Historique
RébellionLe 19 septembre 2002, des rebelles du Mouvement Patriotique de Côte dIvoire (MPCI) ont attaqué la police, la gendarmerie et autres cibles stratégiques à Abidjan, la capitale commerciale et de facto du pays, ainsi que les villes de Bouaké et Korhogo au nord du pays. Les rebelles du MPCI étaient composés surtout de Dioula ou gens du Nord de Malinké, Senaphou, et autres ethnies, quelques recrues burkinabés et maliennes, et de dozos ou chasseurs traditionnels.1 Les objectifs proclamés des dirigeants des rebelles étaient la fin de la discrimination ethnique contre les gens du Nord et le retrait du Président Gbagbo, dont la présidence était considérée comme illégitime étant donné les élections défectueuses de 2000.2 La rébellion a aussi manifesté le sentiment largement répandu parmi les gens du Nord que depuis 1990 au moins, ils étaient constamment exclus du pouvoir politique.
Tout en ayant échoué à prendre Abidjan, en deux mois les rebelles du MPCI avaient consolidé leur contrôle sur la plus grande partie du Nord (y compris les deux villes occidentales clefs de Man et Danané) environ 50 pour cent du pays. Les villes occidentales furent prises avec laide de deux nouveaux groupes rebelles composés surtout de combattants libériens et sierra-léonais : le Mouvement pour la Justice et la Paix (MJP) et le Mouvement Populaire Ivoirien du Grand Ouest (MPIGO).
Durant les hostilités actives de septembre 2002 à janvier 2003, toutes les parties ont commis de graves violations du droit international humanitaire. Les forces de sécurité publique ont fréquemment attaqué, détenu arbitrairement et exécuté sommairement des personnes quils soupçonnaient dêtre des partisans des forces rebelles sur la base de leur appartenance ethnique, nationale, religieuse et politique. Les rebelles du MPCI ont aussi attaqué et tué des civils suspectés de soutenir le gouvernement. Les combattants libériens et sierra-léonais du MPIGO et du MJP ont commis de nombreux abus contre des civils dans lOuest, comme des exécutions sommaires, des viols et le pillage systématique des biens civils. Les forces des rebelles aussi bien que celles des milices ont recruté et utilisé des enfants soldats.3
Une troïka daccords de paix non respectésLes tentatives pour résoudre le conflit entre le gouvernement et les rebelles, qui en 2003 ont formé une alliance politico-militaire appelée les Forces Nouvelles (FN), ont été suspendues au fil daccords de paix non respectés, à commencer par lAccord de Linas-Marcoussis négocié par le gouvernement français en janvier 2003, Accra III négocié par les pays ouest-africains et le Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan en juillet 2004, et plus récemment lAccord de Pretoria, négocié par le Président de lAfrique du Sud Thabo Mbeki au nom de lUnion Africaine et signé en Afrique du Sud le 6 avril 2005. Bien que ces accords aient entraîné et jusquici maintenu une cessation de la guerre civile, ils nont pas apporté la paix ni lunité dans le pays, qui reste en fait coupé en deux avec les Forces Nouvelles contrôlant le Nord et le gouvernement de Gbagbo tenant le Sud, où vivent la plupart des 16 millions dhabitants.
Laccord de Linas-Marcoussis a mis officiellement un terme au conflit armé entre le gouvernement et les Forces Nouvelles. LAccord exigeait un Gouvernement de Réconciliation Nationale intérimaire composé de membres du Front Populaire Ivoirien (FPI) du Président Gbagbo, des Forces Nouvelles, et des partis dopposition, et dirigé par un Premier ministre choisi par consensus. Le gouvernement intérimaire était chargé de superviser le désarmement de toutes les forces; de préparer le pays pour des élections fiables ; et de réviser les lois et les procédures relatives à la citoyenneté, lémission de documents didentité, léligibilité pour se présenter aux élections, et la composition et le rôle de la Commission Electorale Indépendante.
En septembre 2003 les Forces Nouvelles se sont retirées de ce gouvernement de réconciliation nationale, se plaignant du manque de bonne foi du Président Gbagbo dans lapplication de lAccord. Dans une tentative pour relancer le processus de paix, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a établi sur le 27 février 2004 une mission de maintien de la paix en Côte dIvoire, connue sous le nom dOpération des Nations Unies en Côte dIvoire (UNOCI).4 Cette force, déployée le 4 avril 2004, comprend environ 6000 soldats de maintien de la paix des Nations Unies (casques bleus) et environ 250 officiers de police civile. La force des Nations Unies, appuyée par 4000 soldats français plus lourdement armés appartenant à lOpération Licorne, contrôle une zone tampon qui court dans toute la largeur du pays dest en ouest, séparant les forces ivoiriennes opposées, et connue sous lappellation de Zone de Confiance. LONUCI est aussi chargée daider le gouvernement à réaliser un plan national de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR), et de protéger les civils sous une menace imminente de violences physiques, selon ses capacités et zones de déploiement.5
En mars 2004 une manifestation dune coalition de groupes dopposition défilant pour soutenir leurs demandes de complète application de laccord de Linas-Marcoussis a été attaquée par les forces de sécurité, faisant au moins 105 victimes et 290 blessés. En juillet 2004, les Nations Unies, lUnion Africaine et la Communauté Economique des Etats Ouest Africains (ECOWAS), craignant une reprise des hostilités, ont organisé un sommet à Accra, au Ghana. Ce sommet a abouti à lAccord Accra III, qui engageait le gouvernement à adopter les réformes juridiques déjà stipulées dans laccord de Linas-Marcoussis sur la citoyenneté et léligibilité à se présenter aux élections. Accra III stipulait aussi que le processus de désarmement devait inclure les groupes paramilitaires et des milices.
Le 4 novembre 2004, le gouvernement du Président Gbagbo a lancé des bombardements aériens sur les rebelles dans le Nord, rompant un cessez-le-feu de dix-huit mois. Lorsque neuf soldats français ont été tués dans une attaque aérienne sur Bouaké le 6 novembre 2004, les Français ont riposté en détruisant le gros de la minuscule force aérienne du pays. Lattaque française contre les forces aériennes ivoiriennes a déclenché un flot dinvectives contre la France et les étrangers de la part des chaînes de radiodiffusion ivoiriennes et des journaux pro-gouvernementaux, conduisant à lincendie et au pillage des maisons et des commerces des Français et autres étrangers. Ces attaques ont entraîné la plus vaste évacuation dexpatriés dans lhistoire post-coloniale du pays : environ 8000 personnes de 63 pays ont quitté la Côte dIvoire en novembre 2004. Ces attaques ont incité plusieurs acteurs au sein de la communauté internationale à intensifier leurs efforts pour résoudre la crise. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a imposé un embargo sur les armes en Côte dIvoire en novembre 2004, et en février 2005 a nommé un panel dexperts pour le contrôler.6
Une attaque par les forces des milices contre la ville de Logoualé tenue par les rebelles dans lOuest explosif le 28 février 2005, et des rumeurs sur la reprise dune offensive gouvernementale, ont poussé le Président Mbeki de lAfrique du Sud (nommé médiateur de lUnion Africaine en novembre 2004) à accentuer ses efforts de médiation. Une série de réunions a abouti à la signature de lAccord de Pretoria le 6 avril 2005. Laccord comprenait une déclaration de cessation immédiate et définitive de toutes les hostilités; appelait au désarmement des rebelles et des milices pro-gouvernementales ; engageait les acteurs à accepter la détermination du médiateur concernant les révisions des lois et des procédures réclamées dans laccord de Linas-Marcoussis; et appelait tous les acteurs à prendre des mesures pour avancer vers une élection présidentielle en octobre 2005.
Au bout de six mois il était clair que lAccord de Pretoria nentraînait pas plus de progrès vers la paix que ses prédécesseurs. Des diplomates, des responsables des Nations Unies, des journalistes, et des hommes politiques des principaux partis politiques, dont le FPI, le Parti Démocratique de la Côte dIvoire (PDCI) et le Rassemblement des Républicains (RDR) ont déclaré à Human Rights Watch que bien que certaines lois aient été adoptées et des accords aient été rédigés pour répondre aux problèmes essentiels du conflit lidentification des Ivoiriens et linscription des électeurs, léligibilité pour se présenter aux élections, et le désarmement des forces rebelles et des milices dans lOuest du pays une méfiance persistante a empêché chaque côté de prendre les mesures nécessaires pour bâtir la confiance et commencer le processus de mise en uvre.7
Lincapacité des parties à appliquer complètement lAccord de Pretoria a conduit le gouvernement en septembre 2005 à annuler lélection doctobre. Pour éviter une crise constitutionnelle issue de lexpiration du mandat du Président Gbagbo le 30 octobre 2005, lUnion Africaine a publié un communiqué le 6 octobre réaffirmant que les accords de Linas-Marcoussis, Accra III, et Pretoria constituaient le cadre de travail approprié pour résoudre la crise en Côte dIvoire, et a appelé à une prolongation dun an du mandat de Gbagbo à la tête de lEtat ; à la création dun nouveau gouvernement de partage du pouvoir et à la nomination dun nouveau Premier ministre qui aurait complète autorité sur le cabinet; et à la poursuite des efforts pour mettre en oeuvre les dispositions prévues dans les accords précédents.8 Le plan demandait aussi la création dun Groupe de travail international (présidé par le ministre des Affaires étrangères nigérian) pour contrôler la mise en uvre du plan par des réunions mensuelles, et la création dun groupe de médiation (présidé par lEnvoyé spécial de lAfrique du Sud) pour garantir la médiation au jour le jour. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a avalisé formellement le plan le 21 octobre 2005, et a appelé à la tenue délections crédibles au plus tard le 31 octobre 2006.9 Cependant, les Forces Nouvelles ont rejeté la légitimité de la prolongation dune année du gouvernement du Président Gbago.
Le résultat final est une impasse où les rebelles continuent à refuser de désarmer parce quils nont pas confiance dans le gouvernement pour organiser des élections crédibles dans lesquelles les Ivoiriens du Nord pourraient voter dans des conditions libres et justes. Des diplomates, des responsables des Nations Unies et des représentants des principaux partis politiques ont déclaré à Human Rights Watch quune pression internationale beaucoup plus intense doit être exercée sur les parties en guerre pour vaincre le manque de volonté politique et pour résoudre la crise politique.10
[1] Voir Human Rights Watch, Pris au piège entre deux guerres : violences contre des civils dans lOuest de la Côte dIvoire, Vol. 15, No. 14(A), Août 2003, pp. 9-10. [2] Voir Human Rights Watch, Le nouveau racisme : la manipulation politique de lethnicité en Côte dIvoire, Vol. 13, No. 6(A), Août 2001. [3] Voir Human Rights Watch, Pris au piège entre deux guerres. [4] Résolution 1528 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, 27 février 2004, S/RES/1528(2004). [5] Ibid. [6] Résolution 1572 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, 15 novembre 2004, S/RES/1572 (2004). [7] Entretiens de Human Rights Watch, Abidjan, septembre-octobre 2005. [8] Voir Conseil de Sécurité et de Paix de lUnion Africaine, Communiqué de la 40ème réunion du Conseil de Sécurité et de Paix, PSC/AHG/Comm(XL), 6 octobre 2005. [9] Resolution 1633 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, 21 octobre 2005, S/RES/1633 (2005). [10] Entretiens de Human Rights Watch, Abidjan, Septembre-Octobre 2005.
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