locale crédible pour étendre leurs avoirs fonciers sur le territoire réclamé par les communautés lendu. Les propriétaires hema auraient présenté des titres falsifiés avec l'aide des fonctionnaires locaux : c'est en tout cas l'avis des communautés locales lendu concernées. La dispute a mené à la violence : tant les Hema que les Lendu ont formé des milices pour attaquer les villages de l'autre groupe et pour défendre leur propre population. Dans certains cas, les Hema possédant de grandes exploitations ont mis sur pied des bandes armées pour défendre leurs biens. Le conflit a dégénéré car il n'y avait aucune administration civile opérationnelle prête à intervenir. Certains soldats ougandais déployés dans la zone de conflit pour contenir les premiers affrontements ont cherché à tirer parti de la situation. Dans la plupart des cas, ces soldats auraient accordé leur soutien aux Hema et les auraient aidés dans leur effort d'étendre leur territoire. Dans quelques cas, d'autres soldats ougandais auraient aussi soutenu les Lendu ou auraient tiré pour les protéger.63
Changements administratifs : création de la Province d'Ituri
Lorsque le conflit a éclaté, la région était en principe contrôlée par la branche du RCD dirigée par Wamba, qui venait de déménager à Kisangani, mais cette administration novice était en cours d'organisation et elle n'avait pas de force militaire réelle. Les troupes ougandaises, qui étaient arrivées dans la région en novembre 1998 avec le contingent combattant le gouvernement congolais, étaient la seule autorité effective de la région à l'époque. Selon un rapport de l'IRIN, le réseau intégré régional d'information de l'ONU, même après que le RCD-Kisangani soit devenu le RCD-ML et ait disposé de ses propres troupes, les troupes ougandaises ont continué à « exercer un contrôle strict sur les soldats congolais ». A un certain moment, les Ougandais auraient ordonné aux Congolais de ne pas porter d'armes et interdit aux gardes du corps des dirigeants politiques de sortir de leurs murs.64
En juin 1999, Adele Lotsove Mugsia, une ancienne enseignante hema ayant embrassé la carrière politique, a demandé le soutien du Brigadier Général James Kazini, alors commandant de l'UPDF au Congo et chef d'état-major de l'UPDF, pour créer une nouvelle province. La province d'Ituri devait être créée à partir de deux districts de la Province Orientale, Kibali et Ituri. Bien que cette proposition avait l'aval de quelques personnes de la région depuis un certain temps et était présentée à Kazini par une responsable politique congolaise, c'est le décret du général ougandais qui a effectivement modifié les frontières administratives de la région. Il a nommé Lotsove premier gouverneur de la nouvelle province, un choix que beaucoup dans la région - Hema comme Lendu - ont vu comme un signal que les Ougandais favorisaient les Hema. Wamba, qui venait de démettre Lotsove de son poste de second gouverneur adjoint à Kisangani et l'avait accusée d'insubordination, n'avait pas été consulté à propos de la nomination. Lotsove est arrivée au moment où les conflits fonciers commençaient à s'intensifier et elle a été beaucoup critiquée pendant son mandat pour avoir contribué à consolider le pouvoir économique et politique des Hema. Après que Wamba l'ait démise de ses fonctions pour la seconde fois en décembre 1999 et ait mis à sa place au poste de gouverneur Uringi Padolo, qui appartenait au peuple alur et n'était donc identifié ni aux Lendu ni aux Hema, les heurts entre les deux groupes rivaux ont diminué.
L'impact de l'ingérence ougandaise dans l'administration civile locale s'est vu conforté par le comportement de certains soldats ougandais qui ont clairement pris parti pour les Hema. Les commandants locaux, agissant apparemment de leur propre chef, ont affecté des soldats à la défense des Hema et les ont engagés dans des attaques, parfois en échange de paiements en liquide. D'autres soldats ont essayé de veiller à la sécurité de tous les habitants mais leur conduite n'a pas compensé le soutien partisan de leurs compagnons qui appuyaient la cause des Hema. L'arrivée des troupes ougandaises, supérieures sur le plan de la puissance de feu et de la formation militaire, a également contribué à accroître le nombre de victimes dans un conflit qui autrement aurait été mené avec des armes et des tactiques traditionnelles.65
Le rôle de certains soldats ougandais ressort clairement dans deux enquêtes sur les affrontements, dont l'une menée par un Comité de Pacification et de Suivi nommé par le Gouverneur Lotsove en août 1999. Bien que le rapport se réfère généralement à des « soldats » sans préciser la nationalité ni l'unité militaire, d'autres détails montrent clairement qu'il s'agit de l'UPDF et non des troupes généralement inefficaces du RCD-ML. A d'autres endroits, le rapport déplore explicitement la conduite des troupes ougandaises qui appuient les milices hema.
Dans son rapport, le comité cite le chef local coutumier du village de Masumbuko qui aurait dit que « certains Hema utilisent les militaires pour incendier les maisons tandis que les militaires tirent sur la population ».66 Les membres du comité ont interrogé quarante et un blessés graves ayant survécu à l'une des attaques à l'hôpital de Rhety. Le rapport cite des informations émanant de onze des survivants qui ont expliqué comment les soldats, agissant sur l'ordre de deux fermiers qu'ils connaissaient, avaient attaqué leurs villages du 27 au 29 août 1999, ouvrant le feu sur la population sans provocation.67 Un pasteur d'un autre village a accusé plusieurs soldats ougandais de complicité avec les deux mêmes exploitants agricoles.68
En dépit de ces cas d'inconduite des soldats ougandais, les responsables de la communauté lendu semblaient reconnaître qu'aucune autre force dans la région n'était capable de maintenir l'ordre. Par conséquent, plutôt que d'appeler à un retrait des troupes ougandaises, ils appelaient à « l'impartialité de l'armée », ou à la « répression de la partialité de l'armée ».69 Le Comité de Pacification en a conclu que pour les Lendu, la sécurité requerrait le « remplacement immédiat et inconditionnel des soldats, désignés comme étant `les soldats pour les Hema' et le désarmement des milices hema et des marchants qui détiennent illégalement des armes d'assaut ».70 Il n'est pas surprenant que ceux qui se sont exprimés au nom des Hema n'aient pas parlé de remplacer les soldats ougandais ; ils ont plutôt déclaré que pour leur sécurité, il fallait « disperser les extrémistes lendu qui se cachaient dans la brousse, s'entraînaient et se droguaient pour attaquer les Hema et miner les efforts de réconciliation ».71
En octobre 1999, le RCD-ML a nommé Jacques Depelchin, son commissaire au gouvernement local, au poste de président de sa Commission de Sécurité et de Paix en territoire de Djugu. La commission s'est penchée sur le rôle des soldats ougandais qui protégeaient les fermes des Hema. Après avoir visité onze fermes, elle a dit avoir trouvé vingt et un soldats postés à huit des fermes ainsi que cinq jeunes qui attendaient d'être envoyés à Bunia pour y suivre une formation militaire.72 Interrogé plus tard par un chercheur de Human Rights Watch, Wamba a expliqué le fonctionnement du système comme suit :
Les exploitants agricoles hema qui, au début du conflit voulaient étendre leurs terres, ont été confrontés à la résistance des ouvriers agricoles et des villageois lendu affectés par cette expansion. Afin de contenir les possibles troubles, certains d'entre eux ont engagé des soldats de l'UPDF pour les protéger eux et leurs fermes en échange de certains versements à leur commandant. Les soldats sont ainsi devenus les gardes privés des exploitants agricoles.73
Wamba a déclaré en janvier 2000 qu'un commandant ougandais « avait été démis de ses fonctions pour avoir loué des soldats aux dirigeants hema ».74 Il a plus tard identifié ce soldat comme étant le Capitaine Kyakabale qui, a-t-il dit, commandait les troupes de l'UPDF dans la région de Bunia dès le début du conflit jusqu'à ce qu'il soit rappelé en Ouganda en décembre 1999.75
Dans le rapport de sa commission, terminé en décembre 1999, ainsi que dans d'autres déclarations publiques, le RCD-ML a décrit les actes de mauvaise conduite des troupes ougandaises qui constituaient de graves violations du droit international humanitaire mais il n'a pas appelé à des enquêtes ni à des poursuites contre les soldats. Au lieu de cela, à l'instar du comité nommé par Lotsove, il a recommandé de remplacer toutes les unités militaires déployées antérieurement sur le territoire de Djugu par de nouvelles unités, choisies pour leur neutralité.76 En août 2000, les responsables du RCD-ML continuaient encore à critiquer la conduite de leurs alliés, sans insister pour que les auteurs des exactions rendent des comptes. Ils ont déclaré à l'édition du dimanche du quotidien officiel ougandais New Vision que les affrontements en Ituri « auraient été résolus beaucoup plus tôt si certains officiers ougandais n'avaient pas joué un rôle controversé en appuyant les hommes d'affaires `hema' et les milices `hema' contre le groupe ethnique majoritaire `lendu' ».77
Les informations recueillies par les deux commissions ont été corroborées et complétées par des enquêtes plus mesurées menées par les organisations locales de défense des droits de l'homme. L'une d'elles a compilé une chronologie circonstanciée, bien que non exhaustive, de dix-neuf attaques menées par les Lendu contre les Hema de juin 1999 à janvier 2000 et de vingt-sept attaques menées par les Hema contre les Lendu de juin 1999 à avril 2000. Ses informations provenaient de sources locales officielles et non officielles ainsi que de ses propres témoins. L'organisation a attribué toutes les attaques perpétrées contre les villages hema à des membres de milices lendu. Elle a attribué quatorze attaques menées contre des localités lendu à des soldats ougandais (UPDF), dix à des raids menés conjointement par des soldats de l'UPDF et les milices hema et deux étaient des raids menés uniquement par les milices.78
En décembre 1999, une importante organisation congolaise de défense des droits de l'homme, l'Association Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (ASADHO), a accusé le Capitaine Kayakabale de violations massives des droits de l'homme et du droit international humanitaire, notamment d'arrestations arbitraires, de massacres de civils et de destruction de biens civils sur une grande échelle. Selon l'ASADHO, « Début juillet [1999], le commandant des troupes ougandaises à Bunia, le Capitaine Kayakabale, dépêche une unité dans la zone de conflit. Les informations sont que les soldats ougandais, sans sommation, se seraient mis à décimer des Lendu et à ravager des villages entiers. Les sources interviewées par l'ASADHO concordent pour accuser l'armée ougandaise de massacres des populations civiles ».79
Les soldats ougandais n'ont pas tous pris le parti des Hema. Les Lendu faisaient confiance à au moins l'un d'entre eux, le Col. Peter Kerim, et ils l'ont appelé à les protéger et à faire office de médiateur entre eux et les Hema. En juillet 1999, un dirigeant lendu influent a demandé à Kerim de faciliter des rencontres de réconciliation entre sa communauté et les Hema. En septembre, il a écrit pour alerter le colonel à propos des attaques récentes menées par les Hema et « leurs soldats » contre des Lendu déplacés. Dans sa lettre, le dirigeant lendu demandait au colonel d'empêcher l'UPDF de retirer ses unités des villages de Dhebu et Linga et d'empêcher les Ougandais de remplacer leurs troupes à Kwandroma. Seules ces trois unités, écrivait-il, avaient protégé les Lendu à Djugu, ce qui explique pourquoi à l'époque, les personnes déplacées lendu convergeaient vers ces trois endroits. La lettre se terminait sur un appel désespéré : « Afande Colonel, c'est pour cela que nous avons besoin de votre intervention matérielle. Sans votre aide, il n'y a pas de paix ».80
En septembre, peut-être en réponse à cet appel et à d'autres appels similaires, les soldats de l'UPDF opérant à un poste frontière en Ouganda seraient entrés au Congo pour intercepter une autre unité de l'UPDF qui accompagnait des Hema au cours d'une attaque à Kwandroma. Les deux unités de l'UPDF auraient échangé des coups de feu, faisant des victimes parmi les soldats ougandais. L'incident aurait déclenché une enquête dont les résultats n'ont pas été publiés.81
Kerim aurait entraîné et armé 1000 Lendu, couvrant les frais avec les profits tirés de la vente de café de la région. En janvier 2000, le Lt. Colonel Noble Mayombo, chef adjoint des services de renseignements militaires de l'UPDF, a démenti que Kerim ait entraîné des milices lendu. Il a déclaré : « L'officier de l'armée dont ils parlent, le Colonel Peter Kerim, n'est pas en service actif et vit dans son village d'Alur, et en tous cas, tous les camps de formation pour Congolais se trouvent au Congo, pas en Ouganda ».82 Selon un responsable du RCD-ML, le Col. Kerim aurait effectivement eu un « temps de repos » dans son village natal d'Alur après avoir été suspendu de l'UPDF en 1998 pour inconduite : « Le village de Kerim est à cheval sur la frontière séparant l'Ouganda du Congo. Il n'avait qu'à la traverser pour se retrouver au Congo », a ajouté le responsable.83
Plus tard, l'UPDF a rappelé Kerim pour le remettre en service actif et l'a nommé officier de liaison au poste frontière ougandais de Paida. Selon le porte-parole de l'UPDF, le Capitaine Bantariza, la mission de Kerim en mars 2000 était de superviser la réconciliation entre les Lendu et les Hema et de « veiller à ce que le conflit en Ituri ne gagne pas l'Ouganda ». Il a ajouté que les combattants lendu avaient remis leurs armes, « principalement des arcs, des flèches, des lances et quelques fusils », aux unités de l'UPDF présentes dans la région.84
Le pire moment de la première vague de combats entre Hema et Lendu s'est terminé fin 1999 bien que quelques attaques se sont poursuivies jusqu'à avril 2000. Le remplacement du gouverneur hema nommé par l'Ouganda par un Alur désigné par Wamba a apparemment contribué à restaurer le calme, tout comme le remplacement par de nouvelles troupes, des soldats ougandais qui avaient pris parti pour un camp. Un militant des droits de l'homme de Bunia a parfaitement évalué l'impact des Ougandais sur le conflit Hema-Lendu lorsqu'il a dit que « dans ce conflit, l'Ouganda joue tout à tour le rôle du pyromane et celui du pompier ».85 Alors que les rapports des deux commissions, les dénonciations des associations des droits de l'homme et les critiques d'autres observateurs soulignaient de plus en plus la responsabilité ougandaise dans l'aggravation du conflit au nord-est du Congo, les porte-parole de l'armée ougandaise ont rejeté ces allégations ou ont vaguement parlé d' « enquêtes » à propos de ces informations. Parlant du conflit ethnique dans la province d'Ituri à la fin novembre 1999, un responsable militaire ougandais a déclaré à la presse : « nous ne sommes pas là pour appuyer l'un ou l'autre de ces groupes ; nous sommes là pour assurer notre sécurité ». Ce responsable a ensuite ajouté : « il se peut qu'il y ait des soldats isolés qui appuient l'un des groupes mais je n'ai reçu aucune information à ce sujet ».86 Quelques mois plus tard, le chef des services de renseignements militaires de l'UPDF, le Col. Henry Tumukunde, a qualifié les accusations selon lesquelles l'Ouganda serait impliqué dans le conflit Hema-Lendu « à la fois de sans fondement et ridicules car le problème existait avant l'arrivée de l'UPDF au Congo et trouve son origine dans la mauvaise administration et les disparités post-coloniales du Congo ».87
Confronté à un flot de rapports négatifs, y compris de ses alliés, le Président Museveni a invité des représentants des Hema, des Lendu et d'autres communautés touchées par le conflit à se rendre à Kampala en décembre 1999 pour une audience. Suite à leur visite, l'UPDF a déployé de nouvelles troupes dans la région et nommé le Colonel Arosha au poste de commandement de secteur à Bunia pour remplacer le Capitaine Kayakabale.88 Le retrait des anciennes troupes constituait une réponse négligeable face aux exactions commises qui, dans certains cas, équivalaient à des crimes de guerre. Les autorités ougandaises ont apparemment mené une enquête à propos d'un seul officier, le Capitaine Kayakabale, accusé d'avoir loué des soldats aux exploitants agricoles hema. Mais même dans ce cas, le porte-parole de l'UPDF, le Maj. Phinebas Katirima a affirmé en août 2000 qu'il n'était « pas certain de la nature du délit ».89
Bien qu'il semble que le Colonel Arosha ait été généralement bien accepté au cours des mois qui ont suivi sa désignation, Wamba l'a qualifié « d'indésirable » fin mars 2000. Wamba l'a accusé de partialité en faveur des Hema après qu'Arosha ait fait preuve de réticence pour enquêter sur des cas soulevés par le RCD-ML. L'un de ces cas concernait la confiscation d'un véhicule appartenant à une agence humanitaire et qui avait ensuite été utilisé pour transporter des armes et des munitions aux fermes où les milices hema étaient entraînées. Wamba s'est également plaint de l'arrogance d'Arosha après que le colonel ait, selon Wamba, passé lui-même à tabac le chef du protocole du RCD-ML.90
Les autorités ougandaises ont rappelé Arosha en avril 2000 et nommé à sa place le Col. Charles Angina. Plusieurs responsables du RCD-ML se sont dits satisfaits des relations d'Angina avec les communautés rivales à Djugu et se sont réjouis de sa disposition à écouter leurs préoccupations. Le gouverneur d'Ituri nommé par le RCD-ML a attribué la relative absence de violence après le mois d'avril à son étroite collaboration avec Angina.91
Le rôle de l'UPDF dans la formation des recrues du RCD-ML en 2000
En septembre 2000, un journal régional a rapporté que des centaines de recrues congolaises étaient entraînées en Ouganda, se référant à un groupe de mutins qui avaient essayé de renverser les dirigeants du RCD-ML à la fin juillet. Le porte-parole de l'UPDF, le Maj. Phinebas Katirima, a reconnu qu'ils étaient dans des écoles militaires ougandaises et a déclaré qu'ils étaient formés pour « renforcer leur capacité à comprendre [leur lutte], à comprendre que l'armée est subordonnée aux civils ; que l'armée se conduit de façon organisée et qu'il ne suffit pas d'avoir un fusil. Ils doivent apprendre à respecter l'autorité civile ».92 La déclaration n'a pas mentionné la nature du groupe, qui provenait presque exclusivement du groupe ethnique hema. En dépit des tensions ethniques continues dans la région, l'UPDF a entraîné des centaines de recrues, dont beaucoup d'enfants, appartenant aux Hema, aux Lendu et à d'autres groupes ethniques. Mis sous pression par les rebondissements dans la guerre menée à plus grande échelle, notamment l'éclatement de son alliance avec l'armée rwandaise et la vague d'attaques maï-maï contre ses positions, l'UPDF semblait avoir troqué ses idéaux d'idéologie révolutionnaire, de discipline militaire et de professionnalisme, qu'elle prétend exporter, contre un pragmatisme grossier. Dans les zones sous le contrôle du RCD-ML, elle a donc fini par se tourner vers les clients rebelles locaux qui n'avaient pas de programme politique et recouraient à l'ethnicité pour rallier leur soutien et se procurer des recrues. Lorsque les Hema et les Lendu ont repris leur conflit à la fin 2000, les deux camps disposaient de suffisamment de combattants entraînés pour être en mesure d'infliger de sérieux dommages à l'autre camp.
La plupart des recrues enrôlées à Bunia et entraînées au camp de Rwampara par des Ougandais étaient des Hema tandis que celles recrutées par Mbusa à Beni et envoyées à Nyaleke pour y être formées avaient des origines ethniques plus diversifiées. Mbusa envoyait des équipes chargées de ramener de jeunes recrues dans un vaste secteur couvrant des parties du Nord-Kivu et de la Province Orientale, en principe sous le contrôle du RCD-ML, y compris le district d'Ituri agité par des troubles. Selon un ancien cadre qui a participé à ces missions, les recruteurs faisaient le tour des villages situés dans des zones bien déterminées pendant des périodes allant de trois jours à une semaine. Il a montré à un chercheur de Human Rights Watch un « ordre de mission » signé le 6 juin 2000 par Mbusa qui se trouvait alors à Kampala. L'ordre, valable pour une durée de trois mois, autorisait quinze personnes nommées dans le document à voyager de Bunia-Beni au Mont Hawa dans la zone d'Aru (voir cartes). Leur mission était de « mobiliser et de recruter dans les villages de Mahagi, Aru, Faradje, Watsa ». Dans la colonne « Observations », le commissaire demandait que « les autorités tant civiles que militaires prêtent main forte aux recruteurs pour assurer le succès de leur mission », signifiant par là que l'usage de la force était autorisé.93
Selon le recruteur, les équipes rentraient généralement de leurs missions avec un camion chargé de cent à deux cents enfants et jeunes, âgés de treize à dix-huit ans. Les instructeurs de l'UPDF au camp de Myaleke donnaient de trois à six mois de formation au maniement des armes et pour servir dans l'infanterie. « Nous les formions rapidement », a ajouté la source. « L'important était d'apprendre à utiliser et à entretenir les armes à feu .»94 Selon les informations de l'agence de presse missionnaire MISNA, les conditions à Nyaleke pour le millier de jeunes Congolais présents en janvier 2000 étaient déplorables : « les conditions de vie sont terribles et beaucoup d'enfants meurent avant d'avoir terminé la formation en raison des exactions et du manque de soins. ».95
Les groupes de Mbusa ont intensifié le recrutement au début 2000, apparemment parce qu'ils craignaient que l'Ouganda mette fin à son aide militaire étant donné l'approche des élections et l'impopularité croissante de la guerre au Congo auprès des électeurs ougandais. Anticipant une croissance rapide de leurs forces, sur les recommandations d'un conseiller de Mbusa, leur faction a commandé et reçu 10.000 uniformes portant l'insigne de l'APC ainsi que d'autres équipements. Selon les représentants de la société civile, Mbusa en personne a participé à la création de la force militaire et, ayant lui-même revêtu un uniforme, il a vécu avec les recrues à Nyaleke.96
En tant que président et ministre de la défense du RCD-ML, Wamba a participé aux cérémonies de remise de certificats aux unités entraînées à Bunia, semblant ainsi donner son aval à un recrutement basé principalement sur l'appartenance ethnique et les affinités personnelles. Mais lorsque Mbusa, Tibasima et d'autres l'ont ensuite accusé d'avoir remplacé les soldats de l'APC et de l'UPDF qui faisaient partie de sa garde personnelle par des « bandes de déserteurs de l'APC, des ex-FAC et des ex-FAZ choisis en fonction de l'origine tribale »,97 Wamba a retourné l'accusation contre eux. Il a déclaré qu'ils étaient responsables d'un « recrutement fondé sur le clientélisme, délégué aux civils et orienté par des critères tribaux » ainsi que d'avoir « interféré avec le mandat du ministre de la défense, dont je suis le détenteur, en gérant le recrutement et les centres d'entraînement sans tenir compte le moins du monde du chef d'état-major général ».98
Manque d'unité au sein de l'APC
Tout en recrutant et en entraînant des soldats au sein d'unités basées sur l'allégeance personnelle ou ethnique, les membres de toutes les parties ont reconnu les risques que supposaient de telles pratiques. Un ancien recruteur de Mbusa a déclaré, « Lorsqu'il règne une confusion politique, celui qui dirige l'entraînement est celui qui commande les enfants ».99 Interrogé sur la raison qui poussait à recruter des Lendu en particulier, un autre responsable du camp de Mbusa a expliqué que les recruteurs visaient les villages lendu parce que la première vague de massacres interethniques avaient laissé des milliers d'enfants orphelins et non accompagnés dans la région. « Ils constituaient une cible facile, » a déclaré la source, ajoutant : « il n'y avait aucun dessein politique derrière cette considération pratique. Une fois leur instruction terminée, il était prévu de les déployer loin de l'endroit d'où ils venaient, comme à Isiro ou ailleurs, mais on a été dépassé par les événements ».100 Les événements en question étaient le déploiement du Bataillon Usalama à Bunia, suivi de la désertion de bon nombre de ses membres, comme il a été expliqué plus haut.
Quelque mille cinq cents soldats sont restés à Beni après le départ d'Usalama. Selon le responsable, parmi les combattants entraînés à Beni, il y avait au moins 600 à 750 Lendu.101 Suite à la fin du Bataillon Usalama à Bunia et au départ de son commandant et de plusieurs de ses subordonnés immédiats à Kampala, bon nombre de Lendu et d'autres soldats ont déserté l'APC et sont rentrés dans leurs villages. Selon Wamba, son Unité de Protection Présidentielle avait envisagé d'enrôler un groupe de trente soldats lendu qui étaient arrivés à pied à Bunia à la fin septembre, mais finalement, elle les a laissés partir car les membres du groupe n'étaient pas armés.
Tibasima, qui a facilement admis en août 2000 que la plupart des soldats entraînés à Bunia étaient des Hema,102 a déclaré quatre mois plus tard à un chercheur de Human Rights Watch que le RCD-ML avait commis une « grave erreur » en recrutant et en formant « jusqu'à 2000 » Lendu au camp d'entraînement de Nyaleke. « Je crains pour ma communauté » a-t-il conclu après avoir expliqué que les structures militaires disjointes du RCD-ML pouvaient finir par alimenter une guerre ethnique allant en s'intensifiant à Ituri.103
Quatre commandants des 700 soldats, pour la plupart des Hema, transférés en Ouganda pour y suivre une formation ont fait part d'inquiétudes similaires à un chercheur de Human Rights Watch en décembre 2000. Ils ont laissé entendre que si la confusion politique régnant au sommet de la hiérarchie n'était pas résolue et si le conflit ethnique se poursuivait, ils finiraient peut-être par rejoindre les Hema chez eux pour combattre les Lendu. De plus, ils ont prédit que leurs homologues lendu réagiraient de la même façon. S'exprimant au nom des autres, un jeune cadet a regretté que cela puisse se terminer ainsi. Il a déclaré, « Cela ne serait l'intention des soldats dans aucun des deux camps. Un soldat bien entraîné n'agirait pas dans ce sens. Notre préoccupation est de développer le Congo ».104
Un conflit ethnique lié aux rivalités politiques
Tout au long de l'année 2000, la politique et l'ethnicité sont devenues de plus en plus liées dans les conflits, intensifiant le degré de violence. Après que Wamba ait déjoué le putsch planifié par les troupes hema, il a tenté d'éviter une plus grande désintégration de l'APC en annonçant une « importante » restructuration des forces armées. Un ministre adjoint à la défense fidèle à Wamba a implicitement reconnu que l'UPDF avait entraîné des unités militaires disparates avec peu de coordination ou d'unité entre elles. « L'APC devrait donc mieux fonctionner à la base et l'unité de référence sera le bataillon. La nouvelle philosophie est surtout de construire une armée nationale et non des groupes de milices. » Le responsable, Sova Luaka, a expliqué que la restructuration commencerait à la base : « Nous avons mis sur pied de nouveaux bataillons et nous allons remonter au niveau de la brigade et ensuite au haut commandement » aurait-il dit selon la radio locale de Bunia.105 L'effort a été fait trop tard : Wamba a été confronté peu de temps après à une autre menace, décrite plus haut, provenant des soldats fidèles à Mbusa.
Alors que le face à face politique entre Wamba et Mbusa se poursuivait en octobre et novembre 2000, les tensions ethniques se sont à nouveau intensifiées dans la région de Bunia, alimentées par l'incertitude pesant sur le rôle respectif que chaque groupe ethnique allait jouer dans les arrangements en cours de négociation entre les factions politiques. A la mi-décembre 2000, les chercheurs de Human Rights Watch ont visité les villages de Katoto et de Letti, à quarante kilomètres au nord de Bunia. Letti avait été réduit en cendres lors des premiers combats. Ils ont trouvé des Hema déplacés encore regroupés dans d'autres villages longeant la route principale tandis que les Lendu déplacés avaient trouvé refuge dans des villages plus éloignés ou dans la brousse, là où les agences humanitaires avaient difficilement accès. Des rumeurs circulaient comme quoi les combattants lendu s'entraînaient dans les collines pour mener une attaque imminente sur la ville de Bunia. Des informations sont arrivées en ville selon lesquelles un fermier hema aurait tiré sur des Lendu qui essayaient de rentrer chez eux, en tuant plusieurs. Les membres du groupe avaient écrit au chef du village pour annoncer leur intention de rentrer chez eux.106
Les Lendu associés aux milices ngiti et à des bandes de villageois moins bien organisés, la plupart armés d'armes traditionnelles, ont lancé une grande attaque contre les villages hema de la région de Bunia à la mi-décembre. Selon quelques survivants, certains Lendu disposaient aussi de fusils automatiques. Les combattants ont introduit la violence à Bunia le 19 janvier lorsqu'ils ont attaqué le quartier général de l'UPDF à l'aéroport. Ils voulaient apparemment mettre hors d'usage un hélicoptère de combat que l'UPDF avait utilisé contre eux lors d'attaques antérieures. Ils voulaient également occuper l'aéroport pour empêcher le retour triomphal des dirigeants locaux hema, qui semblaient de plus en plus sortir vainqueurs des négociations en cours à Kampala.
Quelque quatre-vingt attaquants ont été tués par les tirs de l'UPDF, notamment les tirs de l'hélicoptère de combat. En se repliant, les milices lendu ont massacré sans pitié une soixantaine d'habitants hema dans les zones résidentielles périphériques et les villages de Soleniema et Mwanga, au nord de Bunia. Dans les heures qui ont suivi l'attaque, les habitants de Bunia ont raconté avoir vu des officiers de l'UPDF encourager les jeunes hema de plusieurs quartiers de la ville à s'armer et à identifier et tuer les agents lendu infiltrés. Cet appel a apparemment déclenché des représailles contre les habitants lendu, représailles menées par les milices hema et les soldats de l'APC fidèles à Mbusa. Selon certains témoins, au moins 150 à 250 Lendu auraient été massacrés, pour la plupart des intellectuels et des chefs de communauté.
Des témoins horrifiés ont décrit une scène où les membres des milices et les soldats ont paradé dans la ville sur un camion des heures durant, exhibant la tête d'un Lendu plantée au bout d'une lance et chantant des chants de victoires.107 Selon des témoins, un commandant de bataillon de l'APC se trouvait au volant. Les habitants de la ville ont accusé l'UPDF d'être restée sans intervenir de 8 heures du matin, quand les représailles ont débuté, jusque tard le soir. Le Colonel Muzoora, le commandant de secteur de l'UPDF, cédant alors aux pressions des chefs de communauté qui n'étaient affiliés ni aux Hemas ni aux Lendu et aux pressions des agences humanitaires, a ordonné à ses troupes d'intervenir pour mettre fin aux massacres. Environ 20.000 personnes ont fui dans toutes les directions à l'intérieur d'Ituri tandis que 10.000 autres, surtout des Hema, auraient cherché refuge en Ouganda au cours de la première semaine de janvier. Avec ce dernier combat, Ituri est devenu le théâtre de l'un des conflits les plus sanglants menés dans l'ombre de la guerre qui frappe l'ensemble du Congo. Les déplacements de personnes qui en ont résulté et les mouvements de réfugiés fuyant vers l'Ouganda constituent l'un des problèmes humanitaires les plus urgents que connaisse aujourd'hui le Congo.
Efforts de médiation et réconciliation
A la mi-février, le Front de Libération du Congo semblait être en train de rétablir son contrôle dans la région. La violence a diminué et les espoirs de paix ont redoublé. Suite à une conférence de trois jours à laquelle ont participé quelque 160 chefs traditionnels et notables de la province d'Ituri, le FLC est parvenu à élaborer un accord de paix entre les représentants des Hema et ceux des Lendu. Signé le 17 février, l'accord appelait entre autres à une cessation immédiate des hostilités et au désarmement de toutes les milices. Olivier Kamitatu, secrétaire national du FLC, a déclaré à Human Rights Watch que le nouveau front, « en tant qu'autorité publique », avait entrepris de mettre en _uvre ces dispositions et d'autres dispositions de l'accord, notamment de démanteler les centres d'entraînement pour milices, de contrôler les mouvements de soldats, d'assurer la protection aux frontières et de garantir la libre circulation des marchandises et des personnes sur les routes.108
Le FLC s'est par ailleurs engagé à nommer des magistrats et à relancer le système judiciaire, comme le stipulait l'accord de paix comme condition à la recherche d'une solution durable au conflit. Dans l'accord, les deux communautés appelaient les autorités publiques, en d'autres termes le FLC, à « collaborer avec les organes judiciaires internationaux compétents en vue de traduire devant la Cour Pénale Internationale les promoteurs et instigateurs présumés du conflit ».109 Lors d'une conversation avec un chercheur de Human Rights Watch, le secrétaire national du FLC s'est exprimé en faveur de poursuites devant un tribunal international, processus qui requerrait une volonté d'agir similaire de la part de la communauté internationale.110
Les représentants des deux communautés se sont attaqués aux causes profondes du conflit en acceptant de remettre en vigueur les droits collectifs de pâturage sur le territoire contesté de Djugu et de créer un fonds de solidarité pour la remise en état des infrastructures détruites pendant les dix-huit mois de guerre. Afin de rétablir l'administration locale, le FLC a demandé aux représentants des deux communautés de nommer chacune cinq candidats aux postes de vice gouverneurs. Le 23 février, le FLC a nommé deux vice gouverneurs, l'un Hema, l'autre Lendu, choisis sur la liste. La conférence s'est mise d'accord pour que le chef de l'administration locale n'appartienne à aucun des deux groupes.111
Outre la rencontre organisée par le FLC, des agences humanitaires opérant en Ituri ont lancé un processus de « rapprochement des communautés » visant à faciliter l'accès humanitaire à toutes les victimes du conflit et à appuyer la réconciliation entre les deux communautés.
Selon une mission conjointe ONU-ONG qui a visité l'intérieur de la province du 14 au 19 février, ces initiatives prometteuses n'avaient pas encore dissipé les craintes et les tensions dans les zones rurales. Le principal moyen de communication en Ituri reste le discours public qu'adressent les chefs traditionnels et les notables à leurs communautés mais les dirigeants n'avaient pas encore eu le temps de diffuser la nouvelle concernant l'accord de paix.112 La mission a attiré l'attention sur le fait que le FLC et la communauté humanitaire ne disposaient que de deux semaines pour détourner la population de la « logique de peur et de guerre » et la mettre sur la voie de la « guérison mentale ».113 Le rapport de la mission a averti que les menaces pesant sur la fragile réconciliation proviendraient « d'actes de banditisme et de mauvaise foi qui peuvent ruiner tout le processus et en même temps faire passer les efforts humanitaires pour de la pure rhétorique ou de la trahison ».114
Les dirigeants hema et lendu avaient signé des accords de paix et de réconciliation à deux reprises en 1999 mais les responsables congolais absorbés par leurs querelles intestines et les acteurs ougandais préoccupés par leurs propres intérêts n'avaient pas appuyé ces efforts de paix. Pour que le nouvel effort de réconciliation aboutisse, il faudra que les forces de sécurité du FLC et les forces d'occupation de l'UPDF observent une stricte impartialité à l'égard des parties. Pour obtenir une paix durable, un état de droit et la mise sur pied d'une administration opérationnelle sont nécessaires. La communauté internationale pourrait consolider le processus de réconciliation naissant en appuyant les initiatives locales visant le règlement du conflit et en réagissant plus activement face à la crise humanitaire désespérée provoquée par le conflit.
56 Entretien de Human Rights Watch, Collège FIC, Centre catholique Modzi Pela, Bunia, le 10 décembre 2000.
57 Entretien de Human Rights Watch avec un professeur de Fataki, Bunia, le 13 décembre 2000.
58 Entretien de Human Rights Watch avec un transporteur de Rukimo, Bunia, le 12 décembre 2000.
59 Entretien de Human Rights Watch, Bunia, le 12 décembre 2000.
60 Nations Unies, IRIN, "DRC: IRIN special report on the Ituri clashes [2e partie]," UN OCHA- IRIN-CEA, le 3 mars 2000, http://www.reliefweb.int/w/rwb.nsf/s/45B299FBC622751385256898006CC44D.
61 Ibid., Nations Unies, IRIN, 1e partie.
62 Selon l'organisation congolaise de défense des droits de l'homme ASADHO, la loi foncière de 1973 a contribué aux problèmes de terre en permettant d'acheter des terres déjà habitées et de présenter le titre de propriété jusqu'à deux ans plus tard, lorsqu'il n'est plus possible de le contester devant les tribunaux.
63 Voir ASADHO, « Rapport de l'ASADHO sur le conflit inter-ethnique Hema-Lendu en territoire de Djugu dans la province Orientale, » ; Voir aussi : Nations Unies, IRIN, « DRC : IRIN Special Report on the Ituri clashes, [1e et 2e parties], » le 3 mars 2000.
64 Nations Unies, IRIN, « DRC : IRIN Special Report on the Ituri Clashes [2e partie], » le 3 mars 2000.
65 Entretiens de Human Rights Watch avec de hauts responsables du RCD-ML, New York, Washington, Bunia, et par téléphone : Bunia et Kampala, novembre 1999-mars 2001 ; Voir aussi : « Greed fans ethnic flames in Congo war, » Daily Mail and Guardian, le 7 février 2000 et « Ugandan involved in Congo ethnic war, » Daily Mail and Guardian, le 9 février 2000.
66 Rapport de Mission, Comité de Pacification et de Suivi, Bunia, le 13 septembre 1999, p. 10.
67 Ibid., p. 12-13.
68 Ibid., p. 16.
69 Ibid., p. 16-17.
70 Ibid., p. 21.
71 Ibid., p. 21.
72 « Rapport des travaux de la Commission de Sécurité et de Paix en Territoire de Djugu », document du RCD, Bunia, le 21 décembre 1999.
73 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Wamba dia Wamba, Dar es Salaam, le 26 janvier 2001.
74 « Thousands die in Congo ethnic clashes, » Daily Mail and Guardian, Johannesburg, le 21 janvier 2000.
75 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Wamba dia Wamba, Dar es Salaam, le 26 janvier 2001.
76 Ibid., « Rapport des travaux ».
77 « Bunia UPDF Probed, » Sunday Vision, le 13 août 2000.
78 Aciar ONGD-Justice Plus, « Tentatives de paix, action humanitaire et bilan des affrontements sanglants entre Lendu (bbale) et Hema (Gegere) en territoire de Djugu », Bunia, mars-août 2000.
79 ASADHO, « Rapport de l'ASADHO sur le conflit inter-ethnique Hema-Lendu en territoire de Djugu dans la province Orientale, » p. 8.
80 Lettres au Col. Peter Kerim, les 21 juillet et 7 septembre 1999. Copies en possession de Human Rights Watch.
81 Entretiens de Human Rights Watch, Bunia, 8-14 décembre 2000 ; Voir aussi « Rapport de l'ASADHO sur le conflit inter-ethnique Hema-Lendu... », Ibid. ; et Nations Unies, IRIN, « DRC : IRIN special report on the Ituri clashes [2e partie] », le 3 mars 2000, Ibid.
82 ONU, IRIN, « DR Congo : Uganda denies training Lendu people, » IRIN-CEA Bulletin d'information hebdomadaire No.5, 29 janvier-4 février 2000.
83 Entretien de Human Rights Watch, janvier 2000.
84 « DRC : Lendu reportedly surrendering arms to Ugandan army, » Bulletin d'information No. 877 pour les Grands Lacs, IRIN-CEA, le 8 mars 2000.
85 Entretien de Human Rights Watch, Bunia, le 9 décembre 2000.
86 ONU, IRIN-OCHA, « DR Congo : IRIN focus on Hema-Lendu conflict , » Nairobi, le 15 novembre 2000.
87 « Uganda deploys more troops in Congo, » Panafrican News Agency (PANA), Kampala, le 15 février 2000.
88 Ibid.
89 « Bunia UPDF probed, » Sunday Vision, Kampala, le 13 août 2000.
90 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Wamba dia Wamba, Dar es Salaam, le 16 janvier 2001.
91 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Uringi Padolo, Kampala, le 17 janvier 2001.
92 « Hundreds of Congolese rebels training in Uganda, » East African, Nairobi, le 28 septembre 2000.
93 « Ordre de Mission, No. 001/ROUTE/C.G./R.C.D.K./2000, » fait à Kampala, le 06 juin 2000, [signé]Mbusa Myamwisi.
94 Entretiens de Human Rights Watch, décembre 2000.
95 MISNA, « RDC - Butembo -Beni : Enfants soumis à l'exercice militaire au camp de Nyaleke, » le 13 janvier 2000.
96 Entretiens de Human Rights Watch, Bunia-Butembo-Kampala, décembre 2000.
97 Lettre datant du 10 juin 2000, No. 155/CG/RCD/K/2000, du commissariat général du RCD-ML au président du mouvement. Signataires : Mbusa Nyamwisi, commissaire général et président de l'assemblée, Tibasima Mbogemu Ateenyi, commissaire général adjoint, et plusieurs autres membres du commissariat général.
98 « Communiqué important à l'attention de tous les membres du commissariat général, » RDC, RCD/Kisangani, Quartier Général/Bunia, Bureau du Président, 14/06/2000.
99 Entretiens de Human Rights Watch, décembre 2000.
100 Entretien de Human Rights Watch, février 2001.
101 Estimations également confirmées par Wamba dia Wamba, entretien téléphonique de Human Rights Watch, Dar es Salaam, le 22 février 2001.
102 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Tibasima Ateenyi, Kampala, le 15 août 2000.
103 Entretien de Human Rights Watch, Kampala, le 22 décembre 2000. Human Rights Watch a appris par la suite de personnes associées au recrutement à Nyaleke que le nombre de Lendu qui y avaient été entraînés était plus proche de 750.
104 Entretien de Human Rights Watch, Kampala, le 23 décembre 2000.
105 IRIN-CEA, « DRC : RCD-ML restructures army, » No. 983, le 7 août 2000.
106 Informations fournies conjointement aux chercheurs de Human Rights Watch par des représentants des communautés hema et lendu du territoire de Djugu, Bunia, le 8 décembre 2000.
107 Ian Fisher, « Congo's war turns land spat into a blood bath, » New York Times, le 29 janvier 2001.
108 Entretien téléphonique de Human Rights Watch, Bunia, le 16 février 2000.
109 « Protocole d'accord relatif à la résolution du conflit inter-ethnique Hema-Lendu en province d'Ituri, » section 2, paragraphe 5, signé à Bunia, le 17 février 2001.
110 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Olivier Kamitatu, Bunia, le 16 février 2001.
111 Ibid.
112 ONU, IRIN-CEA, « DRC : `Fear and tension' in Ituri, » Bulletin d'information No. 1124 pour les Grands Lacs, le 28 février 2001.
113 Ibid.
114 Ibid.