(Nairobi) – Des milices chrétiennes, réagissant à des exactions généralisées commises par des groupes armés musulmans, ont commis des atrocités contre des communautés musulmanes dans le nord de la République centrafricaine, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Les pays qui se préoccupent de la situation devraient immédiatement renforcer la mission de maintien de la paix de l'Union africaine déployée dans le pays et soutenir les efforts de la France pour protéger les civils, a ajouté Human Rights Watch.
Ce rapport de 36 pages, intitulé « 'Ils sont venus pour tuer' : Escalade des atrocités en République centrafricaine » et fondé sur les résultats de plusieurs semaines de recherches sur le terrain dans la province d'Ouham, documente une poussée de violence de la part des milices chrétiennes anti-balaka (« anti-machette ») depuis septembre 2013. Les anti-balaka ont tué plusieurs centaines de musulmans, incendié leurs habitations et volé leur bétail. Et les forces dites ex-Séléka, anciennement membres d'une alliance de groupes rebelles à majorité musulmane qui a renversé le gouvernement en mars, a commis en représailles des crimes contre des chrétiens, apparemment avec l'aval de leurs commandants.
« Les atrocités commises en République centrafricaine créent un cycle de meurtres et de représailles qui menace de dégénérer en une spirale de violence impossible à maîtriser », a déclaré Peter Bouckaert, directeur de la division Urgences à Human Rights Watch et auteur du rapport. « Le Conseil de sécurité des Nations Unies doit agir rapidement pour mettre fin à cette situation catastrophique. »
Les milices anti-balaka, composées de groupes locaux d'auto-défense et de soldats restés fidèles au précédent gouvernement, se sont livrées à des attaques coordonnées en septembre contre des communautés musulmanes et des bastions des ex-Séléka près de Bossangoa, la capitale de la province d'Ouham. Bien que les anti-balaka se définissent comme des forces d'auto-défense cherchant seulement à protéger leurs villages, leurs actes et leurs paroles sont souvent violemment anti-musulmans.
De nombreuses attaques commises par les anti-balaka ont été d'une brutalité choquante : une bergère nomade musulmane a dit à Human Rights Watch qu'elle avait été forcée de regarder alors que des combattants anti-balaka égorgeaient son fils de trois ans, deux garçons âgés de 10 et 14 ans et un adulte membre de sa famille – c'est-à-dire tous les musulmans de sexe masculin du camp de nomades. Un homme a décrit en sanglotant comment il avait échappé à des assaillants anti-balaka mais avait dû assister, de sa cachette, à une scène d'horreur, les attaquants égorgeant ses deux femmes, ses 10 enfants et un petit-enfant, ainsi que d'autres musulmans qu'ils avaient capturés.
Une femme musulmane a raconté à Human Rights Watch qu'elle était en train de cuisiner dehors, vers 5 heures du matin, lorsque des anti-balaka sont arrivés et ont attaqué sa maison: « Ils ont commencé par lacérer mon mari avec leurs machettes, au flanc et au dos, puis ils l'ont égorgé. Après l'avoir tué, ils ont mis le feu à notre maison et ont jeté son corps dans les flammes, avec celui de mon fils. Ils ont ordonné à mon fils de 13 ans de sortir et de s'allonger par terre, ils l’ont coupé deux fois avec une machette et ils l’ont tué. »
À la suite de ces attaques des anti-balaka, les forces ex-Séléka de la province d'Ouham se sont repliées sur Bossangoa, où elles se sont livrées à des représailles sur les résidents chrétiens, tuant nombre d'entre eux et incendiant leurs maisons. Elles ont également attaqué des fermiers chrétiens qui travaillaient dans leurs champs.
Les massacres de représailles commis par les ex-Séléka semblent avoir eu l'aval de leurs commandants de haut rang à Bossangoa, a souligné Human Rights Watch. Le 18 novembre, le commandant adjoint à Bossangoa, le colonel Saleh Zabadi, en présence de son supérieur et d'une dizaine d'officiers, a ordonné la noyade de sept fermiers qui étaient accusés à tort d'être membres des milices anti-balaka. Les sept hommes ont été ligotés et jetés dans la rivière Ouham; trois seulement ont survécu.
De graves violations des droits humains continuent d'être commises dans le nord du pays ainsi qu'à Bangui, a déclaré Human Rights Watch. Le 5 décembre, les forces anti-balaka ont abattu ou égorgé au moins 11 civils musulmans dans le quartier de Boro à Bossangoa, lors de leur brève prise de contrôle de la ville. Une offensive anti-balaka à Bangui et les violences qui en ont résulté ont fait entre 400 et 500 morts parmi les communautés musulmanes et chrétiennes. Cependant tous ces meurtres récents ne représentent qu'une fraction des graves exactions commises contre les civils depuis la prise du pouvoir par la Séléka en mars dernier.
Des soldats français déployés dans le cadre d’une opération de maintien de la paix dans le pays, ont effectué des opérations à Bangui et à Bossangoa pour tenter de mettre fin aux massacres, y compris en désarmant les combattants des deux camps.
Les récentes violences dans le nord du pays ont créé une crise humanitaire, a souligné Human Rights Watch. Les combattants des deux côtés ont incendié de vastes zones rurales dans la province d'Ouham. Environ 40000 chrétiens déplacés ont cherché refuge àl'église de Bossangoaet aux alentours, tandis que 4000 musulmans se trouvent toujours de l'autre côté de la ville. Les travailleurs humanitaires ont des difficultés à apporter de l'aide, en particulier des secours médicaux d'urgence, cars ils ont également fait l'objet d'attaques.
Le Conseil de sécurité devrait immédiatement autoriser une mission de maintien de la paix de l'ONU selon le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, a affirmé Human Rights Watch. Cette mission devrait disposer d’un mandat fort et des moyens nécessaires à la protection des civils, à la promotion des droits humains et à la création d'un environnement favorable à la fourniture d'aide humanitaire.
« L'apport d'urgence d'un soutien aux efforts de maintien de la paix en République centrafricaine est essentiel pour stabiliser une situation qui est actuellement très tendue, protéger la population des exactions et faire en sorte que l'aide humanitaire parvienne aux personnes les plus exposées », a conclu Peter Bouckaert. « Le risque de nouvelles violences généralisées est extrêmement élevé.»
Amnesty International diffusera une note d'information au sujet des atrocités commises à Bangui, capitale de la République centrafricaine, le 19 décembre 2013, avant de publier un rapport plus détaillé en 2014.