L'Ouganda n'a pas été soumis à une large censure internationale après avoir envoyé ses troupes dans un pays voisin ni fait l'objet de fortes critiques face aux graves exactions commises par ses forces lors de la première guerre au Congo ou pendant le conflit actuel. Après le début de la deuxième guerre, les principaux acteurs internationaux se sont surtout efforcés de mettre un terme aux combats entre troupes gouvernementales rivales et ils ont largement fermé les yeux sur les conflits locaux et sur la souffrance de la population, encore aggravée par la présence de ces troupes. L'Accord de Lusaka de 1999, activement promu par d'importants arbitres extérieurs à la région, est symbolique de la position adoptée par la communauté internationale. Conçu pour répondre aux besoins des principales parties gouvernementales, il prévoit que les combattants des groupes d'opposition armée soupçonnés de génocide ou d'autres crimes contre l'humanité soient livrés au Tribunal Pénal International pour le Rwanda ou à des tribunaux nationaux pour y être jugés mais il ne prévoit aucunement d'établir les responsabilités pour les graves exactions commises par les troupes ougandaises ou par celles des six autres gouvernements impliqués dans le conflit.
Les parties au conflit ont généralement ignoré l'accord pendant plus d'un an et demi, réagissant à peine à toutes les initiatives diplomatiques qui ont été prises, telles que les trois journées de discussion au Conseil de Sécurité de l'ONU en janvier 2000 ou les nombreuses missions diplomatiques envoyées dans la région. Mais elles ont finalement commencé à se diriger vers une mise en _uvre de l'accord en février 2001, suite au décès de Laurent Kabila et à l'arrivée de son fils, Joseph Kabila, au poste de président. Toutes les principales parties, à l'exception du Rwanda, se sont réunies le 15 février pour réaffirmer leur engagement envers l'accord et à la fin du mois, l'Ouganda et le Rwanda commençaient à retirer leurs troupes de leurs positions les plus avancées. Personne ne s'attend néanmoins à ce que leur retrait mette fin sur le champ au conflit dans les communautés qu'elles ont contribué à déchirer. A Bunia, où les chefs de communautés avaient aidé à mettre un terme aux meurtres ethniques à la fin janvier, et à Butembo où cent mille habitants sont descendus dans les rues pour manifester en faveur de la paix, il y a une volonté généralisée de mettre fin à la violence. Mais l'application de l'accord de Bunia et la mise en _uvre des résolutions de la conférence de Butembo demandent à la fois le rétablissement d'une administration civile et l'instauration d'un Etat de droit.
Après s'être contenté dans ses premières résolutions de réclamer simplement le retrait de troupes étrangères non nommées présentes sur le sol congolais, le Conseil de Sécurité est devenu beaucoup plus critique après que l'Ouganda et le Rwanda, en juin 2000, se soient battus à Kisangani pour la troisième fois en moins d'un an, tuant et blessant des centaines de civils et endommageant des milliers d'habitations, des dizaines d'écoles et autres bâtiments publics. Dans ses résolutions 1304 (2000) et 1332 (2000), le Conseil de Sécurité a demandé que le Rwanda et l'Ouganda retirent leurs forces du territoire congolais et a déclaré qu'ils devraient verser des réparations pour les vies et les biens perdus à Kisangani. Ces gouvernements semblaient être restés insensibles face au concert de condamnations internationales, notamment deux déclarations du Secrétaire Général de l'ONU au pire moment des combats en juin 2000. Ils n'ont pas assumé leur responsabilité, méprisant les vies humaines et violant de maintes façons les Conventions de Genève. Le Conseil de Sécurité et la communauté internationale doivent encore prendre les mesures qui s'imposent pour leur faire rendre des comptes pour leur comportement à Kisangani ou ailleurs au Congo.
En novembre 1999, le Conseil de Sécurité a créé la Mission de l'Organisation des Nations Unies en République Démocratique du Congo (MONUC) pour superviser le respect de l'accord de Lusaka. Bien que le refus des parties de mettre réellement fin aux combats ait entravé le déploiement de la force, le Conseil de Sécurité a prolongé son mandat le 14 décembre 2000 et a renforcé ses responsabilités sur le plan de la protection des droits de l'homme. Au début de l'année 2001, la MONUC avait posté 210 officiers et observateurs militaires au Congo, notamment au quartier général des mouvements rebelles à Bunia, Gbadolite et Goma, et d'autres dans les pays voisins.
Les observateurs militaires et les observateurs des droits de l'homme attachés à la MONUC ont rarement agi effectivement pour limiter les conflits locaux. Mais une intervention de l'Ambassadeur Kamel Morjane, Représentant spécial du Secrétaire général et chef de la MONUC, a prouvé que même des civils attachés à la force de l'ONU pouvaient contribuer à interrompre le cycle de la violence. En septembre 2000, l'Ambassadeur Morjane s'est rendu à Bunia et a convaincu le commandant du Bataillon Usalama de quitter le complexe de la MONUC où il avait trouvé refuge, évitant probablement ainsi un futur conflit. Les civils chargés de la protection des enfants et de la coordination humanitaire ont également contribué à sensibiliser davantage les décideurs de l'ONU et des Etats membres de l'ONU à la situation déplorable des civils.
Misant sur l'élan donné au processus de paix par l'arrivée du nouveau président du Congo, le secrétaire général a, le 12 février 2001, demandé au Conseil de Sécurité une force plus réduite que celle prévue initialement mais qui serait déployée plus rapidement. Le Conseil de Sécurité a réduit le nombre d'effectifs de plus de la moitié, passant de 5.537 à 2.300, et a limité leur rôle à la protection des 550 observateurs militaires de l'ONU. La communauté internationale mettant l'accent sur la promotion du désengagement militaire, la force devra vérifier l'application du cessez-le-feu et le retrait des troupes du front et ne sera pas chargée de protéger les civils.175 Le secrétaire général a prévenu que la force surveillera les installations, le matériel et les fournitures de l'ONU mais « qu'elle ne pourra pas venir à la rescousse d'autres personnels des Nations Unies, ni accompagner les convois humanitaires, ni assurer la protection de la population locale. »176
En excluant toute possibilité de protéger les civils et en réduisant les effectifs, le Conseil de Sécurité a mis la MONUC dans l'impossibilité de jouer un rôle plus important dans les nombreux conflits locaux qui ont coûté cher en vies humaines et ont provoqué des déplacements de populations. A Bunia, par exemple, la simple présence des observateurs de la MONUC et des observateurs des droits de l'homme pourrait contribuer à dissuader les dirigeants qui, autrement, pourraient attiser les violences ethniques. L'absence de protection de la MONUC jette les gens ordinaires en pâture aux instigateurs de violence ethnique et les abandonne à leurs craintes collectives.
Dans sa résolution 1341 du 22 février 2001, le Conseil de Sécurité s'inquiète des violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire au Congo, condamne les massacres et les atrocités et rappelle à toutes les parties - y compris les forces d'occupation - qu'elles sont obligées de protéger la population civile. Mais il ne demande pas que les responsabilités soient établies pour les exactions commises, comme l'exigerait tout processus de réconciliation crédible.177 Fin février, des troupes supplémentaires de la MONUC ont commencé à être déployées, comme il avait été demandé lors de la rencontre du 15 février entre les parties à l'accord.
La Commission des Droits de l'Homme de l'ONU
Le 26 janvier, Roberto Garretón, rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme en RDC, a publié une déclaration condamnant les massacres perpétrés le 19 janvier à Bunia et a appelé l'Ouganda et le Front de Libération du Congo (FLC) à ordonner à leurs troupes d'assurer la protection des civils dans les zones qu'ils contrôlent et à enquêter à propos des massacres afin de traduire leurs auteurs en justice.178 Au moment de l'impression du présent rapport, le rapporteur spécial avait reçu l'approbation tant du gouvernement que du RCD pour se rendre dans le pays à la mi-mars. Il envisageait d'axer sa visite sur la situation des droits de l'homme dans les zones contrôlées par l'Ouganda et le Rwanda dans l'est du Congo et de présenter ses conclusions lors de la prochaine réunion de la Commission des Droits de l'Homme à Genève.
Le Haut Commissariat de l'ONU aux Droits de l'Homme
Fin janvier, les délégués du Bureau opérationnel du Haut Commissariat aux Droits de l'Homme ont enquêté à propos des massacres du 19 janvier et ont constaté que plus de 200 personnes avaient été tuées et beaucoup d'autres blessées au cours des massacres ce jour-là.179
Mary Robinson, Haut Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, s'est rendue en RDC au début octobre 2000 pour exprimer sa préoccupation face aux graves violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire dans le pays, particulièrement dans l'est du Congo. Lors de son passage à Goma, elle a également rencontré des représentants des groupes des droits de l'homme et de la société civile de plusieurs régions de l'est du Congo, notamment de la Province Orientale.180 Lors d'entretiens avec le gouvernement congolais et le RCD-Goma, elle a demandé que le gouvernement et les rebelles mettent fin à un certain nombre de violations des droits de l'homme mais on ne sait pas si elle a abordé le problème des exactions perpétrées par l'armée ougandaise dans le nord-est.
Le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF)
L'UNICEF et le Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU pour les enfants et les conflits armés, Olara Otunnu, s'efforcent depuis plusieurs années de mettre fin aux enlèvements d'enfants par les groupes rebelles. Lors d'une réunion du Conseil de Sécurité sur les enfants et les conflits armés à la fin juillet 2000, Carol Bellamy, directrice générale de l'UNICEF, et Otunnu ont informé le Conseil sur la question. Au cours de la même réunion, un représentant de l'Ouganda a décrit le sort des enfants enlevés par l'Armée de Résistance du Seigneur (LRA) pour être ensuite utilisés dans une campagne de terreur contre leur propre population. Mais le sort des enfants congolais entraînés par l'Ouganda et le Rwanda pour leurs alliés rebelles congolais respectifs et déployés dans les zones de combat a fait l'objet de peu d'attention durant le débat.181
Ce n'est qu'après que des fonctionnaires attachés à la MONUC et à l'UNICEF et chargés de la protection des enfants aient signalés au début décembre 2000 que des enfants congolais avaient été envoyés de Bunia à Kampala pour y suivre une formation militaire que le Conseil de Sécurité a réagi. Dans une résolution du 14 décembre, le Conseil de Sécurité a réclamé la démobilisation, le désarmement, le retour et la réhabilitation de ces enfants. A la mi-février 2001, une campagne menée conjointement par la MONUC, l'UNICEF et d'autres organisations a poussé l'Ouganda à accorder à l'ONU et à d'autres agences le libre accès aux enfants hema envoyés en Ouganda pour une formation militaire. Ces agences se sont chargées d'assurer la protection des 163 mineurs d'âge que comptait le groupe, dont trois filles, tâche qui doit être accomplie tout en les empêchant aussi de s'impliquer dans tout autre conflit futur dans leur région d'origine. Jusqu'à présent, aucune des agences de l'ONU n'a entrepris de retrouver les centaines d'enfants lendu qui avaient quitté le camp de Nyaleke à Beni après avoir suivi une formation militaire et de s'assurer qu'ils n'ont pas été remobilisés et déployés dans des zones de combat.182
Les institutions financières internationales
Tenu en haute estime pour avoir promu une grande relance économique après des années de déclin, l'Ouganda a continué de bénéficier d'importantes aides de la part des bailleurs de fonds internationaux en dépit de ses activités militaires et de ses violations des droits de l'homme au Congo. Les bailleurs bilatéraux et multilatéraux, notamment la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI), ont octroyé des aides sans prendre de mesures effectives visant à s'assurer que ce soutien n'aurait pas pour conséquence involontaire de permettre à l'Ouganda de disposer de moyens supplémentaires pour financer une sale guerre.
Dans le cadre d'une nouvelle politique définie dans son manuel opérationnel, la Banque Mondiale reconnaît que la guerre détruit et déstabilise l'activité socio-économique normale qu'elle cherche à promouvoir et que l'utilisation des ressources publiques pour couvrir les dépenses militaires entrave le développement économique.183 Néanmoins, la Banque n'a pas fait le lien entre le soutien économique qu'elle accorde au gouvernement ougandais et les dépenses militaires accrues de l'Ouganda destinées à financer une guerre au Congo où ses troupes ont commis de nombreuses et graves exactions. Par ailleurs, en mai 2000, la Banque Mondiale et le FMI ont annoncé un nouvel allégement de la dette de l'Ouganda pour un montant d'1,3 milliard de dollars dans le cadre de l'initiative visant les Pays Pauvres les Plus Endettés (PPPE).184 Ces institutions n'ont pas le droit d'apporter un quelconque soutien aux activités militaires et au sens strict, elles ne le font pas. Mais les fonds injectés dans n'importe quel système gouvernemental sont fongibles, en d'autres termes, l'assistance octroyée dans un domaine, par exemple la lutte contre la pauvreté, libère de l'argent, lequel peut alors être consacré à autre chose, par exemple l'achat d'armes. Les institutions financières internationales commencent seulement à reconnaître le rapport complexe qui existe entre l'aide octroyée à des fin précises et l'utilisation de cette aide à d'autres fins. A moins qu'elles ne conçoivent des moyens efficaces pour résoudre ce problème, elles risquent de constater que leur aide contribue à financer des activités militaires, celles-là mêmes qui font obstacle à la réduction de la pauvreté et au développement économique qu'elles cherchent à promouvoir.
A l'instar de la Banque Mondiale, en juin 1999 la Commission européenne s'est inquiétée de l'effet néfaste des dépenses militaires sur le développement économique. Dans un message adressé au Conseil des Ministres et au Parlement de l'Union européenne (UE), la commission a mis en garde les bailleurs de fonds sur le fait qu'ils devaient chercher à garantir que les fonds de développement ne soient pas détournés à des fins militaires. Mais tout comme la Banque, l'UE n'a pas prêté attention à cet avertissement lorsqu'elle a accordé des aides à l'Ouganda.
Dans le cadre d'un dialogue politique avec l'Ouganda et par le biais des missions effectuées dans la région par son émissaire Aldo Ajello, l'UE a souligné combien il était important de mettre en _uvre l'Accord de Lusaka. Elle a indiqué qu'elle était disposée à apporter son concours en fournissant une assistance pour réinstaller les personnes déplacées, faciliter la réconciliation et amorcer une relance de l'économie.185 L'UE a par ailleurs insisté régulièrement sur le fait qu'il était important d'éviter les atteintes aux droits humains dans le conflit au Congo. Mais elle n'a pas conditionné la poursuite de son aide au respect de l'accord de Lusaka ni à l'arrêt des exactions commises par les troupes ougandaises.
La Commission européenne aide l'Ouganda dans le cadre de ses Programmes indicatifs nationaux quinquennaux (NPI) s'étendant de 1996 à 2001 ; elle lui a ainsi octroyé quelque 210 millions d'euros pour des projets portant sur la réfection des routes, l'éducation, la santé, l'agriculture, les droits humains et la décentralisation. Bien que les affrontements entre les troupes ougandaises et rwandaises à Kisangani aient été condamnés par l'UE, celle-ci n'a pas lié la poursuite de son aide aux programmes d'ajustement structurel à la cessation des affrontements qui coûtent si cher en vies humaines.
A l'instar du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le Parlement européen n'a pas saisi l'occasion de soulever le problème des enfants soldats recrutés et entraînés par les forces ougandaises au Congo. En juillet 2000, le parlement a condamné l'Armée de Résistance du Seigneur pour avoir enlevé des enfants et les avoir intégrés dans ses rangs et il a même été jusqu'à demander aux compagnies des pays membres de l'UE de s'abstenir de faire des investissements pétroliers au Soudan en raison du soutien accordé par le Soudan à ce groupe rebelle auteur d'atteintes aux droits de l'homme. Mais il n'a rien dit à propos de l'Ouganda qui est impliqué dans le recrutement et l'entraînement d'enfants congolais pour ses alliés rebelles.186
Au début 2001, l'UE s'est montrée plus disposée à adopter une position ferme concernant la présence ougandaise au Congo et les exactions qu'elle entraîne. La présidence de l'UE a publié une déclaration bien sentie le 1er février 2001, s'inquiétant du regain de violence ethnique entre les Hema et les Lendu dans la région de Bunia. Pour la première fois, l'UE a soulevé le rôle joué par l'Ouganda dans cette recrudescence de la violence et a constaté que « la présence militaire continue de l'armée ougandaise dans cette partie de la RDC... y entrave les efforts de rétablissement de la paix. »187 Réitérant sa position concernant le retrait des forces étrangères de la RDC, l'UE a néanmoins tenu les autorités ougandaises responsables de faire respecter les droits humains dans les régions sous leur contrôle et les a appelées à faire de leur mieux pour mettre fin aux massacres. La déclaration a également appelé l'Ouganda à user de son influence sur les mouvements rebelles congolais de la région pour qu'ils fassent la même chose.188
Dans une deuxième déclaration datée du 27 février 2001, le Conseil Affaires Générales de l'UE s'est réjoui de la résolution 1341 du Conseil de Sécurité des Nations Unies et a souligné qu'il était important de « désarmer les groupes armés qui opèrent sur ou à partir du territoire de la RDC. » Le conseil « a exprimé sa vive inquiétude face aux graves violations des droits de l'homme qui continuent à être commises en RCD et a pris note du dernier rapport du Rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des droits de l'homme en RDC. » Le conseil a ensuite rappelé aux « gouvernements concernés qu'ils étaient responsables de faire respecter les droits de l'homme par leurs forces armées ainsi que par les forces armées qui sont de facto sous leur contrôle. » Le conseil a également exprimé son « désarroi face au recrutement forcé et à l'utilisation d'enfants soldats dans le conflit » et il a appelé toutes les parties à mettre immédiatement fin à cette pratique. Il s'est réjoui de la demande faite par le Conseil de Sécurité de l'ONU dans sa résolution 1341 de « charger le Représentant spécial du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés de poursuivre ces objectifs à titre prioritaire. » Le Conseil a déclaré que l'UE allait « étudier les mesures appropriées qui pourraient être imposées » si les parties au conflit n'honoraient pas les engagements qu'elles ont pris dans l'accord de Lusaka et ne respectaient pas les résolutions du Conseil de Sécurité de l'ONU. »189
L'UE a non seulement continué à octroyer des aides à l'Ouganda tout au long de ce conflit, mais elle n'a en outre rien fait pour empêcher que des armes soient fournies aux forces ougandaises et aux autres dans la région des Grands Lacs. Une déclaration de la présidence en juin 1999 a appelé les Etats membres de l'UE à adhérer strictement au Code de Conduite de l'UE sur les exportations d'armes, qui stipule que les membres ne doivent pas autoriser les exportations d'armes qui pourraient « aggraver les tensions ou les conflits armés existant dans le pays de destination finale » ou qui risquent d'encourager les atteintes aux droits de l'homme. La région des Grands Lacs remplit les conditions requises pour que soit appliqué strictement le code de conduite et par conséquent pour que soient suspendus tous les transferts d'armes des Etats membres de l'UE vers cette région. Lors d'une réunion en mai 2000, les ministres des affaires étrangères de l'UE ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur cette mesure, certains Etats membres faisant valoir qu'un embargo de ce type serait toujours violé. Mais les 22-23 janvier 2001, le Conseil Affaires Générales de l'UE a décidé de demander aux organes compétents de l'UE de faciliter l'adoption rapide de recommandations relatives à « un possible embargo et ses modalités pour endiguer les fournitures d'armes qui alimentent et prolongent le conflit en RDC et dans la région des Grands lacs. »
La dernière explosion de violence dans les zones sous contrôle ougandais dans l'est du Congo coïncidait avec la période de transition précédant l'arrivée de la nouvelle administration du Président George W. Bush aux Etats-Unis. L'administration Bush hérite d'une politique africaine qui repose apparemment sur des principes sains visant à préserver la stabilité de la région et à empêcher un nouveau génocide et des massacres en Afrique Centrale. Cependant, les décideurs américains utilisent depuis bien trop longtemps des approches simplistes pour appliquer ces principes à des réalités qui sont fondamentalement complexes. Révélatrice de cette approche, l'équation étriquée selon laquelle pour prévenir un génocide, il faut neutraliser les anciennes Force Armées Rwandaises (ex FAR) et les milices Interahamwe, qui ont perpétré le génocide rwandais de 1994 et sont encore en liberté dans l'est du Congo.190 Bien que le désarmement, la démobilisation et, s'il y a lieu, la poursuite de ces combattants sont une responsabilité collective de la communauté internationale, la stabilité dans la région exige par ailleurs que les forces ougandaises et rwandaises rendent des comptes pour les exactions commises au Congo et dans leurs propres pays.191
Alors que l'administration Clinton tirait à sa fin, il devenait de plus en plus clair que la politique des « nouveaux dirigeants » qu'elle avait jadis défendue avait perdu de sa crédibilité à mesure que ces dirigeants d'abord considérés comme des signes d'espoir étaient de plus en plus assimilés aux graves atteintes aux droits de l'homme. En août 2000, une équipe du gouvernement américain dirigée par l'Ambassadeur extraordinaire pour les Crimes de guerre, David Scheffer, a recueilli des informations à Kinshasa, Kisangani, Goma et Butembo qui mettaient en évidence les violations du droit international humanitaire commises par les groupes armés appuyés par le gouvernement du RCD, les mouvements rebelles congolais et les troupes ougandaises et rwandaises.192
L'Ouganda bénéficie depuis longtemps d'un soutien américain considérable, pas seulement parce qu'il réussit apparemment à promouvoir l'ordre et le développement économique mais également parce qu'il a offert son aide pour contenir la puissance du Soudan, considéré par les Etats-Unis comme une sérieuse menace pour la stabilité du nord-est de l'Afrique. Au cours de l'exercice 2000, les Etats-Unis ont fourni quelque 58 millions de dollars sous forme d'aide au développement et d'aide alimentaire à l'Ouganda, et environ 50 millions de dollars ont été demandés pour 2001.
Avant la deuxième guerre au Congo, les soldats ougandais pouvaient suivre des formations dans le cadre du programme de formation internationale dans le domaine militaire (IMET - International Military Education Training) ; du programme d'exercice interarmées de formation et d'entraînement (JCET - Joint Combined Exchange Training), qui offre une formation aux forces spéciales américaines par le biais d'une interaction avec des forces étrangères ; et dans le cadre de l'initiative de réaction face aux crises africaines (ACRI - African Crisis Response Initiative), un programme visant à former et à équiper des forces africaines pour renforcer leurs capacités de maintien de la paix et de réaction face aux crises humanitaires. L'Ouganda a également reçu du matériel militaire non meurtrier dans le cadre d'une initiative menée avec les Etats du front, programme d'assistance spéciale pour l'Ouganda, l'Ethiopie et l'Erythrée visant à contenir le gouvernement du Soudan.
Dès que les soldats ougandais sont partis se battre au Congo en 1998, leur participation au programme ACRI a toutefois été suspendue. Cette année-là, l'Ouganda a encore reçu quelque 3,85 millions de dollars en matériel militaire dans le cadre du programme avec les Etats du front, mais l'année suivante, ce programme a été suspendu. Suite aux affrontements avec les troupes rwandaises à Kisangani, les Etats-Unis ont mis fin à la plupart des formations rentrant dans le programme IMET, bien qu'ils aient prévu une reprise limitée de ce programme en 2001. Les Etats-Unis ont condamné les combats de Kisangani plus parce que les parties avaient violé l'accord de Lusaka que parce qu'elles avaient violé le droit international humanitaire en ne réduisant pas à un minimum le nombre de victimes civiles.
L'armée américaine a dispensé une formation à des Ougandais, même après les combats de Kisangani, par le biais de programmes financés par les chefs d'Etat-major des armées et dirigés par le Commandant en chef du commandement central (CINC) responsable de la corne de l'Afrique. Ces programmes ne font pas l'objet d'un examen du Congrès comme c'est le cas pour la plupart des programmes de formation militaire américains. En juin 2000, l'Ouganda a participé à « Natural Fire », un exercice de formation semestriel axé sur l'assistance humanitaire et sur l'aide à apporter en cas de catastrophes, exercice qui s'est tenu au Kenya.193 A la demande du Département d'Etat et en raison de l'engagement de l'Ouganda au Congo, seuls les officiers d'état-major et les experts techniques ont été invités, plutôt qu'une unité complète comme cela aurait été le cas normalement. En juillet et août 2000, l'armée ougandaise a participé à « Golden Spear », un séminaire annuel à l'intention des hauts responsables civils et militaires et axé sur les mécanismes de coopération régionale.194
Tout au long de la crise au Congo, les Etats-Unis ont misé sur la « diplomatie tranquille » pour soulever les problèmes de droits de l'homme avec le gouvernement ougandais. Bien que les responsables américains affirment qu'ils ont critiqué la conduite de l'Ouganda en RDC, notamment lors de rencontres avec le Président Museveni, ils ont évité tout commentaire négatif qui pouvait embarrasser le gouvernement ougandais. Ce faisant, ils ont raté de nombreuses occasions de souligner les problèmes de violations des droits de l'homme et d'insister pour que les auteurs de ces violations soient traduits en justice. Le silence américain face aux atteintes aux droits de l'homme dans la partie du Congo sous contrôle ougandais a contribué au sentiment que les Etats-Unis étaient de parti pris pour l'Ouganda.
Outre les canaux officiels permettant de soulever ces problèmes, les Etats-Unis ont également des liens informels avec les soldats ougandais qui viennent suivre une formation militaire aux Etats-Unis. Par exemple, le commandant des forces ougandaises au Congo, le Brig. Gén. Edward Katumba Wamala, a passé un an aux Etats-Unis avant sa nomination, dans le cadre d'un stage de formation à l'Ecole de Guerre de l'armée américaine à Carlisle, en Pennsylvanie. On ne sait pas si les responsables américains ont essayé d'encourager le Gén. Wamala à limiter les violations des droits de l'homme commises par ses troupes, bien que le Département d'Etat américain ait confirmé que l'ambassade des Etats-Unis à Kampala avait des contacts occasionnels avec lui.195
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175 Nations Unies, Conseil de Sécurité, « Sixth report of the Secretary-General on the United nations Organization Mission in the Democratic Republic of the Congo, » S2001/128, le 12 février 2001.
176 Ibid. paragraphe 77.
177 Nations Unies, Conseil de Sécurité, résolution 1341, le 22 février 2001.
178 Haut Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme, « Special Rapporteur on Situation of Human Rights in the Democratic Republic of the Congo condemns recent massacres in the east of the country, » le 26 janvier 2001.
179 Ibid., « Sixth report of the Secretary-General on the United nations Organization Mission in the Democratic Republic of the Congo. »
180 Haut Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme, « High Commissioner for Human Rights concludes visit to Democratic Republic of the Congo, » le 4 octobre 2000.
181 Conseil de Sécurité de l'ONU, « Security Council holds debate on children and armed conflict, » 4176e séance, le 26 juillet 2000, sur http://wwww.reliefweb.int/w/rwb.nsf/
182 Voir plus haut chapitre IV.
183 Banque Mondiale, "Development cooperation and conflict," Manuel opérationnel et politiques opérationnelles de la Banque Mondiale, (janvier 2001), op 2.30.
184 « World Bank and IMF support additional debt relief for Uganda amounting to $1.3 billion, » Communiqué No. 2000/327/s, le 2 mai 2000.
185 Union européenne, « Declaration of the Presidency on behalf of the European Union on implementation of the Lusaka Agreement, » Union européenne, Bruxelles, le 22 septembre 2000, 11240/00 (press 311), P 130/00.
186 Parlement européen, « Human Rights: Child soldiers in Uganda, European Parliament Resolution on the abduction of children by the Lord's Resistance Army (LRA), »
187 Union européenne, « Declaration of the Presidency on behalf of the European Union on the Hema - Lendu conflict in north-eastern DRC, » Bruxelles, le 1er février 2001, 5693/01 (Press 32), P 019/01.
188 Ibid.
189 « The Council discussed the developments in the Democratic Republic of Congo, » communiqué de presse 6506/01: 2331e séance du Conseil - Affaires Générales, Bruxelles, les 26-27 février 2001.
190 Voir par exemple le témoignage de Richard Holbrooke, alors ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU, devant le Sous-Comité sur l'Afrique du Comité des relations internationales de la Chambre, le 15 février 2000.
191 Human Rights Watch, « Ce que cache Kabila : massacres de civils et impunité au Congo, » rapport succinct de Human Rights Watch, Vol. 9, No. 5 (A), octobre 1997. Voir aussi : « Report of the Secretary-General's Investigative Team charged with investigating serious violations of human rights and international humanitarian law in the Democratic Republic of Congo, » S/1998/581, le 29 juin 1998.
192 Déclaration du Département d'Etat, le 29 août 2000.
193 Entretien de Human Rights Watch avec le Commandant Pat Jackson, Chargé de l'Afrique de l'Est, Bureau des affaires africaines, Ministère américain de la Défense ; le 28 février 2001.
194 Entretien de Human Rights Watch avec le Lt Col. Terence Tidler, Commandement central américain, Base de l'US Air Force à Macdill, Floride, le 1er mars 2001.
195 Entretien de Human Rights Watch avec Howell Howard, Chargé de l'Ouganda, Département d'Etat américain, le 2 mars 2001.