Rapports de Human Rights Watch

Résumé

Des agents de la Police Nationale du Rwanda (PNR) ont tiré mortellement sur 20 détenus au moins lors de 10 incidents séparés survenus en l’espace de six mois, entre novembre 2006 et mai 2007. Bon nombre de ces morts semblent constituer des exécutions extrajudiciaires, crimes qui violent tant le droit international des droits humains que la loi rwandaise.

La police reconnaît la mort des 20 détenus dans une déclaration envoyée à Human Rights Watch par le Commissaire général de la Police Nationale du Rwanda, Andrew Rwigamba, mais elle affirme que tous ont été abattus lors de tentatives d’évasion ou alors qu’ils cherchaient à s’emparer des armes de policiers. Elle dit que ces morts font actuellement l’objet d’une enquête.

Bien que des détenus aient déjà été tués en garde à vue au cours d’incidents antérieurs, le nombre de décès survenus dans ces circonstances a considérablement augmenté depuis fin 2006, dans la foulée de plusieurs meurtres fortement médiatisés de rescapés du génocide de 1994 et d’autres personnes participant aux juridictions gacaca, une initiative de justice populaire conçue pour poursuivre les personnes accusées de génocide.

Confrontées aux demandes de protection accrue de ces personnes vulnérables, les autorités ont réagi en instaurant une politique de responsabilité collective, rendant tous les Rwandais responsables de la sécurité de leurs concitoyens. Le sens exact de cette politique n’a pas été expliqué clairement, ni prescrit par une loi, mais les autorités ont ordonné d’intensifier les patrouilles de nuit effectuées par les citoyens. Elles ont également averti à maintes reprises que toute personne faisant du tort ou cherchant à faire du tort à des rescapés s’exposerait à un châtiment sévère, bien que non précisé.

La congruence entre ces déclarations officielles et la hausse du nombre de décès en garde à vue fait craindre que certains policiers n’aient interprété les exhortations officielles comme un permis de commettre des exactions sur les détenus, en particulier mais pas exclusivement ceux accusés de crimes contre des rescapés ou des personnes participant au processus gacaca.

Des cas de détenus abattus par des policiers sont survenus dans plusieurs parties du Rwanda mais ceux documentés jusqu’à présent se sont concentrés dans le sud et l’est, des régions connues pour la gravité du génocide et les tensions soutenues qui entourent la gacaca. La déclaration de la police ne condamnait pas le fait d’avoir tué les 20 détenus mais elle soulignait plutôt que la plupart des victimes étaient « d’un tempérament criminel extrême et prêtes à mourir pour leur idéologie génocidaire », laissant entendre que les accusations à l’encontre des détenus, non vérifiées devant un tribunal, justifiaient en quelque sorte leur meurtre.

Dans certains cas, tant avant qu’après la fin 2006, des policiers ont également tué des détenus accusés de crimes non liés au génocide et au processus gacaca, notamment des personnes accusées de meurtre, de viol et de vol. Selon la déclaration de la police et les recherches de Human Rights Watch, ces morts ont également augmenté depuis 2006. La police reconnaît que des détenus non soupçonnés de génocide ou de crimes liés au processus gacaca ont été tués, mais n’offre aucune explication autre que le fait que les victimes cherchaient à s’évader.

Plusieurs gouvernements bailleurs de fonds, dont les Etats-Unis et le Royaume-Uni, ont réclamé aux responsables de la police des explications au sujet des morts. La Police Nationale du Rwanda a promis des enquêtes mais sans donner l’assurance que celles-ci seraient menées par des enquêteurs indépendants et impartiaux.

Dans un certain nombre de communautés, les autorités locales ont interprété la politique nationale de responsabilité collective comme un permis, voire une obligation, d’infliger une punition collective dès que des rescapés ou des participants au processus gacaca étaient inquiétés ou attaqués. Assistés par des policiers et des membres de la Force de défense locale, des administrateurs ont imposé des amendes ou même des passages à tabac à l’encontre de citoyens qui n’avaient pas été jugés mais qui ont été tenus responsables de délits présumés car ils avaient la malchance de vivre près du lieu du crime.

L’imposition de punitions collectives viole la présomption d’innocence et le droit des accusés à un procès équitable, droits garantis tant par le droit international des droits humains que par la constitution rwandaise.

Puisque les responsables rwandais s’efforcent de démontrer leur engagement envers l’Etat de droit, ils doivent faire en sorte que les morts injustifiées de détenus causées par la police prennent immédiatement fin, que des enquêtes circonstanciées et impartiales soient menées, et que les responsables de ces crimes répondent de leurs actes. Ils doivent également respecter la présomption d’innocence et garantir des procès équitables aux personnes accusées plutôt que de punir celles qui n’ont pas été reconnues coupables par un tribunal.