(Rabat, le 12 mai 2012) – La condamnation d’un rappeur à un an de prison, le 11 mai, pour avoir « insulté la police », illustre l’écart entre les termes de la constitution du Maroc datant de 2011, qui appuient fortement la liberté d’expression, et la persistance de l’intolérance envers ceux qui critiquent les institutions de l’État. Le verdict a été prononcé une semaine avant l’inauguration du festival musical Mawazine à Rabat, qui se tient sous le haut patronage du roi Mohamed VI.
Mouad Belghouat, plus connu comme Al-Haqed (« l’indigné »), est en détention préventive depuis le 29 mars à cause de sa chanson de rap « Kilab Ed-Dowla » (« Chiens de l’État »), qui dénonce la corruption policière, et d’une vidéo sur YouTube enregistrée avec cette chanson comme musique de fond.
« Chaque printemps, le Maroc organise une série de célèbres festivals musicaux internationaux, mais cette année en même temps il met en prison l’un de ses propres chanteurs, simplement à cause de paroles et d’images qui déplaisent aux autorités », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
Le tribunal pénal de première instance de Aïn Sebâa (Casablanca) a déclaré Belghouat coupable d’avoir « outragé des fonctionnaires publics dans l’exercice de leur fonctions », avec l’intention de « porter atteinte à leur honneur », en vertu de l’article 263 du code pénal, et pour avoir « outragé des corps constitués » selon l’article 265. La cour avait rejeté toutes les requêtes visant à placer Belghouat en liberté provisoire en attendant un verdict définitif. Ses avocats ont déclaré qu’ils prévoient de faire appel.
La principale pièce à charge était une vidéo sur YouTube contenant un photomontage d’un policier dont la tête avait été remplacée par une tête d’âne. Belghouat a nié toute connexion avec la vidéo, mis à part le fait qu’elle était conçue pour accompagner sa chanson. Les avocats de Belghouat ont déclaré à Human Rights Watch qu’aucune preuve n’avait été présentée pendant le procès qui puisse impliquer l’inculpé dans la production ou la mise en ligne de la vidéo. Le tribunal, qui en plus de la peine de prison, a condamné Belghouat à une amende de 1 000 dirhams (115 US$), n’a pas encore émis son jugement par écrit, qui devrait expliquer le raisonnement menant au verdict.
L’affaire résulte d’une plainte déposée par la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), le corps sécuritaire qui inclut la police judiciaire, entre autres divisions policières. La plainte se réfère à l’image de l’âne et à une autre image de trois policiers portant une personne - un manifestant semble-t-il - par ses bras et ses jambes, ainsi qu’aux paroles, qui traitent les policiers de corrompus et de chiens, d’après la plainte.
Belghouat, 24 ans, vit dans le quartier défavorisé de Oukacha à Casablanca. Ses chansons de rap dénonçant la corruption, l’injustice et le fossé entre l’opulence royale et la pauvreté au Maroc l’ont fait connaître comme une voix du « mouvement du 20-Février », mouvement qui préconise des réformers et qui a débuté au Maroc juste après le début des manifestations dans d’autres pays arabes, début 2011. De façon générale, les policiers ont autorisé ce mouvement à tenir des rassemblements de protestation dans des villes à travers le pays, mais sont à plusieurs reprises violemment intervenus pour les disperser.
Pendant l’audience du 7 mai, à laquelle assistait Human Rights Watch, la police a arrêté Maria Karim, une des plus ardentes sympathisantes de Belghouat, parce qu’elle aurait qualifié un avocat de la police de « minable ». Elle a été détenue jusqu’au lendemain puis relâchée, mais elle est convoquée pour être jugée le 7 juin pour « insulte » envers l’avocat.
Belghouat a beaucoup fait parler de lui lorsque la police l’a arrêté dans une première affaire en septembre 2011, l’accusant d’avoir frappé un manifestant pro-gouvernemental dans une altercation de rue. Son procès à Casablanca a attiré une foule de sympathisants, qui clamaient que l’affaire était montée de toutes pièces. Les avocats de la défense ont soutenu qu’il y avait beaucoup d’incohérences dans le récit fourni par la victime supposée de Belghouat. En janvier, le tribunal a reconnu Belghouat coupable d’agression, et l’a condamné aux quatre mois de prison qu’il avait déjà purgés en détention préventive, avant de le libérer.
Le 1er juillet 2011, les Marocains ont voté lors d’un référendum pour approuver une constitution proposée par le roi Mohammed VI qui proclame la liberté d’expression. L’article 25 énonce :
« Sont garanties les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes ses formes. Sont garanties les libertés de création, de publication et d'exposition en matière littéraire et artistique et de recherche scientifique et technique ». Néanmoins, le Maroc n’a toujours pas revu les articles répressifs du code de la presse et du code pénal qui semblent aller à l’encontre de la nouvelle constitution, tandis que les tribunaux continuent à appliquer ces articles pour punir l’expression pacifique d’opinions.
Après le Festival Mawazine à Rabat, la ville de Fès héberge un festival annuel de musique sacrée début juin, tandis que plus tard le même mois, Essaouira tient son festival de gnawa et de musique du monde. Le programme du Festival Mawazine comprend la participation de stars comme Mariah Carey, Marwan Kfoury, Lenny Kravitz, Nancy Ajram, les Scorpions, Fadel Shaker, Gloria Gaynor, Cheb Khaled et Jimmy Cliff; et des stars marocaines comme Abdelmoughit, Karima Skalli, Outlandish et Fnaire, un groupe de rap.
« Le Maroc devrait être connu comme un lieu privilégié pour les musiques du monde, pas comme un pays qui emprisonne les chanteurs ayant un message politique », a conclu Sarah Leah Whitson.