HUMAN RIGHTS WATCH

RD Congo : Mettre un terme à la violence pré-électorale

Les candidats à la présidence doivent tout mettre en œuvre pour réduire les tensions avant les élections du 29 octobre

(Bruxelles, 26 octobre 2006) Les candidats à la présidence en République Démocratique du Congo doivent tout mettre en œuvre pour réduire les tensions et empêcher leurs partisans d’inciter à la violence avant le second tour des élections prévu le 29 octobre, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Les campagnes électorales durement menées par les deux adversaires, le Président Joseph Kabila et le vice-président Jean-Pierre Bemba ont mis en évidence les divisions ethniques et accru la violence avant la course aux urnes.

Le 21 octobre, la Haute autorité des médias (HAM), qui agit comme médiateur en matière de communication et d’information, a ordonné la fermeture des stations de radio proches de chacun des deux adversaires – tout les deux possédant des médias privés. Le but était de supprimer les messages électoraux incitant à la violence. Cette mesure fait suite à l’appel lancé le 15 octobre par la HAM et qui demandait que cesse la diffusion des chants électoraux, considérés comme « des appels à la haine et à la violence. »  
 
Des observateurs locaux ont mis en garde contre le fait que le débat présidentiel télévisé prévu le 26 octobre pourrait déclencher des violences si les candidats avaient recours à des insultes ethniques au cours du débat. Le Congo va organiser un second tour pour les élections présidentielles puisque le premier tour du 30 juillet, n’est pas parvenu à dégager une majorité en faveur d’un seul candidat. Les électeurs éliront également les membres des assemblées provinciales. Le 20 août dernier, l’annonce des résultats du premier tour avait déclenché trois jours de combats dans les rues de Kinshasa. Ces affrontements entre les forces loyales à Bemba et celles fidèles à Kabila,avait alors fait des douzaines de morts.  
 
« Après avoir attendu 40 ans pour choisir démocratiquement son Président, le peuple congolais mérite de pouvoir voter dans la paix et la sécurité, » a déclaré Alison Des Forges, conseillère à la division Afrique de Human Rights Watch. « Les candidats doivent travailler à garantir que leurs campagnes n’incitent pas à la haine ethnique et ne fassent pas la promotion de la violence. »  
 
Le 17 octobre, sept personnes ont été blessées à Lodja, dans la province du Kasai oriental au centre du pays, lors de combats opposant les partisans des deux adversaires à la présidence. Le même jour, à Mbandaka, dans la province de l’Equateur, à l’Ouest du pays, les partisans de Kabila ont battu au moins cinq femmes lors d’une manifestation électorale quand des enfants se sont mis à railler leur convoi électoral en criant le nom de leur adversaire, Bemba.  
La violence électorale a débordé des frontières du Congo et a même atteint l’Europe. A Londres, alors qu’ils entraient dans le parking d’un studio de télévision le 11 octobre, le chef de cabinet de Kabila, Leonard She Okitundu et deux autres personnes ont été attaquées et battues par un groupe de Congolais. She Okitundu a été totalement dévêtu par ses assaillants et a dû ensuite être hospitalisé.  
 
La campagne pour le premier tour des élections en juillet a été entachée de violence. Les messages électoraux ont fréquemment eu recours à des formules discriminatoires. En mai, lors d’un rassemblement de soutien à Kabila dans la ville de Goma, à l’Est du pays, l’un des quatre autres vice-présidents du Congo, Abdoulaye Yerodia a verbalement attaqué la minorité ethnique des Tutsi. « Si vous ne retournez pas chez vous, » a déclaré Yerodia, « on vous mettra des bâtons dans le derrière pour s’assurer que vous partiez. »  
 
Yerodia avait eu recours à un discours similaire en 1998 pour inciter à la violence contre les Tutsi causant la mort de centaines de Tutsi congolais. Il a ensuite été accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Belgique. L’affaire a cependant été abandonnée en raison d’une décision de la Cour pénale internationale. Cette dernière estimait qu’en tant que ministre des affaires étrangères en exercice, Yerodia ne pouvait être poursuivi en justice par les tribunaux d’un pays tiers.  
 
Le vice-président Bemba a également fait de l’appartenance ethnique une question clef en mettant la notion de congolité ou pureté ethnique au cœur de sa campagne. Ses partisans ont tenté de présenter Kabila, qui a passé la majeure partie de sa jeunesse à l’étranger, comme un étranger.  
 
Les actes visant à intimider les partisans du camp adverse ont interrompu la campagne électorale. Le 18 octobre, le directeur de campagne de Bemba dans le Katanga, Theodore Ngoy, s’est vu empêcher de mener campagne à Lubumbashi lorsqu’un groupe de jeunes hommes, menaçants, fidèles à Kabila ont cerné son hôtel. La délégation de Ngoy a ensuite été escortée vers un lieu sûr par la police et les forces de maintien de la paix des Nations unies. Ceci s’est produit après une précédente attaque le 12 octobre, dans les bureaux de la station de radio privée appartenant à Bemba. Des hommes en armes avaient alors détruit l’essentiel du matériel de radiodiffusion.  
 
La campagne électorale a également exacerbé les tensions ethniques dans la province déjà très instable du Nord Kivu, dans l’Est du pays. Le gouverneur de la province, Eugene Serafuli, n’a pu mener campagne dans certaines parties du territoire Rutshuru à cause de troupes fidèles à Laurent Nkunda. Cet ancien officier militaire, devenu chef rebelle, prétend protéger les droits de la minorité tutsi. Le 14 octobre, le quartier général de la police à Masisi a, après un échange de coups de feu, été pillé avant d'être investi par une force de police adverse fidèle à Nkunda. Cet incident compromet tout vélléité d’accès à la région pour Serafuli et d’autres candidats.  
 
Une force européenne, connue sous le nom d’EUFOR, a été déployée par l’Union européenne en juin dernier pour appuyer les efforts des Nations unies en matière de sécurité, préalablement aux élections. Cette force a récemment accru ses effectifs dans la capitale avant le passage aux urnes. Le mandat de l’EUFOR expire le 30 novembre, au moment où sont attendus les résultats des élections. Les Nations unies devraient solliciter un prolongement de la présence de la force pour cette semaine-là. Les ministres européens de la Défense ont néanmoins fait part de leur réticence concernant tout engagement en ce sens.  
 
« Le succès de ces élections capitales est en jeu, » a déclaré Des Forges. « La force européenne doit rester au Congo jusqu’à ce que les institutions nouvellement élues soient en place. Kabila et Bemba doivent prendre des mesures urgentes pour réduire les tensions et veiller à ce que leurs partisans mènent campagne sur les vrais problèmes, non sur des divisions d’ethnie ou de langue. »



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