HUMAN RIGHTS
WATCH Documents de présentation PortuguesDeutschRussianEnglish
SpanishChineseArabicOther Languages

Note d'information à l'intention des Etats membres de l'Union africaine [Sixième Sommet de l'Union africaine, 23-24 janvier 2006]

Une note d’information de Human Rights Watch

Au Sixième Sommet de l'Union africaine (U.A.) qui se tiendra à Khartoum les 23 et 24 janvier, Human Rights Watch appelle l'Assemblée des Chefs d'Etat et de gouvernement africains à placer la protection des civils et les poursuites à l'encontre des violateurs des droits humains en tête des points prioritaires à l'ordre du jour. A cet égard et avec tout le respect qu'elle lui doit, Human Rights Watch souhaiterait attirer l'attention de l'Assemblée sur deux questions: l'éventuelle élection du président soudanais Omar El Bashir à la présidence de l'Union africaine et l'extradition par le Sénégal de l'ex-dirigeant tchadien Hissène Habré sous l'inculpation de crimes graves commis en violation du droit international.

Aussi disponible en

arabic  english 
Si les Etats membres de l'Union africaine devaient choisir le Soudan pour assumer la présidence de l'Union africaine en 2006, nous estimons que cette décision porterait sérieusement et irrémédiablement atteinte à la crédibilité et à l'avenir de l'U.A. Il serait fortement inopportun qu'un gouvernement responsable de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité —et c'est le cas du gouvernement soudanais au Darfour—préside l'Union africaine. La capacité de celle-ci à agir en organe de médiation neutre au Soudan se verrait sérieusement compromise si elle avait à sa tête un pays impliqué dans un conflit pour lequel l'Union africaine mène des pourparlers de paix.  
 
Permettre au dirigeant soudanais de devenir président de l'U.A. équivaudrait à envoyer un message extrêmement négatif aux civils du Darfour, où l'U.A. joue un rôle crucial en matière de protection, et à la population de l'Afrique en général. En tant qu'institution soucieuse de promouvoir les droits humains, comme le stipule l'article 3 de son acte constitutif, l'Union africaine ferait preuve d'une énorme hypocrisie en choisissant à sa présidence un pays complice de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre.  
 
M. Habré a été inculpé par un juge belge pour son rôle présumé dans des milliers d'assassinats politiques, des actes systématiques de torture et des crimes perpétrés contre différents groupes ethniques au Tchad; la Belgique a réclamé son extradition au Sénégal. Le Président sénégalais Wade a demandé à l'Union africaine d'émettre une recommandation à propos de la “juridiction compétente” pour juger M. Habré. Human Rights Watch estime que la Belgique constitue l'option la plus concrète, la plus réaliste et la plus appropriée pour garantir la justice et elle prie instamment l'Union africaine de recommander au Sénégal qu'il extrade M. Habré vers la Belgique. Une telle recommandation émanant des Etats membres de l'U.A. indiquerait clairement que l'Union africaine s'emploie à faire triompher l'Etat de droit et la justice, qu'elle oblige les responsables d'atrocités à rendre des comptes et qu'elle prend des mesures importantes pour lutter contre l'impunité sur le continent.  
 
Le Soudan à la présidence de l'Union africaine en 2006  
 
Problèmes sur le plan des droits humains  
La Mission de l'Union africaine au Soudan (AMIS) est la mission de maintien de la paix et d'observation du cessez-le-feu la plus ambitieuse que l'Union africaine ait entreprise à ce jour. Près de 7.000 soldats et policiers provenant de pays africains sont présents au Darfour avec pour mandat de protéger les civils contre les crimes commis par les milices “janjawids” alignées sur le gouvernement soudanais, et souvent accompagnées ou soutenues par les forces gouvernementales soudanaises, ainsi que par les rebelles de l'Armée/Mouvement de libération du Soudan (M/ALS) et le Mouvement pour la Justice et l'Egalité (MJE). Les forces de l'AMIS sont composées de soldats et de policiers du Nigeria, d'Afrique du sud, du Rwanda, du Sénégal, du Botswana, du Mozambique, du Ghana et d'autres pays.  
 
Pour les forces de l'U.A., la protection des civils a un coût. Quatre soldats nigérians ont été tués en octobre, probablement par des milices alignées sur le gouvernement, lors de l'attaque d'un convoi placé sous leur protection au Darfour Sud. Le 6 janvier, un soldat sénégalais a été tué dans l'exercice de ses fonctions au Darfour occidental.  
 
L'Union africaine a de bonnes raisons d'être fière de ces forces et de son engagement à entreprendre une opération militaire extrêmement ardue: protéger des civils dans une vaste région disposant de peu d'infrastructures. Le défi est de taille: quelque deux millions de civils ont été déplacés par la force et soumis à la terreur dans des camps au Darfour, tandis qu'1,3 million d'autres (soit au total plus de la moitié de la population darfourienne) ont été profondément affectés par les trois années de conflit et par la destruction et le pillage de leurs fermes, de leurs habitations et de leur bétail.  
 
A de nombreuses reprises, le gouvernement soudanais a fait obstacle à l'opération de l'U.A. Pendant des mois, il a refusé d'autoriser l'importation de véhicules de transport de troupes (PAC) donnés à l'AMIS pour améliorer la protection des civils et de ses forces. Le gouvernement soudanais, ses milices et les membres des mouvements rebelles font déjà l'objet d'une enquête menée par la Cour Pénale Internationale. Selon des dizaines d'investigations portant sur les violations du cessez-le-feu et réalisées par l'AMIS en vertu de l'accord de cessez-le-feu humanitaire d'avril 2004, le gouvernement soudanais est responsable de nombreux crimes commis directement ou par le biais de ses milices janjawids, qu'il a incorporées aux milices gouvernementales, à la police et à d'autres services en uniforme opérant au Darfour. Les rapports de l'AMIS relèvent qu'il a déployé des hélicoptères de combat soudanais et autres équipements aériens ainsi que des troupes contre des civils au Darfour pas plus tard qu'en décembre 2005, en violation des engagements qu'il a pris auprès de l'Union africaine.  
 
Aujourd'hui, le Soudan cherche à obtenir la présidence de l'Union africaine. Si le Sommet de l'U.A. venait à choisir le Président Omar El Bashir, la crédibilité et l'avenir de l'U.A. s'en trouveraient sérieusement et irrémédiablement mis à mal et l'opération de l'AMIS serait radicalement compromise. L'image de rectitude et d'objectivité que l'Union africaine souhaite projeter serait remise en question et sa crédibilité en tant qu'instance neutre de médiation au Darfour serait ternie. Vu son attitude d'obstruction et le non-respect de ses engagements envers l'Union africaine, les Nations Unies et d'autres, il est probable que si le Président El Bashir venait à assumer la présidence de l'U.A., le gouvernement soudanais ferait obstacle à tout effort visant à poursuivre les discussions ou à intervenir au Darfour. Il n'est absolument pas souhaitable que l'une des parties à un cessez-le-feu dirige l'institution responsable de surveiller ce cessez-le-feu ou qu'elle assume une quelconque responsabilité sur le plan de la gestion de la force africaine mise sur pied pour superviser les parties et protéger les civils contre les crimes commis par ladite partie au regard du droit international. La situation étant ce qu'elle est, il serait extrêmement inopportun que l'Union africaine choisisse le président soudanais pour occuper sa plus haute fonction.  
 
Recommandation à l'Union africaine  
• Choisir un candidat acceptable pour la présidence de l'U.A. et veiller à ce que le Président soudanais Omar El Bashir ne soit pas élu président de l'U.A. au sommet de janvier 2006.  
 
Le cas d'Hissène Habré  
 
Problèmes sur le plan des droits humains  
Un juge belge a inculpé l'ex-président tchadien Hissène Habré pour son rôle présumé dans des milliers d'assassinats politiques, des actes systématiques de torture et des campagnes de violence contre différents groupes ethniques. La Belgique a réclamé au Sénégal l'extradition de M. Habré. Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a alors demandé à l'Union africaine d'émettre une recommandation quant à la “juridiction compétente” pour juger M. Habré. Human Rights Watch prie instamment l'Union africaine de recommander au Sénégal d'extrader M. Habré vers la Belgique, en vertu du droit international en vigueur.  
 
L'extradition de M. Habré et la traduction en justice d'un ancien chef d'Etat constitueraient des événements marquants dans le combat mené pour que les auteurs d'atrocités rendent des comptes pour les crimes qu'ils ont perpétrés.  
 
M. Habré est accusé d'avoir commis des atrocités sur une grande échelle. Une commission vérité tchadienne a estimé que son régime était responsable de la mort de quelque 40.000 Tchadiens et qu'il avait recouru systématiquement à la torture. M. Habré s'est régulièrement attaqué à divers groupes ethniques tels que les Sara (1983-6), les Arabes, les Hadjerai (1987) et les Zaghawa (1989-90), tuant et arrêtant massivement les membres de ces groupes. Les dossiers de la police politique de M. Habré, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), découverts par Human Rights Watch, fournissent des informations circonstanciées sur la répression mise en place par M. Habré. Les documents font référence à un total de 12.321 victimes d'exactions, dont 1.208 mortes en détention.  
 
D'aucuns font valoir qu'il ne faut pas envoyer un dirigeant africain en Europe pour y être jugé. Human Rights Watch aurait préféré voir Hissène Habré traduit devant des tribunaux africains. Mais le Sénégal a refusé de poursuivre M. Habré en 2000 alors qu'il en avait l'occasion, le Tchad n'a jamais réclamé son extradition (et ne pourrait pas lui garantir un procès équitable) et aucun autre pays n'a demandé son extradition. La création d'un nouveau tribunal africain pour juger les crimes de M. Habré semble trop éloignée dans le temps, trop incertaine et trop coûteuse. Les victimes de Hissène Habré cherchent depuis 15 ans un tribunal prêt à entendre leur cause et beaucoup de survivants sont déjà décédés.  
 
Le gouvernement tchadien a invariablement appuyé l'extradition de M. Habré vers la Belgique. En 2002, le ministre tchadien de la justice a écrit à un juge d'instruction belge, déclarant que “M. Hissène Habré ne peut prétendre à aucune forme d'immunité de la part des autorités tchadiennes.”  
 
Hormis le cas où un pays africain demanderait l'extradition d'Hissène Habré dans les plus brefs délais – ce pays devant disposer d'un pouvoir judiciaire indépendant et compétent pour juger les actes commis, adhérer aux normes internationales en matière de procès équitable et être en mesure d'incorporer les résultats de l'instruction menée pendant quatre ans par la Belgique –l'extradition de l'ex-président tchadien vers la Belgique reste l'option la plus concrète, la plus réaliste et la plus appropriée pour qu'il puisse répondre des charges qui pèsent contre lui en disposant de toutes les garanties d'un procès équitable.  
 
Recommandation à l'Union africaine  
• Conseiller au Gouvernement du Sénégal d'extrader M. Habré vers la Belgique ou proposer un plan concret, réaliste et finançable qui permettrait de le juger rapidement et équitablement en Afrique.  

HRW Logo

À propos de HRW | Communiqués | Publications | Régions | Campagnes | Faire un Don | Librairie | Festival de Film | Recherche | Plan du Site | Contactez-nous | RSS Newsfeed | Mentions Légales

© Copyright 2005, Human Rights Watch    350 Fifth Avenue, 34th Floor    New York, NY 10118-3299    USA