(Washington, le 20 novembre 2013) – Le Président Barack Obama devrait dire au Roi Mohammed VI du Maroc que le soutien américain au processus de réforme au Maroc dépend du fait que ce processus aille au-delà de la rhétorique et effectue des changements tangibles. Les réformes devraient inclure des protections juridiques plus solides pour les droits et la fin de l'impunité pour les policiers qui utilisent la violence et commettent d'autres exactions. Le 22 novembre 2013, le roi va rencontrer un président américain à Washington pour la première fois en 11 ans.
Les autorités marocaines ont cherché à dépeindre le Maroc comme un pays où les réformes politiques ont contribué à maintenir la stabilité alors que les manifestations populaires ont causé des bouleversements dans le reste du Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Mais des dizaines, peut-être des centaines, de personnes – des islamistes, des jeunes manifestants dans les rues et des militants du Sahara Occidental – demeurent en prison après des procès inéquitables, et la police a recours à un usage excessif de la force pour disperser les manifestations et à la violence pour extorquer des aveux.
« Le processus de réforme au Maroc est au point mort, alors même que tout le tapage sur les réformes se poursuit », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord.
Face à des manifestations de rue croissantes en 2011, le roi a présenté aux électeurs une nouvelle constitution forte sur les droits humains et a annoncé des élections anticipées qui ont conduit au premier gouvernement islamiste à diriger le pays. La constitution de 2011 énonce un grand nombre de droits, dont la liberté d'expression, des protections pour les personnes en garde à vue et un nouveau droit de contester la constitutionnalité des lois en vigueur devant un tribunal de grande instance. Cependant, le gouvernement n'a pas encore adopté les mesures législatives qui donneraient force de loi aux nouveaux droits constitutionnels.
Le Maroc continue d'appliquer une série de lois répressives qui semblent entrer en conflit avec la nouvelle constitution. Il s'agit notamment des articles qui prévoient des peines de prison pour diffamation ou insultes contre des fonctionnaires ou des institutions de l'État, et pour tous propos qui « portent préjudice » à la monarchie, aux membres de la famille royale, à l'islam, ou à la revendication du Maroc sur le Sahara Occidental contesté – bien que les ministres aient parlé pendant des années de la réforme de la loi sur la presse et du code pénal.
Abdessamad Haydour, un étudiant, purge une peine de trois ans de prison pour être apparu dans une vidéo sur YouTube « insultant » le roi. Le rappeur connu sous le nom d'Al-Haqed est sorti de prison en 2013 après avoir purgé une peine d’un an pour avoir produit une chanson et une vidéo qui « insultaient » la police.
L'un des principaux journalistes marocains s’exprimant d’une voix critique, Ali Anouzla, encourt une longue peine de prison s'il est reconnu coupable des accusations d’« assistance à des terroristes » en raison de son reportage sur une nouvelle vidéo d'Al-Qaïda au Maghreb islamique attaquant la monarchie marocaine. Ali Anouzla, qui est en liberté provisoire après avoir passé un mois en détention provisoire, doit passer en procès en décembre.
Après que le roi ait prononcé un discours en 2009 sur la réforme judiciaire et formé une commission en 2012 pour faire des recommandations, le gouvernement a déclaré qu’une telle réforme est une priorité. Pourtant, les tribunaux marocains condamnent des accusés sur la base d'aveux que ces derniers affirment avoir été contraints de signer et empêchés de lire.
Un tribunal militaire a condamné en février les 25 accusés civils jugés en 2010 en relation avec la mort de policiers au Sahara Occidental, un territoire sur lequel le Maroc revendique la souveraineté; cette revendication n’est toutefois pas reconnue selon le droit international. Le tribunal a condamné neuf des accusés à la prison à vie et la plupart des autres à de longues peines de prison. À un stade précoce de la procédure, la plupart des accusés ont déclaré au tribunal qu'ils avaient été torturés. Comme cela arrive souvent dans les cas politisés, le tribunal n'a pas ouvert une enquête sur ces allégations, bien que la loi marocaine exige des tribunaux qu'ils excluent toute déclaration obtenue au moyen de la violence ou de la coercition.
Les sit-in, les marches et les veillées sont monnaie courante au Maroc. Mais si les autorités désapprouvent les demandes, les slogans, ou le moment du rassemblement, les policiers foncent souvent dans la foule, en matraquant et en cassant des os. L'utilisation excessive de la force pour disperser des manifestations est monnaie courante au Sahara Occidental, où les autorités interdisent systématiquement tout rassemblement jugé hostile à la domination marocaine sur le territoire.
Le Maroc dispose d’associations dynamiques actives sur l’ensemble des questions. Alors que la Constitution de 2011 garantit le droit de créer de nouvelles associations, dans la pratique, l'administration nie souvent toute reconnaissance juridique aux groupes dont les objectifs ou dont la direction leur déplaît, comme les groupes qui défendent les droits des Sahraouis ou des Amazighs (Berbères). Même les associations locales de parents d'élèves ne parviennent pas à obtenir la reconnaissance du gouvernement si elles choisissent pour les représenter des membres du mouvement d'opposition islamiste connu sous le nom de Justice et spiritualité (Al-Adl wal Ihsan).
Les États-Unis et le Maroc entretiennent des relations étroites, notamment un dialogue bilatéral formel sur les droits humains. Ils ont également conclu un accord de libre-échange, organisent des exercices militaires conjoints et coopèrent dans la lutte antiterroriste. Les États-Unis ont donné 697 millions de dollars au Maroc au cours des cinq dernières années pour lutter contre la pauvreté et stimuler la croissance économique par le biais de la Millennium Challenge Corporation, une agence d'aide gouvernementale qui exige que le pays bénéficiaire favorise une « gouvernance juste et démocratique ».
Au cours de ses cinq premières années après être monté sur le trône en 1999, Mohammed VI a présidé une réforme du droit de la famille qui a réduit l'inégalité juridique des femmes et a créé une Commission d’équité et de réconciliation, à travers laquelle le Maroc a reconnu et indemnisé les victimes de disparitions forcées, de détention illégale et d'autres exactions commises sous le règne de son défunt père, le roi Hassan II. Depuis lors, la cadence des réformes en matière de droits humains s'est ralentie.
« La constitution de 2011du Maroc est admirable en ce qui concerne les droits humains – en tant que document vers lequel il faut aspirer », a conclu Sarah Leah Whitson. « Le président Obama devrait exhorter le Maroc à transformer les droits sur le papier en réalité quotidienne. »