A. Recevabilité des affaires devant la CPI

Le 10 février 2006, la chambre préliminaire I a délivré un mandat d’arrêt contre Thomas Lubanga.1 En prenant sa décision de lancer un mandat d’arrêt à la demande du procureur, la chambre préliminaire I a décidé que deux questions devaient être examinées quand on déterminait la recevabilité: premièrement, s’il y avait des enquêtes et des poursuites judiciaires au niveau national se rapportant au cas en question, qui pourraient être prioritaires par rapport à la compétence de la CPI, et deuxièmement, si le seuil de gravité pour saisir la CPI était atteint.2 Cette décision est importante dans la mesure o elle clarifie les critères utilisés pour déterminer quels cas sont suffisamment graves, et le « type » d’auteurs qui sont visés par la CPI. C’est aussi la première décision se rapportant à un autre élément-clé du Statut de Rome : la complémentarité.3

1. Complémentarité

La chambre préliminaire I a d’abord examiné si les états ayant compétence à l’égard de l’affaire Lubanga étaient restés inactifs, ou n’avaient pas la volonté ou la capacité d’engager une procédure sur cette affaire. C’était particulièrement pertinent puisque Thomas Lubanga était en garde à vue à Kinshasa au moment de la décision et avait été inculpé par le système judiciaire congolais.

En déterminant la recevabilité, la chambre préliminaire I a estimé que « Il est une condition sine qua non, pour qu’une affaire découlant d’une enquête sur une situation soit irrecevable, que les procédures nationales englobent tant la personne que le comportement qui font l’objet de l’affaire portée devant la Cour ».4 (italique ajouté)

Observant que les mandats d’arrêt lancés par la République Démocratique du Congo (RDC) contre Lubanga ne contenaient aucune référence à sa présumée responsabilité pénale pour les crimes dont il était inculpé à la demande du procureur, la chambre préliminaire I a estimé qu’on ne pouvait considérer la RDC comme agissant sur ce dossier spécifique devant la Cour.5

2. Gravité

En identifiant les individus suspects afin de les mettre en accusation, le Statut de Rome fait simplement référence aux « auteurs » des « crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale. »6 L’éventail des prévenus potentiels est donc large. Pour réduire cette classe plutôt large de criminels qui seraient susceptibles d’être traduits devant le CPI, le procureur a adopté une politique de poursuites à l’égard de « ceux qui portent la plus grande responsabilité » pour les crimes relevant de sa compétence.7

La chambre préliminaire I a estimé que l’exigence de gravité de l’article 17-1-d « est destinée à garantir que la Cour n’ouvre des affaires que contre les plus hauts dirigeants suspectés de porter la responsabilité la plus lourde des crimes relevant de la compétence de la Cour et qui auraient été commis dans toute situation faisant l’objet d’une enquête. »8 Dans le but d’atteindre le seuil de gravité, la chambre a tenu à ce que les trois questions suivantes reçoivent une réponse affirmative :

- « Le comportement qui fait l’objet de l’affaire est-il systématique ou survient-il à grande échelle ? (il convient également de prendre en considération l’indignation de la communauté internationale face au comportement en question) ;

- Eu égard à la position de la personne concernée au sein de l’organisme étatique, de l’organisation ou du groupe armé auquel elle appartient, peut-on considérer que cette personne entre dans la catégorie des plus hauts dirigeants s’agissant de la situation faisant l’objet de l’enquête ? et

- La personne concernée entre-t-elle dans la catégorie des plus hauts dirigeants suspectés de porter la responsabilité la plus lourde, eu égard (1) au rôle joué par cette personne, par ces actes ou omissions, lorsque ces organismes étatiques, organisations ou groupes armés auxquels elle appartient commettent de façon systématique ou à grande échelle des crimes relevant de la compétence de la Cour ; et (2) au rôle joué par lesdits organismes étatiques, organisations ou groupes armés dans la perpétration des crimes relevant de la compétence de la Cour dans la situation en question? »9

Après avoir mis en application ces trois critères dans l’affaire Lubanga, la chambre préliminaire I décida qu’elle atteignait le seuil de gravité prévu à l’art. 17-1-d.



1 Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Cour Pénale Internationale (CPI), Affaire No. CPI-01/04-01/06, Mandat d’arrêt, 10 février 2006, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-2_French.pdf.

2 Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, CPI, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Décision sur la demande du procureur de délivrer un mandat d’arrêt, Article 58, 24 février 2006, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-8-US-Corr-tFrench.pdf par. 29; voir aussi Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (Statut de Rome), U.N. Doc. A/CONF.183/9, 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1er juillet 2002, http://www.icc-cpi.int/library/about/officialjournal/Rome_Statute_French.pdf, art. 17(1)(c) (ajoutant qu’une affaire est irrecevable quand la personne concernée a déjà été traduite en justice pour la conduite en question).

3 Le préambule du Statut de Rome ajoute que le CPI sera “complémentaire des juridictions criminelles nationales.”

4Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, CPI, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Décision sur la demande du procureur de délivrer un mandat d’arrêt, Article 58, 24 février 2006, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-8-US-Corr-tFrench.pdf, , par. 31.

5 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, CPI, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Décision sur la demande du procureur de délivrer un mandat d’arr‘t, Article 58, 24 février 2006, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-8-US-Corr-tFrench.pdf, par. 38-39.

6 Statut de Rome, préambule, art. 5.

7 Bureau du Procureur, CPI, “Document sur des problèmes politiques devant le Bureau du procureur,” p. 7; Bureau du Procureur, CPI, “Critères de sélection des situations et des affaires,” projet répertorié par Human Rights Watch, Juin 2006, p. 13

8 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, CPI, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Décision sur la demande du procureur de délivrer un mandat d’arrêt, Article 58, 24 février 2006, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-8-US-Corr-tFrench.pdf, par. 50.

9 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, CPI, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Décision sur la demande du procureur de délivrer un mandat d’arrêt, Article 58, 24 février 2006, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-8-US-Corr-tFrench.pdf, par. 63.