C. Confirmation des charges

Le 10 février 2006, la chambre préliminaire I a délivré un mandat d’arrêt sous scellé28 contre Thomas Lubanga, sur l’accusation de crimes de guerre, à savoir, avoir recruté et enrôlé des enfants de moins de 15 ans et de les avoir fait participer activement aux hostilités. Lubanga avait été livré à la CPI le 17 mars 2006 et l’audience de confirmation des charges a eu lieu en novembre 2006. Le 29 janvier 2007, la chambre préliminaire I a confirmé les charges contre Lubanga et lui a ordonné de compara”tre devant la Chambre de première instance pour son jugement.29 Plusieurs éléments de la première décision de la Chambre confirmant les charges contre un prévenu sont dignes d’être relevés.

1. Clarification de la norme utilisée pour confirmer les charges

L’article 61-7 du Statut de Rome stipule que la Chambre Préliminaire doit, sur la base de l’audience, déterminer s’« il existe des preuves suffisantes donnant des raisons sérieuses de croire que la personne a commis chacun des crimes qui lui sont imputés. » L’accusation, les représentants légaux des victimes et la défense ont tous présenté des interprétations différentes des « motifs substantiels de croire » pendant l’audience de confirmation.

Dans sa décision, la chambre préliminaire I a déclaré que l’accusation devait apporter des éléments de preuve concrets et tangibles, montrant une direction claire dans le raisonnement supportant ses allégations spécifiques. La chambre préliminaire I a estimé en outre que le critère des « motifs substantiels de croire » devait permettre aux juges d’évaluer l’ensemble des éléments de preuve considérés comme un tout. Après avoir examiné les éléments de preuve, la Chambre déterminera si elle est convaincue que les allégations de l’accusation sont assez sérieuses pour renvoyer un prévenu en jugement.30

2. Définition de la notion de co-action

L’accusation a inculpé Lubanga comme co-auteur d’après l’article 25-3-a du Statut de Rome.31 La chambre préliminaire I a estimé que la notion de co-action rejoint celle du contrôle exercé conjointement sur le crime. La Cour a estimé qu’un verdict de co-action exigeait les éléments suivants:32

á L’existence d’un accord ou d’un plan commun entre deux ou plusieurs personnes;

á Un apport, de la part de chaque co-auteur, d’une contribution essentielle et coordonnée aboutissant à la réalisation des éléments objectifs du crime;

á Le suspect doit satisfaire aux éléments subjectifs du crime (avoir l’intention et la connaissance du crime);

á Le suspect et les autres co-auteurs, doivent tous, de manière partagée, savoir et admettre que la réalisation des éléments objectifs du crime peut résulter de la mise en Ïuvre de leur plan commun;

á Le suspect doit conna”tre les circonstances de fait qui lui permettent d’exercer conjointement un contrôle sur le crime.

3. Changement dans la caractérisation légale de la charge

L’accusation a inculpé Lubanga d’enrôlement et de conscription d’enfants de moins de 15 ans, et d’utilisation de ceux-ci à des fins de participation active aux hostilités, dans le contexte d’un conflit armé ne présentant pas un caractère international, un crime de guerre puni par l’article 8-2-e-vii du Statut de Rome. Selon l’accusation, les actes allégués se sont produits entre le 1er juillet 2002 et le 31 décembre 2003.33

La chambre préliminaire I a cependant décidé que le conflit armé en Ituri était international de juillet 2002 au 2 juin 2003, à cause de la présence de l’Ouganda en Ituri en tant que force d’occupation. En conséquence, la Chambre a remplacé le crime allégué par l’accusation sur la base de l’article 8-2-e-vii par un autre (enrôlement et conscription d’enfants de moins de 15 ans et utilisation de ceux-ci à des fins de participation active aux hostilités, dans le contexte d’un conflit armé international) sur la base de l’article 8-2-b-xxvi jusqu’au 2 juin 2003. La chambre préliminaire I a déclaré que, ces deux articles pénalisant le même comportement, il n’était pas nécessaire d’ajourner l’audience et de demander à l’accusation de modifier les charges.34

L’accusation a demandé depuis le droit de faire appel de cet aspect de la décision.35 L’accusation a avancé comme argument que le Statut de Rome permettait seulement à la Chambre d’ajourner la procédure et de demander à l’accusation d’envisager de modifier une charge, si la Chambre est d’avis que la preuve présentée semble établir un crime différent. De plus, l’accusation relève que, résultat de la substitution d’un crime à un autre, elle est obligée de lancer des poursuites pour un crime contenant des éléments spécifiques, qu’elle considère ne pas être corroborés par les éléments de preuve actuellement en sa possession.36

4. Réduction du cadre temporel des charges

L’accusation a accusé Lubanga de crimes commis entre le 1er juillet 2002 et le 31 décembre 2003.37 La chambre préliminaire I a cependant confirmé les chefs d’inculpation pour une plus courte période commençant début septembre 200238 et finissant le 13 aožt 2003. La chambre préliminaire I a déclaré que Lubanga avait continué à exercer le pouvoir alors qu’il était assigné à résidence depuis le 13 aožt 2003, mais ne jouait plus un rôle de coordination dans le cadre de la mise en Ïuvre du plan commun Ð un des éléments de la notion de co-action Ð après cette date.39

5. La portée du terme “forces armées nationales”

L’accusation a inculpé Lubanga au nom de l’article 8-2-e-vii,40 qui traite de la conscription ou de l’enrôlement d’enfants de moins de quinze ans au sein de forces ou de groupes armés.

L’article 8-2-b-xxvi, le crime substitué par la chambre préliminaire I, traite cependant de la conscription ou de l’enrôlement d’enfants de moins de quinze ans, au sein des forces ou groupes armés nationaux.

La chambre préliminaire I s’est demandé si le terme forces armées « nationales » restreignait la portée de l’article aux forces armées gouvernementales.41 La Chambre s’est appuyée sur les Conventions de Genève autant que sur la jurisprudence du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie. Elle fait aussi observer qu’interpréter le terme “nationales” au sens de “gouvernementales” contreviendrait au Statut de Rome de telle sorte que la Cour ne pourrait pas poursuivre un groupe armé partie à un conflit ; dans l’affaire Lubanga, Lubanga n’aurait pas été poursuivi parce que le conflit armé avait un caractère international. La chambre préliminaire I a décidé qu’aux termes de l’article 8-2-b-xxvi, les « forces armées nationales » n’étaient pas limitée aux forces armées d’un Etat, et incluent ainsi le groupe armé de Lubanga.



28 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Cour Pénale Internationale (CPI), Affaire No. CPI-01/04-01/06, Mandat d’Arrêt, 10 février 2006, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-2_French.pdf.

29 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Décision sur la confirmation des charges, 29 janvier 2007, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-803_French.pdf. Le texte n’est pas encore disponible en anglais. La discussion de cette partie est fondée sur une traduction non officielle de la décision.

30 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Décision sur la confirmation des charges, 29 janvier 2007, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-803_French.pdf, par. 39.

31Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Document comprenant les chefs d’inculpation, Article 61(3)(a), 28 aožt 2006, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-356-Anx2_English.pdf, par. 20.

32 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Décision sur la confirmation des charges, 29 janvier 2007, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-803_French.pdf, par. 342-367.

33Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, CPI, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Document comprenant les chefs d’inculpation, Article 61(3)(a), 28 aožt 2006, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-356-Anx2_English.pdf, par. 6.

34 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, CPI, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Décision sur la confirmation des charges, 29 janvier 2007, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-803_French.pdf., par. 204.

35 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, CPI, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Demande d’’appel de la Chambre Préliminaire I, 29 January 2007 “Décision sur la confirmation des charges”, 5 février 2007, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-806_English.pdf.

36 La défense a aussi fait appel de la décision de confirmation des charges au nom de l’article 82-1-b. Cet article prévoit que chaque partie peut faire appel d’“une décision accordant ou refusant la mise liberté de la personne faisant l’objet d’une enquête ou de poursuites.” La défense a argumenté qu’en confirmant les charges contre Lubanga, la décision du 29 janvier a eu pour effet de refuser sa mise en liberté et peut donc faire l’objet d’un appel. La Chambre d’appel a décidé d’examiner in limine si l’appel était recevable au nom de l’article 82-1-b avant d’aborder n’importe quelle autre question dans le motif de l’appel . Les parties ont été chargées de donner leurs observations. Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, CPI, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Appel de la Défense contre la “Décision sur la confirmation des charges” du 29 janvier 2007 de la Chambre Préliminaire, 30 janvier 2007, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-797_English.pdf; Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Instructions et décision de la Chambre d’appel, 1er février 2007, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-800_tFrench.pdf.

37 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, CPI, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Document reprenant les chefs d’inculpation, Article 61(3)(a), 28 aožt 2006, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-356-Anx2_English.pdf.

38 Après la mise en liberté de Lubanga et sa nomination comme président de l’Union des Patriotes Congolais (UPC) et la création des Forces Patriotiques pour la Libération du Congo (FPLC).

39 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, CPI, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Décision sur la confirmation des charges, 29 janvier 2007, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-803_French.pdf.

40 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, CPI, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Document reprenant les chefs d’inculpation, Article 61(3)(a), 28 aožt 2006, http://www.icc-cpi.int/library/cases/CPI-01-04-01-06-356-Anx2_English.pdf.

41 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, CPI, Affaire No. CPI-01/04-01/06, Décision sur la confirmation des charges, 29 janvier 2007, http://www.icc-cpi.int/library/cases/ICC-01-04-01-06-803_French.pdf, par. 268-285.