(New York, le 24 octobre 2008) - La condamnation le 23 octobre par un tribunal militaire de 15 soldats pour le massacre de 31 civils dans la province de Muyinga en 2006 est un coup important porté contre l'impunité au Burundi, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. La série d'assassinats se classe parmi les pires atrocités commises par les forces de sécurité de l'Etat depuis l'entrée en fonctions du Président Pierre Nkurunziza en 2005.
« Après plus de deux ans, les familles des victimes de Muyinga ont enfin obtenu un peu de justice », s'est félicitée Alison Des Forges, conseillère senior à la division Afrique de Human Rights Watch. « Espérons que cela signifie que le Burundi est déterminé à mettre un terme aux exactions horribles et récurrentes contre son peuple. »
Un tribunal militaire de Muyinga a condamné trois soldats - le Commandant Eliezer Manirambona, le Sergent Ntirampeba et le Caporal en chef Nzorijana - à la prison à vie, et sept autres à des peines de 10 ans d'emprisonnement pour complicité dans les assassinats. Quatre autres soldats ont été reconnus coupables de ne pas être intervenus pour arrêter les crimes et ils ont été condamnés à deux ans de prison. Le tribunal a acquitté neuf soldats accusés de ne pas avoir réagi aux crimes après qu'ils ont convaincu la cour qu'ils avaient promptement informé leurs supérieurs des assassinats.
Le tribunal a déclaré le Colonel Vital Bangirinama, officier commandant les soldats impliqués dans le massacre, coupable par contumace et l'a condamné à la mort. Il s'est enfui du Burundi en janvier 2008 quand il a appris que l'auditeur général (le procureur en chef du système de justice militaire) avait l'intention de l'arrêter en application d'un mandat en instance depuis octobre 2006. Human Rights Watch est opposé aux procès par contumace et à la peine de mort, et appelle le gouvernement à faire tout son possible pour appréhender Bangirinama promptement et le rejuger.
Aucun des fonctionnaires civils impliqués dans l'affaire, tels que les fonctionnaires locaux et les agents du renseignement, n'a fait l'objet de poursuites.
Contexte
De juin à août 2006, des soldats des Forces de la Défense Nationale (FDN) ont transporté 31 civils au moins depuis le camp militaire de Mukoni, où ils étaient détenus illégalement, jusqu'au Parc national du Ruvubu. Ils y ont tué les civils, jetant leurs corps dans la rivière. L'auditeur général Donatien Nkurunziza (sans lien de parenté avec le Président Nkurunziza) a indiqué au tribunal que le Colonel Bangirinama, alors chef de la Quatrième Région militaire du Burundi, avait donné l'ordre à ses subordonnés, dont Nzorijana, Ntirampeba et Manirambona, d'exécuter les assassinats.
Les victimes, dont certaines ou toutes étaient soupçonnées de soutenir le mouvement rebelle Parti pour la Libération du Peuple Hutu-Forces Nationales pour la Libération (Palipehutu-FNL), avaient été arrêtées par des fonctionnaires locaux et des agents du Service National de Renseignement (SNR).
L'apparition de corps dans la rivière, ainsi que les recherches des familles des victimes ont attiré l'attention nationale et internationale sur le massacre et ont embarrassé le gouvernement en place depuis peu. A la suite des premières enquêtes, les autorités ont arrêté plusieurs soldats de rang inférieur. Elles ont aussi arrêté le chef du service de renseignement de Muyinga, Dominique Surwavuba, mais il a été relâché en 2007 et n'a pas été traduit en justice. D'autres civils, dont des fonctionnaires locaux, impliqués par des témoins, n'ont pas été arrêtés.
Les premières investigations ont conduit à un mandat d'arrêt à l'encontre du Colonel Bangirinama, mais le Président Nkurunziza a suspendu l'exécution de ce mandat. En décembre 2007, l'auditeur général s'est à nouveau apprêté à arrêter Bangirinama, mais celui-ci a quitté le pays, ayant été apparemment prévenu que son arrestation était imminente. La police burundaise a lancé un mandat d'arrêt international auprès d'Interpol, l'organisation internationale policière, en février 2008 ; mais l'endroit où se trouve Bangirinama demeure inconnu.
L'affaire relative à d'autres accusés militaires a été renvoyée plusieurs fois entre les juridictions civile et militaire, jusqu'à ce que la Cour Suprême décide à la mi 2008 qu'elle devrait être jugée par un tribunal militaire. De nombreux soldats du camp militaire local ont assisté aux séances du tribunal. A une occasion, l'auditeur général a tiré pour eux une leçon de ce procès, soulignant que les soldats qui exécutaient des ordres illégaux endossaient eux-mêmes la responsabilité de leur conduite.
Human Rights Watch, ainsi que les familles des victimes, des groupes locaux de défense des droits humains et le Bureau intégré des Nations Unies au Burundi (BINUB), ont travaillé pendant deux ans à faire pression sur le gouvernement pour obtenir justice, et ils ont ensuite exprimé leur satisfaction quant à la conduite du procès. Parmi les groupes de défense des droits humains du Burundi, figurent l'Association pour la protection des Droits humains et des Personnes détenues (APRODH) et la Ligue Iteka. Human Rights Watch a appelé le gouvernement à traduire en justice d'autres personnes impliquées dans les assassinats, les agents du renseignement et les fonctionnaires locaux.
Les familles des victimes ont demandé des compensations à l'Etat. Comme l'a indiqué la veuve de l'une des victimes à Human Rights Watch : « J'ai 10 orphelins qui ont perdu leur père. Nous avons besoin des compensations pour assurer l'avenir de nos enfants. » Le tribunal a reporté de plusieurs semaines les procédures sur les compensations.
« Les victimes d'exactions commises par l'armée burundaise ont rarement pu espérer la moindre réparation », a rappelé Alison Des Forges. « Reconnaître leurs droits à des compensations donnerait un autre exemple positif dans la lutte contre ces exactions. »